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Une certaine idée du cinéma le blog de Jacques Déniel - Page 2

  • Le Règne animal de Thomas Cailley.

    Le Règne animal de Thomas Cailley

    Stupide et nul, Le Règne animal est un film d'une bêtise crasse, un mélange de cinéma d'anticipation populaire et de fiction antispéciste et écologique traitant de tous les thèmes sociétaux en vogue dans notre époque déboussolée: hybridation de l’homme avec l’animal, antispécisme, dévastation écologique, mouvements migratoires, racisme, détestation de la police et de l'armée, crise économique et déclassement, crise de la famille et des liens de filiation, amour irraisonné de l'ailleurs et de l'autre, passage douloureux de l’adolescence à l’âge adulte…

    En revanche pas de passage à l'âge adulte dans ce film de science fiction raté - échec constant du cinéma français en la matière-, film d'éternel adolescent ou de petit malin en adéquation avec les sujets porteurs moralisateurs de son temps. En défendant un retour au royaume animal, la fable écologique et sociétale de Thomas Cailley compare insidieusement le problème constitué par ces mutants sans cesse plus envahissant aux migrants. Le film desservi par des acteurs aux regards hagards ou enfiévrés, François (Romain Duris), son fils Émile (Paul Kircher) et la gentille policière Adèle Exarchopoulos et par une mise en scène convenue et fade est un brouet sans intérêt, fort ennuyeux, indéniablement situé du côté du Camp du Bien.

    Quelle époque !, entend-on parmi les automobilistes, dans la scène d'ouverture du film ou tous les automobilistes ont l’air de trouver cette situation normal. Oui quelle époque effectivement car le succès du film (1 023 593 spectateurs au 22 novembre 2023) est étrange voir inquiétant. Lorsque les spectateurs qui sortiront de la salle, enthousiasmés par le monde qui les attend, il ne leur restera plus qu'une seule solution rejoindre Miss Novak et son Club Zero (1) afin de sauver la planète des turpitudes que les inconscients lui font subir.

    Jacques Déniel

    (1) Club Zero un excellent film de Jessica Hausner

    Le Règne animal - France - 2023 - 2h08

    Réalisation : Thomas Cailley

    Interprétation : Paul Kircher (Émile), Romain Duris (François), Adèle Exarchopoulos (Julia), Tom Mercier (Fix)...

    Date de sortie : 4 octobre 2023



     

  • Soleil Vert (Soylent Green -1973) de Richard Fleischer

    Soleil Vert (Soylent Green -1973) de Richard Fleischer

     

    La société du spectacle effondrée

     

    Soleil Vert (1973) film culte de la fin de l'époque de la contre culture (il sort la même année que La Maman et la putain de Jean Eustache, chef d’œuvre qui dépeint l’échec désastreux d'une génération) est l’un des films de science-fiction, d’anticipation affirment certains (prêts à resservir beaucoup des discours apocalyptiques des années soixante-dix), les plus remarquables de l'histoire du cinéma. Richard Fleischer, cinéaste humaniste et pessimiste nous montre avec un grand talent sa vision de la nature humaine, présente dans bon nombre de ses grands films en particulier dans l'un de ses chefs-d’œuvres, le somptueux et très noir, Les Flics de ne dorment pas la nuit (1972), pour rendre compte d’un futur situé en 2022. Le film, crépusculaire et désespéré, dépeint un futur déréglé, une civilisation en complète décomposition. Il est adapté du roman Soylent Green de Harry Harrison et donne de l’avenir une image apocalyptique.

     

    En 2022, la Terre est très polluée, l’atmosphère est empoisonnée, il fait une chaleur torride, le réchauffement climatique plonge dans une fournaise d'enfer la population mondiale qui vit dans une misère stupéfiante, la surpopulation est devenue incontrôlable. A New York, vivent 40 millions d’habitants dans des situations précaires et désastreuses, une société où inégalités sociales, injustices et violences (vols, viols, meurtres, assassinats politiques) règnent. Quelques privilégiés qui dirigent la société vivent dans des appartements luxueux, auxquels se trouvent rattachées des femmes appelées, meubles, des putains sous domination masculine, véritable objet de plaisir, alors que des millions de malheureux hères vivent et dorment dans les rues. Les ressources naturelles sont épuisées, les animaux et la végétation ont radicalement disparu de la surface de la planète. La nourriture est artificielle, soleil jaune, rouge et surtout les fameux Soleil Vert «Soylent Green». Produits semble-t-il à base de planctons, ils sont très prisées par le peuple new-yorkais affamés.

