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  • Passion un film de Brian De Palma

    Passion de Brian De Palma
     
    De la cruauté abyssale des femmes de pouvoir.
     
    Autant le dire tout de suite Passion  est le plus beau film de ce début d'année, un chef d’œuvre passé inaperçu et boudé par le public, un grand film de pure mise en scène, du cinéma de haute volée et aussi un très grand film politique, produit par le producteur courageux et intelligent de Roman Polanski, Said Ben Said .
     
    Christine, une belle jeune femme blonde, élégante, puissante et fascinante dirige la filiale d’une grosse agence américaine de publicité à Berlin. Isabelle, une splendide brune directrice de clientèle lui est apparemment totalement soumise. Dani, une jolie rousse, chef de publicité est l’assistante d’Isabelle et la désire furieusement. Les jeux de pouvoir et de domination s’installent entre les trois femmes. Rivalités, jalousies, perversités, désirs sexuels sont les moteurs d’un fantastique et vertigineux film sur la puissance et la manipulation.
     
    A partir de Crime d'amour, l'ultime film très moyen d'Alain Corneau, Brian De Palma construit un film prodigieux. Passion est un polar intense et tendu, une relecture obsessionnelle et jouissive de l'univers d'Alfred Hitchcock, un grand film baroque et politique. Un chef d'œuvre de mise en scène servie par trois actrices formidables : Rachel McAdams, la blonde, Noomi Rapace, la brune et une jeune comédienne allemande Karoline Herfurth, la rousse.
     
    Le lieu de l'action est une grande entreprise contemporaine, une agence mondiale de publicité, à l'univers glacé, acier, verre et béton. Les héroïnes du film sont de très jeunes femmes, des exécutives women, belles, froides et ambitieuses. Elles s'avèrent vite être des louves lascives, dangereuses, sans pitié et sans foi, ni loi. Inexorablement, à partir d’une campagne de publicité pour un nouveau modèle de téléphone portatif, la tension, la rivalité et le désir montent au sein de l'entreprise. Christine patronne impitoyable s’approprie sans vergogne l’idée de cette campagne de publicité très sensuelle, imaginé et filmée par Isabelle et Dani. Christine dirige et manipule avec un plaisir sadique tous les employés de son agence, les femmes comme les hommes, c’est une gagnante, une dominatrice.
     
    Les hommes, à part le Président Directeur Général de l’entreprise dont le siège est à New-York sont montrés comme des marionnettes faibles, des pantins économiques et sexuels dominées par le pouvoir féminin. Les scènes sexuelles nous les montrent comme des êtres humiliés, totalement soumis au désir de Christine mais aussi d’Isabelle.
     
    L’insignifiant Dirk, dont la société travaille pour l’agence de Christine est le parfait représentant de la masculinité disparu, c’est un être faible, plutôt laid, comme tous les autres hommes du film, collaborateurs et amants de Christine, humiliés, persécutés. Partenaire fade de la jeune comédienne dans la représentation L’Après-midi d’un faune, Commissaire et inspecteur de police sans envergure menés en bateau par Isabelle, les hommes sont en faillite.
     
    Les mâles n’existent plus nous dit De Palma, ils sont faibles, lâches, veules, moches, et, finalement, nos trois demoiselles peuvent s’en passer. Elles sont belles, intelligentes, puissantes, et, immanquablement le désir sexuel circule entre elles. Sans doute par provocation et par jeu de domination entre Isabelle et Christine, et, véritablement de la part de Dani, qui éprouve une passion sexuelle violente pour Isabelle.
     
    De Palma nous offre avec Passion une réflexion pertinente sur le déploiement des images dans notre monde, avec une rare maestria, il travaille la mise en abime des images sur Skype, de conférences filmées, de films postés sur YouTube, de scènes humiliantes enregistrées par la vidéo-surveillance ou les Smartphones. Le voyeurisme grand sujet du cinéaste est ici démultiplié de manière vertigineuse. Obsédé par les figures hitchcockiennes des pulsions sexuelles et morbides, il nous offre un suspens terrible qui culmine au moment du meurtre par l’utilisation somptueuse d’un dispositif de split screen entre la scène du crime et une représentation du ballet de Debussy L’Après-midi d’un faune auquel assiste Isabelle. Le jeu de cache renforce la beauté fatale du désir de mort.
     
