Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Une certaine idée du cinéma le blog de Jacques Déniel - Page 2

  • Le Professeur de Valerio Zurlini

    « Le Professeur »: un mélodrame austère et désespéré

    par Jacques Déniel - 19 décembre 2020

     

    Quand Valerio Zurlini donnait son plus beau rôle à Delon.

     

    Je n’avais pas revu Le Professeur depuis sa sortie en salle sur les écrans en 1972. J’avais alors 19 ans et j’avais été profondément bouleversé par le désespoir profond qui irradie ce film aux splendides couleurs hivernales et par le talent de son acteur principal, Alain Delon, inoubliable en professeur de lettres en proie au spleen. Vêtu de son éternel pardessus beige, fatigué, blafard, mal rasé, il hante les rues et les quais de Rimini toujours filmée, par Zurlini et son chef-opérateur Dario di Palma, grise et défaite, sous la brume, les pluies diluviennes, la tempête. Une tempête qui ravage le cœur et l’âme de Daniele Dominici (Alain Delon) et de Vanina Abati (Sonia Petrovna), l’une de ses élèves dont il va s’éprendre éperdument.

     

    Retrouver un cinéaste méconnu

    Cinéaste sensible, partagé entre l’exaltation et le désespoir, Valerio Zurlini (1926-1982) reste de nos jours bien trop méconnu, comme éclipsé par la richesse du cinéma italien des années cinquante, soixante et soixante-dix. Son œuvre est traversée par deux grands courants, la guerre, son contexte politique et social et les accents intimistes, psychologiques, qui décrivent l’âme d’individus en perte de repères. Il est l’auteur de nombreux très grands films à redécouvrir de toute urgence: Les Jeunes Filles de San Frediano (Le ragazze di San Frediano 1955), Été violent (Estate violenta 1959), La Fille à la valise (La ragazza con la valigia 1961), Journal intime (Cronaca familiare 1962), Le Professeur (La prima notte di quiete 1972), Le Désert des Tartares (Il deserto dei Tartari 1976).

     

    Dans Le Professeur, Daniele Dominici arrive au lycée de Rimini en Émilie-Romagne comme remplaçant d’un enseignant malade. Peu inspiré par son métier, il fréquente le soir des parties de poker au cours desquelles il perd sans émotion son argent et se fait quelques amis louches. Il est de fait séparé de sa femme (Lea Massari) même s’il vit toujours avec elle. Riches, oisifs, contestataires de pacotille, ses élèves l’ennuient (ceux que détestait tant Pier Paolo Pasolini), exceptée Vanina, une jeune fille qui éveille son intérêt par sa beauté, son prénom rappelant le titre d’une nouvelle de Stendhal Vanina Vanini, et surtout par la faille qu’il décèle en elle.

     

    Désœuvrement d’une bourgeoisie balnéaire

    Plongés dans l’esprit des années soixante-dix et son absence de questionnement moral sur les pensées, paroles et actions que les êtres humains peuvent avoir, dire ou faire, Daniele et Vanina deux êtres rongés par les faits, comportements et blessures de leur passé vont se reconnaître et s’aimer. Malheureusement, il est déjà trop tard pour eux. Consommés par la mélancolie, le spleen et la souffrance, ils ne peuvent que subir la violence de la fange qui les entoure. Rimini est le théâtre de l’ennui existentiel et du désœuvrement d’une bourgeoisie de parvenus qui tente de conjurer ce mauvais sort grâce à divers divertissements de dépravés mêlant jeux d’argent, sexe, alcool, drogue et violence.

     

    Entre nihilisme et rédemption

    Les deux acteurs principaux, Alain Delon, épuisé, fragile, vulnérable, vivant dans l’inconsolable souvenir de sa cousine suicidée et Sonia Petrovna, poignante jeune fille dans le regard de laquelle se mêle virginité, innocence et une immense lassitude due aux flétrissures et bassesses de celle qui a trop vu et accepté d’être salie et maltraitée, sont formidables.

