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Il était une fois dans l’Ouest un film de Sergio Leone

Il était une fois dans l’Ouest un film de Sergio Leone

Film de légende et chef-d’œuvre intemporel

 

Hériter d’un genre à son crépuscule

Il était une fois dans l’Ouest s’inscrit à un moment décisif de l’histoire du cinéma. Lorsque Sergio Leone entreprend ce film, le western américain a déjà quitté l’innocence de son âge d’or ; les chevauchées héroïques, les paysages idéalisés et la morale limpide ont cédé le pas à des œuvres plus inquiètes, plus réflexives. Le genre s’est retourné sur lui-même pour interroger ses mythes, donnant naissance à ce qu’on a appelé le sur-western, dont Johnny Guitare (1954) de Nicholas Ray, œuvre flamboyante, western fiévreux où les passions humaines dévorent le cadre traditionnel du récit, et Le Train sifflera trois fois (1952) de Fred Zinnemann, allégorie démocratique sur le bien, le mal, constituent les modèles achevés selon André Bazin. Sergio Leone est l’héritier de ce genre, vibrant encore d’éclats, mais il choisit une autre voie : il n’exalte pas l’Ouest, il l’ausculte. Il observe ce continent mythique au moment où il semble s’essouffler, s’effondrer, utilisant le cinéma de divertissement comme force de spectacle et moyen de parler d’une Nation qui s’est construite sur la grandeur et la violence, de la disparition d’un monde et de l’avènement d’une société fondée sur la puissance de l’Argent.

L’attente comme vertige

L’ouverture du film, lente et hypnotique, annonce d’emblée ce geste artistique. À la gare, sous l’écrasement du soleil, trois hommes attendent un train qui semble ne jamais vouloir arriver. Rien ne bouge, tout respire à peine : une goutte d’eau tombe sur un chapeau, une mouche vrombit contre un canon, le vent fait gémir une éolienne. Sergio Leone filme ces moments avec une intensité qui frôle l’abstraction. Le temps cesse d’être un simple véhicule pour l’action ; il devient matière première. L’attente, étirée, installe une inquiétante étrangeté qui nous plonge au cœur du film. L’arrivée de ce train d’où personne ne descend renforce encore la tension lorsque, soudain, quelques notes d’harmonica déchirent le silence de plomb. Ce son, à la fois plaintif et acéré, annonce un personnage hanté par la mort et le désir de vengeance.

Des paysages mythiques à la mise en scène souveraine

La puissance du film tient aussi à ses lieux et à l’art souverain de sa mise en scène. Certaines scènes extérieures ont été tournées à Monument Valley, en Arizona, décor mythique immortalisé par les grands westerns de John Ford, mais aussi dans la région minérale de Moab, dans l’Utah, et sous la lumière crue de l’Andalousie. Ces paysages, à la fois familiers et transfigurés, confèrent au film une dimension presque légendaire. Les scènes d’intérieur, quant à elles, furent filmées à Rome, dans les studios de Cinecittà, où Leone recrée l’Ouest comme un espace mental autant que géographique.
La mise en scène y est d’une remarquable inventivité : elle associe, avec une science magistrale du montage, cadrages serrés et vastes plans d’ensemble, utilisant travellings, panoramiques et mouvements de caméra montée sur grue. Servi par une lumière chaude et sculpturale, Leone multiplie les cadrages savants et installe les personnages dans l’espace de manière saisissante : plongées et contre-plongées fréquentes, angles insolites allongeant ou déformant les silhouettes, très gros plans de visages burinés ou d’yeux occupant tout l’écran. Les affrontements, filmés en deux temps, deviennent de véritables ballets visuels et sonores, fondés sur une lente montée de l’attente qui exacerbe la tension avant que l’exaspération des nerfs n’explose brutalement dans les coups de feu.

Des figures façonnées par la légende

Les personnages qui traversent le film doivent autant à la mythologie du cinéma américain qu’à une forme nouvelle de tragédie. Henry Fonda, l’acteur noble par excellence, connu pour ses incarnations d’hommes justes, apparaît ici sous un jour glaçant dans le rôle d’un serviteur cruel du Mal. Ce renversement produit un choc presque ontologique : le visage même de la droiture devient celui du mal. L’Harmonica (Charles Bronson), silhouette minérale, avance comme un spectre traqué par un souvenir. Cheyenne (Jason Robards), bandit mélancolique, porte le deuil d’une époque où les marges étaient encore possibles. Et au centre, Jill (Claudia Cardinale), dont la présence bouleverse les codes d’un genre longtemps privé d’héroïnes véritablement complexes, incarne l’avenir dans un monde en ruine, la capacité de rebâtir après la violence. Les regards, les respirations, les gestes comptent davantage que les paroles. Sergio Leone sculpte ses personnages comme on façonne des mythes : non par la psychologie explicite, mais par la posture, par l’attente, par la réaction à l’espace. Les visages deviennent des paysages moraux, fissurés par l’histoire et par le destin.

Quand l’image devient musique

Cette puissance expressive tient autant de l’image que du son. Tonino Delli Colli éclaire les corps comme s’il éclairait des monuments fragiles et fissurés, et Ennio Morricone, qui compose la musique avant le tournage, insuffle au film une dimension opératique. Chaque personnage marche accompagné de son propre souffle musical, un thème qui ne souligne pas l’action mais dévoile une part de leur secret intérieur. La caméra suit ces motifs comme une partition, et le film tout entier devient une sorte de poème visuel où les mouvements, rares et mesurés, ont la dignité de gestes rituels.

La fin d’un monde, la naissance d’un mythe

Ce qui se joue ici, ce n’est plus la conquête de l’Ouest mais la fin d’un monde : celui des hors-la-loi, des pionniers, des terres vierges, des hommes debout, rudes, violents et hantés par le mal et la souffrance. Le train qui progresse dans le paysage n’est pas seulement un moyen de transport ; il est la modernité qui vient enterrer les légendes et inaugurer la domination de la puissance capitaliste. Pourtant, à mesure que ce monde se défait, une autre forme de récit se construit. Sergio Leone ne se contente pas d’accompagner la disparition du western traditionnel par un geste de deuil ; il transforme la perte en mythe. Il montre comment les ruines deviennent des histoires, comment les visages marqués deviennent des icônes, comment la mort d’un genre peut paradoxalement en signer la renaissance.

Il était une fois dans l’Ouest n’est pas seulement un film sur l’Ouest : c’est un film sur le cinéma lui-même, sur ce pouvoir qu’il possède de regarder les mythes au moment où ils se brisent, puis de les recomposer sous une forme nouvelle. En contemplant la fin d’un monde, Sergio Leone en invente un autre, plus ample, plus solennel, plus intemporel. Voilà sans doute pourquoi ce film, bien plus qu’un western, demeure une légende, un chef-d’œuvre absolu.

Jacques Déniel

 

 

Il était une fois dans l’Ouest

Italie, États-Unis – 1968 – 2h46 - (sorti France 1969)

Réalisé par: Sergio Leone

Scénario: Sergio Leone, Sergio Donati, Dario Argento, Bernardo Bertolucci.

Musique: Ennio Moriconne

Photographie: Tonino Delli Colli, Montage: Nino Baragli

Interprétation: Claudia Cardinale, Henry Fonda, Jason Robards, Charles Bronson, Gabriele Ferzetti, Paolo Stoppa, Woody Strode, Jack Elam, Keenan Wynn, Frank Wolff...

 

 

 

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