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Low Life un film d’Elisabeth Perceval et Nicolas Klotz

Low Life un film d’Elisabeth Perceval et Nicolas Klotz

 

Auteur de trois beaux films inventifs et rigoureux: « La Nuit Bengali », une œuvre d’une belle facture classique « Paria » et « La Blessure » deux beaux films justes et sombres sur les êtres en souffrance, et d’un film passionnant « La Question humaine » mais déjà irritant car vampirisé par son discours idéologique, Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval semblent se perdent dans le naufrage d’un film démonstratif et sans âme, oubliant que le cinéma ne doit pas démontré, ni par la parole ou les actes, mais montré, ouvrir une fenêtre sur le monde, donné matière à réflexion au spectateur.

Low life est un film ampoulé, hautain, prétentieux, étouffé par son ambition même. Il prend comme figure tutélaire deux des plus grands chefs d’œuvre du cinéma Vaudou de Jacques Tourneur et Le Diable probablement de Robert Bresson, sans jamais pouvoir atteindre ni la grandeur politique, ni la sombre beauté cinématographique et poétique de ces deux modèles. Le film non dénué de talent de cinéma – il comporte quelques belles fulgurances - Nicolas Klotz est un grand filmeur, tente dans notre France contemporaine, celle du sarkozysme hahi, de nous raconter l’histoire de quelques jeunes gens tous plus ou moins artistes et bohèmes, ne travaillant jamais, vivant dans un appartement cossu (un squat probablement). Il y à une jeune demoiselle un peu photographe, Carmen qui se meurt d’amour pour un poète sans papier, tragique et ténébreux, Hussain, au grand désespoir de son ancien ami Charles, un jeune bourgeois au port aristocratique. Leur passion est sans cesse gravement menacée par une Police fascisante qui sur ordre du Ministère de l’intérieur expulse hors des frontières des sans-papiers. Confrontée à une étrange série d’accidents s’abattant sur et des civils et des policiers, le ministère public enquête. Ces faits se révèlent être la conséquence de sorcellerie et magie noire pratiquées par un groupe organisé de sans-papiers, qui brulent leurs documents de reconduite à la frontière lors de rituels vaudou, avant de les glisser dans les poches de leurs futures victimes. (Allusion lourde et maladroite au sublime Vaudou de Tourneur).

Le ton du film déclamatoire, verbeux, est horripilant - non pas parce qu’il ne serait pas naturel et/ou vraisemblable - on sait depuis longtemps que la vraisemblance n’est pas un problème au cinéma, ni dans le ton, le phrasé, ni dans les actions, tout est affaire de talent (confer les films de Garrel, Eustache, Rohmer et Bresson), de travail de la diction. Ici les acteurs en proie à une logorrhée verbale insupportable et vaine sont les vecteurs déclamatoires du film et de son idéologie post-soixante huit datée. Indignés, ils récitent du Hölderlin et du Alain Badiou ou alors affrontent la police, caricatural à souhait – une police d’état fasciste parfaitement caractérisée par la commissaire qui dirige les expulsions, jouée par Hélène Fillières, blonde de type aryen, rêche, émaciée, terrible, elle semble inhumaine – lors de manifestation pour la défense des sans papiers avec la conviction qu’ils luttent contre un état totalitaire ou collaborationniste (« Pétain reviens, tu as oublié tes chiens » ou encore Carmen répondant à la commissaire qui l’accuse d’avoir caché Hussein dans son logement « En 42 j’aurais fait pareil».

Le film dénué du moindre recul, plombé par son absence d’humour et d’ironie est régi par une série de poncifs sociaux politiques qui laissent pantois, il semble s’adresser à une jeunesse branchée et une frange bobo de la population française, lecteurs des inrockuptibles et autres magazines de mode. Les jeunes acteurs du film jouent des artistes de pacotilles et des indignés de salon à mille lieux des jeunes des films de Godard La chinoise, Week end, de Garrel Les Amants réguliers qui avaient pour eux la beauté rageuse de la révolte et encore moins bien sûr de ceux des films de Bresson, portés par leur détestation du monde de l’argent et servis par le cinéma implacable du grand cinéaste, sa vision du monde où les êtres semblent mus par le Diable probablement.

Low Life est un film péremptoire, affecté, désincarné et intimidant qui n’autorise pas d’autres propos que ceux des cinéastes sur un monde-machine injuste, fascisant qui oppresse sa jeunesse et les sans papiers par le biais d’une police personnifiant le mal absolu, comparée à celle du régime vichyssois ou nazi. Cette idée était déjà prégnante dans La Question humaine qui comparait le travail dans l’entreprise moderne, son organisation et le mal de vivre qui en découlait à l’organisation des camps de concentration.

Charles (le fantôme du Diable probablement de Bresson) même traits, allure et morgue, est le seul personnage pour lequel il est possible de ressentir de la sympathie, sans doute parce que il affiche sans hypocrisie sa condition de fils de riche et de poète raté. Malheureusement, il ne possède pas la noblesse de port et de caractère et la force obscure que dégageait le héros bressonien. Tandis que ce dernier s'opposait au monde qui l'entourait par un mutisme sombre, une distance mystérieuse, le Charles de Low Life  raille, déclame et pérore. Il est vrai que le film de Bresson s'attaquait comme toute son œuvre à la question de l'âme humaine face au Mal qui ronge le monde, perturbé par le diable (probablement) et l'argent (très certainement – revoir Au hasard Balthazar ou L'Argent), à la place de la spiritualité et à la question de la grâce. Chez Klotz et Perceval, le mal réside chez certains hommes et femmes et dans le système politique qui nous gouverne. Point d'âme, ni de spiritualité mais en revanche un ésotérisme crépusculaire et romantique pesant.

Un conseil revoyez tous les films de Robert Bresson et de Jacques Tourneur vous y verrez la somptueuse beauté du cinématographe, la force poétique et politique de leurs films et si la révolte gronde en votre fort intérieur revoyez l'implacable In girum imus nocte et consumimur igni (Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes consumés par le feu) de Guy Debord.

Jacques Déniel

 

Low Life d’Elisabeth Perceval et Nicolas Klotz, avec Camille Rutherford, Arash Naimian, Luc Chessel (Fr., 2012, 2 h 04)

 

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