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Une certaine idée du cinéma le blog de Jacques Déniel

  • Samuel Fuller, vision de l'impossible

    Samuel Fuller, vision de l'impossible

    Jacques Déniel

     

    Alors, pour la première fois, nous nous apercevons que notre langue manque de mots pour exprimer cette insulte la démolition d’un homme. En un instant, dans une intuition quasi prophétique, la réalité nous apparaît : nous avons touché le fond. Il est impossible d’aller plus bas il n’existe pas, il n’est pas possible de concevoir condition humaine plus misérable que la nôtre. Plus rien ne nous appartient : ils nous ont pris nos vêtements, nos chaussures, et même nos cheveux ; si nous parlons, ils ne nous écouteront pas, et même s'ils nous écoutaient, ils ne nous comprendraient pas. Ils nous enlèveront jusqu'à notre nom : et si nous voulons le conserver, nous devrons trouver en nous la force nécessaire

    pour que derrière ce nom, quelque chose de nous, de ce que nous étions, subsiste. Primo Levi1

     

     

    Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale et la découverte des camps révélant la monstruosité diabolique des crimes nazis, le problème de la représentation au cinéma des camps de concentration et d'extermination s'est posé. Comment montrer l'indicible? De nombreux documentaires tournés par l'armée soviétique et polonaise ainsi que par les américains existent. John Ford, George Stevens Ray Kelloge, Samuel Fuller,... ont tourné des images de ces camps lorsqu'ils étaient engagés comme soldats dans l'armée des États-Unis d'Amérique pour lutter contre l'Allemagne nazie. Certains de ces films ont été montrés comme preuves au procès de Nuremberg. En 1956, Alain Resnais réalise un documentaire Nuit et brouillard, qui demeure un film de référence bien que l'extermination des juifs n'y soit pas clairement mentionnée. La sortie en 1985 de Shoah, film somme de Claude Lanzmann, est un événement historique politique et moral, salutaire pour lutter contre l'oubli et dire l'horreur avec précision et dignité. De même, de nombreux films de fiction ont tenté de parler des camps ou de la Shoah, de montrer les crimes commis par les Nazis. Certains mettent les spectateurs face à de vrais problèmes d'éthique cinématographique tels Kapò (Kapo de Gillo Pontecorvo - 1959), Schindler's List (La Liste de Schindler - 1993) de Steven Spielberg, La Vita e bella (La Vie est belle - 1997) de Roberto Begnini ou Saul fia (Le Fils de Saul - 2015) de László Nemes. La presse et de nombreux spectateurs ont émis des critiques souvent justes sur ces œuvres2. Ces films ont fait l'objet de vives polémiques, seul Le Fils de Saul y a échappé 3..

     

    Comment Samuel Fuller, soldat pendant la seconde guerre mondiale a montré et parlé des camps dans ses films, est une question essentielle de son œuvre. Fuller qui a souvent représenté la guerre et la violence de manière sobre, brutale et tranchante dans ses films – en particulier dans The Steel Helmet (J'ai vécu l'enfer de Corée - 1951), Fixed Bayonets (Baïonnette au canon - 1951) sur la guerre de Corée, China Gate (porte de Chine – 1957) sur la guerre d'Indochine ou Merrill's Marauders (Les Maraudeurs attaquent - 1961) se déroulant pendant le seconde guerre mondiale durant la reconquête de la Birmanie – met en scène la représentation d'un camp et la barbarie dans trois de ces films4: Falkenau (1945), Verboten (Ordres secrets aux espions nazis -1959) et The Big Red One (Au-delà de la gloire - 1980). Le cinéaste, par sa participation active comme militaire à la deuxième guerre mondiale, a toute légitimité pour montrer des images. Il a vécu, vu, affronté et filmé pendant la guerre, la folie meurtrière des hommes, l'inimaginable.

     

    Filmer l'Impossible s'impose d'emblée à Samuel Fuller. En 1945, il combat dans la première division américaine d'infanterie, la Big Red One, reconnue pour sa bravoure et célèbre par son insigne, un 1 rouge vif cousu sur la manche de l'uniforme de ses soldats. En 1943, Fuller, alors au front, reçoit des États-Unis une caméra envoyée par sa mère. Il réalise son premier film, un documentaire tourné en 16mm, noir et blanc et muet dans le camp de concentration de Falkenau. Ce premier film, se trouve dans Falkenau vision de l'impossible d'Émil Weiss, un documentaire réalisé en 1988 consacré à Samuel Fuller, à son vécu lors de la découverte du camp. Emil Weiss le fait s'interroger sur la vérité des images, sur la possibilité de représenter l’univers concentrationnaire. Fuller y affirme sa foi dans le cinéma comme moyen de transmettre les faits historiques aux spectateurs, en particulier aux jeunes générations.

     

    Lorsque Emil Weiss lui propose de faire ce film, Samuel Fuller accepte de revoir ses images qu'il n'a jamais utilisées dans aucun de ses propres films. Sur ses réticences à se confronter à ses plans, il explique : « Je ne pouvais pas voir mon film car il est cette nuit en Tchécoslovaquie, la fin de toute cette guerre, c’est l’impossible. Pas l’incroyable, ni l’horrifiant, mais un mot simple, que tout le monde peut comprendre, un seul mot. La chose importante, c’est que l’Impossible nous choquait, mais pas au sens où l’on utilise le mot “choc”. C’est plus fort que de rendre malade ou d’horrifier. C’est hypnotiser. Et le silence parmi nos soldats était très lourd, quatre ou cinq jours durant, on a gardé le silence».

