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Une certaine idée du cinéma le blog de Jacques Déniel - Page 3

  • Oppenheimer un film de Christopher Nolan.

    Oppenheimer un film de Christopher Nolan.

     

    Julius Robert Oppenheimer est un savant américain, un physicien né le 22 avril 1904 à New York et mort le 18 février 1967 à Princeton (New Jersey). Il s'est distingué en physique quantique théorique. Il est nommé directeur scientifique du Projet Manhattan. Il y jour un rôle éminent d'où son appellation de « père de la bombe atomique. Il s'opposera au développement d'armes thermonucléaires. Par le biais de commission d'enquêtes du gouvernement américain, diligentées par le sénateur Lewis Strauss, à l'époque du maccarthysme dans les années cinquante, il est discrédité. Il sera réhabilité dans les années 1960 sous la présidence Kennedy et terminera brillamment sa carrière scientifique et universitaire.

     

    Christopher Nolan signe un beau film introspectif et politique. Il ne choisit pas d'analyser historiquement les choix scientifiques et politiques de Oppenheimer d'après des perspectives historiques ou scientifiques, pas de vulgarisation pseudo-scientifique ou d'explications de la fission nucléaire pour le tout public. Il se concentre sur Oppenheimer, nous sommes avec lui dans sa tête dès l'ouverture du film. Nous suivons sa réflexion, sa démarche scientifique, ses choix politiques et comprenons sa soif de liberté, de justice, de désir de lutter contre le Mal, le Nazisme. Juif, profondément attaché à son pays, il va s'atteler à ce travail obsessionnel et chronophage.

     

    Au long du film, nous suivons son cheminent qui l'amène après avoir dirigé la création de la bombe A qui fût utilisée sur les villes de Hiroshima et Nagasaki à renoncer au feu nucléaire, à le refuser. Mais, il servit la Liberté contre le Fascisme en faisant le choix de développer la recherche de la bombe atomique pour sauver le Monde de la guerre, des guerres (pense-t'il). Il fallait passer par ce stade, en montrer les effets et donc déclencher le processus atomique pour comprendre... C'est accablant mais terriblement humain.

     

    Nous sommes dans les méandres d’un esprit et voyons les pièges que l’époque lui a tendus. C'est une œuvre intense, dense servi par des comédiens tous excellents, la frénésie du récit et du montage et la beauté de la musique. Oppenheimer est obsédé par le monde théorique, obsession montrée dès le début du film par des images mentales abstraites et sensorielles .

     

    C'est aussi un grand film sensitif et politique sur la culpabilité du physicien par rapport au projet Manhattan. La création et l'explosion de la bombe pèse sur Oppenheimer et sur l'Humanité comme une faute qu'il fallait accomplir pour en comprendre l'horreur. Mais le Mal n'est-il pas plus fort que la Raison? La voix du Diable probablement susurre aux êtres humains. Il fallait aussi en finir avec les idéologies lucifériennes défendu par Adolf Hitler, Hiro-Hito et Benito Mussolini.

     

    Jacques Déniel

     

    Oppenheimer un film de Christopher Nolan.

    États-Unis - 2023 - 3h - V.O.S.T.F.

    Interprétation: Cillian Murphy, Emily Blunt, Robert Downer Jr., Forence Pugh, Matt Damon, Casey Affleck, Kenneth Branagh, Benny Safdie...

    Au cinéma depuis le 19 juillet 2023

  • Low Life un film d’Elisabeth Perceval et Nicolas Klotz

    Low Life un film d’Elisabeth Perceval et Nicolas Klotz

     

    Auteur de trois beaux films inventifs et rigoureux: « La Nuit Bengali », une œuvre d’une belle facture classique « Paria » et « La Blessure » deux beaux films justes et sombres sur les êtres en souffrance, et d’un film passionnant « La Question humaine » mais déjà irritant car vampirisé par son discours idéologique, Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval semblent se perdent dans le naufrage d’un film démonstratif et sans âme, oubliant que le cinéma ne doit pas démontré, ni par la parole ou les actes, mais montré, ouvrir une fenêtre sur le monde, donné matière à réflexion au spectateur.

