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Dieu est mort (The Fugitive) un film de John Ford

Dieu est mort (The Fugitive) un film de John Ford

 

L’amour est plus fort que la mort

 

Continuant, dans mon confinement, mon exploration de la figure du prêtre au cinéma, je viens de revoir Dieu est mort un film qui compte très peu de défenseurs et beaucoup de contempteurs. John Ford, l'aimait beaucoup. Il déclare, dans un entretien: « J’ai eu exactement le résultat que je voulais. Voilà pourquoi c’est l’un de mes films ­préférés. Pour moi, il est parfait. Malheureusement, il n’a pas eu de succès. Les critiques se sont jetés dessus et le public n’a pas suivi. Malgré cela, j’étais très fier de mon travail. » (1)

Le film, adapté du roman de Graham Greene, La Puissance et la gloire (1940) par John Ford et son scénariste Dudley Nichols est une œuvre passionnante, d’une grande richesse artistique et intellectuelle, un grand film moral, spirituel et humaniste, une fable politique et et une parabole spirituelle, empreint d’un sens aigu de la mise en scène et d’une beauté formelle et picturale qui fait réfléchir sur la politique, la foi, l’idée de Nation et de Peuple. Il est en accord parfait avec la pensée philosophique, politique et spirituelle et républicaine de Ford. Une philosophie humaniste – hantée par la lutte du bien et du mal – qui pense que la lente et dure édification de la Nation et de la communauté humaine doit se bâtir sur la connaissance et la culture, la foi, le sens des valeurs de la famille et la défense des pauvres et des opprimés, du peuple.

Les évènements se déroulent dans un pays imaginaire vivant sous le joug d’un régime totalitaire qui veut éradiquer la religion catholique pour le bonheur du peuple. Cette situation politique rappelle à la fois le nazisme et son côté néo-païen – John Ford, patriote convaincu sort de ses années d’engagement comme cinéaste des armées et a connu de près l’horreur de la guerre contre le fascisme (2) – et les dictatures communistes anticléricales. Tourné en 1946-1947, le film rappelle aussi les persécutions terribles que subirent les catholiques au Mexique de 1858 à 1861, et à partir de 1926. (3)

La parabole christique est inscrite dans le récit dès le début. Le prêtre (Henry Fonda, excellent), gravit à dos d’âne une colline où se découpe une église rayonnante de lumière. Il se dirige vers les portes. Puis, nous sommes à l’intérieur de l’édifice sombre, les portes s’ouvrent, et la silhouette du prêtre, les bras en croix, poussant les battants, se découpe dans la lumière vive venant de l’extérieur. La figure christique est clairement annoncée. Nous allons assister au calvaire d’un homme. Le curé s’agenouille avec humilité – à la fois humble serviteur du Christ et prêtre orgueilleux investi d’une mission – puis pénètre dans le chœur de l’édifice, s’approchant d’une fenêtre ovale au vitrail brisé d’où jaillit la lumière de la puissance divine qui le désigne comme envoyé de Dieu. Alors apparaît une femme, debout dans un halo de lumière violente. Elle porte un enfant dans ses bras, sorte de Vierge Marie. Le dialogue entre les deux personnages confirme que les catholiques sont persécutés, qu’il n’y a plus ni prêtres ni églises dans le pays, que les nouveau-nés n’ont pas été baptisés. La jeune femme, Maria Dolores (sublime Dolores del Rio), endosse leurs souffrances, comme Marie. Mais très vite, par son comportement (elle s’agenouille et baise la main du prêtre), et par les propos échangés, nous comprenons qu’elle représente aussi la figure biblique de Marie-Madeleine, pécheresse et Sainte.

La lumière du chef-opérateur Gabriel Figueroa (4), jouant sur la confrontation de noirs et blancs très contrastés et la musique de Richard Hageman, composée comme un véritable oratorio d’une grande force opératique amplifient le sentiment de puissance et de gloire qui se dégage de toute la scène.

La fable politique s’inscrit lors de la première apparition du lieutenant de police (l’impressionnant Pedro Armendariz), dans la caserne de Puerto Grande, où de pauvres paysans et ouvriers, arrêtés, tremblent de peur devant le représentant du pouvoir. Jamais, au cours du film, John Ford n’indique s'il s'agit d'une dictature fasciste ou communiste .Le sigle du régime figurant sur la casquette ou les brassards des policiers représente un poing tenant une flèche (signe ostentatoire de nombreux partis fascisants, mais aussi communistes durant le Front populaire) qui n’est pas sans rappeler le poing tenant le fléau qui soufflette le Christ dans les peintures et fresques religieuses comme celles de Fra Angelico au couvent San Marco de Florence. Le cinéaste laisse planer le doute, renforçant ainsi sa critique de tout régime totalitaire, à l’inverse du roman de Graham Greene, où la présence de chemises rouges servant le régime est très significative. La séquence de l’arrivée de la police à la recherche du dernier curé, dans le village de Maria Dolores, est d’une violence inouïe, les cavaliers arrivent au galop en hurlant, piétinent les champs, renversent et détruisent les étals des paysans et artisans sur le marché. Le peuple violenté et dominé, la civilisation et la Nation sont niées, bafouées par la barbarie.

La dernière séquence de The Fugitive conclut cette parabole biblique et politique. Le prêtre, ayant reçu un crucifix en bois des mains de Marie-Madeleine/Maria Dolores, gravit des escaliers, entouré par ses gardes, pour atteindre le sommet de la ville où il sera fusillé. Alternant ces plans avec ceux d’une foule en prière dans une église et ceux du lieutenant rongé par la culpabilité lorsqu’il entend les coups de feu de la mise à mort, le cinéaste donne à voir la grandeur humaine de la mort du prêtre et la force spirituelle de rachat, de rédemption de ce sacrifice. La condamnation totalitaire a frappé, mais le courage de la résistance et la foi en Dieu peuvent vaincre. Dans le dernier plan, le peuple priant, réuni dans l’église, voit les portes s’ouvrir et un nouveau prêtre entrer. L’amour est plus fort que la mort.

Jacques Déniel

 

Dieu est mort (The Fugitive) un film de John Ford

États-Unis – 1947 – 1h44 – noir et blanc – V.O.S.T.F.

Interprétation: Henry Fonda, Pedro Armendariz, Dolorès del Rio

DVD éditions Montparnasse

 

Notes

 

1. Peter Bogdanovich, John Ford, Edilig, Paris, 1968.

2. Il y tournera December 7th et The Battle of Midway.

3. En 1926, le gouvernement du président Plutarco Elías Calles prend la décision de supprimer le catholicisme au Mexique. La France avait déjà eu cette prétention lors de la Révolution. L’Espagne l’aura quelques années plus tard. Le Président dit vouloir ouvrir son pays à la modernité. Il entreprend une féroce persécution contre l’église catholique. Une des premières mesures est la suppression du culte catholique. Cette mesure est insupportable pour des millions de Mexicains et Mexicaines. Pour défendre leur religion et la liberté de culte, des milliers de paysans et rancheros se révoltent et en viennent aux armes pour entamer là ce qu’ils appelleront la última cruzada (dernière croisade). Cette haine envers les chrétiens causa plus de trente mille morts au Mexique entre 1857 et 1937. Trente mille qui préférèrent mourir plutôt qu’être privés de la liberté de croire en Dieu.

4. Élève de Gregg Toland, directeur de la photographie de John Ford sur Les Raisins de la colère, The Long Voyage Home et December 7th, maître exceptionnel des éclairages en clair-obscur, collaborateur de nombreux cinéastes, tout particulièrement Luis Buñuel, John Huston et Emilio Fernàndez

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