    A la fin du film, quand Emil Weiss lui demande s'il est possible de filmer l'horreur des camps dans une fiction, il répond: « Rien n'est impossible avec une caméra mon garçon! Ah, ah! Rien, mais le montrer ça c'est toute la difficulté ». Ces deux citations résument parfaitement la morale de cinéaste de Samuel Fuller, celle qu'il va toujours appliquer à son cinéma. Une morale qu'il s'est forgée en tournant son premier film Falkenau. Ce documentaire, nous fait découvrir la vérité: des hommes, des Nazis ont torturé, laissé mourir de faim et de maladie, exterminé d'autres hommes et femmes internés dans des camps. En particulier, les Juifs5 qu'ils considéraient comme des sous-hommes. Après une brève introduction où il nous explique les conditions du tournage ainsi que celles de la libération du camp, Samuel Fuller nous situe la place des baraquements aujourd'hui disparus à part quelques vestiges des fondations qui demeurent recouverts par les herbes et les ronces. Puis, visionnant Falkenau avec Emil Weiss, il commente en direct les images de ce document saisissant. Il est précis, concis et rigoureux, nous explique l'importance de ces images pour éduquer, enseigner et lutter contre l'oubli. Ce film est l'œuvre d'un amateur mais les tueries sont l'œuvre de professionnels nous dit-il!6 Il nous rappelle les faits, nous parle de l'odeur et de la puanteur des lieux, de la fumée âcre qui s'en dégageait au moment de la libération du camp, revient sur la volonté des notables du village ne pas vouloir voir, de nier l'existence de cette horreur, et précise que certains aujourd'hui continuent de nier l'existence des camps7.

     

    Sous la direction et le commandement de son chef, le capitaine Richmond, il filme et montre comment les notables du bourg de Falkenau qui prétendent ignorer ce qui se passe dans le camp sont obligés de donner une sépulture décente aux victimes de la barbarie nazie. Suivant les ordres du capitaine Richmond, Ils sortent les morts des baraquements, les allongent sur des draps blancs, les habillent et les transportent sur des charrettes à travers la ville pour aller les enterrer au cimetière

    dans la dignité. La mise en scène imaginée par le capitaine de Samuel Fuller est implacable. Fuller a déjà une maîtrise de cinéaste. Le film est cadré avec pudeur et distance, aucun plan large ni surplombant. Il tourne une suite de plans courts, montés avec un grand sens de la pédagogie.

     

    Un plan-séquence de quarante quatre secondes montre la proximité du camp de concentration au bourg de Falkenau: un panoramique part du village de Falkenau et se termine sur les corps des morts du camp de concentration situé comme nous pouvons le voir à quelques centaines de mètres. Tous savaient et mentaient! Le cinéma preuve des mensonges et des crimes commis par les Nazis.

     

    Lorsque Samuel Fuller revient sur la guerre 1939/1945 dans ses films, il utilise cette expérience première. Dans Verboten, l'action se situe en Allemagne à la fin de la guerre et juste après la capitulation de l'Allemagne nazie. David Brent, sergent de l'armée américaine, est blessé. Il est recueilli par Helga Schiller, une allemande habitante de la ville. Amoureux de la jeune femme, David Brent, redevenu civil, retourne après l'armistice dans la petite ville d'Helga. Il travaille au Bureau de l'approvisionnement du Gouvernement militaire américain auprès de militaires et de civils allemands chargés de dénazifier l'Allemagne. Ils luttent contre les Loups garous, un groupe de fanatiques auquel adhère Franz, le jeune frère d'Helga, qui continue de prêcher la haine. Dans une séquence exemplaire Helga conduit son frère assister au procès de Nuremberg. Samuel Fuller construit avec une grande science du montage cette séquence par une série de champs, contre-champs. Il utilise face à ses propres images de fiction, des images documentaires du procès ainsi que d'autres issues de films allemands de propagande ou de films tournés par l'armée américaine projetés au procès. Par cette confrontation aux images du réel, il amène le jeune Franz, mais aussi les spectateurs, à prendre conscience de la gravité des crimes commis contre l'humanité par ces dignitaires nazis... Franz, choqué par ces preuves tangibles des crimes contre l'humanité perpétrés par ses compatriotes se remémore les propos tenus par Bruno Eckart, le chef des Loups garous – de courts flash back s'insérèrent entre les plans documentaires et ceux du visage du jeune garçon, ébranlé – propos similaires à ceux tenus par Hitler, Goering, Goebels, Himmler... Helga oblige son frère à faire face aux images8. Le documentaire est venu au secours de la fiction pour montrer des situations impossibles à reconstituer avec des acteurs. Verboten est une œuvre d'une grande force historique, une leçon de morale cinématographique et humaine.

     

    En 1979, Samuel Fuller tourne son plus ample et ambitieux long métrage The Big Red One, sur la deuxième guerre mondiale. Il conte l'histoire de la première division d'infanterie américaine, ses campagnes lors des débarquements alliés: opération Torch en Afrique Française du Nord le 8 novembre 1942, Husky en Sicile le 10 juillet 1943 et Overlord en Normandie le 6 juin 1944. Il suit la Big Red One qui progresse à travers la France, la Belgique, L'Allemagne et la Tchécoslovaquie où ses soldats libèrent et découvrent le camp de concentration de Falkenau. Samuel Fuller avait conçu ce projet dès le retour de la paix. Il pensait écrire un livre où l'absence d'émotion aurait son importance dans la façon de raconter les événements vécus par la division à laquelle il avait appartenu comme soldat. L'idée d'un film est né dès la fin des années cinquante9. Il le réalisera trente ans plus tard. Trente années qui lui permettent d'avoir le recul nécessaire sur ce conflit et surtout de trouver comment filmer la découverte du camp.

     

    Claude Lanzmann pense qu'il est impossible de réaliser un film de fiction sur les camps et la Shoah. Cependant, dans la dernière séquence de The Big Red One, la représentation cinématographique de la découverte du camp de Falkenau est juste et ne met pas les spectateurs en situation de chantage émotionnel. Une suite de plans courts, secs et abrupts nous montre la fureur des combats. Samuel Fuller se place à hauteur d’homme. Nous suivons la progression de la section conduite par le sergent Possum, interprété par Lee Marvin. Un jeune soldat, Zab (Robert Carradine), cigare à la bouche, représente Samuel Fuller.

     

     

    Les hommes courent, se plaquent au sol, tirent, lancent des grenades mais aussi tombent fauchés par des tirs de mitrailleuse, de fusils ou l'explosion de grenades. Les corps mêlés de soldats américains et allemands jonchent la terre et s'effondrent parfois dans un parterre de fleurs.