    Low life est un film ampoulé, hautain, prétentieux, étouffé par son ambition même. Il prend comme figure tutélaire deux des plus grands chefs d’œuvre du cinéma Vaudou de Jacques Tourneur et Le Diable probablement de Robert Bresson, sans jamais pouvoir atteindre ni la grandeur politique, ni la sombre beauté cinématographique et poétique de ces deux modèles. Le film non dénué de talent de cinéma – il comporte quelques belles fulgurances - Nicolas Klotz est un grand filmeur, tente dans notre France contemporaine, celle du sarkozysme hahi, de nous raconter l’histoire de quelques jeunes gens tous plus ou moins artistes et bohèmes, ne travaillant jamais, vivant dans un appartement cossu (un squat probablement). Il y à une jeune demoiselle un peu photographe, Carmen qui se meurt d’amour pour un poète sans papier, tragique et ténébreux, Hussain, au grand désespoir de son ancien ami Charles, un jeune bourgeois au port aristocratique. Leur passion est sans cesse gravement menacée par une Police fascisante qui sur ordre du Ministère de l’intérieur expulse hors des frontières des sans-papiers. Confrontée à une étrange série d’accidents s’abattant sur et des civils et des policiers, le ministère public enquête. Ces faits se révèlent être la conséquence de sorcellerie et magie noire pratiquées par un groupe organisé de sans-papiers, qui brulent leurs documents de reconduite à la frontière lors de rituels vaudou, avant de les glisser dans les poches de leurs futures victimes. (Allusion lourde et maladroite au sublime Vaudou de Tourneur).

    Le ton du film déclamatoire, verbeux, est horripilant - non pas parce qu’il ne serait pas naturel et/ou vraisemblable - on sait depuis longtemps que la vraisemblance n’est pas un problème au cinéma, ni dans le ton, le phrasé, ni dans les actions, tout est affaire de talent (confer les films de Garrel, Eustache, Rohmer et Bresson), de travail de la diction. Ici les acteurs en proie à une logorrhée verbale insupportable et vaine sont les vecteurs déclamatoires du film et de son idéologie post-soixante huit datée. Indignés, ils récitent du Hölderlin et du Alain Badiou ou alors affrontent la police, caricatural à souhait – une police d’état fasciste parfaitement caractérisée par la commissaire qui dirige les expulsions, jouée par Hélène Fillières, blonde de type aryen, rêche, émaciée, terrible, elle semble inhumaine – lors de manifestation pour la défense des sans papiers avec la conviction qu’ils luttent contre un état totalitaire ou collaborationniste (« Pétain reviens, tu as oublié tes chiens » ou encore Carmen répondant à la commissaire qui l’accuse d’avoir caché Hussein dans son logement « En 42 j’aurais fait pareil».

    Le film dénué du moindre recul, plombé par son absence d’humour et d’ironie est régi par une série de poncifs sociaux politiques qui laissent pantois, il semble s’adresser à une jeunesse branchée et une frange bobo de la population française, lecteurs des inrockuptibles et autres magazines de mode. Les jeunes acteurs du film jouent des artistes de pacotilles et des indignés de salon à mille lieux des jeunes des films de Godard La chinoise, Week end, de Garrel Les Amants réguliers qui avaient pour eux la beauté rageuse de la révolte et encore moins bien sûr de ceux des films de Bresson, portés par leur détestation du monde de l’argent et servis par le cinéma implacable du grand cinéaste, sa vision du monde où les êtres semblent mus par le Diable probablement.

    Low Life est un film péremptoire, affecté, désincarné et intimidant qui n’autorise pas d’autres propos que ceux des cinéastes sur un monde-machine injuste, fascisant qui oppresse sa jeunesse et les sans papiers par le biais d’une police personnifiant le mal absolu, comparée à celle du régime vichyssois ou nazi. Cette idée était déjà prégnante dans La Question humaine qui comparait le travail dans l’entreprise moderne, son organisation et le mal de vivre qui en découlait à l’organisation des camps de concentration.