    Splendide film noir, envoutant et cruel et qui souvent nous fait frémir d’effroi, Passion s'affirme aussi comme une œuvre politique majeur, une critique sans concession de l'univers impitoyable des grandes entreprises et des rôles à la cruauté abyssale qu'y jouent de jeunes femmes qui n’ont rien à envier à la légendaire méchanceté des mâles.(1). Brian De Palma est certainement le premier et rare cinéaste à s’attaquer frontalement aux ravages du féminisme dans notre société moderne, à ses conséquences néfastes sur l’amour et le désir, remplacés par la volonté de domination et de puissance phallique féminine. Le film au travers d’un polar haletant, d’une grande beauté formelle nous montre le triomphe des femmes de pouvoir et la négation des rapports humains au nom de l’égalité des sexes et du dieu argent.
     
    Jacques Déniel
     
    Passion
    Un film de Brian De Palma
    Allemagne/France – 2012 – 1H41 – V.O.S.T.F.
    Interprétation: Rachel McAdams, Noomi Rapace, Karoline Herfurth, Paul Anderson...
     
    (1) Notre Ministre de la culture sera sans doute satisfaite de voir que des femmes dominent dans ce film, elle qui nous a expliqué qu’il faudrait calculer le nombre « de femmes assassinées chaque semaine à la télévision dans les scenarii » qui donne, selon elle « des représentations parfois inquiétantes ».

  • La Ciociara un film de Vittorio De Sica

    La Ciociara un film de Vittorio De Sica (1960)

     

    Un mélodrame tendu et âpre

    Italie, 1943/1944. Cesira, jeune veuve qui élève seule Rosetta sa fille de quatorze ans, décide, après un violent bombardement, de quitter Rome pour rejoindre son village natal de Santa-Eufemia dans le Bas-Latium. Adapté du roman éponyme d'Alberto Moravia, le film de Vittorio De Sica est le récit du destin dur et misérable d'Italiens modestes des classes populaires. Le cinéaste s'attache à montrer la vie des réfugiés ayant fui les grandes villes pilonnées par les bombes - au moment du débarquement allié - pour se rendre à la campagne afin d'y retrouver un peu de calme et une sécurité relative.

     

    De Sica, avec beaucoup de sens de l'observation et humour, dresse un portrait attachant de ces paysans et petits artisans, quelque peu ignorants, qui hésitent à soutenir le Duce et les Allemands ou les forces Alliés en marche pour libérer le pays du joug des forces de l'Axe. Ils désirent plus que tout la paix, peu en importe le prix.

     

    Cesira interprétée par Sophia Loren est une sorte de mère courage, forte et vindicative, prête à tous les sacrifices pour préserver sa fille Rosetta (Eleonora Brown) des horreurs de la guerre. Sophia Loren est malicieuse, drôle et tragique. Face à elle, Michele ( joué par Jean-Paul Belmondo sobre et excellent comme chez Jean-Pierre Melville, Jean-Luc Godard ou Philippe De Broca) est un enseignant et intellectuel, lucide et humaniste ayant pensé devenir prêtre. Il est très conscient de l'abominable mascarade du fascisme et des enjeux de classes.

     

    Les fascistes purs et durs sont présents représentés par deux miliciens butés et méchants. Le film décrit le quotidien d'une petite communauté paysanne où les éclats de rires provoqués par Sophia Loren et ses répliques percutantes écrites par le scénariste Cesare Zavattini résonnent, réjouissant chacun. Seul Michele essaye de faire prendre conscience de la situation à ses compatriotes apeurés par ses conseils et lectures à voix haute.

