L’Engloutie de Louise Hémon
L’Engloutie de Louise Hémon
Dans les silences de la montagne : l’envoûtement de L’Engloutie
Après avoir réalisé plusieurs courts et moyens métrages — L’Homme le plus fort (2014), Une vie de château (2019), Salomé sur sa slackline (2020), Le Dernier Débat (2020, coréalisé avec Émilie Rousset) et Voyage de documentation de Madame Anita Conti (2024) — Louise Hémon signe avec L’Engloutie (2025) son premier long métrage de fiction. Elle y confirme une œuvre singulière, habitée par les territoires, les corps et les silences.
Une fable montagnarde au tournant du siècle
1899 Par une nuit de tempête, Aimée, une jeune institutrice républicaine, arrive à dos de mulet dans un hameau enneigé aux confins des Hautes-Alpes. Malgré la méfiance d’habitants rudes et taiseux, elle se montre bien décidée à éclairer de ses lumières leurs croyances qu’elle juge obscures. Alors qu’elle se fond peu à peu dans la vie de la communauté, un vertige sensuel grandit en elle. Jusqu’au jour où une avalanche engloutit un premier montagnard…
La montagne, entre mémoire et mystère
Inspirée par les récits de son arrière-grand-tante et de son grand-père, Louise Hémon cherche à filmer la montagne, lieu vaste et naturel encore peu représenté dans le cinéma français contemporain, bien qu’il recèle un réservoir inépuisable de récits. Elle filme avec une grande sensualité un territoire et ses habitants, joue avec les contes et croyances anciennes issus du roman national , mêlés à une histoire intime de vertige, d’incertitude et d’insaisissable mystère.
Une expérience sensorielle et envoûtante
L’Engloutie est un film d’atmosphère, profondément sensoriel, qui enveloppe le spectateur dans un monde à la fois âpre et magnétique. La mise en scène épouse les paysages, les visages et le rythme lent de la vie locale, installant un climat où le réel glisse doucement vers l’étrange. Le mystère, omniprésent, constitue l’une des grandes forces du film : il fascine, trouble et ouvre des espaces de projection. Cette part d’énigme confère à l’ensemble une dimension ensorcelante.
La musique, entre émotion et excès
La musique d’Émile Sornin accompagne avec beaucoup de justesse cette immersion. Magnifique et sensible, souvent inspirée, elle participe pleinement à la texture émotionnelle du film. On peut toutefois regretter qu’elle soit parfois trop présente, soulignant certaines scènes là où le silence ou le simple souffle du paysage auraient pu suffire. Cette abondance musicale n’enlève rien à la qualité de la composition, mais tend ponctuellement à orienter le regard et l’émotion.
Des interprètes d’une rare justesse
Les acteurs constituent l’un des grands points forts de L’Engloutie. Tous sont remarquables, qu’ils soient professionnels ou habitants du cru, là même où le film a été tourné. Cette alliance entre comédiens confirmés et acteurs non professionnels confère au film une vérité rare, une justesse de ton et de présence qui ancre profondément la fiction dans le réel. Les visages, les gestes et les voix portent le film avec une sincérité précieuse, sans jamais tricher.
Une œuvre singulière et durable
Œuvre exigeante et habitée, L’Engloutie s’impose comme un film à part, qui ose le trouble, le temps long et la porosité entre documentaire et fiction. Ce film envoûtant confirme le regard singulier de Louise Hémon et laisse une empreinte durable, à la fois sensorielle et mentale.
Jacques Déniel
L’Engloutie
France / Italie – 2024 – 1h34
Réalisation : Louise Hémon
Scénario : Louise Hémon et Anaïs Tellenne
Interprétation : Galatea Bellugi (Aimée), Mathieu Lucci (Énoch), Samuel Kircher (Pépin), Oscar Pons (Daniel), Sharif Andoura (le père de Pépin)…
Image : Marine Alma Atlani
Musique : Émile Sornin