    Charles (le fantôme du Diable probablement de Bresson) même traits, allure et morgue, est le seul personnage pour lequel il est possible de ressentir de la sympathie, sans doute parce que il affiche sans hypocrisie sa condition de fils de riche et de poète raté. Malheureusement, il ne possède pas la noblesse de port et de caractère et la force obscure que dégageait le héros bressonien. Tandis que ce dernier s'opposait au monde qui l'entourait par un mutisme sombre, une distance mystérieuse, le Charles de Low Life  raille, déclame et pérore. Il est vrai que le film de Bresson s'attaquait comme toute son œuvre à la question de l'âme humaine face au Mal qui ronge le monde, perturbé par le diable (probablement) et l'argent (très certainement – revoir Au hasard Balthazar ou L'Argent), à la place de la spiritualité et à la question de la grâce. Chez Klotz et Perceval, le mal réside chez certains hommes et femmes et dans le système politique qui nous gouverne. Point d'âme, ni de spiritualité mais en revanche un ésotérisme crépusculaire et romantique pesant.

    Un conseil revoyez tous les films de Robert Bresson et de Jacques Tourneur vous y verrez la somptueuse beauté du cinématographe, la force poétique et politique de leurs films et si la révolte gronde en votre fort intérieur revoyez l'implacable In girum imus nocte et consumimur igni (Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes consumés par le feu) de Guy Debord.

    Jacques Déniel

     

    Low Life d’Elisabeth Perceval et Nicolas Klotz, avec Camille Rutherford, Arash Naimian, Luc Chessel (Fr., 2012, 2 h 04)

     

  • Sorcerer (Le Convoi de la peur) Un film de William Friedkin.

    Sorcerer (Le Convoi de la peur)

    Un film de William Friedkin.

     

    William Friedkin est un immense cinéaste, un auteur à part entière. Il a réalisé 20 longs métrages de cinéma tous passionnants ainsi que des documentaires et des films pour la télévision. Il vient de mourir à l'âge de 87 ans ce lundi 7 août 2023 à Los Angeles.

     

    Explorateur de l'âme humaine aux frontières du bien et du mal, William Friedkin est une figure de la génération du nouvel Hollywood dans les années-soixante-dix aux côtés de Brian De Palma, Francis Ford Coppola et Martin Scorsese...

     

    Il met en scène Les Garçons de la bande (The Boys in the Band) (1970 ), French Connection (The French Connection) (1971), L'Exorciste (The Exorcist) (1973), Le Convoi de la peur (Sorcerer) (1977), La Chasse (Cruising) (1980),  Police Fédérale Los-Angeles (To Live and Die in L.A.) (1985) et Bug (2011) des films d'une force et d'une beauté sans pareilles.

     

    En juillet 2015, assez tardivement, à l’occasion de sa ressortie, j’ai vu pour la première fois Le Convoi de la peur, une découverte considérable d'un film qui est pour moi le plus beau De Friedkin. Un chef-d’œuvre ! Les conditions du tournage furent difficiles voire dantesques.

     

    En 1975, William Fridekin vient de réaliser ses deux films les plus connus, French Connection et L'Exorciste (un triomphe public mondial). Il se sent comme un roi à Hollywood. Il décide d’adapter Le Salaire de la peur, roman de Georges Arnaud dont il existe une version ratée et grotesque de Henri-Georges Clouzot

     

    Le film conte l'histoire de quatre criminels se retrouvent coincés en Amérique du Sud et dont le seul espoir de s'en sortir est d'accepter pour une grosse somme d'argent de transporter deux camions pleins de nitroglycérine à travers la jungle.

     

    Friedkin va connaitre des conditions de tournage infernales comme Apocalypse Now de Coppola: changement de casting, guerre civile, maladies, démissions... . Il en fait un récit détaillé plein de vitalité dans ses mémoires, The Friedkin connection ( publiées en France Collection Points/ éditions de la Martinière).

