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Gilda un film de Charles Vidor,

Gilda un film de Charles Vidor,

L’éclat noir d’une passion captive



On réduit souvent Gilda à une image : Rita Hayworth, gant noir, sourire assuré, faux abandon. On oublie ainsi le film, sa rigueur discrète, et surtout la manière dont Charles Vidor construit autour de cette figure lumineuse un espace qui ne cesse de la contraindre. Gilda n’est pas un triomphe de glamour : c’est une histoire de forces qui s’observent, se jugent et s’épuisent.

Ce qui frappe d’abord, c’est la manière dont le film inscrit son intrigue dans une sorte de clair-obscur moral. L’Amérique du Sud n’y est qu’un décor vaguement exotique ; ce qui s’y joue appartient au film noir le plus classique : ombres persistantes, visages pris au piège, dialogues qui esquivent plus qu’ils n’éclairent. Johnny Farrell, narrateur trop assuré de sa propre version des faits, avance comme s’il connaissait déjà les issues — mais c’est précisément son erreur. Le film ne cesse de contredire son regard.

Gilda apparaît alors non comme une femme fatale, mais comme la cible mouvante d’une série de projections masculines. Hayworth lui donne une présence que le film accompagne sans jamais la figer : une femme que l’on regarde avant de l’écouter, et qui finit par jouer avec cette évidence pour se défendre. Derrière son insolence affichée, il y a une fatigue, presque une lassitude : celle de devoir sans cesse composer avec les récits que les hommes écrivent à sa place.

Le triangle qu’elle forme avec Johnny et Ballin Mundson est moins un ressort dramatique qu’une configuration d’emprisonnement. Mundson règne par le contrôle, Johnny par la jalousie. Gilda, elle, n’a pour elle que l’espace instable du masque. Ce n’est pas tant la passion que le film décrit que la manière dont l’un et l’autre tentent de s’assurer que Gilda reste exactement ce qu’ils veulent voir. Là réside la vraie violence du récit : dans cette incapacité à laisser à un être la place d’exister en dehors du rôle qu’on lui assigne.

La mise en scène suit cette idée avec une précision presque invisible. Les plans serrés resserrent les corps et, parfois, les immobilisent. Les scènes où Gilda se croit seule — un chant murmuré, un geste de lassitude — sont les seules où le film lui accorde un peu d’espace. Le reste du temps, elle est cernée. La célèbre scène du strip-tease, qu’on brandit souvent comme un sommet de sensualité hollywoodienne, n’a de sens que dans ce cadre : elle n’a rien d’un moment de liberté. C’est un acte de provocation, presque de désespoir. Gilda rend aux hommes l’image qu’ils lui imposent, mais en la déformant suffisamment pour qu’elle devienne un miroir ironique.

Si Gilda continue de fasciner, c’est qu’il s’agit moins d’une grande histoire d’amour que d’un film sur les illusions du regard. Un film où la lumière, magnifique, n’est jamais charitable. Elle dévoile, certes, mais toujours en rappelant qu’elle ne montre qu’une part du vrai. Dans cet éclat surveillé, Gilda ne triomphe pas ; elle persiste, ce qui n’est déjà pas si mal.

Jacques Déniel

Gilda un film de Charles Vidor - 1946

États-Unis – 1946 – Film noir/Drame/Romance

Interprétation : Rita Hayworth, Glenn Ford, George Macready, Joseph Calleia, Steven Geray...

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