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Une certaine idée du cinéma le blog de Jacques Déniel - Page 4

  • Jeanne du Barry un film de Maïwenn.

    Jeanne du Barry un film de Maïwenn.

     

    Jeanne du Barry de Maïwenn est un beau film, impertinent et respectueux, très éloigné des exubérances du pudding indigeste de Sofia Coppola Marie-Antoinette.

     

    Impertinent vis à vis de l'hypocrisie corsetée des membres de la Noblesse, respectueux par son profond amour de Louis XV, souvent présenté comme un Roi sans grand intérêt, qui pourtant assuma l'ingrate tache de régner durant le siècle des Lumières, dans l’ombre de Louis XIV, le Roi-Soleil. Une éclipse qui masque une personnalité forte et profonde, loin de sa réputation de frivolité.

    Maïwenn s'attache à la force et la sincérité de l'histoire d'amour entre une Mme du Barry, libre, espiègle, drôle, culottée et cultivée et un Louis XV vieillissant et touchant, superbement interprétés par la réalisatrice pétillante et malicieuse (un peu égotiste mais pourquoi pas n'en déplaise aux fâcheux et tristes sires) et Johnny Depp sobre, juste, émouvant. Elle filme Versailles et la cour avec un grand sens de la grandeur de la Royauté et de l'Honneur de la France.

     

    Une œuvre qui fait le portrait non d'une féministe (bah la belle affaire!) mais d'une femme libre dans le monde de la royauté certes scandalisé - surtout par le fait qu’une roturière a été anaoblie, et chosie comme favorite par le souverain - mais bien plus libre que celui qui surviendra après la chute du régime, le monde de la révolution où les dirigeants barbares couperont les têtes du roi Louis XVI, de la Reine Marie-Antoinette, de Madame du Barry, de Jean-Benjamin de La Borde et d'un très grand nombre de citoyens français dont aucun n'avait mérité une telle fin tragique et odieuse.

     

    Maïwenn signe véritable mise en scène classique servie par une photographie lumineuse et mordorée - plusieurs scènes d’intérieur entre Jeanne et le Roi sont éclairées uniquement à la lueur des bougies - orchestrée par le chef-opérateur Laurent Dailland, des cadres secs et ciselés, une interprétation impeccable et retenue de la part de tous les comédiens: Benjamin Lavernhe (excellent dans le rôle du premier valet du Roi, Jean-Benjamin de La Borde), Pierre Richard (Maréchal de Richelieu) , Melville Poupaud (Le Comte du Barry), Diego Le Fur (le Dauphin)... et un magnifique ballet de déplacements de la noblesse, valets et servantes de la cour à Versailles.

     

    Jacques Déniel

     

     

    Jeanne du Barry

    Un film de Maïwenn

    France – 2023 – 1h56

     

    Interprétation : Maïwenn (Jeanne du Barry), Johnny Depp (Louis XV), Benjamin Lavernhe (La Borde), Pierre Richard (Le Duc de Richelieu), Melvil Poupaud (Le Comte du Barry), Pascal Greggory (Le Duc d'Aiguillon), India Hair (Adélaïde)...

  • Invasion un film de de Kiyoshi Kurosawa

    Invasion un film de de Kiyoshi Kurosawa

    L'Amour ne passera jamais

     

    Kiyoshi Kurosawa né au Japon en 1955 est un cinéaste contemporain majeur. Il développe depuis le début des années quatre-vingt au gré de ses films et téléfilms à l'étrange et fascinante beauté (Vaine Illusion, Seance, Kairo, Loft, Shokuzai, Real., Vers l'autre rive...) l'art de la maitrise d'un cinéma fantastique cérébral et métaphysique lié à des expériences narratives et sensorielles d'une grande force formelle et plastique.