     

    Puis lentement, le film va se transformer, passant de la chronique paysanne en temps de guerre à une tragédie contemporaine sombre et cruelle. Le danger semble pourtant s'éloigner lorsque les Alliés arrivent. Mais le destin tragique des personnages est inscrit depuis le début. Michele, repéré pour ses idées, est tué par les Allemands, Cesira et sa fille Rosetta sont violemment agressées et violées dans une église en ruine par des soldats issus des colonies françaises, les fameux "Indigènes". De Sica filme la réalité sur les exactions commises en 1944 par des hommes du général Alphonse Juin constitués de soldats originaires de ces colonies (1) et (2). Nous sommes très loin de la bienveillance et de l'angélisme d’Indigènes de Rachid Bouchareb. Le Mal est présent partout, peu importe les visages, la couleur de peau ou la nation de ceux qui le servent. Il frappe dur dans un lieu consacré à Dieu.

     

    La Ciociara est un film âpre, un mélodrame tendu, magnifié par le noir et blanc tranché signé par le chef-opérateur, Gábor Pogány qui permettra à Sophia Loren d'obtenir le Prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes 1961 et l'Oscar de la meilleure actrice en 1962 à Hollywood.

     

    Jacques Déniel

     

    La Ciociara - Italie/France - 1960 - 1h57 - V.O.S.T.F.
    Un film de Vittorio De Sica
    interprétation : Sophia Loren, Jean-Paul Belmondo, Eleanora Brown, Carlo Ninchi, Andrea Checchi, Pupella Maggio, Ema Baron, Luciano Pigozzi, Raf Vallone
    Photographie : Gábor Pogány
    Scénario : Cesare Zavattini
    D'après le roman d'Alberto Moravia

    Musique : Armando Trovajoli

     

    Sur ARTE.TV du 12/06/2023 au 18/06/2023

     

    (1) Cette libération s’accompagna d’un comportement particulièrement agressif et violent envers les populations locales. Dès les premiers temps de leur progression victorieuse, les soldats du contingent français se rendirent coupables de « graves […] violences et […] abus […] dans toutes les régions où ils sont passés», [Archivio dell’Ufficio Storico dello Stato

    Maggiore dell’Esercito (AUSSME)]

     

    (2) « Quiconque se trouve sur leur route est attaqué à main armée […]. Ils s’emparent de tout […], et si dans le groupe se trouvent des femmes, elles sont déshabillées avec violence en cas de résistance. Si, par exemple, ils s’engouffrent dans quelques fermes encore habitées, ils s’adonnent à un vrai saccage ; à la suite de quoi, les armes à la main, ils chassent les hommes des maisons et violent les femmes sans aucun respect ni pour les jeunes ni pour les personnes âgées. […] [Archivio Storico del Ministero degli Affari Esteri (ASMAE)]

  • Carnage de Roman Polanski

    Carnage de Roman Polanski

     

    La méchanceté, ça fait du bien

     

     

    Adapté du Dieu du carnage, pièce de Yasmina Reza créée en 2008 au Théâtre Antoine à Paris, le nouveau long métrage de Roman Polanski est un chef-d’œuvre d’une grande intelligence et d’une subtilité maligne. C’est une comédie noire d’une rare méchanceté, un film réjouissant, caustique et drôle.

     

    Il nous raconte la rencontre de deux couples à la suite d’un fait divers banal: le fils des uns (les Cowan) a cassé deux incisives et défiguré à coups de bâton le fils des autres (les Longstreet). Superbement interprété par un quatuor d’acteurs justes et brillants, Kate Winslet (Nancy Cowan) est une femme travaillant dans les affaires, stupide, frivole et irréfléchie, Christoph Waltz (Alan Cowan) est un avocat cynique, un goujat magnifique, Jodie Foster (Penelope Longstreet) est austère et rigide, obsédée par l’idée du bien, de la justice et de l’équité morale, et John C. Reilly (Michael Longstreet), représentant en objets domestiques, un couard qui tente d’éviter tous conflits.

