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La Collectionneuse un film d'Eric Rohmer

La Collectionneuse un film d'Eric Rohmer

 

Haydée et les deux dandys, un conte moral solaire

 

A l’issue de la lecture du numéro des Cahiers du cinéma de l’été 2024 (Repenser le cinéma n°811), de textes récents sur le cinéaste et d’une belle présentation du film au cinéma Les Studios à Brest, il m’a semblé important de revenir sur le film La Collectionneuse, un chef d’œuvre d’Eric Rohmer.

 

Eric Rohmer est un cinéaste raffiné et cultivé, professeur de lettres, il a enseigné au lycée, amateur de cinéma passionné, vers 25 ans, il est rentré dans l'excellente revue dirigée par André Bazin, Les Cahiers du cinéma où il a rencontré et fréquenté Claude Chabrol, Jean-Luc Godard, François Truffaut et Jacques Rivette qui sont devenus ses amis de cinéphilie.

 

Il a écrit dans une très belle langue française un beau roman La Maison d'Élisabeth en 1946, de nombreux textes critiques et des livres fondamentaux Le celluloïd et le marbre, Le Goût de la beauté, Le Sel du présent recueils de ses textes critiques et théoriques sur le cinéma. Il a été rédacteur en chef de la revue de 1957 à 1963 avant de se faire évincer par ses amis menés par une fronde de Jacques Rivette qui lui reprochait d'être trop à droite. Il s'avère être l'un des cinéastes essentiels du cinéma Français au même titre que Robert Bresson, Jacques Demy, Jean Eustache, Jean-Luc Godard, Jean-Pierre Melville, Jean Renoir, Maurice Pialat…

 

La Collectionneuse est de l'un des nombreux chefs-d’œuvre d'Eric Rohmer, comme Ma nuit chez Maud, Le Genou de Claire, La Marquise d'O, Les Nuits de la pleine lune…

 

Le film s'ouvre par trois préambules d'une beauté plastique et d'une sensualité radieuse présentant les trois protagonistes principaux. Rohmer filme les hommes et les femmes comme il filme la nature, la mer, les fonds marins, les rochers, les arbres et les champs. Le morcellement du corps d'Haydée dans le premier prologue est splendide il rend hommage à la beauté de la femme par un découpage sensuel et pictural de son corps qui rappelle celui du corps de Camille (Brigitte Bardot) dans Le Mépris (1963) de Jean-Luc Godard.

 

Deux dandys désœuvrés, Daniel (Daniel Pommereulle, artiste plasticien et cinéaste passionnant) et Adrien (Patrick Bachau, dont c'est l'un des tous premiers rôles. Il tournera ensuite avec Wim Wenders et F.J Osang) sont en vacances dans la maison d'un ami, Rodolphe absent, afin d'accomplir leur désir, celui de ne rien faire. Mais une fille est là, elle aussi invitée par Rodolphe, Haydée (Haydée Politoff, jeune débutante, excellente) rayonnante, libre et indépendante, ne tenant aucun discours revendicatif ou rebelle, elle multiplie les conquêtes d'un soir ou deux.

C'est une collectionneuse décident les deux compères qui font semblant de la mépriser dans leurs péroraisons précieuses, hautaines et très drôles sur leurs désirs, le vide et le rien. Ils discutent de la futilité du travail, du droit à la paresse, de l'art, de la volonté de collectionner les œuvres d'art ou les hommes, de la médiocrité et de la supposée laideur morale de Haydée qui les bouscule par son comportement libre. Haydée se moque de ces critiques et participe volontiers à ce jeu cruel quand il s’agit de se moquer de ses conquêtes en particulier dans cette belle scène où Adrien raille plein de morgue un jeune benêt avec qui elle a passé la nuit avec sa complicité amusée et celle cynique de Daniel. Quand ils le chasseront, elle choisira malicieuse et ravie de rester avec les deux dandys.

 

La Collectionneuse est un film solaire servi par la photographie lumineuse et les cadres rigoureux de Nestor Almendros et un trio de jeunes acteurs formidables. Avec ce conte moral et philosophique, une comédie douce amère, lucide, cruelle et très drôle, Eric Rohmer réalise une œuvre profondément inscrite dans la société des années soixante et saisit avec pertinence l’esprit d’une époque de grande liberté sociale, intellectuelle, politique et morale. C’est un film où l’art plastique et la peinture comme souvent chez l’auteur sont au centre de la fiction par la force d’une mise en scène où les couleurs, le montage, le choix des cadrages et des plans montrant les corps, la mer, la campagne, les rues des villes, les passants sont essentiels.

 

Le cinéaste fait le portrait de la société libre, volage, libertine, artiste et hippie du milieu des années soixante avant que n'arrivent les idéologies soixante-huitarde gauchisante et féministe. Deux dandys altiers et impérieux se retrouvent mis en échec par une jeune fille séduisante, libre, qui cherche sa voie et possède un habile sens de la manipulation et de la séduction désintéressée, c'est une libertine belle et sauvage qui ne s’embarrasse pas avec les discours et la morale. Daniel, sûr de son talent de plasticien contemporain se montre emprunté, rageur, tapageur (au sens littéral du terme). Quand à Adrien, comme tous les héros des contes moraux, il pense faire des choix mais sa morale le ramène vers Carole (Mijanou Bardot, resplendissante) la femme très jeune et libre, elle aussi, qu’il croit aimer.

 

Il est assez consternant que les jugements conventionnels de jeunes cinéphiles, de critiques et de certains idéologues contemporains puissent nous faire croire que ce film serait l'histoire de deux machistes face à une femme libre au sens où l'entende les féministes et néo-féministes. Évidemment, Haydée est bien plus libre et naturelle que toutes ces gentes dames et damoiseaux déconstruits.

 

Jacques Déniel

 

La Collectionneuse un film d’Eric Rohmer

France – 1966 – couleur – comédie/conte moral – 1h30 Ours d’Argent Berlin 1967

Interprétation: Patrick Bauchau, Haydée Politoff, Daniel Pommereulle, Alain Jouffroy, Mijanou Bardot…

Distribution cinéma Les Films du Losange, DVD Potemkine Films

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