     

    Invasion, l'un des plus beaux films de son auteur, réalisé en 2017 est le remake par Kiyoshi Kurosawa de son long métrage précédent Avant que nous disparaissions. Tous deux sont adaptés de la pièce de théâtre Avant que nous disparaissions de Tomohiro Maekawa. Les scénarios sont identiques: préparant une invasion de la planète Terre, des "extraterrestres" se font passer pour des êtres humains afin de mieux comprendre cette espèce qu’ils ne connaissent pas. Reprenant à son compte les principes des films, téléfilms et séries de science fiction et d'anticipation des années cinquante et soixante, consistant à rendre quasi imperceptible le remplacement des humains par une autre espèce, Kiyoshi Kurosawa s'intéresse plus dans sa dernière œuvre à la catastrophe en devenir, la fin de l'humanité quasi certaine et les raisons qui l'ont mené à cette disparition inéluctable, qu'à l'effroi qu'elle peut provoquer sur les êtres humains. La différence est dans le traitement et la mise en scène des deux films. Alors que dans Avant que nous disparaissions, le cinéaste travaillait sur la forme et le suspense que permet le genre, flirtant avec les codes du blockbuster, avec Invasion, superbe film épuré, tendu, noir, il s'attache à restituer la peur de voir la disparition prochaine de l’humanité. Le film est centré autour du couple formé par Etsuko, ouvrière dans l'industrie textile et de son mari Tetsuo aide soignant à l’hôpital de la ville. Etsuko commence à s'apercevoir qu'autour d'elle, le quotidien déraille: son mari semble de plus en plus absent et nerveux, sa collègue de travail, égarée ne reconnaît plus ses proches, son chef devient étrange et maladroit... Tout à commencé par ces légers malaises ressentis qui semble coïncider avec l'arrivée à l’hôpital d'un élégant nouveau chirurgien, le docteur Shiro Makabe... Tenu par une mise en scène rigoureuse, des cadrages acérés, une grande beauté plastique, un jeu d'acteurs sobre et très émouvant, le film mêle avec une intelligence rare les scènes intimistes sur un couple menacé par le délitement et des scènes de catastrophe, minimalistes, montrant le Monde menacé d'Invasion ou plus surement de disparition. Ce n'est pas un hasard si les extraterrestres volent en premier lieu par une brève imposition du doigt sur le front aux humains, le sens de la famille, celui du travail, de la fierté, la force de la vie, le sentiment de peur. Tous, effarés, perdus dans un monde sans amour où les valeurs volées disparaissent, ils tombent en catalepsie. Seule, Etsuko, sorte de Jeanne d'Arc moderne résiste par la force de son amour pour son mari et sa compassion pour les êtres humains. Dans une scène magnifique se déroulant dans l'appartement du jeune couple, elle serre son compagnon dans ses bras et lui dit qu'elle protégera envers et contre tout. Kursosawa reprend un thème crucial dans son cinéma – comme dans Real et Vers l'autre rive – celui de la force et l’invincibilité de l'amour vrai face à toutes les dangers et menaces intérieures ou extérieures. Sentiment qu'il développe à son paroxysme tant l'amour d'Etsuko est à la fois simple et ample. Etsuko est un être exceptionnel, quasi seule, un roc qui possède la force des humbles et la fiabilité de ceux qui croit toujours à la vérité de l'Amour dans un monde dominé par la perte des sens et des valeurs. Cette planète désincarnée dont nous parle Kiyoshi Kurosawa est la nôtre, celle de l'ère de la sur-communication et de nos échecs philosophiques et politiques à concevoir un monde humaniste. Face à la perte des sens (des concepts), la grandeur de l'amour de la jeune Etsuko pour son compagnon laisse peut-être une lueur d'espoir devant l'invasion à venir. L'amour ne passera jamais (1). Il est plus fort que la mort.

     

    Jacques Déniel

     

    Invasion – Japon – 2017 – couleurs - 2h20

    un film de de Kiyoshi Kurosawa

    Interprétation: Kaho (Esuko), Shōta Sometani (Tetsuo), Masahiro Higashide (Dr Makabe), Ren Ōsugi (Nishizaki)...

    Sortie nationale sur les écrans 5 septembre 2018.

