Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Une certaine idée du cinéma le blog de Jacques Déniel

  • Pas de vagues de Teddy Lussi-Modeste.

    Pas de vagues de Teddy Lussi-Modeste.
     
    Un très mauvais film révélateur de l'état catastrophique du cinéma Français.
     
    Julien Keller est un jeune professeur naïf bienveillant, inexpérimenté et homosexuel (le film insiste lourdement sur ce fait). Il enseigne le Français en quatrième au collège Paul Eluard interprétant avec ses élèves, de manière fort maladroite, un poème célèbre de Ronsard, Mignonne, allons voir si la rose.
    S'ensuit des accusations de séduction de sa part par une élève Leslie. Très vite son frère, Steve, jeune voyou déluré menace le professeur. Ses collègues le défendent mais le proviseur donne le La: Pas de vagues!
     
    La presse quasi unanime défend ce film assez ignominieux qui renverse toutes les valeurs et nous mène en bateau. Pas de hussards noirs. Pas de laïcité en danger. Pas de réel pédagogique ni sociologique. Juste un film extrêmement bien pensant qui renverse (au nom de l'adaptation d'une histoire vraie ce qui n'est jamais le garant du réel ni de la justesse de ton d'une œuvre de cinéma) le réel contemporain de l'école (celle de Samuel Paty et Dominique Bernard) pour nous montrer le comportement inqualifiable de petites et petits blancs de la France périphérique et des quartiers en souffrance.
    Nous sommes à des années lumières de l'école des hussards de la république celle de monsieur Germain, l'instituteur d'Albert Camus. Nous sommes ici dans une école de la bienveillance cinématographique, de la fiction sur-scénarisée. Dans l'école du professeur François Bégaudeau, l'enseignant idéologue du film de Laurent Cantet Entre les murs. Sans aucun doute avec ce film sans réel vague, le cinéaste pourra rejoindre la grande famille progressiste du cinéma français. Un mauvais film lourd à la mise en scène pesante et peu inspirée.
     
    Jacques Déniel
     
    Pas de vagues un film de Teddy Lussi-Modeste
    France - 2023 - 1h32
    François Civil, Shaïn Boumedine, Bakary Kebe....
     

  • Amal, un esprit libre" de Jawad Rhalib.

    Amal, un esprit libre" de Jawad Rhalib.
     
    "Amal un esprit libre" est un grand film politique sincère, courageux et d'une grande justesse de ton. Superbement mis en scène par Jawad Rhalib dont les cadres ciselés, les mouvements de caméra précis et la direction d'acteurs tous excellents, tout particulièrement l'impressionnante Lubna Azabal qui joue le rôle de l'enseignante passionnée.
     
    Bruxelles, un lycée public en 2023. Face à l'étroitesse d'esprit de ces élèves immigrés pour la plupart qui ont pris à partie Monia une élève désignée arbitrairement comme sale lesbienne. Amal veut transmettre à ses élèves, dont certains radicalisés par le biais de l'enseignant de religion du lycée (1) Nabil, un belge converti et fanatique impeccablement campé par Fabrizio Rongione, la beauté de la poésie, l'indépendance d'esprit et de pensée en étudiant Victor Hugo et en leur faisant lire les beaux poèmes d'Abû Nuwas, poète croyant de langue arabe du califat abasside (2) qui à travers ses textes chante le goût des beaux garçons, du libertinage, du vin et de la liberté ce qui est insupportable pour tous les fanatisés d'Allah.
     
    Tout cela va très mal se terminé au pays des frites, de la bière et du cyclisme, le pays de Magritte, de Brel, d'Adamo... L'affaire est grave terrifiante, insoutenable. Il est grand "de dire ce que l'on voit et surtout de voir ce que l'on voit" comme le disait Charles Péguy.
    Un film magnifique, tragique et crucial. A voir absolument!
     
    Jacques Déniel
     
    (1) Les cours de religion sont obligatoires dans les écoles publiques belges. Il serait question de les rendre facultatifs à la rentrée 2024.)
    (2) califat sunnite qui gouverne une large partie du monde musulman de 750 à 1258.
     
    Amal, un esprit libre" de Jawad Rhalib
    Belgique - 2023 - 1h51
    Interprétation:  Lubna Azabal, Fabrizio Rongione, Catherine Salée, Kenza Benbouchta, Ethelle Gonzalez-Lardued, Johan Heldenberg, Babetida Sadjo, Mehdy Khachachi 
     

  • Une vie cachée de Terrence Malick

    Une vie cachée de Terrence Malick

    Le chemin de sainteté

    Même si j'écris avec les mains enchaînées, cela vaut mieux que d'avoir ma volonté enchaînée. Parfois, Dieu se manifeste en donnant sa force à ceux qui l'aiment et ne placent pas les choses terrestres au-dessus des réalités éternelles. Ni le cachot, ni les chaînes, ni même la mort ne peuvent séparer quelqu'un de l'amour de Dieu, lui ravir sa foi et sa volonté libre. La puissance de Dieu est invincible Franz Jägerstätter (Août 1943. Dans la prison militaire de Berlin-Tegel).