     

    Le cinéaste nous explique dans Un travelling est une affaire de morale d'Emil Weiss et Yann Lardeau, les raisons pédagogiques de son choix de montrer à plusieurs reprises ces fleurs dans un camp de la mort. Il y avait des fleurs! Les gardes et chefs du camp pouvaient mener là une vie ordinaire et prendre soin des fleurs!10.

     

    Puis, les flammes et la fumée masquent l'action, soudain trois des soldats que nous suivons dans cette campagne se trouvent devant des portes. Brusquement, ils les ouvrent. Le contrechamp est saisissant. Face à eux et à notre regard, apparaissent dans la pénombre, les yeux exorbités de déportés pâles, exsangues. Une suite de champs et contre-champs nous montre sur les visages figés des soldats, la stupeur, l'effarement, et, sur ceux malingres des prisonniers du camp, l'absence, des regards de mort-vivants. Pas de lyrisme, ni de sentimentalité dans ces plans, juste l'effroi de l'indicible11. Les tirs continuent, les américains progressent dans leur prise du camp. Le soldat Griff (Mark Hamill) poursuit un allemand, il arrive au pied d'un bâtiment contre un mur, une fumée noirâtre sort d'une cheminée haute. Il s'approche lentement de la porte entrebâillée du baraquement où s'est réfugié l'ennemi. Il s'arrête figé par la fumée âcre. Prudent, il entre, et nous découvrons avec lui une enfilade de fours aux portes métalliques fumantes. Il tente d'ouvrir l'une d'entre elles. Elle est brûlante. Il se sert de la pointe de son fusil. A ce moment précis, Fuller utilise un contre-champ pris de l'intérieur du four. Griff est sidéré face à ce qu'il voit: des restes de corps humains en train de se consumer. Dans un mélange de folie et de rage froide, le soldat ouvre ensuite un deuxième four dans lequel il trouve le S.S caché . Celui-ci tente de tirer, son arme est enrayée. Alors, Griff tire, tire et tire encore sur l'allemand vidant plusieurs chargeurs de balles. Surpris par les coups de feu répétés, le sergent Possum entre dans le bâtiment et tend un nouveau chargeur à Griff. Il lui tapote doucement le bras et lui dit: « Tu l'as eu, je crois ». Tout la souffrance de ces hommes en guerre face à leur découverte passe par ce geste de solidarité. Aucune émotion, pas de sentimentalité, la guerre et l'horreur sont filmés avec une sécheresse et un ascétisme renforçant leur caractère de folie criminelle. Cette scène est emblématique de ce que Fuller appelle l'Impossible. Griff, hypnotisé ressent une fureur glacée. Sa seule réaction possible est de tirer à plusieurs reprises. Entre les plans de Griff tirant, Samuel Fuller a monté un gros plan de la cheminée des fours crématoires, un très gros plan d'un soldat mort avec en amorce l'épaulette noire de son uniforme S.S. comportant une tête de mort, et, des plans du sergent et de ses trois camarades qui entendent la série de tirs répétés. Fuller nous signifie que l'acte de tuer le soldat allemand est une métaphore de la liquidation de la monstruosité nazie et nous fait comprendre que les camarades de Griff ressentent la même rage de les anéantir.12

     

    L’une des séquences les plus fortes du film est celle où le sergent Possum, froid, émacié, un professionnel aguerri par la première et la seconde guerre mondiale13, découvre un jeune enfant décharné. Le visage impassible et le jeu subtile de Lee Marvin renforce la sécheresse de la situation14 et donne à la scène une force morale. Derrière le masque du soldat apparaît un regard de compassion. Il donne à boire à l'enfant, le questionne « Juif ?», « Polonais ?», « Tchèque ?», tente de lui faire manger du fromage. Il sort du baraquement, l'enfant le suit. Ils se retrouvent près d'un cours d'eau... l'enfant met sur sa tête le casque du sergent qui le lui retire. Il ne supporte pas cette image d'un enfant casqué. Le gamin est fatigué. Possum le prend sur ses épaules. Il marche, les yeux au loin, sans se résoudre à admettre immédiatement que le corps sur ses épaules s'alourdit. Il continue de marcher portant l'enfant que la mort a emporté. Tous les scènes de cette séquence de la découverte du camp sont précieuses. Elles font assurément de The Big Red One, un grand film politique et historique entre violence physique et grandeur d’âme.

     

    Dans son entretien avec Emil Weiss, Samuel Fuller a dit ses difficultés à représenter l'impensable, sans avouer sa propre impuissance. Il est important de dire qu'il n’a pas été confronté à l'épreuve de la solution finale, de l’extermination par les gaz. Le camp de Falkenau est un camp de concentration où les hommes, femmes et enfants meurent à cause de l'épuisement par le travail, sous les coups, de dénutrition et de maladies et sont ensuite brûlés dans les crématoires. Il ne s’agit pas d’une mort de masse organisée dans les chambres à gaz. Jamais Fuller n’a reconstitué, dans un film, l’extermination des juifs. Il n'a pas repris ses images documentaires dans ses films de fiction. À Jean Narboni et Noël Simsolo qui lui demandaient « Comment reconstituer l'horreur des camps dans un film ?», Il a affirmé : « Je ne pourrais pas faire ça. Comment pouvez-vous faire « mieux » que les Allemands ? Même dans The Big Red One, je ne pouvais pas montrer ce que j'avais filmé sur place»15 Ainsi du camp de Falkenau, il ne représente dans The Big Red One que des moments clés de sa confrontation à l’Impossible: ceux de la rencontre avec les regards des survivants, les restes humains dans un four crématoire, et la mort inéluctable d'un enfant juif. Rien d’autre! Ces trois films sont pour le cinéaste un devoir de mémoire et d'éducation: A travers des films sur plusieurs générations, on apprend aux enfants à ne pas haïr, à ne pas être violents. (...). A travers les films, on ne fait pas qu'éduquer, on peut faire avancer l'histoire de l'humanité afin que nul ne puisse mentir sur tout ce que vous venez de voir.16 Son film Falkenau l'empêche d'aller au-delà de ces limites dans la fiction. Son sens de la mise en scène et sa probité ont permis à Samuel Fuller de faire un film ample et sec sur la guerre et sur les forces du Mal mais pas de représenter la Shoah, l'Impossible.