     

    Nihiliste, armé d’une grande exigence spirituelle, Daniele essaye de résister et de sauver Vanina. Au cœur de ce film ténébreux où la circulation du mal et de l’argent salit les êtres, Valerio Zurlini allume les feux de la beauté qui pourrait sauver les âmes. Lors de cette séquence lumineuse tournée dans l’église Santa Maria di Momentana près de Monterchi, où Piero della Francesca peignit la Madonna del Parto, Daniele Dominici tente de chercher un espoir face au monde te qu’il ne va pas.

     

    Une issue reste pourtant possible dans l’amour des livres, de la peinture de la création rédemptrice. Pour Zurlini, l’art et le cinéma sont un moyen de nous sauver de la souillure et du désespoir, de retrouver le chemin de la beauté et de la pureté perdues, de l’amour véritable. Cet amour qui arrive trop tard pour les deux amants brisés.

     

    Le Professeur (La Prima notte di quiete) de Valerio Zurlini

    Italie/France – 1972 – 2h12 - V.O.S.T.F.

    Interprétation: Alain Delon, Sonia Petrovna Lea Massari, Giancarlo Giannini, Renato Salvatori, Alida Valli...

  • Sous le soleil de Satan, un film de Maurice Pialat

    Sous le soleil de Satan, un film de Maurice Pialat

    Dans la grâce de Dieu



    « La Sainteté ! » s’écrie Menou-Segrais, « en prononçant ce mot devant vous, pour vous seul, je sais le mal que je vous fais ! Vous n’ignorez pas ce qu’elle est : une vocation, un appel. Là où Dieu vous attend, il vous faudra monter, monter ou vous perdre» Georges Bernanos



    Sous le soleil de Satan est le film le plus controversé de son auteur, hué, lorsqu'il reçut à juste titre la Palme d'or au Festival du film de Cannes en 1987, par la foule incrédule et inculte. Maurice Pialat, hanté par le chef d'œuvre de Georges Bernanos tourne une adaptation personnelle et libre. Il a cette intuition qu'un roman dont l'histoire est située à la fin du dix neuvième siècle fortement marqué par les idées sur la «mort de Dieu» peut être un film essentiel dans notre vingtième siècle, celui de la montée en puissance de son rival de toute éternité, Satan.

    Il simplifie le roman en supprimant certains chapitres et personnages tout en gardant la succession des évènements dramatiques: le meurtre de Cadignan, le rejet de Mouchette par le député Gallet, la rencontre de l'abbé Donissan avec le diable, puis avec Mouchette, le suicide de Mouchette, le Miracle de l'enfant ressuscité et la mort de Donissan.

    Dans notre Monde déchristianisé en proie au chaos, le cinéaste agnostique nous livre une version d'une grande force métaphysique et spirituelle de l'œuvre de Bernanos (1). Il prend le roman à bras le corps et le transpose en une succession de blocs erratiques, fulgurants, incandescents, telluriques. Par la science de sa mise en scène somptueuse, les cadres précis et tranchants de Jacques Loiseleux, la beauté picturale des lumières sombres et nocturnes du chef opérateur Willy Kurant, le montage abrupt de Yann Dedet et servi par des acteurs exceptionnels, il compose à la manière d'un peintre (2) un sublime portrait de l’abbé Donissan - Gérard Depardieu, inoubliable, humble, incarne ce jeune prêtre – face aux puissances des ténèbres.

    Dirigé par Menou-Segrais (Maurice Pialat, impeccable), son curé, un maître de conscience sûr de sa force et de son influence, le jeune abbé semble désorienté, en proie aux doutes et aux excès (flagellations, oraisons emportés...). Mais, très vite le Doyen de Campagne-en-Artois comprend que son jeune protégé possède une flamme intérieure intense et que c'est un homme et prêtre de grande valeur dont la vie physique et spirituelle est en prise avec le combat du Bien contre le Mal, à l'affrontement de Dieu contre Satan.