     

    (1) L’amour ne passera jamais. Les prophéties seront dépassées, le don des langues cessera, la connaissance actuelle sera dépassée. Saint-Paul: Première lettre de Saint Paul Apôtre aux Corinthiens.

  • D'après une histoire vraie Un film de Roman Polanski

    D'après une histoire vraie Un film de Roman Polanski
    Un très beau film injustement mal aimé
    D'Après une histoire vraie de Roman Polanski est mal aimé et totalement incompris. Le dernier film de Roman Polanski a été très injustement critiqué par de nombreux critiques cinématographiques, journalistes spécialisés et certains intellectuels ainsi que boudé par le public pour de mauvaises raisons polémiques. C'est pourtant une œuvre de toute beauté dont le sujet principal est la mise en scène cinématographique. Avec D'Après une histoire vraie, écrit en collaboration avec le cinéaste Olivier Assayas, adapté du roman homonyme de Delphine de Vigan, Roman Polanski poursuit son travail d'adaptation au cinéma d’œuvres littéraires et théâtrales, commencé avec ses films précédents Carnage et La Vénus à la fourrure, tous deux très réussis et passionnants.

    Il nous conte l'histoire d'une romancière Delphine qui connaît le succès avec une autofiction consacrée à sa mère. Delphine rencontre Elle, une jeune femme intelligente, séduisante et étrange. Angoissée par la réception de lettres anonymes où elle est accusée de se servir de sa famille comme objet littéraire, Delphine se confie à Elle. Une relation ambiguë et inquiétante s'installe alors entre les deux femmes.

    Polanski, avec ce film classique au récit limpide, à la mise en scène d'une maitrise et un brio sans pareilles, nous plonge alors dans une histoire de manipulation, d'altérité, de double maléfique. Il s'installe au fil de ce thriller psychologique et tendu, de ce huis-clos étouffant, une atmosphère d'une inquiétante étrangeté. Le cinéaste s'intéresse bien-sûr au thème du double littéraire rappelant son beau film The Ghostwriter qui traitait du thème du nègre en littérature. Mais, ici le thème de la dualité prend une ampleur vertigineuse. S'agit-il du double de l'écrivain, du personnage du roman qu'elle écrit qui la hante, d'une domination réelle où se jouent des enjeux de pouvoir, de domination et de séduction troubles? Rappelons-nous que Roman Polanski est l'auteur du très drôle et inquiétant film Le Bal des vampires. Le vampirisme est le thème central et prégnant du film. Delphine perdue, en manque d'inspiration, en quête d'identité est littéralement vampirisée par Elle, à la fois être réel et personnage de l'histoire en cours d'écriture de la romancière. La confusion entre réalité et fiction s'installent avec une rapidité déroutante, nous percevons ici, l'apport d'Olivier Assayas que ce thème de la confusion du monde réel et des mondes fictionnels intéresse (Sils Maria en était une parfaite illustration). Polanski avec une subtile habileté nous perd, provoque chez le spectateur la suspicion, le doute, l’angoisse, de la fascination aussi. Nous passons sans cesse de la peur au rire nerveux. La perversité cruelle et la duplicité des deux femmes y contribuent grandement donnant au film une noirceur et une cruauté féminine féroce rappelant Passion de Brian de Palma. La présence des forces du mal, des ténèbres, du diable hante l'œuvre du cinéaste polonais, d'origine juive, né en 1933, marqué par ses années d'enfance à se cacher et à tromper la vigilance allemande dans le ghetto de Cracovie (sa mère est morte à Auschwitz). Il continue avec une maîtrise impressionnante à développer son étude des comportements humains et sa capacité à transcrire à l'écran des mécanismes d'ordres romanesques ou théâtrales. Son sens du suspense, de la restitution à l'écran de situations ambivalentes et dérangeantes font de ce beau film, une œuvre qui retrouve les caractères anxiogènes et oppressants de Cul-de-sac, Rosemary's Baby ou Le Locataire.