     

    Les Cowan viennent chez les Longstreet, pour pacifier la situation. Dès lors Polanski nous entraine dans un huis clos étouffant et anxiogène. Les quatre adultes ne quittent plus l’appartement des Longstreet, et après une série de premiers échanges mielleux et suintant l’hypocrisie, survient une succession de scènes où les alliances et les ruptures se font et se défont à mesure que chacun se dévoile. Lâcheté et mépris, cynisme et lassitude, arrogance et haute estime de soi font éclater les conventions de bon aloi affichées par ces deux couples de la bourgeoisie new-yorkaise. Comme aimanté par une force pulsionnelle de nuisance, de contamination du mal, les deux couples ne peuvent quitter l’appartement. Chaque fois que les Cowan, sur le point de partir, sont sur le pallier, une réplique de l’un ou de l’autre des protagonistes relance la dispute et les quatre personnages rentrent de nouveau dans le logement. Polanski organise de main de maître la circulation des acteurs, évitant le piège du théâtre filmé lié à ce type de projet par un cadrage cinématographique acéré.

     

    Personne n’est épargné dans ce film d’une grande justesse sur la noirceur des êtres humains. C’est une vision à des années lumières de « L’empire du bien ». Les réparties d’Alan, l’avocat et celles mutines de Michael contre l’envahissante soif de justice de sa femme, éternelle indignée et militante des droits de l’homme sont cinglantes. La scène du portable d’Alan jeté dans l’eau d’un vase est un summum de cruauté, tant l’intéressé semble anéanti.

     

    On retrouve dans cette farce sombre tout l’univers du mal selon Polanski, un mal qui hante son cinéma depuis Le Couteau dans l’eau jusqu’à Ghost Writer en passant par Répulsion, Rosemary Baby ou Le Locataire. Carnage est décidément une bonne nouvelle : la méchanceté est enfin de retour dans notre paysage cinématographique actuellement bien englué dans les bons sentiments, tendance Intouchables.

     

    Jacques Déniel

    Carnage (la jubilation du mal), Roman Polanski avec Jodie Foster, John C. Reilly, Christoph Waltz, Kate Winslet – 1H20

     

  • Jeanne du Barry un film de Maïwenn.

    Jeanne du Barry un film de Maïwenn.

     

    Jeanne du Barry de Maïwenn est un beau film, impertinent et respectueux, très éloigné des exubérances du pudding indigeste de Sofia Coppola Marie-Antoinette.

     

    Impertinent vis à vis de l'hypocrisie corsetée des membres de la Noblesse, respectueux par son profond amour de Louis XV, souvent présenté comme un Roi sans grand intérêt, qui pourtant assuma l'ingrate tache de régner durant le siècle des Lumières, dans l’ombre de Louis XIV, le Roi-Soleil. Une éclipse qui masque une personnalité forte et profonde, loin de sa réputation de frivolité.

    Maïwenn s'attache à la force et la sincérité de l'histoire d'amour entre une Mme du Barry, libre, espiègle, drôle, culottée et cultivée et un Louis XV vieillissant et touchant, superbement interprétés par la réalisatrice pétillante et malicieuse (un peu égotiste mais pourquoi pas n'en déplaise aux fâcheux et tristes sires) et Johnny Depp sobre, juste, émouvant. Elle filme Versailles et la cour avec un grand sens de la grandeur de la Royauté et de l'Honneur de la France.

     

    Une œuvre qui fait le portrait non d'une féministe (bah la belle affaire!) mais d'une femme libre dans le monde de la royauté certes scandalisé - surtout par le fait qu’une roturière a été anaoblie, et chosie comme favorite par le souverain - mais bien plus libre que celui qui surviendra après la chute du régime, le monde de la révolution où les dirigeants barbares couperont les têtes du roi Louis XVI, de la Reine Marie-Antoinette, de Madame du Barry, de Jean-Benjamin de La Borde et d'un très grand nombre de citoyens français dont aucun n'avait mérité une telle fin tragique et odieuse.

