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Le Rideau déchiré d’Alfred Hitchcock

Le Rideau déchiré (Torn Curtain) d’Alfred Hitchcock
 
Les ombres de la Guerre froide
Dans Le Rideau déchiré, Alfred Hitchcock s’aventure au cœur des ténèbres géopolitiques de la Guerre froide. Le film, souvent jugé mineur à sa sortie, révèle pourtant un artisan à la recherche d’une nouvelle forme de dépouillement : une manière de scruter les visages, les gestes et les silences comme autant de failles dans un monde coupé en deux. Entre atmosphère clinique, tension diffuse et ironie politique, cette œuvre crépusculaire dévoile un maître du suspense plus inquiet, plus sévère, mais toujours fascinant.
 
Un couple happé par le secret
Lors d’un congrès à Copenhague, Michael Armstrong (Paul Newman), savant atomiste réputé, annonce brusquement son départ pour Stockholm. Mais Sarah Sherman (Julie Andrews), sa fiancée et assistante dévouée, découvre qu'il s’est en réalité envolé pour Berlin-Est. Intriguée, blessée, obstinée, elle le suit. C’est alors qu’elle comprend : Armstrong n’est peut-être pas l’homme qu’elle croyait, ou plutôt, il en est un autre — dissimulé derrière un voile de faux-semblants. Car le savant joue un double jeu dangereux, au bord du gouffre diplomatique.
 
Une équipe renouvelée, une mise en scène dépouillée
Pour Torn Curtain, Hitchcock troque une partie de ses collaborateurs habituels contre une équipe nouvelle, s’entoure de deux stars hollywoodiennes qu’il ne parviendra jamais vraiment à apprivoiser, et adopte une esthétique plus sèche, presque ascétique. Pourtant, de ce dépouillement naît une tension inédite : une rigueur qui donne au film l’allure d’un mécanisme secret, grinçant, presque déshumanisé. À travers Newman et Andrews, figures lumineuses plongées dans un univers de soupçon, Hitchcock interroge l’opacité des êtres autant que celle des nations.
 
L’Allemagne de l’Est : un labyrinthe de gris
L’Allemagne de l’Est filmée par Hitchcock est un territoire de pierre et de brume. Couloirs interminables, trains métalliques, murs qui semblent absorber le son : rien ne respire, tout surveille. La célèbre scène du musée, où Gromek (Wolfgang Kieling) suit Armstrong comme une ombre d’État, condense cette vision glaçante. L’espace devient toile abstraite, quasi picturale, où chaque pas résonne comme un avertissement. La musique de John Addison, nerveuse et menaçante, achève de plonger le spectateur dans cet univers où le temps lui-même paraît sous écoute.
 
Espionnage, aventure et satire d’un monde verrouillé
Si le film épouse les codes du récit d’espionnage, il se pare aussi des accents d’un roman d’aventure — on pense parfois à Tintin traversant l’Union Soviétique. Mais Hitchcock glisse sous le vernis du divertissement une critique fine et acérée du régime communiste, dont il expose la mécanique de contrôle et d’enfermement. La scène du meurtre de Gromek, invraisemblablement longue et laborieuse, est une leçon de cinéma : brutale, presque burlesque, elle rappelle que tuer, dans la réalité, est un acte pesant, sordide, dénué de toute élégance dramatique. « Il était temps, disait Hitchcock, de montrer combien il est difficile de prendre une vie. »
 
Hitchcock, cinéaste engagé
Tourné en pleine Guerre froide, Le Rideau déchiré rejoint la lignée d’œuvres où Hitchcock affronte les totalitarismes : de Secret Agent (Quatre de l’espionnage - 1936) au très anti-munichois Lady Vanishes (Une Femme disparaît - 1938). Comme le rappelait Claude Chabrol, Foreign Correspondent (Correspondant 17 - 1940 ) fut détesté par Goebbels, qui y voyait une menace directe. Ici encore, l’enfer est « rouge », couleur fétiche d’une idéologie communiste criminelle qui se referme sur ceux qui tentent de la traverser.
 
Une œuvre sobre, inquiète et magistrale
Méprisé lors de sa sortie, le cinquantième film d’Hitchcock mérite aujourd’hui d’être réhabilité. C’est une œuvre mûre, tendue, où l’on devine le maître à la recherche d’une nouvelle respiration : moins baroque, plus intérieure, mais toujours éblouissante de maîtrise. Un film politique sans emphase, un film d’espionnage sans fioriture, un film d’aventures sans naïveté — et pourtant, derrière cette austérité, une beauté plastique rare, presque hypnotique. Le Rideau déchiré apparaît désormais comme l’un des jalons essentiels de la période tardive d’Hitchcock : une méditation inquiète sur la duplicité, la peur et le prix de la liberté.
 
Jacques Déniel
 
Le Rideau déchiré d’Alfred Hitchcock
États-Unis – 1966 – 2h08 - VOSTF
Interprétation :Paul Newman, Julie Andrews, Lila Kedrova, Hansjörg Felmy, Tamara Toumanova, Wolfgang Kieling...

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