    Il a reconstitué des lieux, un camp, des fours crématoires. Il s'est servi de figurants pour jouer les concentrationnaires ou d'un acteur pour l'enfant juif. Il a réussi à éviter le piège du sentimentalisme, même lorsqu'il utilise la musique diégétique (la boîte à musique) et extra-diégétique (une mélodie légère composée par Dana Kaproff) qui accompagne la mort du jeune garçon. De même, la place de la caméra à l'intérieur du four au moment de leur découverte par Griff n'est pas interdite puisque c'est la seule place possible pour signifier l'effroi d'un homme face à l'Impossible. Ces séquences considérées impossibles à filmer par Lanzmann ou Alain Fleischer s'avèrent nécessaires dans The Big Red One. Samuel Fuller a su filmer sans aucune complaisance. Mais aucun film de fiction ne nous fera sortir du noir.

    1 Primo Levi Si c'est un homme (1947), traduction de Martine Schruoffeneger, Paris Julliard.

    2 Rappelons-nous l'accueil très dur du film Kapo par Jacques Rivette dans son texte De l'abjection Cahiers du cinéma

    n° 120, juin 1961, pp. 54-55. De même, les deux autres films avaient reçu un accueil critique sévère.

    3 Hormis Jean Philippe Tessé dans Les Cahiers du cinéma (numéro 716 - novembre 2015),  Didier Péron , Clément Ghys et Julien Gester dans Libération (3 novembre 2015), Jacques Déniel dans Causeur.fr (novembre 2015), et l'excellent livre Retour au noir d'Alain Fleischer, consacré au film de László Nemes, une réponse au livre admiratif du film Sortir du noir de Georges Didi-Huberman.

    4 Shock Corridor s'il traite de la folie, de la violence, du racisme peut aussi être vu comme une métaphore d'un camp de concentration.

    5Mais aussi des tziganes, des homosexuels, des allemands résistants , des témoins de Jéhovah, des protestants, des catholiques... des asociaux, des handicapés, des criminels de droits communs...

    6Dans Falkenau vision de l'impossible d'Emil Weiss.

    7« Et, il y a encore des gens aujourd'hui qui appellent ça un détail de l'histoire comme Le Pen en France... Certains aux États-Unis disent que personne n'a été torturé, personne n'a été tué, personne n'est mort de faim, personne n'a été gazé ni jeté dans un four mort ou vivant » Samuel Fuller dans Falkenau vision de l'impossible d'Emil Weiss (1988).

    8« Franz , regarde, Franz, il faut que tu vois ça. On va regarder ensemble. C'est quelque chose qu'on devrait tous voir, que le monde entier devrait voir » propos d'Helga à son frère Franz dans Verboten de Samuel Fuller.

    9Entretien avec Samuel Fuller par Bill Krohn et Barbara Frank, Cahiers du cinéma n° 311 mai 1980 et n° 314 juillet/août 1980.

    10 « Samantha, ma petite fille a vu le film. Elle ne comprenait strictement rien à ce qu'elle voyait, à tout cet enfer.(...) Les gens qui travaillent dans les camps y vivaient. Les gardes. Ils avaient de petits pots de fleurs devant leur maison.. Je m'étais dit que parce que ma petite fille ne comprenait pas, je tournerai un plan où un des soldats tombe dans les fleurs (...) Elle ne comprenait pas pourquoi ces méchants chez eux avaient de superbes fleurs parce qu'elle adore les fleurs. » dans Un travelling est une affaire de morale d'Emil Weiss et Yann Lardeau, filmé le 14 juillet 1986.

    11 « Ce qu’on voyait, c’étaient des visages avec des yeux noirs comme ceux des rats. Des corps qui ne pèsent rien. Des corps, des corps tout autour ; certains entassés,d’autres jetés épars. (…)Les prisonniers n’arrivaient pas à croire qu’ils étaient libres. Ils ne savaient pas ce qui se passait. Ils savaient une chose : leurs gardiens sont morts.» Il était une fois Samuel Fuller, Histoires d'Amérique racontées à Jean Narboni et Noël Simsolo – Éditions Cahiers du cinéma 1986.

    12« Rien n'a autant de puissance que quand un jeune de 18 à 21 ans arrive sur place et voit la chose de ses propres yeux. C'est ça l'image que je voulais. Celle où l'on voit pour la première fois, où il comprend pourquoi il se bat » Samuel Fuller dans Un travelling est une affaire de morale, un film d'Emil Weiss et Yann Lardeau, 14 juillet 1986.

    13Le sergent est un survivant de la première guerre mondiale et il n'est pas mort durant les combats de la Big Red One, comme le dit le colonel sur la plage lors débarquement à Colleville-sur-Mer: « Il y deux sortes d'hommes sur cette plage, ceux qui sont morts et ceux qui vont mourir. Alors, quittons cette maudite plage et avançons vers l'intérieur des terres ».

    14« j'ai tout ce que je veux; c'est absolument aucune expression! Si il y avait la moindre expression, on est bon pour les violons »Samuel Fuller dans Un travelling est une affaire de morale, un film d'Emil Weiss et Yann Lardeau, 14 juillet 1986.

    15 Il était une fois Samuel Fuller, Histoires d'Amérique racontées à Jean Narboni et Noël Simsolo – Éditions Cahiers du cinéma 1986.

    16Entretien avec Samuel Fuller dans Falkenau vision de l'impossible d'Emil Weiss.

  • Rio Lobo un film de Howard Hawks

    Rio Lobo un film de Howard Hawks
    Grandeur du cinéma humaniste
     
    Rio Lobo est le denier film de l'immense cinéaste Howard Hawks. Ce film traine depuis sa sortie sur les écrans de cinéma une réputation exécrable de remake parodique de Rio Bravo et El Dorado, tournés respectivement onze et quatre ans auparavant. Une histoire que chacun s'escrime à nous décrire comme peu intéressante, un rythme trop lent et soi-disant cahotant, des personnages aux caractères pas assez définis... Pourtant ce film dont le scénario est signé par la romancière Leigh Brackett, la complice des grands films d'après-guerre de Hawks, est une grande réussite. C'est avec un immense plaisir que je l'ai découvert ce dimanche soir sur Arte ne l'ayant jamais vu au cinéma pour toutes les mauvaises raisons citées.
     