     

    Maïwenn signe véritable mise en scène classique servie par une photographie lumineuse et mordorée - plusieurs scènes d’intérieur entre Jeanne et le Roi sont éclairées uniquement à la lueur des bougies - orchestrée par le chef-opérateur Laurent Dailland, des cadres secs et ciselés, une interprétation impeccable et retenue de la part de tous les comédiens: Benjamin Lavernhe (excellent dans le rôle du premier valet du Roi, Jean-Benjamin de La Borde), Pierre Richard (Maréchal de Richelieu) , Melville Poupaud (Le Comte du Barry), Diego Le Fur (le Dauphin)... et un magnifique ballet de déplacements de la noblesse, valets et servantes de la cour à Versailles.

     

    Jacques Déniel

     

     

    Jeanne du Barry

    Un film de Maïwenn

    France – 2023 – 1h56

     

    Interprétation : Maïwenn (Jeanne du Barry), Johnny Depp (Louis XV), Benjamin Lavernhe (La Borde), Pierre Richard (Le Duc de Richelieu), Melvil Poupaud (Le Comte du Barry), Pascal Greggory (Le Duc d'Aiguillon), India Hair (Adélaïde)...

  • Invasion un film de de Kiyoshi Kurosawa

    Invasion un film de de Kiyoshi Kurosawa

    L'Amour ne passera jamais

     

    Kiyoshi Kurosawa né au Japon en 1955 est un cinéaste contemporain majeur. Il développe depuis le début des années quatre-vingt au gré de ses films et téléfilms à l'étrange et fascinante beauté (Vaine Illusion, Seance, Kairo, Loft, Shokuzai, Real., Vers l'autre rive...) l'art de la maitrise d'un cinéma fantastique cérébral et métaphysique lié à des expériences narratives et sensorielles d'une grande force formelle et plastique.

     

    Invasion, l'un des plus beaux films de son auteur, réalisé en 2017 est le remake par Kiyoshi Kurosawa de son long métrage précédent Avant que nous disparaissions. Tous deux sont adaptés de la pièce de théâtre Avant que nous disparaissions de Tomohiro Maekawa. Les scénarios sont identiques: préparant une invasion de la planète Terre, des "extraterrestres" se font passer pour des êtres humains afin de mieux comprendre cette espèce qu’ils ne connaissent pas. Reprenant à son compte les principes des films, téléfilms et séries de science fiction et d'anticipation des années cinquante et soixante, consistant à rendre quasi imperceptible le remplacement des humains par une autre espèce, Kiyoshi Kurosawa s'intéresse plus dans sa dernière œuvre à la catastrophe en devenir, la fin de l'humanité quasi certaine et les raisons qui l'ont mené à cette disparition inéluctable, qu'à l'effroi qu'elle peut provoquer sur les êtres humains. La différence est dans le traitement et la mise en scène des deux films. Alors que dans Avant que nous disparaissions, le cinéaste travaillait sur la forme et le suspense que permet le genre, flirtant avec les codes du blockbuster, avec Invasion, superbe film épuré, tendu, noir, il s'attache à restituer la peur de voir la disparition prochaine de l’humanité. Le film est centré autour du couple formé par Etsuko, ouvrière dans l'industrie textile et de son mari Tetsuo aide soignant à l’hôpital de la ville. Etsuko commence à s'apercevoir qu'autour d'elle, le quotidien déraille: son mari semble de plus en plus absent et nerveux, sa collègue de travail, égarée ne reconnaît plus ses proches, son chef devient étrange et maladroit... Tout à commencé par ces légers malaises ressentis qui semble coïncider avec l'arrivée à l’hôpital d'un élégant nouveau chirurgien, le docteur Shiro Makabe... Tenu par une mise en scène rigoureuse, des cadrages acérés, une grande beauté plastique, un jeu d'acteurs sobre et très émouvant, le film mêle avec une intelligence rare les scènes intimistes sur un couple menacé par le délitement et des scènes de catastrophe, minimalistes, montrant le Monde menacé d'Invasion ou plus surement de disparition. Ce n'est pas un hasard si les extraterrestres volent en premier lieu par une brève imposition du doigt sur le front aux humains, le sens de la famille, celui du travail, de la fierté, la force de la vie, le sentiment de peur. Tous, effarés, perdus dans un monde sans amour où les valeurs volées disparaissent, ils tombent en catalepsie. Seule, Etsuko, sorte de Jeanne d'Arc moderne résiste par la force de son amour pour son mari et sa compassion pour les êtres humains. Dans une scène magnifique se déroulant dans l'appartement du jeune couple, elle serre son compagnon dans ses bras et lui dit qu'elle protégera envers et contre tout. Kursosawa reprend un thème crucial dans son cinéma – comme dans Real et Vers l'autre rive – celui de la force et l’invincibilité de l'amour vrai face à toutes les dangers et menaces intérieures ou extérieures. Sentiment qu'il développe à son paroxysme tant l'amour d'Etsuko est à la fois simple et ample. Etsuko est un être exceptionnel, quasi seule, un roc qui possède la force des humbles et la fiabilité de ceux qui croit toujours à la vérité de l'Amour dans un monde dominé par la perte des sens et des valeurs. Cette planète désincarnée dont nous parle Kiyoshi Kurosawa est la nôtre, celle de l'ère de la sur-communication et de nos échecs philosophiques et politiques à concevoir un monde humaniste. Face à la perte des sens (des concepts), la grandeur de l'amour de la jeune Etsuko pour son compagnon laisse peut-être une lueur d'espoir devant l'invasion à venir. L'amour ne passera jamais (1). Il est plus fort que la mort.