     

    Magnifiquement mis en scène par Richard Fleischer, remarquablement servi par la lumière verdâtre sépulcrale et les cadres ciselés de son chef-opérateur, Richard H. Kline, Soleil vert décrit les mutations du monde. Le prologue, un excellent montage de photos de la folie de la société industrielle de consommation donne une image juste de l'inconséquence de notre civilisation (certes bien mieux montrée et analysée dans Au hasard Balthazar et Le Diable probablement de Robert Bresson.). La force du film, ses qualités cinématographiques propres sont de montrer et non de démontrer ce qui lui permet d'accéder au statut de grand classique du cinéma.

     

    Avec un talent de conteur indéniable, Richard Fleischer, mêle avec brio deux genres cinématographiques le film policier et la science-fiction. Utilisant le Cinémascope, des décors urbains peints en fond de cadre pour figurer la New York du futur, une lumière sombre baignant dans un brouillard verdâtre, il nous conte un récit policier haletant et nous plonge dans une civilisation en décomposition d'un réalisme noir et cru. Il décrit avec précision une monde perdu ou règne un totalitarisme dur qui exploite les êtres humains, particulièrement les femmes, les pauvres, les personnes âgées, utilise l'euthanasie à des fins commerciales lucratives. Un grand film sur la société du spectacle effondrée.

    Il bénéficie aussi d'acteurs tous excellents en particulier, Edward G. Robinson (Sol), très juste et émouvant dans sa dernière apparition à l'écran comme adjoint du flic Charlton Heston (Thorn), formidable, très convaincant dans le rôle de ce policier implacable qui aime beaucoup son vieil associé. La scène se déroulant au centre d'euthanasie où Thorn voit son vieil ami Sol regarder pour la dernière fois les paysages verts du passé défiler sur un écran géant au son de la symphonie pastorale de Ludwig van Beethoven est l'une des plus belles et émouvantes du film.

     

    Soleil vert est un très beau et grand film de science-fiction pessimiste. Il n'a pas la dimension prémonitoire qu'on veut lui prêter: les plans de personnes portant des masques, de foule assaillant un magasin de nourriture, d'être humains ployants sous le poids de la chaleur sont terribles et angoissants et peuvent parfois être comparés à certaines situations de notre époque mais ne peuvent d'aucune manière servir un discours idéologique ou politique pré-établi ce que le film ne fait jamais. Avec Soleil Vert, Richard Fleischer signe l'un de ses derniers diamants, confirmant son talent de metteur en scène, et son sens aigu de la narration et de l'esthétique cinématographiques. Un film qui éblouit et marque durablement tous ses spectateurs, même cinquante ans après son tournage.

     

    Jacques Déniel

     

    Soleil vert (Soylent Green) un film de Richard Fleischer

    États-Unis - 1973- 1h33 – V.O.S.T.F.

    Charlton Heston (VF : Jean-Claude Michel) : le détective Frank Thorn, Leigh Taylor-Young : Shirl, Edward G. Robinson: Solomon « Sol » Roth, Chuck Connors : Tab Fielding, Joseph Cotten : William R. Simonson...

  • Carnage de Roman Polanski

    Carnage de Roman Polanski

     

    La Méchanceté ça fait du bien

     

    Adapté du Dieu du carnage, pièce de Yasmina Reza créée en 2008 au Théâtre Antoine à Paris, le nouveau long métrage de Roman Polanski est un chef-d’œuvre d’une grande intelligence et d’une subtilité maligne. C’est une comédie noire d’une rare méchanceté, un film réjouissant, caustique et drôle.