    Une nouvelle fois ce film raconte l'histoire d'hommes pour qui l'amitié, la camaraderie et le bon whisky sont obsessionnels. L'action débute à la fin de la Guerre de Sécession. Des soldats Sudistes volent l'or des Nordistes en attaquant le train qui le transporte. Scène splendide et spectaculaire filmée de main de maître par Hawks. La guerre s'achève et le Colonel McNally (John Wayne) se lie d'amitié avec les deux leaders sudistes qu'il vient de combattre, le Capitaine Pierre Cordona, interprété par le Mexicain Jorge Rivero, une sorte de latin lover vif et drôle et le Lieutenant Tuscarora joué par Chris Mitchum, le fils de Robert. La réconciliation entre Nordistes et Sudistes permet une magnifique et très plaisante tirade du Colonel McNally qui donne une leçon de patriotisme en expliquant qu'il déteste ceux qui l'ont trahi mais admire ceux qui l'ont combattu.
     
    Le Colonel et le Capitaine se déplacent au Texas pour pourchasser le traitres lorsque surgit dans le bureau du Shériff Bill Williams, un ami de Mc Nally, Shasta Delaney (Jennifer O'Neill) qui vient accuser la bande de Ketcham, dominant la petite ville de Rio Lobo, du meurtre de son vieil ami. Superbe intrusion d'une femme à l'allure d'institutrice dans cet univers d'homme. Lors de la séquence de tentative d'enlèvement de Shasta par les hommes de main du petit tyran de Rio Lobo, la jeune femme se dévoile habile tireuse et très jolie femme. Sous sa conduite, les deux amis se rendent à Rio Lobo affronter les malfaisants. Le trio va se trouver rejoint au cours des péripéties de l'action par deux autres femmes Maria Carmen et Amelita ainsi que par un vieil homme, le propriétaire terrien Phillips, spolié par Ketcham, le shériff Hendricks et leur bande.
     
    Si Hawks s'avère le plus souvent dans son œuvre, un cinéaste du commando qui ne peut intégrer ni les femmes ni les vieillards, force est de constater que dans son ultime film, la place des femmes et des anciens est importante. Pour preuve, les rôles accordés aux trois personnages féminins qui luttent avec détermination aux côtés du Colonel. Lors de l'affrontement final c'est Amelita qui tuera l’infâme Shérfiff Hendricks à la place du héros le Colonel McNally. Le rôle central des femmes, pistolet au poing dans Rio Lobo, est assez rare dans les westerns classiques... Et la superbe scène ou Shasta fait perdre leurs doutes à ses compagnons sur ses qualités de cavalière est une pure réussite humaniste et formelle.
     
    Les hommes vieillissant comme Phillips - alcoolique, mais adroit -, interprété par Jack Elam qui reprend ici la place occupée par Walter Brennan dans Rio Bravo, en plus vindicatif, sont aussi à l'honneur. Il me semble important de rappeler que le Colonel est aussi un homme vieillissant - John Wayne a 63 ans en 1970 - moins agile mais déterminé, patriote, amoureux de la liberté et de la justice.
    Rio Lobo servi par la mise en scène classique et limpide de Howard Hawks, la superbe partition musicale de Jerry Goldsmith, une belle lumière et des cadres d'une grande précision du chef-opérateur William H. Clothier est un film hautement hawksien et très savoureux. Une déclaration d'amour à l'honneur, à la droiture d'hommes et de femmes au caractère bien trempé. Du beau et grand cinéma humaniste!
    Dommage que le documentaire qui suivait le film John Wayne - L'Amérique à tout prix de Jean-Baptiste Péretié soit un film de piètre qualité et très à charge contre l'immense acteur américain. Un documentaire avec un regard gauchissant et progressiste sortant les propos de John Wayne de leur contexte et diffusant sa propagande bien-pensante.
    Rio Lobo un film de Howard Hawks
    États-Unis – 1970 – 1h50
    Interprétation: John Wayne, Jorge Rivero, Jennifer O'Neill, Jack Elam, Christopher Mitchum, Victor French, Susana Dosamantes, Sherry Lansing, David Huddleston, Mike Henry, Bill Williams, Jim Davis, Dean Smith, Robert Donner, George Plimpton
    A voir sur Arte dimanche 22 décembre 2024 à 21h et à revoir sur Arte.TV

  • Mourir d’aimer un film d’André Cayatte

    Mourir d’aimer un film d’André Cayatte

     

    J’ai revu hier soir sur ARTE, Mourir d'aimer (1971) d'André Cayatte. Revoir ce film 53 ans après ma première vision dans des salles pleines (6 millions d’entrées en France) où les spectateurs pleuraient à chaudes larmes me semblait important bien que mon souvenir du film me fasse craindre le pire.

     

    Le pire n’est pas toujours sûr nous disait Paul Claudel mais en l’occurrence trois fois si.

    Le film est une très mauvaise mise en scène de l'affaire Gabrielle Russier, une tragédie réelle. Georges Pompidou très ému par l’affaire comme de nombreux français en parla très bien en citant des vers de Paul Eluard Moi, mon remords, ce fut la victime raisonnable au regard d'enfant perdu, celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés.

     

    C’est une longue fiction où s’enchainent des poncifs et des clichés d'une naïveté confondante sur la société, les rapports familiaux, la politique et le joli mois de mai qui en disent long sur la sottise de cette époque (la mienne comprise, très certainement. Fort heureusement le cinéma avec les films de Rohmer, Bresson, Eustache, Pialat, Leone...), la musique (Les Beatles, L.Cohen, B.Dylan, N.Young....) et la lecture Guy Debord et Simon Leys me remirent les idées en place).