     

    Jacques Déniel

     

    Invasion – Japon – 2017 – couleurs - 2h20

    un film de de Kiyoshi Kurosawa

    Interprétation: Kaho (Esuko), Shōta Sometani (Tetsuo), Masahiro Higashide (Dr Makabe), Ren Ōsugi (Nishizaki)...

    Sortie nationale sur les écrans 5 septembre 2018.

     

    (1) L’amour ne passera jamais. Les prophéties seront dépassées, le don des langues cessera, la connaissance actuelle sera dépassée. Saint-Paul: Première lettre de Saint Paul Apôtre aux Corinthiens.

  • D'après une histoire vraie Un film de Roman Polanski

    D'après une histoire vraie Un film de Roman Polanski
    Un très beau film injustement mal aimé
    D'Après une histoire vraie de Roman Polanski est mal aimé et totalement incompris. Le dernier film de Roman Polanski a été très injustement critiqué par de nombreux critiques cinématographiques, journalistes spécialisés et certains intellectuels ainsi que boudé par le public pour de mauvaises raisons polémiques. C'est pourtant une œuvre de toute beauté dont le sujet principal est la mise en scène cinématographique. Avec D'Après une histoire vraie, écrit en collaboration avec le cinéaste Olivier Assayas, adapté du roman homonyme de Delphine de Vigan, Roman Polanski poursuit son travail d'adaptation au cinéma d’œuvres littéraires et théâtrales, commencé avec ses films précédents Carnage et La Vénus à la fourrure, tous deux très réussis et passionnants.

    Il nous conte l'histoire d'une romancière Delphine qui connaît le succès avec une autofiction consacrée à sa mère. Delphine rencontre Elle, une jeune femme intelligente, séduisante et étrange. Angoissée par la réception de lettres anonymes où elle est accusée de se servir de sa famille comme objet littéraire, Delphine se confie à Elle. Une relation ambiguë et inquiétante s'installe alors entre les deux femmes.