    Il nous raconte la rencontre de deux couples à la suite d’un fait divers banal: le fils des uns (les Cowan) a cassé deux incisives et défiguré à coups de bâton le fils des autres (les Longstreet). Superbement interprété par un quatuor d’acteurs justes et brillants, Kate Winslet (Nancy Cowan) est une femme travaillant dans les affaires, stupide, frivole et irréfléchie, Christoph Waltz (Alan Cowan) est un avocat cynique, un goujat magnifique, Jodie Foster (Penelope Longstreet) est austère et rigide, obsédée par l’idée du bien, de la justice et de l’équité morale, et John C. Reilly (Michael Longstreet), représentant en objets domestiques, un couard qui tente d’éviter tous conflits.

    Les Cowan viennent chez les Longstreet, pour pacifier la situation. Dès lors Polanski nous entraine dans un huis clos étouffant et anxiogène. Les quatre adultes ne quittent plus l’appartement des Longstreet, et après une série de premiers échanges mielleux et suintant l’hypocrisie, survient une succession de scènes où les alliances et les ruptures se font et se défont à mesure que chacun se dévoile. Lâcheté et mépris, cynisme et lassitude, arrogance et haute estime de soi font éclater les conventions de bon aloi affichées par ces deux couples de la bourgeoisie new-yorkaise. Comme aimanté par une force pulsionnelle de nuisance, de contamination du mal, les deux couples ne peuvent quitter l’appartement. Chaque fois que les Cowan, sur le point de partir, sont sur le pallier, une réplique de l’un ou de l’autre des protagonistes relance la dispute et les quatre personnages rentrent de nouveau dans le logement. Polanski organise de main de maître la circulation des acteurs, évitant le piège du théâtre filmé lié à ce type de projet par un cadrage cinématographique acéré.

    Personne n’est épargné dans ce film d’une grande justesse sur la noirceur des êtres humains. C’est une vision à des années lumières de « L’empire du bien ». Les réparties d’Alan, l’avocat et celles mutines de Michael contre l’envahissante soif de justice de sa femme, éternelle indignée et militante des droits de l’homme sont cinglantes. La scène du portable d’Alan jeté dans l’eau d’un vase est un summum de cruauté, tant l’intéressé semble anéanti.

    On retrouve dans cette farce sombre tout l’univers du mal selon Polanski, un mal qui hante son cinéma depuis Le Couteau dans l’eau jusqu’à Ghost Writer en passant par Répulsion, Rosemary Baby ou Le Locataire. Carnage est décidément une bonne nouvelle : la méchanceté est enfin de retour dans notre paysage cinématographique actuellement bien englué dans les bons sentiments, tendance Intouchables.

     

    Jacques Déniel

     

    Carnage (la jubilation du mal), Roman Polanski avec Jodie Foster, John C. Reilly, Christoph Waltz, Kate Winslet – 1H20

  • West Side Story un film de Steven Spielberg

    West Side Story un film de Steven Spielberg

     

    West Side Story est le film le plus flamboyant de son auteur qui a mis en scène ces vingt dernières années, ses meilleurs films dont une adaptation d'un roman d'anticipation de Philip K.Dick, Minority Report (2002) et de très réussis et pertinents films historiques: Munich (2005), Lincoln (2012), Le Pont des espions (2015), Pentagon Papers (2017). Ce n'est bien sûr pas un hasard car avec ces films, Steven Spielberg se réapproprie les formes du cinéma de genre et du classicisme cinématographique américain afin de mieux interroger notre époque.

     

    Steven Spielberg a parfaitement saisi le sens et l'atmosphère de la légendaire comédie musicale de Broadway West Side Story de Laurents, Sondheim et Bernstein - eux-mêmes inspirés par la tragédie de William Shakespeare, Roméo et Juliette -, déjà porté à l’écran en 1961 par Robert Wise et Jerome Robbins. Son film décrit beaucoup plus la misère sociale qui mine les deux bandes rivales les Jets, descendants d’immigrés européens et les Sharks, venus de Porto Rico dans le New York de la fin des années 1950. Spielberg situe l'action, un affrontement urbain violent dans un West Side Story où les boules de démolition finissent de raser les immeubles. Le quartier n’est plus qu’un amas de ruines, où sera bientôt édifier le Lincoln Center, un centre culturel de prestige destiné à la bourgeoisie new-yorkaise.

