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Une certaine idée du cinéma le blog de Jacques Déniel

  • Violences à Détroit

    Violences à Détroit

    Detroit, un film de Kathryn Bigelow

     

    Les événements que relate la cinéaste dans son nouveau long-métrage Detroit se déroule durant l'été 1967. Les États-Unis connaissent alors une vague d’émeutes d'une violence sans précédent. La guerre du Vietnam, très contestée, ressentie comme une intervention coloniale, et les nombreux problèmes liés à la ségrégation raciale nourrissent la contestation. Détroit vit depuis quelques jours dans un climat insurrectionnel. A l’Algiers Motel des coups de feu sont entendus dans le milieu de la nuit, semblant visé, des hommes de la Garde nationale. La police de Détroit et la Garde nationale encerclent l'hôtel. Très vite un petit groupe de clients de l’hôtel, neufs noirs et deux femmes, sont soumis à un interrogatoire mené avec violence et sadisme afin de leur extorquer des aveux...

     

    Kathryn Bigelow est décidément une cinéaste courageuse qui s'attaque à des sujets politiques et sociaux difficiles. Après les excellents films Démineurs (2009) sur un groupe de soldats effectuant des déminages dans une situation périlleuse pendant la Guerre États-Unis/Irak et Zero Dark Thirty (2012) qui narre la traque de Ben Laden, elle relate les émeutes de Détroit du point de vue d'une cinéaste américaine blanche. Ce qui lui a valu de nombreuses critiques dans les médias américains: «Irresponsable », «complaisante », voire «coupable de faillite morale» aux yeux du New Yorker... «Comment Bigelow, une femme blanche qui a grandi à San-Francisco dans une famille bourgeoise et fait ses études à Columbia peut-elle comprendre et faire la lumière sur une expérience aussi viscérale?» s'interroge Variety. Ainsi c'est c’est la couleur de peau de la cinéaste qui pose problème. De nombreux textes publiés dans la presse américaine pensent que seul un ou une cinéaste noire pourrait et saurait montrer au cinéma ces émeutes raciales avec pertinence. Au rythme où vont les choses, il ne sera bientôt plus possible d'écrire un roman, de tourner un film, d'écrire un article sur un sujet si l'on n'appartient pas au sexe – au genre devrais-je certainement dire- à la couleur, à la religion des êtres humains dont on parle, bienveillance oblige. Bien sûr, face au film de Kathryn Bigelow, aucune de ces critiques bien-pensantes ne tient.

     

    Une fois de plus, Kathryn Bigelow à tourné son film après un long et patient travail d’investigation. Elle a réalisé des interviews de dizaines de témoins de l’époque et fait une enquête précise sur les émeutes. Un fait particulièrement grave à retenu son attention: celui qui s'est déroulé à L'Algiers Motel où la police de Détroit a violenté, humilié neuf hommes noirs et deux jeunes femmes blanches, abattu trois jeunes noirs avec un déchaînement physique et mental d'une cruauté terrible. Dans ce fait divers, elle se concentre sur le destin de Larry Reed, chanteur de The Dramatics, un groupe de musique soul qui venait de signer un contrat avec le célèbre label Motown. Présent à l’Algiers Motel ce soir là, le chanteur est brutalisé subissant des séquelles graves. Il renoncera alors à chanter ailleurs que dans les églises.

     

    Dans la première partie du film, la cinéaste expose avec une mise en scène alliant sécheresse et amplitude les raisons et les conditions des tensions raciales et des émeutes qui s'en suivent à Détroit, -émeutes nettement moins connues en France que celles de Watts ou à celles qui surviendront dans le pays, l'année suivante à la suite de l’assassinat de Martin Luther King. Servie par un tournage caméra à l'épaule -lui permettant de nous montrer plusieurs scènes de soulèvement-, un montage alterné brillant et efficace et l'utilisation d'images d'archives, elle nous décrit l’inéluctable affrontement entre les manifestants noirs et les policiers de la ville et les soldats de la Garde nationale appelés en renfort.