     

    Une petite vile de province tranquille, Rouen en1968 (c'était beau et calme Rouen en 1968), Danièle Guénot (Annie Girardot) est professeure de lettres, la trentaine, divorcée et mère de deux enfants. Elle exerce son métier différemment. Régulièrement, elle reçoit les élèves chez elle, va au café et organise des promenades dominicales avec eux.

     

    L'un de ses élèves, Gérard (Bruno Pradal), tombe amoureux d’elle. Dans un premier temps elle le repousse puis finit par céder, partageant avec lui cette forte passion amoureuse. Gérard est mineur, sa mère bourgeoise coincée et son père, pourtant militant de gauche, ne supportent pas cette liaison et vont tout faire pour y mettre fin en employant des moyens assez radicaux.

     

    André Cayatte, le chevalier sans peur et sans reproche des Dossiers de l’Écran l’émission d'Armand Jammot, s'est emparé d’un fait divers qui avait ému la France en 1969 : Gabrielle Russier, une enseignante, fut accusée de détournement de mineur en ayant abusé de son statut. La pression judiciaire et publique fut telle qu’elle finira par se suicider.

     

    Ce long métrage contient un nombre de maladresses scénaristiques bien trop schématiques, et très démonstratives. Il dénonce avec une lourdeur et une vigueur manichéenne des travers d’une société montrée comme réactionnaire. Quand à la mise en scène elle est inexistante, seul compte le sujet filmé sans aucun choix esthétique dans une époque où portant le pop art, la musique, les arts plastiques et même le cinéma ont accouché de belles réussites. Un très mauvais film!!

     

    "Vous avez été jeune dans une époque où vous aviez de mauvais maitres et sans doute de mauvaises fréquentations" m'a dit au début des années 2000, un Chanoine vu en confession à Notre-Dame de Paris. Rien de plus juste!

    Jacques Déniel

     

     

    Mourir d’aimer un film d’André Cayatte

    France – 1971 – 1h49

    Interprétation :Annie Girardot, Bruno Pradal, Claude Cerval, Jean Bouise, Nathalie Nell, François Simon, Yves Barsacq…

    Disponible jusqu'au 07/02/2025 en replay ARTE.TV

     

  • Napoléon vu par Abel Gance

    Napoléon vu par Abel Gance

    Le génie cinématographique de Abel Gance au service de la grandeur de Bonaparte et de la France

    Je n'avais jamais vu ce film mythique. Depuis 50 ans, j'attendais le moment de découvrir la vison de Napoléon vu par Abel Gance après avoir vu des extraits de versions non satisfaisantes. Le travail méticuleux et subtil de reconstitution du film dans sa Grande Version inédite et définitive accompli pendant seize ans par Georges Mourier et son équipe est exceptionnel. Cette restauration est au plus près du montage originel dans la rythmique musicale, voulue par Abel Gance, très proche de la copie Apollo montrée en 1927.

    Abel Gance est avec Jean Epstein, Cecil.B. DeMille et David Wark Griffith l’un des grands cinéastes inventeurs de formes du cinéma muet. Indéniablement, c’est un réalisateur inspiré et novateur dont le style empreint de lyrisme tranche sur la production de l'époque. J’Accuse (1919) et La Roue (1923) deux chefs-d’œuvre de l’art cinématographique le consacrent comme un metteur en scène reconnu qui à tourné de nombreux beaux films durant la période du cinéma muet puis des œuvres intéressantes mais parfois moins convaincantes après la naissance du cinéma parlant et sonore.

    Napoléon vue par Abel Gance est une fresque monumentale datant de 1927, qui retrace la vie du futur empereur depuis son enfance jusqu’aux premiers feux de la campagne d’Italie.

    La recherche de financement pour sa production et l'écriture du scénario s’étalent de 1923 à 1924. Abel Gance pensait réaliser six films racontant l’histoire complète de Napoléon, Il s'associe avec Pathé, monte la société Les Films Abel-Gance puis écrit le premier volet du film. Le tournage démarre le 15 janvier 1925, aux studios de Billancourt. Il dure quatorze mois (entre Paris, la Corse, le château de Versailles…) et nécessite, des tonnes de matériel dont dix-huit caméras…

    Pour servir au mieux la mise en scène de son film, Gance innove sans cesse et trouve de nouvelles solutions techniques : caméras sur des filins et des balançoires, caméras portées, installées sur des chevaux au galop, fabrication d'objectifs spéciaux, surimpressions, essais sur la couleur et tournage du film en Polyvision (pour une projection sur trois écrans)… Le montage, assuré par Abel Gance et Marguerite Beaugé, exige un an de travail.

    Napoléon vu par Abel Gance est une œuvre cinématographique, artistique, historique et politique d'une envergure sans pareille. L’épopée napoléonienne d’Abel Gance est un poème épique d’une audace et d'une inventivité folle au service de la grandeur de la France et d'un homme qui l'aimait Napoléon Bonaparte. L'histoire de France vue par Abel Gance tient de la force et de la beauté du Roman National servi par la vision acérée et précise du cinéaste, la justesse d’interprétatation de tous les acteurs en particulier celles d'Albert Dieudonné (Napoléon Bonaparte), Abel Gance (Saint-Just), Alexandre Koubitzky (Danton), Edmond Van Daële (Robespierre), Antonin Artaud (Marat), Gina Manès (Joséphine de Beauharnais), Annabella (Violine)...

    La mise scène d’Abel Gance est ample, rigoureuse et attentive. Ses plans et images flamboyants sont servis par un noir et blanc contrasté parfois teinté de bleus, rouges, verts, jaunes ou bistres illustrant les tensions dramatiques du récit. La musique extraordinaire de justesse confiée à Simon Cloquet-Lafollye et interprétée par l’Orchestre National de France, l’Orchestre Philharmonique et le Chœur de Radio France, sous la direction de Frank Strobel est faite de plages de calme et de tensions, de moments lyriques et d'envolées magnifiques. Le compositeur a puisé dans plus de deux cents ans de musique symphonique subtilement réarrangé pour la bande musicale du film.