     

    Un monde disparait, c'est l'histoire de ce monde que raconte le cinéaste très inspiré par la force du musical et le film éponyme de Robert Wise. Il conserve bien sûr la sublime musique du livret de Leonard Bernstein et magnifie la beauté des textes des chansons célèbres de Stephen Sondheim que le public aime tant. Tout en signant un film profondément moderne sur le fond, Steven Spielberg signe une œuvre d'un grand classicisme formel. Racisme, mais surtout pauvreté et exclusion sociale hantent les héros de ce beau film d'une fulgurante jeunesse et vitalité sans tomber dans les travers sociétaux d'aujourd'hui hormis la transformation ridicule du garçon manqué du film de Robert Wise en transgenre. Les garçons qui font partie des Jets et des Sharks sont surtout des fortes têtes, des jeunes perdus et amers, qui n'ont aucun avenir devant eux et qui par ennui et goût du jeu s'affirment dans les bagarres où ils s'affrontent afin de prouver leur existence et leur virilité plus par défi que mus par une haine raciale fondamentale.

     

    La beauté du film se ressent dans chaque plan, dans chaque chanson ou chaque note de la musique lyrique et ample de Bernstein, dans le choix des décors sombres et ravagés, dans la force de la mise en scène fidèle, virtuose et inventive de Steven Spielberg qui est servi par une pléiade de jeunes chanteurs, danseurs et acteurs éblouissants. Les chorégraphies majestueuses dirigées par Justin Peck, les couleurs vives et chaudes de la photographie de Januz Kaminski et les interprétations lumineuses d'Ansel Elgort (Tony) et de Rachel Zegler (Maria), les jeunes "Roméo et Juliette", ainsi que celle d'Ariana de Bose (Anita) et de Rita Moreno (Valentina) - âgée aujourd'hui de 91 ans, elle est une des productrices du film, il y a 60 ans, elle interprétait Anita dans le film de Robert Wise -, donnent une force véritable à West Side Story. C'est une comédie musicale vive et colorée, un drame sentimental, une tragédie classique bouleversante, du grand cinéma ample, généreux, rude et bouleversant.

     

    Jacques Déniel

     

    West Side Story un film de Steven Spielberg

    États-Unis – 2020 – 2h37 – couleurs – scope – V.O.S.T.F.

    Interprétation: Ansel Elgort, Rachel Zegler, Ariana DeBose, David Alvarez, Rita Moreno, Jess Le Protto...

    Sortie sur les écrans le mercredi 8 décembre 2022

  • Anatomie d'une chute un film de Justine Triet

    Anatomie d'une chute un film de Justine Triet

    Palme d'or du Festival International du Film de Cannes 2023.

     

    Un amer goût de cendres.

     

    Je n’aimais guère les précédents films de Justine Triet La Bataille de Solférino (2013), une comédie ratée, aux faux airs de documentaire politique, ou Victoria (2016), un film d'un vide abyssal à l'image de son personnage de romancier du web, et, je n’ai pas désiré voir Sibyl (2019).

     

    Sandra, Samuel et leur fils Daniel, 11 ans, malvoyant se sont retirés dans un chalet à la montagne. Samuel est retrouvé mort au pied de leur maison. Une enquête pour mort suspecte est ouverte. Sandra est bientôt inculpée malgré le doute: chute, suicide ou homicide?

     

    Anatomie d’une chute est une œuvre clinique qui analyse le cours de la justice face au cas complexe d’un possible homicide conjugal. La vie du couple est disséqué devant les jurés et les spectateurs. Les questions de l'avocat général, incisif et introspectif, formidable Antoine Reinartz, (qui ne possède surement pas sa carte de membre du puissant syndicat de la magistrature) sont pertinentes, malaisantes, il cherche la vérité, à déstabiliser l'accusée.
    L'avocat de la défense (Swann Arlaud), gentil, légèrement falot, un ami de longue date de Sandra se montre pétillant et retors au tribunal et saisit toutes les occasions pour contrer habilement l'avocat général jonglant avec les faiblesses et les zones d’ombres du dossier.