    Le premier lieu de ce combat est la paroisse de Campagne-en-Artois, où Donissan, lorsqu'il se rend à Étaples pour aider le curé de la paroisse, se perd de nuit dans une nature sauvage, sous un ciel plombé, les pieds s'enfonçant dans une terre lourde et boueuse qui colle aux souliers, et affronte Satan caché sous la figure du maquignon (Jean-Christophe Bouvet maléfique à souhait). Après un âpre combat, il le rejette - retire toi Satan. Puis, ayant reçu de Dieu – même si le doute le taraude – la grâce de voir aux tréfonds des âmes, il tente d’arracher Mouchette (Sandrine Bonnaire, possédée, émouvante) à Satan afin de la rendre à Dieu.



    Des années plus tard, c'est dans la paroisse de Lumbres où il a été nommé curé, que le chemin de croix, le parcours de sainteté de Donissan se termine. Son deuxième combat contre le Malin est resserré sur une seule journée, la dernière de la vie du prêtre. Dans le désespoir, le seul guide du jeune abbé est sa lumière intérieure. Cerné des ténèbres, dans un monde de désolations, il va faire preuve de courage malgré ses doutes et use de ressources profondes et d'une Foi ardente face au drame de la mort d'un enfant afin de le rendre, dans une scène inouïe de beauté, à la vie intense auprès de notre Seigneur. Maurice Pialat comme Georges Bernanos nous rappelle que Dieu est en nous.

    Dans la grâce de Dieu, l'abbé Donissan, le Saint de Lumbres, est un homme qui vit l'imitation du Christ et dont l'immense charité, celle de l'amour sans condition pour l'être aimé et unique, le Christ, le conduit à donner sa vie pour lui et le salut des âmes.



    Jacques Déniel



    (1)Maurice Pialat a précisément eu l’ambition de fournir aux spectateurs une clé possible – celle d’un agnostique – à la lecture de Bernanos.

    (2) Maurice Pialat fut peintre avant de devenir cinéaste. Inscrit aux Arts décoratifs en octobre 1942, il suivit des cours de dessin et de peinture pendant quatre années, tout en commençant à exposer dans des salons ouverts à de jeunes peintres. Dès 1946, il abandonne la peinture pour se consacrer au théâtre, avant de réaliser ses premiers courts métrages.



    Sous le soleil de Satan, Maurice Pialat – France – 1987 – 1h43

    Palme d'Or Festival du film Cannes 1987

    Interprétation: Gérard Depardieu (Donissan), Sandrine Bonnaire (Germaine Malhorty, dite Mouchette), Maurice Pialat (Menou-Segrais), Alain Artur (Cadignan), Yann Dedet (Gallet), Jean-Christophe Bouvet (Le maquignon/Satan)...

     

  • Pas de vagues de Teddy Lussi-Modeste.

    Pas de vagues de Teddy Lussi-Modeste.
     
    Un très mauvais film révélateur de l'état catastrophique du cinéma Français.
     
    Julien Keller est un jeune professeur naïf bienveillant, inexpérimenté et homosexuel (le film insiste lourdement sur ce fait). Il enseigne le Français en quatrième au collège Paul Eluard interprétant avec ses élèves, de manière fort maladroite, un poème célèbre de Ronsard, Mignonne, allons voir si la rose.
    S'ensuit des accusations de séduction de sa part par une élève Leslie. Très vite son frère, Steve, jeune voyou déluré menace le professeur. Ses collègues le défendent mais le proviseur donne le La: Pas de vagues!
     