    Gance filme avec une grande tendresse les scènes où la vie privée des personnages principaux de l’aventure napoléonienne sont en jeu. Relations familiales, amour maternel et filial, passion amoureuse donnent à cette œuvre une vérité humaniste.

    Lorsqu’il s’agit de filmer la violence et la terreur de la Révolution française ou la barbarie de la guerre - prise Toulon, bataille d’Italie – il montre sans concession par des procédés visuels de surimpression et de colorisation, l’horreur en marche. Tous ces éléments liés à l’attention particulière du cinéaste aux sentiments, désirs, pensées, souffrances de ces personnages qui ont écrit l’histoire de notre Nation font de ce film un véritable enchantement pour qui aime la France, l'esthétisme cinématographique, la musique. Le triptyque final de la bataille d'Italie est un morceau de bravoure et d’anthologie cinématographique bouleversant grâce à sa beauté et son inventivité formelle. Un film muet où l’on voit et entend le bruit et la fureur de l’Histoire. Une véritable prouesse, un chef-d'œuvre absolu ou la forme et le fond se rejoignent.

    Jacques Déniel

    Dans les salles de cinéma de France, en direct et replay sur France 5. Sortie Blu-Ray Noël 2025.

    Napoléon vu par Abel Gance Réalisé par Abel Gance France – 1927 – noir et blanc/couleurs – 7h20 – film historique – muet

    Avec: Albert Dieudonné (Napoléon Bonaparte), Wladimir Roudenko (le jeune Bonaparte), Petit Vidal (Philippeaux), Nicolas Koline (Tristan Fleury), Annabella (Violine Fleury), Serge Freddy-Karl (Marcellin Fleury), Alexandre Koubitzky (Danton), Edmond Van Daële (Robespierre), Antonin Artaud (Marat), Harry Krimer (Rouget de Lisle), Robert Vidalin (Camille Desmoulins), Georges Lampin (Joseph Bonaparte), Jean Rauzéna (Louis Bonaparte), Yvette Dieudonné (Elisa), Simone Genevois (Pauline Bonaparte), Pierrette Lugand (Caroline Bonaparte), Marguerite Gance (Charlotte Corday), Noëlle Mato (la femme de Marat), Abel Gance (Saint-Just), Gina Manès (Joséphine de Beauharnais), Annabella (Violine)……

    Musique: Simon Cloquet-Lafollye. Interprétation Orchestre National de France, Orchestre Philharmonique et le Chœur de Radio France, sous la direction de Frank Strobel…



  • La Collectionneuse un film d'Eric Rohmer

    La Collectionneuse un film d'Eric Rohmer

     

    Haydée et les deux dandys, un conte moral solaire

     

    A l’issue de la lecture du numéro des Cahiers du cinéma de l’été 2024 (Repenser le cinéma n°811), de textes récents sur le cinéaste et d’une belle présentation du film au cinéma Les Studios à Brest, il m’a semblé important de revenir sur le film La Collectionneuse, un chef d’œuvre d’Eric Rohmer.

     

    Eric Rohmer est un cinéaste raffiné et cultivé, professeur de lettres, il a enseigné au lycée, amateur de cinéma passionné, vers 25 ans, il est rentré dans l'excellente revue dirigée par André Bazin, Les Cahiers du cinéma où il a rencontré et fréquenté Claude Chabrol, Jean-Luc Godard, François Truffaut et Jacques Rivette qui sont devenus ses amis de cinéphilie.

     

    Il a écrit dans une très belle langue française un beau roman La Maison d'Élisabeth en 1946, de nombreux textes critiques et des livres fondamentaux Le celluloïd et le marbre, Le Goût de la beauté, Le Sel du présent recueils de ses textes critiques et théoriques sur le cinéma. Il a été rédacteur en chef de la revue de 1957 à 1963 avant de se faire évincer par ses amis menés par une fronde de Jacques Rivette qui lui reprochait d'être trop à droite. Il s'avère être l'un des cinéastes essentiels du cinéma Français au même titre que Robert Bresson, Jacques Demy, Jean Eustache, Jean-Luc Godard, Jean-Pierre Melville, Jean Renoir, Maurice Pialat…

     

    La Collectionneuse est de l'un des nombreux chefs-d’œuvre d'Eric Rohmer, comme Ma nuit chez Maud, Le Genou de Claire, La Marquise d'O, Les Nuits de la pleine lune…

     

    Le film s'ouvre par trois préambules d'une beauté plastique et d'une sensualité radieuse présentant les trois protagonistes principaux. Rohmer filme les hommes et les femmes comme il filme la nature, la mer, les fonds marins, les rochers, les arbres et les champs. Le morcellement du corps d'Haydée dans le premier prologue est splendide il rend hommage à la beauté de la femme par un découpage sensuel et pictural de son corps qui rappelle celui du corps de Camille (Brigitte Bardot) dans Le Mépris (1963) de Jean-Luc Godard.

     

    Deux dandys désœuvrés, Daniel (Daniel Pommereulle, artiste plasticien et cinéaste passionnant) et Adrien (Patrick Bachau, dont c'est l'un des tous premiers rôles. Il tournera ensuite avec Wim Wenders et F.J Osang) sont en vacances dans la maison d'un ami, Rodolphe absent, afin d'accomplir leur désir, celui de ne rien faire. Mais une fille est là, elle aussi invitée par Rodolphe, Haydée (Haydée Politoff, jeune débutante, excellente) rayonnante, libre et indépendante, ne tenant aucun discours revendicatif ou rebelle, elle multiplie les conquêtes d'un soir ou deux.

    C'est une collectionneuse décident les deux compères qui font semblant de la mépriser dans leurs péroraisons précieuses, hautaines et très drôles sur leurs désirs, le vide et le rien. Ils discutent de la futilité du travail, du droit à la paresse, de l'art, de la volonté de collectionner les œuvres d'art ou les hommes, de la médiocrité et de la supposée laideur morale de Haydée qui les bouscule par son comportement libre. Haydée se moque de ces critiques et participe volontiers à ce jeu cruel quand il s’agit de se moquer de ses conquêtes en particulier dans cette belle scène où Adrien raille plein de morgue un jeune benêt avec qui elle a passé la nuit avec sa complicité amusée et celle cynique de Daniel. Quand ils le chasseront, elle choisira malicieuse et ravie de rester avec les deux dandys.

