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  • May December un film de Todd Haynes

    May December un film de Todd Haynes
     
    Le portrait sans équivoque de deux femmes fortes et assez antipathiques dans l’Amérique provinciale puritaine.
     
    May December est le dixième long-métrage de l’excellent cinéaste américain Todd Haynes, auteur de deux mélodrames de feu et de glace Loin du Paradis (2002) et Carol (2015) très inspiré par le cinéma flamboyant de Douglas Sirk, de trois beaux films sur la musique, Velvet Goldmine (1998) sur le rock glamour et Bowie, I’m Not There sur Bob Dylan (2006) et The Velvet Underground (2021), un documentaire sur le groupe de rock culte américain, un grand film poltique Dark Waters (2019), fiction de procès tragique qui relate l'histoire véridique de l'avocat Robert Bilott qui a dénoncé les pratiques toxiques de l'entreprise chimique DuPont de Nemours.
     
    Le film nous conte l’histoire de Gracie qui vit dans une grande villa côtière à Savannah, en Géorgie, avec son mari, Joe, leurs jumeaux adolescents et leurs deux chiens. La différence d’âge entre Gracie (59 ans) et Joe (36) est frappante et l’on comprend vite que le couple a créé le scandale dans le passé. Deux décennies auparavant, Joe Yoo était collégien et Gracie l’une de ses enseignantes.
     
    Cette relation est inspirée de l’histoire de Mary Kay Letourneau, enseignante de l’État de Washington qui en 1997 a été reconnue coupable de violences sexuelles sur Vili Fualaau, l’un de ses élèves, alors âgé de 12 ans, avec qui elle entretenait une relation. L’affaire avait fait couler beaucoup d’encre à l’époque.
     
    Todd Haynes grâce à sa maîtrise narrative et sons sens aigu de la mise en scène étoffe brillamment ce fait divers, portée par trois acteurs formidables, justes et émouvants : Nathalie Portman (Elizabeth Berry), Julianne Moore (Gracie Atherton-Yoo) et Charles Melton (Joe Yoo).
     
    Elizabeth Berry, une actrice célèbre vient rencontrer Gracie Atherton-Yoo celle qu’elle va incarner à l’écran, dont la vie sentimentale a enflammé la presse à scandale et passionné le pays 20 ans plus tôt.
     
    Le film est un hommage troublant et intelligent au cinéma et un fascinant portrait de femmes et d’actrices, une œuvre flamboyante et glacée servie par ses deux actrices de haut vol, Natalie Portman et Julianne Moore. La mise en scène acérée de Todd Haynes emmène le spectateur vers un maelström d'émotions et d'interrogations. Les références au cinéma du grand Ingmar Bergman sont fines, crues et poignantes Persona pour le rapport entre les deux personnages féminins principaux, Les Communiants pour la séquence où Elizabeth joue face caméra la lettre d’amour de Gracie à son jeune amant. La musique que Michel Legrand avait composée pour le film Le Messager de Joseph Losey, autre influence évidente de Todd Haynes avec le long-métrage Le Lauréat de Mike Nichols, nous submerge dans les moments de tensions dramatiques.
     
    May December est un grand film sur l’emprise, l’emprise de deux femmes sur Joe Yoo. Celle de Gracie Atherton, une femme de 36 ans sur le jeune garçon de 13 ans qu’elle fascine et celle de Elizabeth sur ce même Joe devenu un père de famille de 36 ans. L’actrice répète au nom de son art de l’interprétation, la scène de subjugation et de possession sexuelle initiale. Joe succombe devant deux femmes sures de leur désir, de leur volonté, de leur force de femmes dominatrices désirantes.
     
    Le portrait sans équivoque de deux femmes fortes et assez antipathiques dans l’Amérique provinciale puritaine. Du grand cinéma moral porté par la mise en scène limpide de Todd Haynes et la beauté de la musique de Michel Legrand.
     
    Jacques Déniel
     
    May December un film de Todd Haynes
    États-Unis – 2023 – 1h57 – V.O.S.T.F.
    Réalisation : Todd Haynes, Scénario : Samy Burch, Image : Christopher Blauvelt, Musique : Marcelo Zarvos, Michel Legrand.
    Interprétation : Natalie Portman (Elizabeth Berry), Julianne Moore (Gracie Atherton-Yoo), Charles Melton (Joe Yoo), Cory Michael Smith (Georgie Atherton), Elizabeth Yu (Mary Yoo), Gabriel Chung (Charlie Yoo), Piper Curda (Honor Yoo), D. W. Moffet (Tom Atherton), Lawrence Arancio (Morris)...
    Sortie sur les écrans de cinéma de France le 24 janvier 2024

  • La Zone d'intérêt" de Jonathan Glazer.