    Dans la deuxième partie, en choisissant le postulat de se focaliser sur un fait divers sordide, Kathryn Bigelow nous montre avec un sens aigu du cadre et une tension dramatique constante et éprouvante comment des policiers représentants de l'ordre de leur pays se conduisent comme des êtres cruels et pervers, motivés par des pulsions sadiques d'ordre racistes et sexuelles, dans un quartier au bord de l'explosion sociale. Les acteurs sont tous excellents en particulier, Will Pouter qui incarne Krauss, le jeune policier qui mène les interrogatoires. La cinéaste filme un être à la figure d'ange, au regard noir qui soudain devient haineux, un homme d'une terrible ambivalence, ne pouvant être considérer comme fondamentalement raciste ou comme un monstre fasciste. Il représente le racisme ordinaire de toute une socité américaine qui refuse absolument de voir le ségrégationnisme de l'époque. L'intelligence de la cinéaste est de ne pas faire de son film un brûlot manichéen contre le racisme et les violences policières qui exempterait tout noir américain de critiques. Elle ne veut pas démontrer mais montrer, nous faire voir ce que l'on voit: la mécanique implacable de la montée de la violence et de la brutalité policière face aux émeutiers et aux jeunes noirs, vu de l’intérieur dans des scènes de huis-clos tendues et étouffantes. Le Diable probablement!

     

    Le film se clôt par une troisième partie plus courte où l'enquête et le procès des policiers accusés de meurtres est relaté avec un sens aigu de l'économie du récit et se conclut après la relaxe des policiers sur le destin tragique de Larry Reed, meurtri à jamais par ce drame, qui décide de ne chanter que des gospels avec une voix d'une splendeur émotionnelle sans pareille dans les églises.

     

    Detroit est chef d’œuvre, un grand film politique et artistique qui confirme le grand talent de la cinéaste. Un film au regard juste et fort sur une Amérique blanche dont le raisonnement omnipotent à cette époque crée du déni et du délire raciste.

    Jacques Déniel

     

    Détroit – États-Unis – 2017 – 2h23 – Un film de Kathryn Bigelow

    Interprétation : John Boeyga (Dismukes), Will Poulter (Krauss), Algee Smith (Larry), Jacob Latimore (Fred), Jason Mitchell (Carl), Hannah Murray (Julie), Jack Reynor (Demens), Kaitlyn Dever (Karen

     

  • Le Rapace un film de José Giovanni

     Le Rapace un film de José Giovanni

    Une belle et ambitieuse réussite cinématographique

     

    Le Rapace passait le 9 janvier sur la chaine ARTE. C'est le premier film de José Giovanni que je vois. Sans doute la critique cinématographique des années soixante dix et suivantes et les idéologies à la mode à cette époque ne conduisaient pas à découvrir les films de ce cinéaste français. La fougue de la jeunesse, le foisonnement musical des sixties, la découverte des grands films et des grands textes littéraires était plus importante pour moi.

     

    Je connais ses romans de série noire, souvent aventureux et amères. Il évoque dans trois romans noirs successifs la condition d’un homme qui fuit la police et la justice de son pays au prix de nombreux crimes et assassinats commis durant le reste de sa vie. Il a écrit une vingtaine de romans, une quinzaine de scénarios pour le cinéma (assez peu souvent pour de grands films) et réalisé une vingtaine de films.

     

    Le film nous conte l'histoire d'une révolution manquée au Mexique. Vera Cruz, en 1938, un tueur à gages taiseux, dur, cynique et sans morale interprété par un Lino Ventura, sec et ombrageux, parfait dans ce rôle. Il est engagé par un groupe de révolutionnaires pour assassiner le président du pays. Un étudiant idéaliste, persuadé de l'importance de son engagement militant et pressenti pour prendre le pouvoir, l'accompagne.

     

    Le sujet de la fiction laisse les spectateurs imaginer un film d'aventures comme les aimait José Giovanni aussi, très amateur du genre, dans ses romans comme dans bon nombre des œuvres auxquelles il collabora ou tourna. Le Rapace est un film tragique et désespéré, noir où la révolution échoue. Le pouvoir sera pris par un général sans pitié. Le cinéaste quitte la réalité française et tourne une sorte de néo-western psychologique au Mexique, une œuvre influencée par le cinéma américain, celui de John Huston tout particulièrement. José Giovanni prend aussi ses distances avec l’agitation révolutionnaire de mai 1968 en France et en Europe.

