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Rio Grande un film de John Ford

Rio Grande un film de John Ford

 

 

Ligne de front, ligne de cœur

 

Fin des années 1870, le Colonel de cavalerie , Kirby York accueille dans son régiment son propre fils, le jeune Jeff, recalé à West Point. Séparée de York depuis un épisode tragique de la Guerre de Sécession, Kathleen, la mère de Jeff, intervient auprès de son époux pour qu’il n’accepte pas le jeune homme dans sa garnison. La guerre contre les Indiens fait rage, et la mère craint pour la vie de son fils…

 

Les éclats d’une trilogie blessée

Lorsqu’on évoque la première trilogie de la cavalerie de John Ford, on cite volontiers Fort Apache (1948) et La Charge héroïque (She Wore a Yellow Ribbon1949), œuvres vénérées. Rio Grande, tourné en 1950, bien moins aimé par la critique a longtemps souffert d’une réputation de film de commande pour les besoins et les exigences du studio. Cette légende critique, pourtant, s’effondre dès que l’on regarde le film avec attention. Car ce que Ford offre ici n’est pas un western ordinaire, mais un récit profondément humain où se nouent l’amour, l’Histoire et la mémoire d’une nation divisée.

Le retour du combat

Ce qui frappe d’abord, c’est l’ouverture. Une compagnie de cavalerie rentre au fort après une bataille meurtrière. Les hommes avancent au ralenti, les épaules voûtées, sous la musique grave de Victor Young. Les femmes attendent, la gorge serrée. Ford filme la défaite intérieure, la fatigue, la souffrance écrite sur les visages. Aucun triomphalisme, aucune rhétorique glorieuse — seulement le poids du réel. Cette séquence impose d’emblée la tonalité du film : une méditation sur le coût humain de la guerre.



Monument Valley, cathédrale des solitudes

Puis le film s’ouvre sur les vastes étendues de Monument Valley, ces formations minérales que Ford a transformées en cathédrales de cinéma. Quelques scènes y sont tournées, comme des respirations dans le récit. La roche rouge, les plateaux lointains, le ciel infini donnent au film une dimension mythique, mais aussi une profondeur morale : l’homme y apparaît petit, vulnérable, perdu dans un monde plus ancien que ses querelles.



Une famille éclatée

Au cœur du film se trouve une famille brisée. Kirby Yorke (John Wayne), officier rigoureux, porte en lui un passé qu’il ne peut effacer. Pendant la Guerre de Sécession, il a brûlé la plantation sudiste de sa femme, Kathleen Yorke (Maureen O’Hara), obéissant au devoir mais trahissant l’amour. Cet acte, jamais représenté à l’écran mais constamment évoqué, hante chacun de leurs gestes. Leur fils, Jeff Yorke (Claude Jarman Jr.), échoue à West Point et devient simple soldat sous les ordres de son père. Toute la douleur du film se cristallise dans cette situation : un père contraint de traiter son fils comme un subalterne, une mère venue supplier qu’on lui rende un enfant qu’elle a déjà perdu une première fois.



Un foyer brisé au milieu de la guerre

Les scènes de retrouvailles entre Kirby et Kathleen comptent parmi les plus belles de Ford : regards suspendus, voix retenues, émotion palpable dans la moindre inflexion. Il ne filme jamais l’amour de manière appuyée ; il filme ce qui reste quand il a été blessé. L’expression des sentiments se loge dans une tasse posée, un souvenir évoqué, une chanson qui réveille ce qui dormait.



Fraternité, humour, loyauté

Autour d’eux gravitent les soldats, personnages fordien par excellence, et notamment le sergent Quincannon (Victor McLaglen), mélange irrésistible de clown et de roc, capable d’un humour tonitruant comme d’une loyauté absolue. Les Sons of the Pioneers, déjà présents dans Wagon Master, ajoutent une note chaleureuse et presque sacrée à l’ensemble. Leurs ballades accompagnent le film comme un chœur venu des origines du pays.



Père et fils

L’un des moments les plus bouleversants survient lorsque Yorke, pénétrant dans une église en ruines pour sauver des enfants kidnappés par les Apaches, aperçoit enfin son fils. Jeff, pourtant héros de l’instant, apparaît simplement comme un enfant parmi les enfants. Ford affirme ici, sans discours, que la virilité guerrière s’efface devant l’amour d’un père. Dans ce simple geste — un regard qui tremble — réside l’une des subversions les plus délicates du western classique.



La traversée du Rio Grande

Lorsque le film se conclut sur la traversée du fleuve, ce n’est pas seulement une opération militaire qui s’achève, mais un mouvement intérieur. Le Rio Grande cesse d’être frontière : il devient passage, réconciliation, promesse. Le couple se retrouve, le fils retrouve une place, et la communauté, un avenir.

Rio Grande est un film secret, pudique, immense par sa simplicité même. Un film où les paysages de Monument Valley dialoguent avec les fissures du cœur humain. Un film où le mythe de l’Ouest s’ouvre à la tendresse, où la marche de la cavalerie se transforme en marche vers le pardon. Un œuvre qui prouve, en silence, que la grandeur de Ford réside moins dans les chevauchées que dans l’attention qu’il porte à ce qui tremble.

 

Rio Grande un film de John Ford

d'après la nouvelle de James Warner Bellah

interprétation: John Wayne, Maureen O’Hara, Victor McLaglen, Claude Jarman Jr, Ben Johnson...

Musique : Victor Young

États-Unis – 1950 – noir et blanc – western – 1h45

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