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Une femme dont on parle (Uwasa no onna) de Kenji Mizoguchi

Une femme dont on parle (Uwasa no onna) de Kenji Mizoguchi

 

Souffrance des femmes, vacuité des hommes, désastre des âmes.

 

1954 est une année riche et faste de la fin de carrière de Kenji Mizoguchi. Il tourne trois longs-métrages, trois chefs d’œuvres. Deux sublimes films en costumes L’intendant Sansho (Sanshô dayû) Lion d’argent au festival de cinéma de Venise en 1954) et Les Amants crucifiés (Chikamatsu monogatari) Lion d’argent en 1955 à Venise) puis un film dont l'action se déroule dans les années cinquante, Une femme dont on parle (Uwasa no onna – 1954), un mélodrame sec et tendu qui se situe dans les quartiers de la prostitution - comme Les Sœurs de Gion (Gion no shimai - 1936),- Les Femmes de la nuit (Yoru no onnatachi - 1948), - La Fête de Gion (Gion bayashi -1953) ou La Rue de la honte (Akasen chitai - 1956), où alcools, mets et gourmandises de bouche, plaisirs et débauches sexuels sont consommés par des hommes argentés veules, vulgaires et grotesques.

 

Le film décrit cet univers de la nuit avec une grande acuité documentaire et une force fictionnelle sans pareille. Sexe, argent, relation de pouvoir et de domination sont montrés sans aucune complaisance. Mizoguchi filme avec grande tendresse et justesse la vie de ces femmes dans la société japonaise de l’après-guerre. La maison de plaisir est dirigée par une patronne fière et rigoureuse, Hatsuko Mabuchi très exigeante avec ses geishas. Sa fille Yukiko Mabuchi, élevée loin de ce monde grâce à l'argent gagné par l'exploitation des prostituées est une jeune femme moderne vêtue à l’occidentale. Port altier, beau visage et cheveux courts, elle exècre cette profession. Impressionnante et décidée, elle est révoltée par les souffrances des filles et écœurée par la stupidité et la pleutrerie des clients.

 

Un même homme, Kenji Matoba, le médecin qui soigne les geishas, élégant et séduisant mais failli et sans grande force de caractère va être l'objet du désir amoureux de la mère et de la fille. Dès lors, s’installe un mélodrame amoureux cruel et implacable, doublé d'un mélodrame social centré sur les conditions de vie des filles de joie. Prenant conscience de la misère sociale des filles de la maison en constatant la maladie et le décès par cancer d'une geisha, la fille de la patronne s'occupe avec beaucoup de tendresse et d'humanité de ses femmes perdues. Elle va les écouter, les soigner et finalement reprendre avec un réel appétit la direction de la maison de plaisir après les malaises sentimentaux de sa mère. Le film se clôt, le temps passe, sexe et amour, argent et misère vont continuer d’alimenter et perturber la vie des femmes et des hommes.

 

L’immense Kinuyo Tanaka dont c'était la quatorzième collaboration avec Mizoguchi est une fois de plus superbe et majestueuse dans le rôle de Hatsuko, mère et femme d’affaires prospère qui n'a guère d'états d’âmes mais que son amour passionné et intéressé pour le jeune médecin – un homme qu'elle aimerait façonner à son idée - va plonger dans une crise de jalousie et de désespoir amoureux. De même, Yoshiko Kuga, actrice venue du cinéma de Mikio Naruse l’éveil du printemps (Haru no mezame - 1947) ou d’Akira Kurosawa l’idiot (Hakuchi - 1951), donne avec une grande pertinence vie à Yukiko, la jeune femme moderne qui va renoncer à vivre différemment.

 

Comme toujours chez Kenji Mizoguchi, les figures féminines font l’objet d’une attention affectueuse, toutes les geishas sont filmées avec précision, soin et amour. Le grand maître du classicisme atteint des sommets de virtuosité dans sa mise en scène discrète entièrement au service du récit inscrit dans le temps et l'espace avec une rigueur absolue.

 

En témoigne la splendide scène, où la mère, Hatsuko, surprend le médecin qu'elle aime avec sa fille après être sortie de la salle pendant une représentation de Nô où elle souffrait devant le spectacle d’une femme âgée moquée parce qu’éprise d’un homme plus jeune. Organisée autour d’une cloison séparant en deux l’espace du logis, la mise en scène laisse apparaitre Hatsuko même quand elle n'est pas au centre de l’image. Cachée derrière la cloison, elle observe le couple et le regard des spectateurs converge inévitablement vers elle. Une femme dont on parle est un mélodrame bouleversant, un grand film humaniste, résolument du côté des femmes mais ne condamnant jamais ni les bassesses morales et veuleries des clients ni les faiblesses et les failles du jeune médecin. L’art de Mizoguchi est de montrer par l’évidence de sa mise en scène, la souffrance des femmes, la vacuité des hommes, le désastre des âmes. Du grand art cinématographique.

 

Jacques Déniel

 

Une femme dont on parle (Uwasa no onna)

Un film de Kenji Mizoguchi – Japon – 1954 – 1h24 – V.O.S.T.F.

Interprétation : Kinuyo Tanaka, Tomoemon Ôtani, Yoshiko Kuga, Eitaro Shindo, Haruo Tanaka…

 

Sortie seul en Blu-ray et DVD restauré distribué par les Editions Capricci ainsi que dans un coffret de 8 films du cinéaste (Miss Oyu , Les Contes de la lune vague après la pluie, Les Musiciens de Gio, L'ntendant Sansho, Une femme dont on parle, Les Amants crucifiés, L'Impératrice Yang Kwei-Fei, La Rue de la honte).



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