     

    Paradoxalement, Le Rapace sortira sur les écrans français quelques jours seulement avant les événements de mai. Il contient une désillusion et un désespoir politique peu en phase avec son temps. Du point de vue cinématographique, son metteur en scène ne choisit pas de montrer des séquences d'action ou de bravoures ni les grands espaces géographiques du pays. Il se concentre sur la préparation du meurtre et sur l'affrontement verbal et physique entre le tueur à gages et le jeune révolté épris de liberté et d'amour du peuple. Il installe un huis-clos tendu où règne une ambiance de noir pessimisme très rare dans un film d’aventures. Lino Ventura, jouait souvent des personnages possédant une droiture morale, le sens des valeurs et de l'honneur (comme dans L'Armée des ombres de Jean-Pierre Melville -1969). Dans Le Rapace, il interprète un personnage complexe et déroutant, affichant un détachement et un cynisme froid face aux évènements du Monde.

     

    La mise en scène sèche et crue de José Giovanni, superbement servie par les lumières chaudes et les cadres ciselés de Pierre Petit, son chef-opérateur, par l'excellente musique de François de Roubaix et par les chansons de Los Incas font du second long-métrage de José Giovanni, une belle et ambitieuse réussite cinématographique que confirmera, le cinéaste, deux ans plus tard, en tournant son plus beau film, son chef-d’œuvre: Dernier domicile connu.

    Jacques Déniel

    Le Rapace un film de José Giovanni
    France -Italie-Mexique – 1968 – 1h47 – V.F.

    Interprétation: Lino Ventura, Rosa Furman, Aurora Clavel, Augusto Benedico, Carlos Lopez Figueroa....

  • Le Deuxième souffle de Jean-Pierre Melville

    Le Deuxième souffle de Jean-Pierre Melville

     

    Destin fatal!

     

    Un dimanche soir de confinement au pays pagan, un fort vent glacé du nord souffle sur la maison. Bien calé au chaud, je revois sur la chaine ARTE, Le Deuxième souffle de Jean-Pierre Melville adapté du très bon roman policier de José Giovanni (1). Servi par le talent d'une pléiade d'acteurs formidables: Paul Meurisse, magistral dans le rôle du commissaire Blot, Lino Ventura, royal et imperturbable dans son interprétation mémorable de Gustave Minda dit Gu, gangster et homme d'honneur et Christine Fabréga, jouant Simone Melletier dite Manouche, amoureuse tendue, lasse, fatiguée, émouvante. Tous les acteurs des seconds rôles – Raymond Pellegrin, Michel Constantin, Marel Bozzuffi, Paul Frankeur, Denis Manuel - comme toujours chez Melville, sont impeccables

     

    Dernier film en noir et blanc de Melville, tourné en 1966, il annonce déjà par une synthèse parfaite des thèmes et motifs contenus dans ses précédents films policiers, les épures stylistiques qu'il va développer dans sa trilogie de polars tragiques avec Alain Delon (Le Samouraï, Le Cercle rouge, Un flic).

     

    Melville, cinéaste très exigeant et éternel insatisfait, modèle sans cesse la structure temporelle de ses films. Ne s'encombrant pas de la vraisemblance des actions qu'il met en scène, il préfère en travailler la durée. Dès le début du film, après l'attaque du bar de Jacques le notaire à Paris – situé à proximité de la place de L'Étoile –, filmée de manière sèche et brève, suit une admirable scène tournée en un seul plan séquence où le commissaire Blot, campé par Paul Meurisse – très certainement, l'un des plus beaux personnages de flic de toute l’œuvre du cinéaste – analyse de manière exemplaire et métticuleuse comme si il y avait assisté – le pouvoir, ici celui de la police, possède toujours des yeux pour voir chez Melville – le meurtre de Jacques le notaire. Melville donne du temps aux acteurs, et, leur permet ainsi d'Être plutôt que d'interpréter par leurs déplacements précis et leurs répliques cinglantes et sarcastiques, très écrites.