     

    Mais l'essentiel du film est l'histoire de ce couple d'écrivains en pleine déliquescence après l'accident survenu à leur fils, Daniel - renversé par une moto, il est devenu malvoyant et doit être aider par son fidèle chien, un Boarder Collie, nommé Snoop. L’étude de ce couple d’artistes aisés : Sandra, (impeccable et géniale Sandra Hüller qui aurait du recevoir le prix d’interprétation féminine, juste récompense de l’actrice et du film), fière, arrogante, antipathique, dominatrice, manipulatrice, castratrice, autrice, écrit des romans à succès à partir des éléments de sa propre vie, et Samuel (Samuel Theis), un homme failli, perdu - mais s'occupant avec patience, amour et tact de son fils Daniel -, touchant par sa détresse et ses faiblesses et son échec d'écrivain raté ; est le nœud central du procès qui occupe la majeur partie du film.

     

    C'est un film cru et dérangeant, admirablement servi par l'excellent jeu de tous les comédiens, par le scénario complexe et bien charpenté signé Justine Triet et Arthur Harari, son compagnon, réalisateur du film Onoda, 10 000 nuits dans la jungle et par la mise en scène sèche, brutale et osée de la cinéaste (cassures de rythmes, gros plans sur les personnages principaux, flashbacks...).

     

    La cinéaste et son coscénariste ne semblent pas vouloir imposer de points de vue directifs. Il s'agit très certainement de rendre un verdict juste. Pourtant , Anatomie d’une chute, totalement en prise avec les idéologies de la société contemporaine française est une œuvre rude et dense qui montre le fonctionnement de la justice, la complexité des relations de couple à l'heure où les hommes doivent être déconstruits. Les hommes présents dans le film sont soit du côté du patriarcat, les enquêteurs, le psychiatre, l'avocat général ou du côté des hommes faillis ou déconstruits par la vie ou par leur faiblesse, Samuel et Vincent, l'avocat de Sandra.

     

    Nul ne sait et ne pourra savoir si Sandra est coupable du meurtre par un geste violent mais une chose est sûre, à la fin, tous sont soit vaincus - ils ont perdu le procès - soit couchés devant elle à l'image de Snoop venant s'allonger sur le canapé contre elle. Car tel est leur choix, leur décision, ils croient en son innocence.

     

    C’est le parti pris du film et sans doute sa relative faiblesse lorsque que ses auteurs choisissent de mettre en scène un coup de force scénaristique finale et inutile autour de Daniel et son chien - les preuves de l'accusation ne sont pas prégnantes -, qui n’est présent que pour justifier la décision de justice. Assurément, nous sommes en présence d'un choix idéologique, Sandra est innocente, forcement innocente. Malgré tout plus rien ne semble aller, Sandra est seule avec son fils et ne semble ressentir aucune compassion. Quand à nous, spectateurs, nous sommes libres de penser qu’il s'agit d'un suicide ou d'un meurtre vraisemblablement malgré cette fin où la complaisance idéologique des auteurs et une certaine indignité de comportement des êtres dans la victoire du camp de l’accusée nous laisse un amer goût de cendres.

     

    Jacques Déniel

     

     

    Anatomie d'une chute un film de Justine Triet

    France 2023 – 2h30

    Palme d'or du Festival International du Film de Cannes 2023.

     

    Interprétation : Sandra Huller (Sandra), Swann Arlaud (l'avocat de Sandra), Milo Machado Graner (Daniel), Antoine Reinartz (l'avocat général), Samuel Theis (Samuel), Jehnny Beth (Marge), Saadia Bentaïeb (l'avocate de Sandra), Sophie Fillières (Monica), Arthur Harari

     

    Sortie sur les écrans de cinéma de France le 23 août 2023

  • Nazarin un film de Luis Buñuel

    Nazarin un film de Luis Buñuel

    Un bienheureux sous le soleil de Satan

    Si les grands chefs-d’œuvres signés par Luis Buñuel dans les années soixante et soixante-dix (Belle de jour, Tristana, Cet Obscur Objet du désir...) lui permettent d'acquérir une reconnaissance internationale, ses films mexicains sont aujourd'hui inconnus du public français qui n'a pas la possibilité de les voir. Saluons la belle idée de Splendor films de ressortir dans les salles de cinéma, dans une somptueuse copie noir et blanc restaurée, le splendide Nazarin (1959).

