Tardes de soledad d'Albert Serra

Tardes de soledad d'Albert Serra
Une exploration spirituelle de la tauromachie de sa beauté fascinante et primitive.
Alors que la Corrida est menacée, le cinéaste espagnol Albert Serra nous propose un film d'une beauté à couper le souffle sur le torero Andrés Roca Rey et fait revivre cette tradition d'une grande richesse artistique. Tant pis pour tous ceux dont la pensée est régie par des biais émotionnels émotifs ou identitaires: La violence ne vient pas de moi, elle appartient à la corrida. Albert Serra
Tardes de soledad d'Albert Serra est le neuvième long-métrage de cet exigeant cinéaste espagnol. Souvenons-nous des très beaux films Honor de cavallería (2006) adaptation très personnel en langue catalane du Don Quichotte de Cervantès, Le Chant des oiseaux (El cant dels ocells - 2008) une œuvre lumineuse sur les Rois mages, de La Mort de Louis XIV (2016) - avec Jean-Pierre Léaud, magnétique - et de Roi Soleil (2018) tous deux consacrés à Louis XIV puis de son chef-d’œuvre Pacifiction (2022), une fiction paranoïaque où le talent du cinéaste est admirablement servi par Benoit Magimel au sommet de son art.
Avec Tardes de soledad Alberto Serra nous plonge dans un monde d'une beauté terrifiante. Par son parti pris de filmer au plus près des corps, ceux du taureau, des peones, des picadors et bien sur du roi de l’arène le matador, Péruvien Andres Roca Rey, 28 ans, considéré comme le numéro un de la corrida, il magnifie un art ancestral très codifié et régi par des règles de mise en scène rigoureuses.
Le film s'ouvre par de longs plans d'un taureau noir de toute beauté s’ébrouant. Son souffle long et puissant est impressionnant, ensorcelant. Andres Roca Rey, jeune, beau et viril, doté d'un corps sculptural de sportif de haut rang, possède lui aussi un souffle rageur et défie la bête et le monde avec sa gestuelle fascinante. Il se déplace dans l'arène avec un sens inouï de l’occupation de l'espace grâce à sa prestance et son art subtil de l'esquive. Comme dans Pacifiction où Benoît Magimel, filmé par Albert Serra dans la peau d'un animal politique râblé, soufflant, tournant en rond sur son île, occupait lui aussi tout l'espace de sa présence.
Documentaire tragique et envoûtant le film nous montre à la fois la beauté d'un art mystique où la cruauté et le sang nous donne le vertige. Il capte la brutalité et la trivialité de langage des hommes de la cuadrilla - l'équipe de toreros placés sous les ordres du matador et qui affrontent, à pied ou à cheval, le taureau - leur anxiété face au danger, leur admiration du matador, leur droiture.
Par son choix de filmer à l'aide de multi caméras disposés autour de l'arène, ses plans aux cadrages serrés, son montage abrupt, ses ellipses spatiotemporelles, son travail sur le son qu’il capte grâce à des micros-cravates posés sur les épaules du torero, des peones et sur les pattes du cheval du picador, son sens du déroulement du temps et de la possession de l'espace par des hommes face à la mort, Albert Serra signe avec Tardes de soledad une œuvre sur la beauté d'un sport, d'un spectacle ancestral et d'un art régi par un sens certain du religieux et du mysticisme. Ainsi, dans la corrida il y a de nombreuses passes de capote souvent virtuoses. Celle considérée comme la plus belle est la véronique dans laquelle le matador présente le capote tenu à deux mains, face au taureau, imitant le geste similaire que fit sainte Véronique lorsqu'elle essuya le visage du Christ durant sa Passion. De même, très croyant, Andres Roca Rey, embrasse son crucifix et ses saintes médailles.
Avec ce portrait du jeune matador, Andrés Roca Rey, star de la corrida contemporaine, le cinéaste dépeint l’opiniâtreté, la hardiesse et la grande solitude de la vie d’un torero. Une exploration spirituelle de la tauromachie et de sa beauté fascinante et primitive.
Jacques Déniel
Tardes de Soledad - Espagne - 2024 - 2h05 - VOSTF.
Documentaire réalisé par Albert Serra
avec: Andrés Roca Rey, Francisco Manuel Durán, Roberto Domínguez, Manuel Lara, Antonio Gutiérrez...
Musique: Marc Verdaguer
Sortie France 26 mars 2025