     

    Une autre scène, celle de l'attaque du fourgon transportant les caisses de platine, nous montre le génie dramaturgique du cinéaste. Dans un film noir classique – univers qui a beaucoup imprégné Melville – la séquence se déroulerait de nuit, au crépuscule ou à l'aube en milieu urbain. Le cinéaste choisit de la tourner en plein jour dans un petit col méditerranéen aride et sec et d'en étirer la durée. Chaque action des truands est filmée dans le temps de l'action réelle: la préparation méthodique du casse, la lente attente du fourgon, l'attaque rapide et cruelle, le camouflage du forfait où les quatre gangsters prennent le temps qu'il faut pour effacer au mieux les traces de leur forfait, leur retour à la ville, tous revêtus de leur éternel costume de malfrat (pardessus sombre, complet-veston, cravate et Borsalino). Cette scène qui atteint une minutie d'une précision documentaire et temporelle rare enrichit la fiction. Le déroulement du temps, l'occupation de l'espace, le déplacement et les propos des protagonistes sont essentiels dans ce film pour comprendre le destin tragique de Gu, homme solitaire et incompris, gangster implacable qui tue des hommes avec froideur, sans jamais sourciller et place l'honneur, la fidélité et l'amour comme règles de vie.

     

    Ces deux superbes moments d’anthologie nous indiquent la force et l'intelligence de la maîtrise technique et narrative du cinéaste. Jean-Pierre Melville s’identifie à ces hommes qui vivent hors du monde et de toute contingence sociale comme lui – il a révélé sa misanthropie dans des entretiens (2) –, comme les résistants dont il fera un portrait saisissant et terrible dans son chef d’œuvre L'Armée des ombres. Filmé dans des décors sobres et austères dans un style très épuré, magnifié par la force de son scénario et de ses dialogues souvent elliptiques, la rigueur des cadres et le somptueux noir et blanc de son chef opérateur Marcel Combes, Le Deuxième souffle s'avère une œuvre de toute beauté, une tragédie fatale. Du très grand art!

    Jacques Déniel

     

    Le Deuxième souffle de Jean-Pierre Melville

    France – 1966 – noir et blanc – 2h25

    Interprétation: Lino Ventura (Gustave Minda, dit «Gu», Paul Meurisse (commissaire Blot), Christine Fabréga (Simone Melletier dite Manouche), Raymond Pellegrin (Paul Ricci), Michel Constantin (Alban), Marel Bozzuffi (Jo Ricci), Paul Frankeur (commissaire Fardiano), Denis Manuel (Antoine Ripat)....

     

    (1) Le Deuxième souffle de José Giovanni ( Éditions Gallimard 1958).

    (2) Jean-Pierre Melville tourne Le Deuxième souffle par François Chalais( ORTF 1966 doc INA).

     

  • May December un film de Todd Haynes

    May December un film de Todd Haynes
     
    Le portrait sans équivoque de deux femmes fortes et assez antipathiques dans l’Amérique provinciale puritaine.
     
    May December est le dixième long-métrage de l’excellent cinéaste américain Todd Haynes, auteur de deux mélodrames de feu et de glace Loin du Paradis (2002) et Carol (2015) très inspiré par le cinéma flamboyant de Douglas Sirk, de trois beaux films sur la musique, Velvet Goldmine (1998) sur le rock glamour et Bowie, I’m Not There sur Bob Dylan (2006) et The Velvet Underground (2021), un documentaire sur le groupe de rock culte américain, un grand film poltique Dark Waters (2019), fiction de procès tragique qui relate l'histoire véridique de l'avocat Robert Bilott qui a dénoncé les pratiques toxiques de l'entreprise chimique DuPont de Nemours.
     
    Le film nous conte l’histoire de Gracie qui vit dans une grande villa côtière à Savannah, en Géorgie, avec son mari, Joe, leurs jumeaux adolescents et leurs deux chiens. La différence d’âge entre Gracie (59 ans) et Joe (36) est frappante et l’on comprend vite que le couple a créé le scandale dans le passé. Deux décennies auparavant, Joe Yoo était collégien et Gracie l’une de ses enseignantes.
     