    Buñuel débute sa carrière débute avec Le Chien andalou (1929) et L'Age d'or (1930) deux films marqués par l'influence du surréalisme. Après Terre sans pain (1933), interdit par la jeune République espagnole qui n'apprécie pas la transcription au cinéma des mœurs de ses régions les plus déshéritées, il ne tourne plus. De 1934 à 1936, vivant entre Madrid et Paris, il effectue de nombreux métiers, travaillant pour la Paramount puis réalisant pour l'Espagne, des films commerciaux, - exigeant que son nom ne figure pas au générique – afin de faire vivre sa famille. Lorsque la guerre civile se déclenche, il se met au service de la République espagnole, effectuant diverses missions... Puis, il part aux États-Unis où il sert la cause républicaine. Il y reste huit ans, trahit par son ami Salvador Dali qui rejette sur lui, l'entière responsabilité des propos marxistes de L'Age d'or. Mis en cause par une campagne de presse et surveillé par la F.B.I., Luis Buñuel part au Mexique. Entre 1946 et 1965, il y tourne 24 films pour la plupart superbes ( Los Olvivados, Suzana la perverse, Les Aventures de Robinson Crusoé, La Vie criminelle d'Archibald de la Cruz, La Mort en ce jardin, Nazarin, La Jeune fille, Viridiana, L'Ange exterminateur...).


    Au
    Mexique, en 1900, pendant le règne du dictateur Porfirio Diaz, le père Nazario (Nazarin), un prêtre humble et bon vit et partage la misère profonde des gens d'un petit village. Une dispute entre prostituées l'amène à héberger et protéger l'une d'entre-elles, Andara, soupçonnée du meurtre de sa cousine. Désavoué par l’Église, il doit fuir et mène une vie d'errance et de mendicité. Il rencontre à nouveau sur son chemin Andara et Béatriz qui à la suite d'un miracle - un acte de prière et d'amour - deviennent ses disciples... Nazarin, interprété par l'excellent Francisco Rabal, prêtre extrêmement pieux mène une vie austère, ascétique et se consacre par la charité et la prière au service de ses compatriotes en contradiction avec les principes des institutions religieuses mexicaines. "Vivre de charité n’est pas un précepte assez digne", lui dit un curé. Face à sa hiérarchie, Nazarín imperturbable, continue de vivre sa foi dans la pauvreté et l'amour de son prochain.

    Servi, par une mise en scène très dépouillée, des cadres rigoureux et sobres, la superbe lumière en noir et blanc de son chef-opérateur, Gabriel Figueroa (illustre chef-opérateur de Que Viva Mexico de Serguei Eisentein, de Dieu est mort de John Ford et du grand cinéaste mexicain Emilio Fernandez), Luis Buñuel peint un portrait cruel et amer de ce bienheureux. Condamné à errer dans un Mexique ravagé par la pauvreté, la famine, les épidémies, l'injustice, Nazarin se trouve désemparé car sa bonté et sa charité ne semblent pouvoir sauver personne du Mal. Face à la méchanceté et la cruauté des hommes, il ne rencontre que violences, doutes, trahisons, désolations, qui mettent en péril la force de sa foi, sa quête spirituelle, sa volonté d'appliquer le message des Évangiles. Sa vie semble se dérouler sous l'aride soleil de Satan.

    Si, le film plein d'ironie, peut sembler s'avérer une charge sévère contre le catholicisme, nous constatons que la foi inébranlable de Nazarin, même si l'ombre du doute et le travail du diable marquent un instant le visage du prêtre avant la fin, porte le message christique plusieurs fois: une petite fille est guéri à la suite de sa prière, Andara ne l'abandonne jamais, un assassin, pilleur d'églises lui vient en aide et une vendeuse de fruits – lors de sa marche vers la prison - lui offre un ananas qu'il accepte in extrémis. Nous suivons le calvaire du bienheureux Nazarin qui rachète malgré-eux les fautes des hommes. Les voies du Seigneur sont impénétrables et font de ce film âpre et ascétique, un chef-d’œuvre lumineux.



    Jacques Déniel

     

     

    Nazarin un film de Luis Buñuel – Mexique – 1959 – 1h35 – V.O.S.T.F.

    Interprétation: Francisco Rabal (Nazarin), Marga López (Beatriz), Rita Macedo (Andara), Jesús Fernández (Ujo) Ressortie en salle le 12 février 2020.