     

    Sorcerer est un film très ambitieux, plastiquement beau voire magique (les deux traversées du pont sont des moments de pure bravoure) et la structure circulaire de son scénario est métaphysique. Impossible d'échapper à son destin, la moindre faute commise sera payée. Le plan de la mort de Victor Manzon et le plan final du film sont bouleversants sur la terrible fatalité du destin. La musique du film signé par le groupe de musique allemand Tangerine Dream est à la fois envoûtante et angoissante.

     

    Des premiers plans à ceux tragiques de la fin, Sorcerer est un régal pour les yeux en raison de la beauté de sa mise en scène, de la force de la composition des plans et des mouvements de caméra, de la lumière somptueuse et ténébreuse. William Friedkin atteint les sommets de son cinéma et nous mène dans un voyage au bout de l’enfer d'une redoutable efficacité. Il utilise avec brio les zooms, panoramiques, utilisation des focales courtes ou longues, contre-plongées, plans subjectifs, servant les moments calmes comme les plus tendus ou chaotiques du film. Cinéaste, très attentif au son, il dirige un sonore exemplaire. Sifflement de balles violences des impacts et des explosions. La beauté et l'âpreté de la nature est superbement traitée par les images et par les sons est souvent agressive.

    Jacques Déniel

     

    Sorcerer Le Convoi de la peur

    États-Unis – 1978 – 2h01 – V.O.S.T.F.

    Réalisation : William Friedkin

    Scénario : Walon Green

    d'après : le roman Le Salaire de la peur de : Georges Arnaud

    Image : Dick Bush, John M. Stephens

    Montage : Bud S. Smith, Robert K. Lambert

    Musique : Tangerine Dream

     

    Interprétation : Roy Scheider (Jackie Scanlon/Dominguez), Bruno Cremer (Victor Manzon/Serrano), Francisco Rabal (Nilo), Hamidou Benmassaoud dit Amidou (Kassem/Martinez), Ramon Bieri (Corlette), Joe Spinell (Spider)...

  • Passion un film de Brian De Palma

    Passion de Brian De Palma
     
    De la cruauté abyssale des femmes de pouvoir.
     
    Autant le dire tout de suite Passion  est le plus beau film de ce début d'année, un chef d’œuvre passé inaperçu et boudé par le public, un grand film de pure mise en scène, du cinéma de haute volée et aussi un très grand film politique, produit par le producteur courageux et intelligent de Roman Polanski, Said Ben Said .
     
    Christine, une belle jeune femme blonde, élégante, puissante et fascinante dirige la filiale d’une grosse agence américaine de publicité à Berlin. Isabelle, une splendide brune directrice de clientèle lui est apparemment totalement soumise. Dani, une jolie rousse, chef de publicité est l’assistante d’Isabelle et la désire furieusement. Les jeux de pouvoir et de domination s’installent entre les trois femmes. Rivalités, jalousies, perversités, désirs sexuels sont les moteurs d’un fantastique et vertigineux film sur la puissance et la manipulation.
     
    A partir de Crime d'amour, l'ultime film très moyen d'Alain Corneau, Brian De Palma construit un film prodigieux. Passion est un polar intense et tendu, une relecture obsessionnelle et jouissive de l'univers d'Alfred Hitchcock, un grand film baroque et politique. Un chef d'œuvre de mise en scène servie par trois actrices formidables : Rachel McAdams, la blonde, Noomi Rapace, la brune et une jeune comédienne allemande Karoline Herfurth, la rousse.
     
    Le lieu de l'action est une grande entreprise contemporaine, une agence mondiale de publicité, à l'univers glacé, acier, verre et béton. Les héroïnes du film sont de très jeunes femmes, des exécutives women, belles, froides et ambitieuses. Elles s'avèrent vite être des louves lascives, dangereuses, sans pitié et sans foi, ni loi. Inexorablement, à partir d’une campagne de publicité pour un nouveau modèle de téléphone portatif, la tension, la rivalité et le désir montent au sein de l'entreprise. Christine patronne impitoyable s’approprie sans vergogne l’idée de cette campagne de publicité très sensuelle, imaginé et filmée par Isabelle et Dani. Christine dirige et manipule avec un plaisir sadique tous les employés de son agence, les femmes comme les hommes, c’est une gagnante, une dominatrice.
     