    Cette relation est inspirée de l’histoire de Mary Kay Letourneau, enseignante de l’État de Washington qui en 1997 a été reconnue coupable de violences sexuelles sur Vili Fualaau, l’un de ses élèves, alors âgé de 12 ans, avec qui elle entretenait une relation. L’affaire avait fait couler beaucoup d’encre à l’époque.
     
    Todd Haynes grâce à sa maîtrise narrative et sons sens aigu de la mise en scène étoffe brillamment ce fait divers, portée par trois acteurs formidables, justes et émouvants : Nathalie Portman (Elizabeth Berry), Julianne Moore (Gracie Atherton-Yoo) et Charles Melton (Joe Yoo).
     
    Elizabeth Berry, une actrice célèbre vient rencontrer Gracie Atherton-Yoo celle qu’elle va incarner à l’écran, dont la vie sentimentale a enflammé la presse à scandale et passionné le pays 20 ans plus tôt.
     
    Le film est un hommage troublant et intelligent au cinéma et un fascinant portrait de femmes et d’actrices, une œuvre flamboyante et glacée servie par ses deux actrices de haut vol, Natalie Portman et Julianne Moore. La mise en scène acérée de Todd Haynes emmène le spectateur vers un maelström d'émotions et d'interrogations. Les références au cinéma du grand Ingmar Bergman sont fines, crues et poignantes Persona pour le rapport entre les deux personnages féminins principaux, Les Communiants pour la séquence où Elizabeth joue face caméra la lettre d’amour de Gracie à son jeune amant. La musique que Michel Legrand avait composée pour le film Le Messager de Joseph Losey, autre influence évidente de Todd Haynes avec le long-métrage Le Lauréat de Mike Nichols, nous submerge dans les moments de tensions dramatiques.
     
    May December est un grand film sur l’emprise, l’emprise de deux femmes sur Joe Yoo. Celle de Gracie Atherton, une femme de 36 ans sur le jeune garçon de 13 ans qu’elle fascine et celle de Elizabeth sur ce même Joe devenu un père de famille de 36 ans. L’actrice répète au nom de son art de l’interprétation, la scène de subjugation et de possession sexuelle initiale. Joe succombe devant deux femmes sures de leur désir, de leur volonté, de leur force de femmes dominatrices désirantes.
     
    Le portrait sans équivoque de deux femmes fortes et assez antipathiques dans l’Amérique provinciale puritaine. Du grand cinéma moral porté par la mise en scène limpide de Todd Haynes et la beauté de la musique de Michel Legrand.
     
    Jacques Déniel
     
    May December un film de Todd Haynes
    États-Unis – 2023 – 1h57 – V.O.S.T.F.
    Réalisation : Todd Haynes, Scénario : Samy Burch, Image : Christopher Blauvelt, Musique : Marcelo Zarvos, Michel Legrand.
    Interprétation : Natalie Portman (Elizabeth Berry), Julianne Moore (Gracie Atherton-Yoo), Charles Melton (Joe Yoo), Cory Michael Smith (Georgie Atherton), Elizabeth Yu (Mary Yoo), Gabriel Chung (Charlie Yoo), Piper Curda (Honor Yoo), D. W. Moffet (Tom Atherton), Lawrence Arancio (Morris)...
    Sortie sur les écrans de cinéma de France le 24 janvier 2024

  • La Zone d'intérêt" de Jonathan Glazer.

    La Zone d'intérêt un film de Jonathan Glazer.

     

    Un film désincarné, une installation froide et hygiéniste saturée par des sons extrêmes et une musique agressive.

     

    Avec cette adaptation très éloignée du roman de l'écrivain Martin Amis (qui ne désignait pas nommément les bourreaux dans son livre), Jonathan Glazer à décidé de montrer les vrais personnages, les vrais lieux (le film a été tourné sur le site même) où vivaient la famille Höss.

     

    L’expression sordide la zone d’intérêt qui donne son titre au film est emprunté au langage même des nazis pour définir le périmètre de 40 kilomètres entourant d’Auschwitz, le cœur du processus industriel génocidaire du troisième Reich. Lieu monstrueux où règne le Prince de ce Monde.