    La presse quasi unanime défend ce film assez ignominieux qui renverse toutes les valeurs et nous mène en bateau. Pas de hussards noirs. Pas de laïcité en danger. Pas de réel pédagogique ni sociologique. Juste un film extrêmement bien pensant qui renverse (au nom de l'adaptation d'une histoire vraie ce qui n'est jamais le garant du réel ni de la justesse de ton d'une œuvre de cinéma) le réel contemporain de l'école (celle de Samuel Paty et Dominique Bernard) pour nous montrer le comportement inqualifiable de petites et petits blancs de la France périphérique et des quartiers en souffrance.
    Nous sommes à des années lumières de l'école des hussards de la république celle de monsieur Germain, l'instituteur d'Albert Camus. Nous sommes ici dans une école de la bienveillance cinématographique, de la fiction sur-scénarisée. Dans l'école du professeur François Bégaudeau, l'enseignant idéologue du film de Laurent Cantet Entre les murs. Sans aucun doute avec ce film sans réel vague, le cinéaste pourra rejoindre la grande famille progressiste du cinéma français. Un mauvais film lourd à la mise en scène pesante et peu inspirée.
     
    Jacques Déniel
     
    Pas de vagues un film de Teddy Lussi-Modeste
    France - 2023 - 1h32
    François Civil, Shaïn Boumedine, Bakary Kebe....
     

  • Amal, un esprit libre" de Jawad Rhalib.

    Amal, un esprit libre" de Jawad Rhalib.
     
    "Amal un esprit libre" est un grand film politique sincère, courageux et d'une grande justesse de ton. Superbement mis en scène par Jawad Rhalib dont les cadres ciselés, les mouvements de caméra précis et la direction d'acteurs tous excellents, tout particulièrement l'impressionnante Lubna Azabal qui joue le rôle de l'enseignante passionnée.
     
    Bruxelles, un lycée public en 2023. Face à l'étroitesse d'esprit de ces élèves immigrés pour la plupart qui ont pris à partie Monia une élève désignée arbitrairement comme sale lesbienne. Amal veut transmettre à ses élèves, dont certains radicalisés par le biais de l'enseignant de religion du lycée (1) Nabil, un belge converti et fanatique impeccablement campé par Fabrizio Rongione, la beauté de la poésie, l'indépendance d'esprit et de pensée en étudiant Victor Hugo et en leur faisant lire les beaux poèmes d'Abû Nuwas, poète croyant de langue arabe du califat abasside (2) qui à travers ses textes chante le goût des beaux garçons, du libertinage, du vin et de la liberté ce qui est insupportable pour tous les fanatisés d'Allah.
     
    Tout cela va très mal se terminé au pays des frites, de la bière et du cyclisme, le pays de Magritte, de Brel, d'Adamo... L'affaire est grave terrifiante, insoutenable. Il est grand "de dire ce que l'on voit et surtout de voir ce que l'on voit" comme le disait Charles Péguy.
    Un film magnifique, tragique et crucial. A voir absolument!
     
    Jacques Déniel
     
    (1) Les cours de religion sont obligatoires dans les écoles publiques belges. Il serait question de les rendre facultatifs à la rentrée 2024.)
    (2) califat sunnite qui gouverne une large partie du monde musulman de 750 à 1258.
     
    Amal, un esprit libre" de Jawad Rhalib
    Belgique - 2023 - 1h51
    Interprétation:  Lubna Azabal, Fabrizio Rongione, Catherine Salée, Kenza Benbouchta, Ethelle Gonzalez-Lardued, Johan Heldenberg, Babetida Sadjo, Mehdy Khachachi 
     

  • Une vie cachée de Terrence Malick

    Une vie cachée de Terrence Malick

    Le chemin de sainteté

    Même si j'écris avec les mains enchaînées, cela vaut mieux que d'avoir ma volonté enchaînée. Parfois, Dieu se manifeste en donnant sa force à ceux qui l'aiment et ne placent pas les choses terrestres au-dessus des réalités éternelles. Ni le cachot, ni les chaînes, ni même la mort ne peuvent séparer quelqu'un de l'amour de Dieu, lui ravir sa foi et sa volonté libre. La puissance de Dieu est invincible Franz Jägerstätter (Août 1943. Dans la prison militaire de Berlin-Tegel).