    Les hommes, à part le Président Directeur Général de l’entreprise dont le siège est à New-York sont montrés comme des marionnettes faibles, des pantins économiques et sexuels dominées par le pouvoir féminin. Les scènes sexuelles nous les montrent comme des êtres humiliés, totalement soumis au désir de Christine mais aussi d’Isabelle.
     
    L’insignifiant Dirk, dont la société travaille pour l’agence de Christine est le parfait représentant de la masculinité disparu, c’est un être faible, plutôt laid, comme tous les autres hommes du film, collaborateurs et amants de Christine, humiliés, persécutés. Partenaire fade de la jeune comédienne dans la représentation L’Après-midi d’un faune, Commissaire et inspecteur de police sans envergure menés en bateau par Isabelle, les hommes sont en faillite.
     
    Les mâles n’existent plus nous dit De Palma, ils sont faibles, lâches, veules, moches, et, finalement, nos trois demoiselles peuvent s’en passer. Elles sont belles, intelligentes, puissantes, et, immanquablement le désir sexuel circule entre elles. Sans doute par provocation et par jeu de domination entre Isabelle et Christine, et, véritablement de la part de Dani, qui éprouve une passion sexuelle violente pour Isabelle.
     
    De Palma nous offre avec Passion une réflexion pertinente sur le déploiement des images dans notre monde, avec une rare maestria, il travaille la mise en abime des images sur Skype, de conférences filmées, de films postés sur YouTube, de scènes humiliantes enregistrées par la vidéo-surveillance ou les Smartphones. Le voyeurisme grand sujet du cinéaste est ici démultiplié de manière vertigineuse. Obsédé par les figures hitchcockiennes des pulsions sexuelles et morbides, il nous offre un suspens terrible qui culmine au moment du meurtre par l’utilisation somptueuse d’un dispositif de split screen entre la scène du crime et une représentation du ballet de Debussy L’Après-midi d’un faune auquel assiste Isabelle. Le jeu de cache renforce la beauté fatale du désir de mort.
     
    Splendide film noir, envoutant et cruel et qui souvent nous fait frémir d’effroi, Passion s'affirme aussi comme une œuvre politique majeur, une critique sans concession de l'univers impitoyable des grandes entreprises et des rôles à la cruauté abyssale qu'y jouent de jeunes femmes qui n’ont rien à envier à la légendaire méchanceté des mâles.(1). Brian De Palma est certainement le premier et rare cinéaste à s’attaquer frontalement aux ravages du féminisme dans notre société moderne, à ses conséquences néfastes sur l’amour et le désir, remplacés par la volonté de domination et de puissance phallique féminine. Le film au travers d’un polar haletant, d’une grande beauté formelle nous montre le triomphe des femmes de pouvoir et la négation des rapports humains au nom de l’égalité des sexes et du dieu argent.
     
    Jacques Déniel
     
    Passion
    Un film de Brian De Palma
    Allemagne/France – 2012 – 1H41 – V.O.S.T.F.
    Interprétation: Rachel McAdams, Noomi Rapace, Karoline Herfurth, Paul Anderson...
     
    (1) Notre Ministre de la culture sera sans doute satisfaite de voir que des femmes dominent dans ce film, elle qui nous a expliqué qu’il faudrait calculer le nombre « de femmes assassinées chaque semaine à la télévision dans les scenarii » qui donne, selon elle « des représentations parfois inquiétantes ».