    Polanski, avec ce film classique au récit limpide, à la mise en scène d'une maitrise et un brio sans pareilles, nous plonge alors dans une histoire de manipulation, d'altérité, de double maléfique. Il s'installe au fil de ce thriller psychologique et tendu, de ce huis-clos étouffant, une atmosphère d'une inquiétante étrangeté. Le cinéaste s'intéresse bien-sûr au thème du double littéraire rappelant son beau film The Ghostwriter qui traitait du thème du nègre en littérature. Mais, ici le thème de la dualité prend une ampleur vertigineuse. S'agit-il du double de l'écrivain, du personnage du roman qu'elle écrit qui la hante, d'une domination réelle où se jouent des enjeux de pouvoir, de domination et de séduction troubles? Rappelons-nous que Roman Polanski est l'auteur du très drôle et inquiétant film Le Bal des vampires. Le vampirisme est le thème central et prégnant du film. Delphine perdue, en manque d'inspiration, en quête d'identité est littéralement vampirisée par Elle, à la fois être réel et personnage de l'histoire en cours d'écriture de la romancière. La confusion entre réalité et fiction s'installent avec une rapidité déroutante, nous percevons ici, l'apport d'Olivier Assayas que ce thème de la confusion du monde réel et des mondes fictionnels intéresse (Sils Maria en était une parfaite illustration). Polanski avec une subtile habileté nous perd, provoque chez le spectateur la suspicion, le doute, l’angoisse, de la fascination aussi. Nous passons sans cesse de la peur au rire nerveux. La perversité cruelle et la duplicité des deux femmes y contribuent grandement donnant au film une noirceur et une cruauté féminine féroce rappelant Passion de Brian de Palma. La présence des forces du mal, des ténèbres, du diable hante l'œuvre du cinéaste polonais, d'origine juive, né en 1933, marqué par ses années d'enfance à se cacher et à tromper la vigilance allemande dans le ghetto de Cracovie (sa mère est morte à Auschwitz). Il continue avec une maîtrise impressionnante à développer son étude des comportements humains et sa capacité à transcrire à l'écran des mécanismes d'ordres romanesques ou théâtrales. Son sens du suspense, de la restitution à l'écran de situations ambivalentes et dérangeantes font de ce beau film, une œuvre qui retrouve les caractères anxiogènes et oppressants de Cul-de-sac, Rosemary's Baby ou Le Locataire.

    C'est aussi une critique d'une méchanceté réjouissante du milieu littéraire et des romans d'autofictions. Au travers des quelques scènes de cocktails et de signatures de livres Polanski croque à grands traits, une galerie de personnages vaniteux et suffisants (attachées de presse, agents et journalistes littéraires, éditeurs..).

    Le film est interprété par deux comédiennes fantastiques Emmanuelle Seigner dans le rôle de la romancière et Eva Green dans celui de Elle la séductrice perverse. Dans son rôle de Delphine Dayrieux, l'écrivain à succès, Emmanuelle Seigner, souvent vêtue d'un pull marin, un caban et une grande écharpe rouge, fait étrangement penser à la cinéaste Catherine Breillat qui avait été manipulée, vampirisée par l'escroc Christophe Rocancour. Les apparitions de Dominique Pinon, Brigitte Rouan et Josée Dayan dans seconds rôles comiques sont très plaisantes et cocasses. Le format du Cinémascope, un cadre acéré, la lumière profonde et sensuelle du chef opérateur Pawel Edelman ainsi que la superbe partition musicale d'Alexandre Desplat participent pleinement à la réussite de ce film. A voir absolument dans cette époque où l'acharnement féministe voudrait imposer la censure de son œuvre.

    Jacques Déniel

    D'après une histoire vraie - un film de Roman Polanski, adapté du roman homonyme de Delphine Le Vigan – Interprétation: Emmanuelle Seigner, Eva Green, Vincent Perez, Dominique Pinon, Brigitte Rouan, Josée Dayan France /Pologne 2017 – 1h40 Sortie DVD et BLU RAY Studiocanal (sortie le 6 mars 2018)