     

    Le film de Jonathan Glazer repose sur le choix d'une mise en scène conceptuelle forte, radicale, excessive et esthétisante, pas tant dans le projet, raconter le quotidien de la famille de Rudolf Höss, l’un des maîtres d’œuvre de la Solution finale, mais bien évidement sur la manière de montrer ce quotidien tant par l'image que par les sons et la musique.

     

    Filmer la Shoah depuis le jardin d’un pavillon bourgeois accolé au camp d'Auschwitz est sans doute un choix fort, la filmer en choisissant la sur-esthétisation de sa mise en scène par l'utilisation de sons censés provenir du camp mais très nettement mixés pour devenir comme une bande musicale atroce signée Mica Levi, par le filmage de séquences inutiles, de scènes sans réel intérêt (le rapport du couple avec la mère de sa femme, le fascisme latent de son fils jeune adolescent, personnage rappelant les petits monstres du film impressionnant et malaisant de Michael Hanneke, Le Ruban blanc (2009), les scènes de distribution des pommes par la jeune fille polonaise tournées en caméra à lumière infrarouge...)

     

    La Zone d’intérêt est un film de dispositif conceptuel emprunt de ruse et de rouerie intellectuelle. Glazer, petit cinéaste malin veut prouver que la puissance indépassable du hors-champ suffit à rendre vertigineuse sa description du quotidien de la famille Höss. De surcroit sa mise en scène est souvent lourde, démonstrative lorsqu'il montre de façon interventionniste, la trace du génocide comme dans l'insupportable film Le Fils de Saul de Làzlo Nemes.

     

    Au fond, le film n'est pas clinique mais assez monolithique. Glazer fait preuve d'un manque d'idées pour traiter son sujet l’horreur concentrationnaire. La plupart du temps, il neutralise l’image et étouffe le spectateur par des effets sonores ou visuels marqués (sons stridents, bourdonnements surgissement d’un beau monochrome rouge débordant d’un insert sur une fleur...). Il semble bien incapable de révéler la barbarie, l’horreur trop occupé par sa volonté d'illustrer l’effroyable banalité du mal loin de la complexité du texte de Hannah Arendt (1) et son désir auteuriste de petit maître de l’image, obsédé par son dispositif implacable de mise en scène.

     

    Le film semble tourner à vide, rien ne prend véritablement chair. La famille Höss est désincarnée, froide, sans vie. La Zone d’intérêt se termine, par un brusque raccord. Un plan au fond noir est fendu par l’ouverture d’une porte qui ramène l’action à notre époque: dans le mémorial de la Shoah et des camps d'extermination situé dans l’ancien camp d’extermination d’Auschwitz des employés nettoient de manière clinique les lieux d'exposition. Glazer filme la Shoah de comme une installation froide et hygiéniste saturée par des sons extrêmes et une musique agressive. Une fois de plus face à une fiction voulant évoquer la Shoah c'est le Retour au noir (2).

     

    Jacques Déniel

     

    (1) Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, traduction A. Guérin, Paris, Gallimard, 1966

    (2) Retour au noir ouvrage d'Alain Fleischer à propos du film Le Fils de Saul de Làzlo Nemes, et du livre Sortie du noir de Georges Didi-Huberman (sortie d'Auschwitz, revendiquée par le second).

     

    La Zone d’intérêt États-Unis, Royaume-Uni, Pologne2023

    Réalisation et scénario : Jonathan Glazer d'après le roman de Martin Amis, Image : Łukasz Żal, Son : Johnnie Burn, Montage : Paul Watts, Musique : Mica Levi.

     

    Sortie sur les écrans des cinémas de France le mercredi 31 janvier 2024.

     

     

     

    La Zone d’intérêt

    de Jonathan Glazer

  • Plein soleil de René Clément

    Plein soleil de René Clément

    La beauté d'un astre noir

    Ce très beau film de René Clément Plein Soleil, l'un de ses grands succès est une belle réussite cinématographique servie par un trio d'acteurs impeccables, Alain Delon, Maurice Ronet, Marie Laforêt. Adapté du roman de Patricia Highsmith Mr Ripley qui fit de son personnage éponyme le héros de toute une série littéraire, ce polar noir dont le scénario est coécrit par Paul Gégauff et René Clément est sans conteste la meilleure transposition à l'écran de l'œuvre de la romancière américaine.