    C'est aussi une critique d'une méchanceté réjouissante du milieu littéraire et des romans d'autofictions. Au travers des quelques scènes de cocktails et de signatures de livres Polanski croque à grands traits, une galerie de personnages vaniteux et suffisants (attachées de presse, agents et journalistes littéraires, éditeurs..).

    Le film est interprété par deux comédiennes fantastiques Emmanuelle Seigner dans le rôle de la romancière et Eva Green dans celui de Elle la séductrice perverse. Dans son rôle de Delphine Dayrieux, l'écrivain à succès, Emmanuelle Seigner, souvent vêtue d'un pull marin, un caban et une grande écharpe rouge, fait étrangement penser à la cinéaste Catherine Breillat qui avait été manipulée, vampirisée par l'escroc Christophe Rocancour. Les apparitions de Dominique Pinon, Brigitte Rouan et Josée Dayan dans seconds rôles comiques sont très plaisantes et cocasses. Le format du Cinémascope, un cadre acéré, la lumière profonde et sensuelle du chef opérateur Pawel Edelman ainsi que la superbe partition musicale d'Alexandre Desplat participent pleinement à la réussite de ce film. A voir absolument dans cette époque où l'acharnement féministe voudrait imposer la censure de son œuvre.

    Jacques Déniel

    D'après une histoire vraie - un film de Roman Polanski, adapté du roman homonyme de Delphine Le Vigan – Interprétation: Emmanuelle Seigner, Eva Green, Vincent Perez, Dominique Pinon, Brigitte Rouan, Josée Dayan France /Pologne 2017 – 1h40 Sortie DVD et BLU RAY Studiocanal (sortie le 6 mars 2018)

  • Fairytale un film d'Alexandre Sokourov

    Fairytale un film d'Alexandre Sokourov

     

    Très esthétique et étrange film politique du cinéaste Russe, Alexandre Sokourov.

     

    Fairytale le nouveau film d'Alexandre Sokourov très grand cinéaste russe, auteur de plusieurs très beaux films (Elégie paysanne, Le Jour de l'éclipse, Sauve et protège, Pages cachées, Mère et fils, Père et fils, L'Arche Russe, Alexandra, Faust, Francofonia... ) est une expérience de cinéma radical, esthétique et politique. Un film virulent et cru sur trois dictateurs et un démocrate de l'histoire mondiale.

     

    Décors fantastiques et sublimes au crayon, fusain..., Ce sont des images d'archives provenant de photographies et de films retravaillées numériquement dans un noir et blanc charbonneux, ténébreux, profond. Le cinéaste met en scène, via ces images, Hitler, Staline, Mussolini et Churchill au purgatoire. Les personnages sont incrustés dans les gravures noires et blanches, chargées, suffocantes. Il s'agit de dessins de Giovanni Battista Piranesi dit Piranèse, graveur et architecte Italien et de Hubert Robert, peintre et graveur Français, tous deux artistes importants du 19ème siècle.

     

    Hitler, Staline, Mussolini et Churchill, quatre des grands dirigeants de la Seconde Guerre mondiale circulent, déambulent, assènent leurs vérités. Ils errent, perdus, hagards et menaçants à la foi, dans le purgatoire où ils ressassent leurs obsessions et fantasmes politiques, leurs actions et faits de guerre passés, leurs regrets de n'avoir pas fait triompher leur idéologie mortifère, de n'avoir pas asservi ou détruit tous les pays envahis... Ils attendent de connaître la réponse de Dieu. Va-t'il les accueillir, leur ouvrir les portes du Paradis?

     

    Hitler, Staline, Mussolini et Churchill sont reconnaissables par leurs gestes caractéristiques, leurs postures, leurs propos idéologiques. Sokourov, cinéaste auteur de fictions et de documentaires, revient ici sur les tyrans dont il a déjà parlé dans Moloch, Taurus, Le Soleil (fictions sur Hitler, Staline et Hiro-Hito), il accomplit un travail plastique précis, maniaque, singulier. Le film, bien loin du conte de fées du titre ironique, est une fable, une farce noire et tragique.