    Une vie cachée de Terrence Malick est un chef-d'œuvre et d'ores et déjà un film essentiel de l'histoire du cinéma. L'action se déroule à Sankt-Radegunde (Sainte-Radegonde) dans la montagne Autrichienne, près de Linz et Salzbourg, et Berlin entre 1939 et 1943.

    Auteur des très beaux La Balade sauvage (1973), Les Moissons du ciel (1978), La Ligne rouge (1998), Le Nouveau Monde (2005), Terrence Malick avait choisi une voie esthétique souvent mal comprise dans ces derniers films: Tree of Life (2011), A la merveille (2012) ... Libre et inventif, le cinéaste s'était affranchi des règles du récit afin de travailler ses recherches esthétiques et spirituelles et de nous livrer un cinéma contemplatif, poétique, métaphysique, théologique prenant parfois la forme du psaume ou de la prière.

    Grâce à sa longue pause entre 1978 et 1998, période ou il a voyager dans plusieurs pays, penser le monde qui l'entoure, grâce à ses interrogations sur la forme au cinéma, à la force de sa réflexion philosophique, politique, spirituelle et artistique, Terrence Malick revient avec ce long-métrage à la narration classique servie par une maitrise essentielle de la mise en scène: forme, cadre, lumière, picturalité, occupation de l'espace, déroulement du temps, jeu des comédiens.

    Le film est inspiré de l'histoire réelle de Franz Jägerstätter, un paysan autrichien qui refuse de se battre aux côtés des nazis, de prêter allégeance au führer. Ils furent des exceptions, ceux qui résistèrent en Autriche et en Allemagne, à Hitler et au nazisme. Faire ce choix entrainait inexorablement la peine de mort. En Allemagne, il y eut Sophie et Hans Scholl et leurs compagnons de la Rose Blanche. En Autriche, Franz Jägerstätter, un paysan du village de Sainte-Radegonde mena un parcours exemplaire de résistance. Reconnu coupable de trahison par le régime hitlérien, il est emprisonné, condamné à mort et guillotiné le 9 août 1943. (En juin 2007, le pape Benoît XVI autorise la Congrégation pour la cause des saints à publier un décret reconnaissant Jägerstätter comme martyr. Celui-ci a été béatifié à la cathédrale de Linz).

    Une vie cachée nous conte l’histoire de cet homme héroïque et méconnu (1). Le film débute par un plan noir où l'on entend le bruissement de la nature et le chant de oiseaux (une voix off, celle de Franz dit sa foi en une vie simple et heureuse). Il est interrompu abruptement par le vrombissement d'un avion, des images en noir et blanc nous montrent celui du Führer, Adolf Hitler, survolant le pays, se rendant à Nuremberg en 1934 au congrès du parti (NSDAP(2) et des plans de la démonstration de force nazi lors de la parade (images extraites du Triomphe de la volonté, le film de propagande tourné par Leni Riefenstahl). Le mal irrémédiable est présent.

    Nous retrouvons Franz et Fani travaillant dans les champs, entourés par une nature à la beauté paradisiaque, mais nous savons que le Malin vient d'entrer en action et que cette famille va souffrir. C'est l’Anschluss, les paysans du village acceptent tous cette situation comme leur maire, leur gouvernement leur Eglise. Seul Franz, soutenu par sa famille va refuser de se soumettre. Porté par sa foi inébranlable et par son amour pour sa femme, Fani, et ses trois filles, il reste un homme libre. Malick filme le temps et les saisons, la magnificence sauvage de la nature, la majesté du travail, la beauté de l'amour conjugal, la résistance ferme et sereine de Franz, l'amour des siens et le soutien de rares habitants (le boulanger, le peintre, le curé de la paroisse très timidement), mais aussi la lâcheté et la haine des villageois qui ne comprennent pas le caractère profond et juste de son refus.



    Tous les comédiens du film sont excellents, tout particulièrement August Diehl (Franz Jägerstätter), Valérie Pachner (Franziska dite Fani, la femme de Franz) et Maria Simon (Resie, la sœur de Fani) mais aussi Tobias Moretti, le curé, Bruno Ganz, le procureur militaire lors du procès de Franz qui comprenant que cet homme a raison ne peut l'accepter, et le livre à la mort comme le fait Ponce Pilate avec Jésus.