    La Zone d'intérêt un film de Jonathan Glazer.

     

    Un film désincarné, une installation froide et hygiéniste saturée par des sons extrêmes et une musique agressive.

     

    Avec cette adaptation très éloignée du roman de l'écrivain Martin Amis (qui ne désignait pas nommément les bourreaux dans son livre), Jonathan Glazer à décidé de montrer les vrais personnages, les vrais lieux (le film a été tourné sur le site même) où vivaient la famille Höss.

     

    L’expression sordide la zone d’intérêt qui donne son titre au film est emprunté au langage même des nazis pour définir le périmètre de 40 kilomètres entourant d’Auschwitz, le cœur du processus industriel génocidaire du troisième Reich. Lieu monstrueux où règne le Prince de ce Monde.

     

    Le film de Jonathan Glazer repose sur le choix d'une mise en scène conceptuelle forte, radicale, excessive et esthétisante, pas tant dans le projet, raconter le quotidien de la famille de Rudolf Höss, l’un des maîtres d’œuvre de la Solution finale, mais bien évidement sur la manière de montrer ce quotidien tant par l'image que par les sons et la musique.

     

    Filmer la Shoah depuis le jardin d’un pavillon bourgeois accolé au camp d'Auschwitz est sans doute un choix fort, la filmer en choisissant la sur-esthétisation de sa mise en scène par l'utilisation de sons censés provenir du camp mais très nettement mixés pour devenir comme une bande musicale atroce signée Mica Levi, par le filmage de séquences inutiles, de scènes sans réel intérêt (le rapport du couple avec la mère de sa femme, le fascisme latent de son fils jeune adolescent, personnage rappelant les petits monstres du film impressionnant et malaisant de Michael Hanneke, Le Ruban blanc (2009), les scènes de distribution des pommes par la jeune fille polonaise tournées en caméra à lumière infrarouge...)

     

    La Zone d’intérêt est un film de dispositif conceptuel emprunt de ruse et de rouerie intellectuelle. Glazer, petit cinéaste malin veut prouver que la puissance indépassable du hors-champ suffit à rendre vertigineuse sa description du quotidien de la famille Höss. De surcroit sa mise en scène est souvent lourde, démonstrative lorsqu'il montre de façon interventionniste, la trace du génocide comme dans l'insupportable film Le Fils de Saul de Làzlo Nemes.

     

    Au fond, le film n'est pas clinique mais assez monolithique. Glazer fait preuve d'un manque d'idées pour traiter son sujet l’horreur concentrationnaire. La plupart du temps, il neutralise l’image et étouffe le spectateur par des effets sonores ou visuels marqués (sons stridents, bourdonnements surgissement d’un beau monochrome rouge débordant d’un insert sur une fleur...). Il semble bien incapable de révéler la barbarie, l’horreur trop occupé par sa volonté d'illustrer l’effroyable banalité du mal loin de la complexité du texte de Hannah Arendt (1) et son désir auteuriste de petit maître de l’image, obsédé par son dispositif implacable de mise en scène.

     

    Le film semble tourner à vide, rien ne prend véritablement chair. La famille Höss est désincarnée, froide, sans vie. La Zone d’intérêt se termine, par un brusque raccord. Un plan au fond noir est fendu par l’ouverture d’une porte qui ramène l’action à notre époque: dans le mémorial de la Shoah et des camps d'extermination situé dans l’ancien camp d’extermination d’Auschwitz des employés nettoient de manière clinique les lieux d'exposition. Glazer filme la Shoah de comme une installation froide et hygiéniste saturée par des sons extrêmes et une musique agressive. Une fois de plus face à une fiction voulant évoquer la Shoah c'est le Retour au noir (2).

     

    Jacques Déniel

     

    (1) Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, traduction A. Guérin, Paris, Gallimard, 1966

    (2) Retour au noir ouvrage d'Alain Fleischer à propos du film Le Fils de Saul de Làzlo Nemes, et du livre Sortie du noir de Georges Didi-Huberman (sortie d'Auschwitz, revendiquée par le second).

     

    La Zone d’intérêt États-Unis, Royaume-Uni, Pologne2023

    Réalisation et scénario : Jonathan Glazer d'après le roman de Martin Amis, Image : Łukasz Żal, Son : Johnnie Burn, Montage : Paul Watts, Musique : Mica Levi.

     

    Sortie sur les écrans des cinémas de France le mercredi 31 janvier 2024.

     

     

     

    La Zone d’intérêt

    de Jonathan Glazer