     

    Les décors de Piranèse et de Robert, représentent de grands paysages touchant à l'abstraction: roches, collines, précipices, portes, banquises. Par leurs noirceurs et leurs inquiétantes étrangetés ces illustrations de fonds alliés aux sons assourdissants et obsédants créent une atmosphère étouffante et anxiogène. Cependant le film par son côté irrévérencieux pour les quatre personnages en fait des caricatures qui marmonnement et éructent dans leurs propres langues des insultes, des horreurs, des provocations. Hitler, Staline et Mussolini égocentriques et obscènes sont des salauds au service du Mal. Churchill, parfois hautain, trouvera grâce auprès de Dieu pour gagner le Paradis auprès des braves gens et des justes et de Napoléon Bonaparte, objet de l'admiration de Alexandre Sokourov. Jésus semble étrangement attendre de l'aide de la part de Dieu, son père. Le film, pure splendeur esthétique est quelque peu trouble du point de vue métaphysique et politique.

    Nous ne savons pas trop où veut nous mener le cinéaste sinon qu'il voue aux gémonies et rejette dans la géhenne les tyrans. Sans doute vaut-il voir dans le film une adresse à Poutine qui pourrait rejoindre dans l'Enfer du Mal les salauds du 20ème siècle mais rien ne permet de l'affirmer avec certitude.

     

    Jacques Déniel



    Fairytale un film d'Alexandre Sokourov (2022)

    Production: Russie et Belgique – 1h18 – V.O.S.T.F.

    Film expérimental et historique

    En salles de cinéma depuis le 10 mai 2023

  • L'Amitié un film d'Alain Cavalier

    L'Amitié un film d'Alain Cavalier



    J’ai intensément partagé le travail cinématographique avec certains, jusqu’à une amitié toujours vive. Filmer aujourd’hui ce lien sentimental est un plaisir sans nostalgie. Nos vies croisées nous permettent cette simplicité rapide de ceux qui ne se racontent pas d’histoires, qui savent être devant ou derrière la caméra, dans un ensemble de dons et d’abandon au film. Alain Cavalier

    C'est toujours un immense plaisir de voir et revoir les films de cet extraordinaire cinéaste Français et de découvrir son nouveau, L'Amitié, qui est une perle cinématographique. C'est l’œuvre d'un homme libre, un résistant qui dans une époque où le cinéma français se perd dans la complaisance et un progressisme de mauvais aloi, aggravés par la sur-budgétisation amorale des films, continue de faire front et de nous montrer des films libres et beaux.

     

    Alain Cavalier filme depuis le début des années soixante, il a réalisé dès le commencement de sa carrière de cinéaste des superbes films produits de manière classique, Le Combat dans l'ile (1962), avec Jean-Louis Trintignant, L'Insoumis (1964) avec Alain Delon, La Chamade (1968)... avec Catherine Deneuve et Michel Piccoli... puis Thérèse (1986), chef-d’œuvre montrant avec une grande simplicité la force d'âme de la petite Sainte de Lisieux, qui obtint un grand succès critique et populaire. Mal à son aise dans le milieu cinématographique français, il décide de tourner avec une caméra légère et des moyens financiers modestes des films indépendants et libres: Libera me (1993), La Rencontre (1996), Le Filmeur (2004), Irène (2009), Pater (2011), Le Caravage (2015), Être vivant et le savoir (2019)...

     

    Dans L’Amitié, Alain Cavalier filme ses amis, Boris Bergman, parolier de France Gall, Juliette Gréco, Alain Bashung..., Maurice Bernart, producteur de cinéma qui a produit son long-métrage Thérèse et le coursier Thierry Labelle qui fut acteur dans Libera me.

     

    Il s’invite et nous invite chez ses amis, trois personnes de milieu et de caractère très différent, il nous fait rencontrer leurs femmes, filme leurs échanges, partage des repas simples et appétissants avec eux, filme leurs cadres de vie et les objets qui les entourent.