    Terrence Malick, par l'ampleur de sa mise en scène, la rigueur absolu de ses plans, filmés au grand angle, la splendeur picturale de la lumière de son film rappelant la peinture de Millet, Friedrich, Le Caravage et Rembrandt, fait une œuvre essentielle où il prend son temps pour déployer le parcours d’un homme qui avait tout pour être heureux mais qui a choisi de résister au mal, à l'antéchrist, au diable. Un scandale pour la plupart de ceux qui le côtoient. Franz Jägerstätter, homme simple, est un saint. Une vie cachée est une pure splendeur, une ode à la création, à la beauté de la nature, une œuvre d'amour et d'épiphanie, un grand film catholique, une allégorie christique. Franz, éclairé par l'Esprit Saint et la force de son amour pour le christ a pris le chemin de la sainteté.



    Jacques Déniel



    1 Ses lettres ont été publiées Être Catholique ou Nazi de Franz Jägerstätter Éditions Bayard).

    et un film documentaire Der Fall Jägerstätter réalisé par Axel Corti (auteur de la formidable Trilogie Welcome in Vienna).

    2 Parti national-socialiste des travailleurs allemands (en allemand : Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei).

     

    Une vie cachée de Terrence Malick – États-Unis – 2019 – 2h53 – scope – couleurs

    Interprétation: August Diehl, Valérie Pachner,et Maria Simon, Tobias Moretti, Bruno Ganz, Matthias Schoenaerts....

  • Violences à Détroit

    Violences à Détroit

    Detroit, un film de Kathryn Bigelow

     

    Les événements que relate la cinéaste dans son nouveau long-métrage Detroit se déroule durant l'été 1967. Les États-Unis connaissent alors une vague d’émeutes d'une violence sans précédent. La guerre du Vietnam, très contestée, ressentie comme une intervention coloniale, et les nombreux problèmes liés à la ségrégation raciale nourrissent la contestation. Détroit vit depuis quelques jours dans un climat insurrectionnel. A l’Algiers Motel des coups de feu sont entendus dans le milieu de la nuit, semblant visé, des hommes de la Garde nationale. La police de Détroit et la Garde nationale encerclent l'hôtel. Très vite un petit groupe de clients de l’hôtel, neufs noirs et deux femmes, sont soumis à un interrogatoire mené avec violence et sadisme afin de leur extorquer des aveux...

     

    Kathryn Bigelow est décidément une cinéaste courageuse qui s'attaque à des sujets politiques et sociaux difficiles. Après les excellents films Démineurs (2009) sur un groupe de soldats effectuant des déminages dans une situation périlleuse pendant la Guerre États-Unis/Irak et Zero Dark Thirty (2012) qui narre la traque de Ben Laden, elle relate les émeutes de Détroit du point de vue d'une cinéaste américaine blanche. Ce qui lui a valu de nombreuses critiques dans les médias américains: «Irresponsable », «complaisante », voire «coupable de faillite morale» aux yeux du New Yorker... «Comment Bigelow, une femme blanche qui a grandi à San-Francisco dans une famille bourgeoise et fait ses études à Columbia peut-elle comprendre et faire la lumière sur une expérience aussi viscérale?» s'interroge Variety. Ainsi c'est c’est la couleur de peau de la cinéaste qui pose problème. De nombreux textes publiés dans la presse américaine pensent que seul un ou une cinéaste noire pourrait et saurait montrer au cinéma ces émeutes raciales avec pertinence. Au rythme où vont les choses, il ne sera bientôt plus possible d'écrire un roman, de tourner un film, d'écrire un article sur un sujet si l'on n'appartient pas au sexe – au genre devrais-je certainement dire- à la couleur, à la religion des êtres humains dont on parle, bienveillance oblige. Bien sûr, face au film de Kathryn Bigelow, aucune de ces critiques bien-pensantes ne tient.