    L'éblouissante beauté de Marie Laforêt, la nonchalance dandy de Maurice Ronet et le charme vénéneux de Alain Delon, sous le soleil éclatant d’Italie dans une sombre histoire de convoitise et de meurtre, en font un film haletant fascinant. Tourné à Rome, Naples et sur l'île abrupte d'Ischia, située à l'extrémité ouest du Golfe de Naples dans cette splendide région de la Méditerranée nommée mer Tyrrhénienne, le film apporta la célébrité mondiale à Alain Delon..

    L'immense talent d'Alain Delon, acteur et homme formidable, éclate dans cette tragédie fatale. Quel acteur français peut dire qu'il a tourné dans autant de chefs d’œuvre Rocco et ses frères, Le Guépard, Le Cercle rouge, Le Samouraï, Un flic, Le Professeur, Monsieur Klein, Nouvelle Vague...

    Dans Plein soleil, il est Tom Ripley. Il se dit chargé de ramener pour le compte d'un milliardaire américain, Monsieur Greenleaf, son fils Philippe (Maurice Ronet) à San Francisco pour la somme de 5000 dollars. Tom partage les moments de vacances et d'oisiveté du riche héritier et de sa compagne Marge (Maire La forêt). Constamment à leur côté, il est méprisé par Philippe qui le traite comme son domestique, tout en le faisant participer à toutes ses aventures... Dès lors, le machiavélique plan de Tom est enclenché et semble fonctionner à merveille.

    Le long-métrage de René Clément, remarquable à bien des égards, est un vrai thriller psychologique, sombre et intense ainsi qu'une superbe évocation de la vie d'une jeunesse désinvolte, oisive, égocentrique, en Italie, qui nous rappelle La Dolce vita de Fellini.

    La réussite du film doit énormément au personnage de Tom Ripley, un être complexe, trouble, étrange et bien sûr à son interprète Alain Delon qui l’incarne pleinement. Sa beauté fulgurante et ravageuse, son jeu simple et complexe à la fois le rende insondable, fascinant. Même après plusieurs visions du film, il n'est pas évident pour le spectateur de comprendre les motivations profondes de cet homme. Ses actes et ses intentions demeurent assez mystérieux et peuvent se prêter à plusieurs interprétations. Plein soleil est le quatrième film d'Alain Delon dans lequel il devait au départ jouer le rôle de Philippe Greeleaf. Mais il obtient en insistant de jouer celui de Tom Ripley, ce qui lui permet de devenir un acteur mythique. .

    Maurice Ronet joue avec un naturel confondant et inouï, Philippe, un personnage très désagréable, un oisif désabusé, cynique, plein de morgue et futile. La confrontation entre les deux personnages est tendue, cruelle, violente. Marge éblouie par l’un puis par l’autre, est victime de ce jeu dangereux et immoral. La mise en scène classique de René Clément procure un caractère intemporel à ce film datant de 1960. La liberté de jeu des trois acteurs principaux donne au film son ton de grande modernité.



    Les scènes de bars, de déambulations dans les marchés et les rues puis sur le port de l'île, par leur côté quasi documentaire, sont très belles, filmées dans l'éclatante lumière du soleil italien. Ce plein soleil qui réchauffe les corps, attise les désirs et les convoitises. Il est comme le reflet de la vacuité des oisifs et se fait aveuglement des âmes noires. Cette lumière solaire est rendue de main de maître par Henri Decaë, le célèbre chef opérateur. Les mélodies gaies et mélancoliques des mandolines napolitaines de Nino Rota sont ensorcelantes et contribuent à léblouissement exercé par le personnage de Tom Ripley sur les êtres qui l'entourent comme sur nous spectateurs. Comme le soleil, qui à la fois illumine et aveugle, les personnages du film sont fascinants et dangereux. Plein soleil est un chef d’œuvre du genre, un astre noir, faussement radieux, éblouissant.

     

     

    Jacques Déniel

     

    Plein soleil de René Clément – France – 1960 – 1h54

    Interprétation: Alain Delon, Maurice Ronet, Marie Laforêt, Ave Ninchi, Elvire Popesco, Frank Latimore, Billy Kearns...