     

    Il sait capter avec la belle énergie et la méticulosité joyeuse et enfantine qui l'animent, la grâce et la fragilité des visages, l'importance et la beauté des choses, des mots, du verbe, de la musicalité de la langue aux tonalités diverses de ces êtres qui sont tous dans un rapport de grande confiance, de tendresse, d’attention et d'échanges avec lui.

     

    Dans ce film les gens chantent, fument, mangent, boivent du bon vin, parlent de musique, de cinéma, de littérature, de la vie facile ou difficile, cabossée parfois mais toujours digne, la vie des gens Debout. Alain Cavalier filme le temps qui passe, un monde qui disparait, il nous offre une trace ferme et solide de ce monde, de ces êtres humains pleins de chaleur et d'humanité.

     

    Il montre avec une grande douceur et un sens rigoureux de l'écoute cet émerveillement de la vie qui nous donne la force de vivre et d'aimer. L'amitié est grande et l'amour est proche. Le cinéaste avec discrétion et tact demande à chacun de ces trois couples comment ils se sont rencontrés. Leur rencontre est forte et originale et célèbre la grandeur de l'amour qui dure et persiste. L'Amitié est un très grand film humain et politique qui nous touche au plus profond de notre âme.

     

    Jacques Déniel



    L'Amitié un film d'Alain Cavalier

    Montage: François Widhoff

    France – 2022 – 2h04

    Avec: Boris Begman et Maurice Bernart, Thierry Labelle....

    sortie sur les écrans de cinéma mercredi 26 avril 2023

  • Esterno Notte (2022) une série de Marco Bellocchio

    Esterno Notte (2022) une série de Marco Bellocchio

    Vous avez des gueules de fils à papa.

    Je vous hais, comme je hais vos papas.

    Bonne race ne ment pas.

    Vous avez le même œil méchant.

    Vous êtes craintifs, incertains, désespérés

    (très bien !) mais vous savez aussi comment être tyranniques, des maîtres chanteurs sûrs et effrontés :

    là, ce sont des prérogatives petites-bourgeoises, chers.

    Pier-Paolo Pasolini.

    Après ses excellents films, Le Traître (Il traditore - 2019) ,qui relate l'histoire de Tommaso Buscetta dont les révélations ont permis au juge Falcone de lutter contre la Cosa Nostra, et Buongiorno Notte (2003), film austère sur l'enlèvement d'Aldo Moro, le cinéaste revient sur l'enlèvement le 16 mars 1978 et l'assassinat 55 jours plus tard, le 9 mai 1978 d'Aldo Moro, Président de la Démocratie Chrétienne du 11 octobre 1976 au 9 mai 1978. Le film nous montre le traumatisme et le poison que cet évènement, fait marquant des années soixante-dix en Italie et dans le Monde, point d'orgue de la terreur instaurée durant ces années de plomb par les Brigades Rouges qui menaient une véritable guerre contre la Nation Italienne, l’État et la Démocratie Chrétienne par la violence de leurs attentats et assassinats, va distiller dans le pays.

    Il s'agit d'un film très personnel, d'une fiction artistique où Marco Bellocchio invente des faits n'ayant pas existé, prend des libertés avec le réel et la Vérité. Deux scènes entre-autres sont révélatrices de certains choix de mise en scène très contestables du cinéaste: celle ouvrant le troisième épisode centré autour du Pape Paul VI et la scène de la confession d'Aldo Moro par un jeune prêtre avant son exécution par les terroristes dans le quatrième chapitre.

    La première nous montre lors du procès des chefs historiques des Brigades Rouges en 1978, une série d'échanges verbaux rudes et idéologiques entre les magistrats et les prisonniers jugés qui demandent à quitter l'audience au nom de la révolution. Ce qui leur est accordé pour ramener un peu de sérénité. Seul trois brigadistes restent face aux juges pour observer la lutte contre révolutionnaire du Pouvoir disent-ils. A ce moment précis, dans la salle du tribunal retentit a cappella, L'Internationale, le chant des révolutionnaires violents, puis le cinéaste rajoute une partition musicale du chant d'un lyrisme grandiose pouvant porter à confusion, donnant l’impression d'une éventuelle admiration épique de la cause brigadiste.