  • La Ciociara un film de Vittorio De Sica

    La Ciociara un film de Vittorio De Sica (1960)

     

    Un mélodrame tendu et âpre

    Italie, 1943/1944. Cesira, jeune veuve qui élève seule Rosetta sa fille de quatorze ans, décide, après un violent bombardement, de quitter Rome pour rejoindre son village natal de Santa-Eufemia dans le Bas-Latium. Adapté du roman éponyme d'Alberto Moravia, le film de Vittorio De Sica est le récit du destin dur et misérable d'Italiens modestes des classes populaires. Le cinéaste s'attache à montrer la vie des réfugiés ayant fui les grandes villes pilonnées par les bombes - au moment du débarquement allié - pour se rendre à la campagne afin d'y retrouver un peu de calme et une sécurité relative.

     

    De Sica, avec beaucoup de sens de l'observation et humour, dresse un portrait attachant de ces paysans et petits artisans, quelque peu ignorants, qui hésitent à soutenir le Duce et les Allemands ou les forces Alliés en marche pour libérer le pays du joug des forces de l'Axe. Ils désirent plus que tout la paix, peu en importe le prix.

     

    Cesira interprétée par Sophia Loren est une sorte de mère courage, forte et vindicative, prête à tous les sacrifices pour préserver sa fille Rosetta (Eleonora Brown) des horreurs de la guerre. Sophia Loren est malicieuse, drôle et tragique. Face à elle, Michele ( joué par Jean-Paul Belmondo sobre et excellent comme chez Jean-Pierre Melville, Jean-Luc Godard ou Philippe De Broca) est un enseignant et intellectuel, lucide et humaniste ayant pensé devenir prêtre. Il est très conscient de l'abominable mascarade du fascisme et des enjeux de classes.

     

    Les fascistes purs et durs sont présents représentés par deux miliciens butés et méchants. Le film décrit le quotidien d'une petite communauté paysanne où les éclats de rires provoqués par Sophia Loren et ses répliques percutantes écrites par le scénariste Cesare Zavattini résonnent, réjouissant chacun. Seul Michele essaye de faire prendre conscience de la situation à ses compatriotes apeurés par ses conseils et lectures à voix haute.

     

    Puis lentement, le film va se transformer, passant de la chronique paysanne en temps de guerre à une tragédie contemporaine sombre et cruelle. Le danger semble pourtant s'éloigner lorsque les Alliés arrivent. Mais le destin tragique des personnages est inscrit depuis le début. Michele, repéré pour ses idées, est tué par les Allemands, Cesira et sa fille Rosetta sont violemment agressées et violées dans une église en ruine par des soldats issus des colonies françaises, les fameux "Indigènes". De Sica filme la réalité sur les exactions commises en 1944 par des hommes du général Alphonse Juin constitués de soldats originaires de ces colonies (1) et (2). Nous sommes très loin de la bienveillance et de l'angélisme d’Indigènes de Rachid Bouchareb. Le Mal est présent partout, peu importe les visages, la couleur de peau ou la nation de ceux qui le servent. Il frappe dur dans un lieu consacré à Dieu.

     

    La Ciociara est un film âpre, un mélodrame tendu, magnifié par le noir et blanc tranché signé par le chef-opérateur, Gábor Pogány qui permettra à Sophia Loren d'obtenir le Prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes 1961 et l'Oscar de la meilleure actrice en 1962 à Hollywood.

     

    Jacques Déniel

     

    La Ciociara - Italie/France - 1960 - 1h57 - V.O.S.T.F.
    Un film de Vittorio De Sica
    interprétation : Sophia Loren, Jean-Paul Belmondo, Eleanora Brown, Carlo Ninchi, Andrea Checchi, Pupella Maggio, Ema Baron, Luciano Pigozzi, Raf Vallone
    Photographie : Gábor Pogány
    Scénario : Cesare Zavattini
    D'après le roman d'Alberto Moravia

    Musique : Armando Trovajoli

     

    Sur ARTE.TV du 12/06/2023 au 18/06/2023

     

    (1) Cette libération s’accompagna d’un comportement particulièrement agressif et violent envers les populations locales. Dès les premiers temps de leur progression victorieuse, les soldats du contingent français se rendirent coupables de « graves […] violences et […] abus […] dans toutes les régions où ils sont passés», [Archivio dell’Ufficio Storico dello Stato

