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Chez nous Lucas Belvaux

Chez nous Lucas Belvaux

Le plus terrible dans ce monde c'est que chacun à ses raisons

 

Je considère Lucas Belvaux comme l'un des grands cinéastes contemporains. Pas son genre, 38 Témoins, Rapt, "La Raison du plus faible, Un couple épatant, Cavale, Après la vie, Pour rire, Parfois trop d'amour sont tous de beaux films servis par une mise en scène sèche et subtile.

Dans son nouveau long métrage Chez nous dont il a écrit le scénario en collaboration avec Jérôme Leroy, Lucas Belvaux tombe malheureusement dans le piège de la fiction politique manichéenne et caricaturale. (C'est entendu le Front National est un parti d'extrême droite, de nombreux propos tenus dans le film sont justes et certainement en dessous de la réalité.) (1), (2).

 

Mais quand il s'agit de faire une œuvre cinématographique où les questions politiques et sociales sont le cœur du projet, il faut savoir être dialectique et exposer les faits et idées avec un sens aigu de la crédibilité frictionnelle. Or le scénario de Chez nous n'est pas crédible. Comment cette jeune femme Pauline Duhez (Émilie Dequenne), une infirmière ne faisant jamais de politique, ne votant pas, n'y connaissant rien, peut-elle se voir proposer d'être tête de liste! (Steeve Briois, Maire de Henin- Beaumont, région où se déroule le film est élu bien plus doué et rusé politiquement que cette gentille infirmière!). Les idées politiques du parti le Rassemblement National Populaire (R.N.P.) ne sont pas analysés avec clarté. Ils sont ici slogans affirmés! La misère social et la pauvreté de la région ne sont que brièvement évoqués. Les exclus dont parle Christophe Guilluy dans ses ouvrages Fractures françaises et La France périphérique ne sont pas réellement présents à l'écran. Agnès Dorgelle, leader du Rassemblement National Populaire, interprétée par Catherine Jacob est une représentation faible et ratée de Marine Le Pen, bien plus convaincante et engagée. Le peuple dont Agnès Dorgelle se revendique dans ses discours est le grand oublié de ce film. Les personnes âgées et les malades que visitent l'infirmière semblent tous être de potentiels électeurs du R.N.P. Jamais leurs motivations mêmes minimes ne sont données. Ils ne tiennent que quelques propos de comptoirs existant dans le réel mais ici extrait de toutes autres considérations sociales, politiques et humaines. Tous ces petits blancs sont caricaturaux! La scène où des gamins insultent et chassent violemment une jeune femme (fille d'immigrés européens des années soixante) qui déchire les affiches de campagne électorales du RNP, déçue du choix politique de son amie Pauline Duhez, est un incroyable renversement sociologique et politique. Les maghrébins ne sont pas mieux lotis. Ils ne sont présents que comme faire valoir de leurs souffrances et de la stigmatisation qu'ils subiraient. Jamais, ils ne sont des personnages à part entière. Même la jeune fille Djamila Oumaouche n'est que le porte voix d'un discours criant à la stigmatisation des musulmans. Comme dans la majorité des articles de la presse où des discours politiques de gauche les maghrébins sont réduits à leur statut de musulmans et de stigmatisés. En voulant convaincre que le RNP est un parti fascisant, le film se disperse en insistant lourdement sur la nébuleuse crypto-nazi et/ou nationaliste flamande. Aucune de ces petites frappes totalement détestables n'ont une seule chance de se réhabiliter. Ainsi Stéphane Stankowiak (Guillaume Gouix) est jugé comme une ordure définitivement irrécupérable. Rien ne peut le sauver de son statut de salaud! Seul André Dussollier incarne avec un talent certain un médecin sympathique au passé sulfureux qui s'avère être un cadre roué et particulièrement pervers du R.N.P.

 

Quand on fait du cinéma, il faut toujours penser à cette phrase d'Octave dans La Règle du Jeu de Jean Renoir: "Le plus terrible dans ce monde c'est que chacun à ses raisons". Il faut savoir aimer tous ces personnages même les plus détestables afin de pouvoir amener le spectateur à comprendre leurs motivations, leurs raisons d'agir qu'elles soient bonnes ou mauvaises voire détestables et scandaleuses. Malheureusement, très décevant cinématographiquement et politiquement, rappelant les mauvaises fictions politiques de Yves Boisset ou d'André Cayatte, le film confirme que le cinéma français ne sait décidément pas s'attaquer aux questions politiques ou historiques françaises. Seuls L'Exercice de l’État, le film de Pierre Schoeller (2011) ou Avoir vingt-ans dans les Aurès de René Vautier (1972) sont des réussites exemplaires dans ce domaine.

Jacques Déniel

(1) Depuis l'écriture de ce texte en 2016, le Front national est devenu le Rassemblement National un parti de droite

(2) Le R.N. n'est plus le parti d'extrême droite qu'il était au moment de l'écriture de ce texte.

Chez nous un film de Lucas Belvaux – 2016 – 1H58

Scénario: Lucas Belvaux, Jérôme Leroy

Interprétation: Émilie Dequenne · André Dussollier · Guillaume Gouix · Catherine Jacob · Anne Marivin

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