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Violences à Détroit

Violences à Détroit

Detroit, un film de Kathryn Bigelow

 

Les événements que relate la cinéaste dans son nouveau long-métrage Detroit se déroule durant l'été 1967. Les États-Unis connaissent alors une vague d’émeutes d'une violence sans précédent. La guerre du Vietnam, très contestée, ressentie comme une intervention coloniale, et les nombreux problèmes liés à la ségrégation raciale nourrissent la contestation. Détroit vit depuis quelques jours dans un climat insurrectionnel. A l’Algiers Motel des coups de feu sont entendus dans le milieu de la nuit, semblant visé, des hommes de la Garde nationale. La police de Détroit et la Garde nationale encerclent l'hôtel. Très vite un petit groupe de clients de l’hôtel, neufs noirs et deux femmes, sont soumis à un interrogatoire mené avec violence et sadisme afin de leur extorquer des aveux...

 

Kathryn Bigelow est décidément une cinéaste courageuse qui s'attaque à des sujets politiques et sociaux difficiles. Après les excellents films Démineurs (2009) sur un groupe de soldats effectuant des déminages dans une situation périlleuse pendant la Guerre États-Unis/Irak et Zero Dark Thirty (2012) qui narre la traque de Ben Laden, elle relate les émeutes de Détroit du point de vue d'une cinéaste américaine blanche. Ce qui lui a valu de nombreuses critiques dans les médias américains: «Irresponsable », «complaisante », voire «coupable de faillite morale» aux yeux du New Yorker... «Comment Bigelow, une femme blanche qui a grandi à San-Francisco dans une famille bourgeoise et fait ses études à Columbia peut-elle comprendre et faire la lumière sur une expérience aussi viscérale?» s'interroge Variety. Ainsi c'est c’est la couleur de peau de la cinéaste qui pose problème. De nombreux textes publiés dans la presse américaine pensent que seul un ou une cinéaste noire pourrait et saurait montrer au cinéma ces émeutes raciales avec pertinence. Au rythme où vont les choses, il ne sera bientôt plus possible d'écrire un roman, de tourner un film, d'écrire un article sur un sujet si l'on n'appartient pas au sexe – au genre devrais-je certainement dire- à la couleur, à la religion des êtres humains dont on parle, bienveillance oblige. Bien sûr, face au film de Kathryn Bigelow, aucune de ces critiques bien-pensantes ne tient.

 

Une fois de plus, Kathryn Bigelow à tourné son film après un long et patient travail d’investigation. Elle a réalisé des interviews de dizaines de témoins de l’époque et fait une enquête précise sur les émeutes. Un fait particulièrement grave à retenu son attention: celui qui s'est déroulé à L'Algiers Motel où la police de Détroit a violenté, humilié neuf hommes noirs et deux jeunes femmes blanches, abattu trois jeunes noirs avec un déchaînement physique et mental d'une cruauté terrible. Dans ce fait divers, elle se concentre sur le destin de Larry Reed, chanteur de The Dramatics, un groupe de musique soul qui venait de signer un contrat avec le célèbre label Motown. Présent à l’Algiers Motel ce soir là, le chanteur est brutalisé subissant des séquelles graves. Il renoncera alors à chanter ailleurs que dans les églises.

 

Dans la première partie du film, la cinéaste expose avec une mise en scène alliant sécheresse et amplitude les raisons et les conditions des tensions raciales et des émeutes qui s'en suivent à Détroit, -émeutes nettement moins connues en France que celles de Watts ou à celles qui surviendront dans le pays, l'année suivante à la suite de l’assassinat de Martin Luther King. Servie par un tournage caméra à l'épaule -lui permettant de nous montrer plusieurs scènes de soulèvement-, un montage alterné brillant et efficace et l'utilisation d'images d'archives, elle nous décrit l’inéluctable affrontement entre les manifestants noirs et les policiers de la ville et les soldats de la Garde nationale appelés en renfort.

Dans la deuxième partie, en choisissant le postulat de se focaliser sur un fait divers sordide, Kathryn Bigelow nous montre avec un sens aigu du cadre et une tension dramatique constante et éprouvante comment des policiers représentants de l'ordre de leur pays se conduisent comme des êtres cruels et pervers, motivés par des pulsions sadiques d'ordre racistes et sexuelles, dans un quartier au bord de l'explosion sociale. Les acteurs sont tous excellents en particulier, Will Pouter qui incarne Krauss, le jeune policier qui mène les interrogatoires. La cinéaste filme un être à la figure d'ange, au regard noir qui soudain devient haineux, un homme d'une terrible ambivalence, ne pouvant être considérer comme fondamentalement raciste ou comme un monstre fasciste. Il représente le racisme ordinaire de toute une socité américaine qui refuse absolument de voir le ségrégationnisme de l'époque. L'intelligence de la cinéaste est de ne pas faire de son film un brûlot manichéen contre le racisme et les violences policières qui exempterait tout noir américain de critiques. Elle ne veut pas démontrer mais montrer, nous faire voir ce que l'on voit: la mécanique implacable de la montée de la violence et de la brutalité policière face aux émeutiers et aux jeunes noirs, vu de l’intérieur dans des scènes de huis-clos tendues et étouffantes. Le Diable probablement!

 

Le film se clôt par une troisième partie plus courte où l'enquête et le procès des policiers accusés de meurtres est relaté avec un sens aigu de l'économie du récit et se conclut après la relaxe des policiers sur le destin tragique de Larry Reed, meurtri à jamais par ce drame, qui décide de ne chanter que des gospels avec une voix d'une splendeur émotionnelle sans pareille dans les églises.

 

Detroit est chef d’œuvre, un grand film politique et artistique qui confirme le grand talent de la cinéaste. Un film au regard juste et fort sur une Amérique blanche dont le raisonnement omnipotent à cette époque crée du déni et du délire raciste.

Jacques Déniel

 

Détroit – États-Unis – 2017 – 2h23 – Un film de Kathryn Bigelow

Interprétation : John Boeyga (Dismukes), Will Poulter (Krauss), Algee Smith (Larry), Jacob Latimore (Fred), Jason Mitchell (Carl), Hannah Murray (Julie), Jack Reynor (Demens), Kaitlyn Dever (Karen

 

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