     

    La Collectionneuse est un film solaire servi par la photographie lumineuse et les cadres rigoureux de Nestor Almendros et un trio de jeunes acteurs formidables. Avec ce conte moral et philosophique, une comédie douce amère, lucide, cruelle et très drôle, Eric Rohmer réalise une œuvre profondément inscrite dans la société des années soixante et saisit avec pertinence l’esprit d’une époque de grande liberté sociale, intellectuelle, politique et morale. C’est un film où l’art plastique et la peinture comme souvent chez l’auteur sont au centre de la fiction par la force d’une mise en scène où les couleurs, le montage, le choix des cadrages et des plans montrant les corps, la mer, la campagne, les rues des villes, les passants sont essentiels.

     

    Le cinéaste fait le portrait de la société libre, volage, libertine, artiste et hippie du milieu des années soixante avant que n'arrivent les idéologies soixante-huitarde gauchisante et féministe. Deux dandys altiers et impérieux se retrouvent mis en échec par une jeune fille séduisante, libre, qui cherche sa voie et possède un habile sens de la manipulation et de la séduction désintéressée, c'est une libertine belle et sauvage qui ne s’embarrasse pas avec les discours et la morale. Daniel, sûr de son talent de plasticien contemporain se montre emprunté, rageur, tapageur (au sens littéral du terme). Quand à Adrien, comme tous les héros des contes moraux, il pense faire des choix mais sa morale le ramène vers Carole (Mijanou Bardot, resplendissante) la femme très jeune et libre, elle aussi, qu’il croit aimer.

     

    Il est assez consternant que les jugements conventionnels de jeunes cinéphiles, de critiques et de certains idéologues contemporains puissent nous faire croire que ce film serait l'histoire de deux machistes face à une femme libre au sens où l'entende les féministes et néo-féministes. Évidemment, Haydée est bien plus libre et naturelle que toutes ces gentes dames et damoiseaux déconstruits.

     

    Jacques Déniel

     

    La Collectionneuse un film d’Eric Rohmer

    France – 1966 – couleur – comédie/conte moral – 1h30 Ours d’Argent Berlin 1967

    Interprétation: Patrick Bauchau, Haydée Politoff, Daniel Pommereulle, Alain Jouffroy, Mijanou Bardot…

    Distribution cinéma Les Films du Losange, DVD Potemkine Films

  • Sport de filles un film de Patricia Mazuy

    Sport de filles un film de Patricia Mazuy

     

    « Autant le dire tout de suite « Sport de filles » de Patricia Mazuy est un très grand et beau film, un western social flamboyant, un film sensuel et sexuel d’une grande tenue formelle, d’une dignité politique qui ne fait aucune concession, mais qui ne donne aucune leçon. La morale de ce film frontal et majestueux est définie par l’action et les comportements moraux des personnages comme dans les grands westerns de Ford ou de Walsh. La cinéaste donne ici ses lettres de noblesse au cinéma prouvant qu’elle est une directrice d’acteurs et d’actrices formidable.


    Tragi-comédie sociale et politique se déroulant dans le monde équestre, le film montre avec une saine virulence l’opposition de deux mondes, celui de l’aristocratie du monde hippique, des propriétaires à celui modeste et rural d’une jeune femme d’origine paysanne, dotée d’un amour sublime pour les chevaux et d’une obstination sans faille dans son désir de les dresser et de les monter. L’action se situe entre un haras normand et un concours de dressage à Francfort. Joséphine De Silène (Joséphine Balasko), aristocrate, roide et dominatrice mène son petit monde à la baguette : Franz Mann (Bruno Ganz, impérial), ancienne gloire des concours hippiques, l’entraineur du lieu, et les écuyères dont sa propre fille, Alice (Isabel Karajan).

     

    Gracieuse (Marina Hands, sublime), virée du haras où elle travaillait précédemment, arrive, fière et décidée, mais une fois de plus, elle se confronte à la domination de classe, pour travailler dans le haras de Madame De Siléne, elle doit obtenir de son père qu’il cède ses terres à sa patronne. Gracieuse ne supporte pas la bassesse et les concessions, elle ne veut pas se soumettre, elle veut être reconnue pour son talent, elle veut prouver aux yeux de tous et particulièrement à ceux de Franz, qu’elle peut être une écuyère à la hauteur. Elle va dompter le cheval qui fait discorde entre Joséphine et la maitresse de Franz, une riche propriétaire anglaise.

     

    Gracieuse, est une Jeanne d’Arc moderne, une Flibustière révoltée, qui par la force de son travail sa volonté absolue, son impertinence majestueuse, sa grandeur d’âme va imposer l’évidente justesse de son combat. Marina Hands, dans son plus beau rôle au cinéma donne à, ce personnage une dimension princière. Après des jours de travail et d’entrainement en forêt, elle vole un cheval et un van, puis se rend à Francfort dans le but de convaincre Franz qu’elle est une vraie cavalière.

     

    Gracieuse, vêtue de son blouson de cuir rouge, ayant chaussée ses nouvelles et superbes bottes de cuir, têtue, sauvage, froide, un peu rêche, un bandeau vert sur son œil blessé, qui la rend encore plus sensuelle, va dans une scène – véritable climax du film – d’une volupté intense, d’une beauté à couper le souffle prouver qu’elle sait dompter un cheval, et emporter l’adhésion sportive et l’amour d’un entraineur devenu un esclave mais qui vient enfin de décider de se rebeller et de faire un choix de vie courageux. La bande musical signée de John Cale, musicien de génie, ex membre du Velvet Underground ; avive les tensions abruptes de ce film merveilleux que je vous conseille vivement d’aller voir toutes affaires cessantes.

    Jacques Déniel

     

    Sport de filles un film de Patricia Mazuy
    France –2011 – 1h40.

    Interprétation : Marina Hands, Josiane Balasko, Bruno Ganz, Isabel Karajan, Amanda Harlech….