     

    Une fois de plus, Kathryn Bigelow à tourné son film après un long et patient travail d’investigation. Elle a réalisé des interviews de dizaines de témoins de l’époque et fait une enquête précise sur les émeutes. Un fait particulièrement grave à retenu son attention: celui qui s'est déroulé à L'Algiers Motel où la police de Détroit a violenté, humilié neuf hommes noirs et deux jeunes femmes blanches, abattu trois jeunes noirs avec un déchaînement physique et mental d'une cruauté terrible. Dans ce fait divers, elle se concentre sur le destin de Larry Reed, chanteur de The Dramatics, un groupe de musique soul qui venait de signer un contrat avec le célèbre label Motown. Présent à l’Algiers Motel ce soir là, le chanteur est brutalisé subissant des séquelles graves. Il renoncera alors à chanter ailleurs que dans les églises.

     

    Dans la première partie du film, la cinéaste expose avec une mise en scène alliant sécheresse et amplitude les raisons et les conditions des tensions raciales et des émeutes qui s'en suivent à Détroit, -émeutes nettement moins connues en France que celles de Watts ou à celles qui surviendront dans le pays, l'année suivante à la suite de l’assassinat de Martin Luther King. Servie par un tournage caméra à l'épaule -lui permettant de nous montrer plusieurs scènes de soulèvement-, un montage alterné brillant et efficace et l'utilisation d'images d'archives, elle nous décrit l’inéluctable affrontement entre les manifestants noirs et les policiers de la ville et les soldats de la Garde nationale appelés en renfort.

    Dans la deuxième partie, en choisissant le postulat de se focaliser sur un fait divers sordide, Kathryn Bigelow nous montre avec un sens aigu du cadre et une tension dramatique constante et éprouvante comment des policiers représentants de l'ordre de leur pays se conduisent comme des êtres cruels et pervers, motivés par des pulsions sadiques d'ordre racistes et sexuelles, dans un quartier au bord de l'explosion sociale. Les acteurs sont tous excellents en particulier, Will Pouter qui incarne Krauss, le jeune policier qui mène les interrogatoires. La cinéaste filme un être à la figure d'ange, au regard noir qui soudain devient haineux, un homme d'une terrible ambivalence, ne pouvant être considérer comme fondamentalement raciste ou comme un monstre fasciste. Il représente le racisme ordinaire de toute une socité américaine qui refuse absolument de voir le ségrégationnisme de l'époque. L'intelligence de la cinéaste est de ne pas faire de son film un brûlot manichéen contre le racisme et les violences policières qui exempterait tout noir américain de critiques. Elle ne veut pas démontrer mais montrer, nous faire voir ce que l'on voit: la mécanique implacable de la montée de la violence et de la brutalité policière face aux émeutiers et aux jeunes noirs, vu de l’intérieur dans des scènes de huis-clos tendues et étouffantes. Le Diable probablement!

     

    Le film se clôt par une troisième partie plus courte où l'enquête et le procès des policiers accusés de meurtres est relaté avec un sens aigu de l'économie du récit et se conclut après la relaxe des policiers sur le destin tragique de Larry Reed, meurtri à jamais par ce drame, qui décide de ne chanter que des gospels avec une voix d'une splendeur émotionnelle sans pareille dans les églises.

     

    Detroit est chef d’œuvre, un grand film politique et artistique qui confirme le grand talent de la cinéaste. Un film au regard juste et fort sur une Amérique blanche dont le raisonnement omnipotent à cette époque crée du déni et du délire raciste.

    Jacques Déniel

     

    Détroit – États-Unis – 2017 – 2h23 – Un film de Kathryn Bigelow

    Interprétation : John Boeyga (Dismukes), Will Poulter (Krauss), Algee Smith (Larry), Jacob Latimore (Fred), Jason Mitchell (Carl), Hannah Murray (Julie), Jack Reynor (Demens), Kaitlyn Dever (Karen