    La seconde proprement scandaleuse par son procédé (scène inventée et pas crédible de la part des terroristes, le secret de la confession violée une représentation impossible dans un film mettant en scène des personnages réels....) nous montre Aldo Moro se confessant et accusant ses amis de la Démocratie Chrétienne de toutes les lâchetés possibles. Le cinéaste se sert de cette scène pour affirmer son jugement sans appel sur la D.C. Certes, aucun doute, les responsables de La Démocratie Chrétienne ont lâché Aldo Moro - dans ses lettres nombreuses et publiées (1), Aldo Moro le dit clairement - mais assurément les assassins barbares du Président sont les Brigades Rouges.

    D'autres scènes sont grotesques comme celle montrant les visions de Paul VI voyant Aldo Moro porter sa Croix le jour de Pâques, où celles montrant les hallucinations psychotiques du Ministre de l'Intérieur, Francesco Cossiga - interprété par Fausto Russo Alesi qui surjoue son anormalité affichée par d’improbables roulements d'yeux et autres gesticulations hystériques lorsque par exemple, il voit la carte de Rome avec des dizaines de petits drapeaux italiens saignants. Ridicules aussi, les échanges stratégiques de ce dernier avec un conseiller américain tout droit sorti d'une fiction hollywoodienne.

    Malgré ces partis pris et un certain nombre de lourdeurs dues aux interprétations et visions psychanalytiques de Bellocchio, à sa représentation caricaturale de l’Église Catholique, à la trop grande présence d'une musique opératique et d'un lyrisme malaisant sur-soulignant les faits et actions de cette affaire, aux lumières bien trop verdâtres du chef opérateur Francesco Di Giacomo, cette œuvre passionnante a le mérite de revenir sur ce traumatisme terrible des années soixante-dix. Elle est servie par des comédiens de très grand talent, tout particulièrement Fabrizio Guifuni qui interprète Aldo Moro avec beaucoup de sobriété et de grande douceur, Margherita Buy impeccable comme toujours dans le rôle de Eleonora Moro et Lorenzo Gioielli parfait dans celui d'Enrico Berlinguer, Secrétaire Général du Parti Communiste Italien. Les brigadistes sont aussi représentés avec beaucoup de justesse grâce aux interprétations retenues des comédiens Daniela Marra (Adriana Faranda), Gabriel Montesi (Valerio Morucci), Davide Mancini (Mario Moretti). Dans le très réussi cinquième épisode, ils sont glaçants, froid, impénétrables, d'ignominieux terroristes petits bourgeois.

    Les deux épisodes les plus convaincants sont le premier centré sur Aldo Moro et le cinquième sur son épouse Eleonora Moro. Nous y voyons deux êtres qui ont le sens de l’État, des responsabilités morales familiales et religieuses, de la dignité et de l'amour, celui des hommes et celui encore plus exigeant du Christ. Ils ne trichent pas avec la Vérité. La recherche de la Vérité, c'est justement ce qui manque le plus dans cette vision de l'Italie des années de plomb par Marco Bellocchio. Le temps est donc venu de relire l'excellent livre L'Affaire Moro de Léonardo Sciascia (2).

    Jacques Déniel

    (1) Mon sang retombera sur vous : Lettres retrouvées d'un otage sacrifié, mars-mai 1978 aux Éditions Taillandier (2005).

    (2) L'Affaire Moro de Léonardo Sciascia Les Cahiers rouges, Grasset (2008)

    Esterno notte de Marco Bellocchio

    Italie – 2022 – Mini série en six chapitres de 58 minutes V.O.S.T.F. ou V.F. Interprétation: Fabrizio Gifuni, Margherita Buy, Toni Servillo, Fausto Russo Alesi, Daniela Marra, Gabriel Montesi, Davide Mancini...

    Visible sur ARTE.TV du 08/03/2023 au 12/07/2023