    Maggiore dell’Esercito (AUSSME)]

     

    (2) « Quiconque se trouve sur leur route est attaqué à main armée […]. Ils s’emparent de tout […], et si dans le groupe se trouvent des femmes, elles sont déshabillées avec violence en cas de résistance. Si, par exemple, ils s’engouffrent dans quelques fermes encore habitées, ils s’adonnent à un vrai saccage ; à la suite de quoi, les armes à la main, ils chassent les hommes des maisons et violent les femmes sans aucun respect ni pour les jeunes ni pour les personnes âgées. […] [Archivio Storico del Ministero degli Affari Esteri (ASMAE)]

  • Carnage de Roman Polanski

    Carnage de Roman Polanski

     

    La méchanceté, ça fait du bien

     

     

    Adapté du Dieu du carnage, pièce de Yasmina Reza créée en 2008 au Théâtre Antoine à Paris, le nouveau long métrage de Roman Polanski est un chef-d’œuvre d’une grande intelligence et d’une subtilité maligne. C’est une comédie noire d’une rare méchanceté, un film réjouissant, caustique et drôle.

     

    Il nous raconte la rencontre de deux couples à la suite d’un fait divers banal: le fils des uns (les Cowan) a cassé deux incisives et défiguré à coups de bâton le fils des autres (les Longstreet). Superbement interprété par un quatuor d’acteurs justes et brillants, Kate Winslet (Nancy Cowan) est une femme travaillant dans les affaires, stupide, frivole et irréfléchie, Christoph Waltz (Alan Cowan) est un avocat cynique, un goujat magnifique, Jodie Foster (Penelope Longstreet) est austère et rigide, obsédée par l’idée du bien, de la justice et de l’équité morale, et John C. Reilly (Michael Longstreet), représentant en objets domestiques, un couard qui tente d’éviter tous conflits.

     

    Les Cowan viennent chez les Longstreet, pour pacifier la situation. Dès lors Polanski nous entraine dans un huis clos étouffant et anxiogène. Les quatre adultes ne quittent plus l’appartement des Longstreet, et après une série de premiers échanges mielleux et suintant l’hypocrisie, survient une succession de scènes où les alliances et les ruptures se font et se défont à mesure que chacun se dévoile. Lâcheté et mépris, cynisme et lassitude, arrogance et haute estime de soi font éclater les conventions de bon aloi affichées par ces deux couples de la bourgeoisie new-yorkaise. Comme aimanté par une force pulsionnelle de nuisance, de contamination du mal, les deux couples ne peuvent quitter l’appartement. Chaque fois que les Cowan, sur le point de partir, sont sur le pallier, une réplique de l’un ou de l’autre des protagonistes relance la dispute et les quatre personnages rentrent de nouveau dans le logement. Polanski organise de main de maître la circulation des acteurs, évitant le piège du théâtre filmé lié à ce type de projet par un cadrage cinématographique acéré.

     

    Personne n’est épargné dans ce film d’une grande justesse sur la noirceur des êtres humains. C’est une vision à des années lumières de « L’empire du bien ». Les réparties d’Alan, l’avocat et celles mutines de Michael contre l’envahissante soif de justice de sa femme, éternelle indignée et militante des droits de l’homme sont cinglantes. La scène du portable d’Alan jeté dans l’eau d’un vase est un summum de cruauté, tant l’intéressé semble anéanti.

     

    On retrouve dans cette farce sombre tout l’univers du mal selon Polanski, un mal qui hante son cinéma depuis Le Couteau dans l’eau jusqu’à Ghost Writer en passant par Répulsion, Rosemary Baby ou Le Locataire. Carnage est décidément une bonne nouvelle : la méchanceté est enfin de retour dans notre paysage cinématographique actuellement bien englué dans les bons sentiments, tendance Intouchables.

     

    Jacques Déniel

    Carnage (la jubilation du mal), Roman Polanski avec Jodie Foster, John C. Reilly, Christoph Waltz, Kate Winslet – 1H20