    Une vie cachée de Terrence Malick est un chef-d'œuvre et d'ores et déjà un film essentiel de l'histoire du cinéma. L'action se déroule à Sankt-Radegunde (Sainte-Radegonde) dans la montagne Autrichienne, près de Linz et Salzbourg, et Berlin entre 1939 et 1943.

    Auteur des très beaux La Balade sauvage (1973), Les Moissons du ciel (1978), La Ligne rouge (1998), Le Nouveau Monde (2005), Terrence Malick avait choisi une voie esthétique souvent mal comprise dans ces derniers films: Tree of Life (2011), A la merveille (2012) ... Libre et inventif, le cinéaste s'était affranchi des règles du récit afin de travailler ses recherches esthétiques et spirituelles et de nous livrer un cinéma contemplatif, poétique, métaphysique, théologique prenant parfois la forme du psaume ou de la prière.

    Grâce à sa longue pause entre 1978 et 1998, période ou il a voyager dans plusieurs pays, penser le monde qui l'entoure, grâce à ses interrogations sur la forme au cinéma, à la force de sa réflexion philosophique, politique, spirituelle et artistique, Terrence Malick revient avec ce long-métrage à la narration classique servie par une maitrise essentielle de la mise en scène: forme, cadre, lumière, picturalité, occupation de l'espace, déroulement du temps, jeu des comédiens.

    Le film est inspiré de l'histoire réelle de Franz Jägerstätter, un paysan autrichien qui refuse de se battre aux côtés des nazis, de prêter allégeance au führer. Ils furent des exceptions, ceux qui résistèrent en Autriche et en Allemagne, à Hitler et au nazisme. Faire ce choix entrainait inexorablement la peine de mort. En Allemagne, il y eut Sophie et Hans Scholl et leurs compagnons de la Rose Blanche. En Autriche, Franz Jägerstätter, un paysan du village de Sainte-Radegonde mena un parcours exemplaire de résistance. Reconnu coupable de trahison par le régime hitlérien, il est emprisonné, condamné à mort et guillotiné le 9 août 1943. (En juin 2007, le pape Benoît XVI autorise la Congrégation pour la cause des saints à publier un décret reconnaissant Jägerstätter comme martyr. Celui-ci a été béatifié à la cathédrale de Linz).

    Une vie cachée nous conte l’histoire de cet homme héroïque et méconnu (1). Le film débute par un plan noir où l'on entend le bruissement de la nature et le chant de oiseaux (une voix off, celle de Franz dit sa foi en une vie simple et heureuse). Il est interrompu abruptement par le vrombissement d'un avion, des images en noir et blanc nous montrent celui du Führer, Adolf Hitler, survolant le pays, se rendant à Nuremberg en 1934 au congrès du parti (NSDAP(2) et des plans de la démonstration de force nazi lors de la parade (images extraites du Triomphe de la volonté, le film de propagande tourné par Leni Riefenstahl). Le mal irrémédiable est présent.

    Nous retrouvons Franz et Fani travaillant dans les champs, entourés par une nature à la beauté paradisiaque, mais nous savons que le Malin vient d'entrer en action et que cette famille va souffrir. C'est l’Anschluss, les paysans du village acceptent tous cette situation comme leur maire, leur gouvernement leur Eglise. Seul Franz, soutenu par sa famille va refuser de se soumettre. Porté par sa foi inébranlable et par son amour pour sa femme, Fani, et ses trois filles, il reste un homme libre. Malick filme le temps et les saisons, la magnificence sauvage de la nature, la majesté du travail, la beauté de l'amour conjugal, la résistance ferme et sereine de Franz, l'amour des siens et le soutien de rares habitants (le boulanger, le peintre, le curé de la paroisse très timidement), mais aussi la lâcheté et la haine des villageois qui ne comprennent pas le caractère profond et juste de son refus.



    Tous les comédiens du film sont excellents, tout particulièrement August Diehl (Franz Jägerstätter), Valérie Pachner (Franziska dite Fani, la femme de Franz) et Maria Simon (Resie, la sœur de Fani) mais aussi Tobias Moretti, le curé, Bruno Ganz, le procureur militaire lors du procès de Franz qui comprenant que cet homme a raison ne peut l'accepter, et le livre à la mort comme le fait Ponce Pilate avec Jésus.

    Terrence Malick, par l'ampleur de sa mise en scène, la rigueur absolu de ses plans, filmés au grand angle, la splendeur picturale de la lumière de son film rappelant la peinture de Millet, Friedrich, Le Caravage et Rembrandt, fait une œuvre essentielle où il prend son temps pour déployer le parcours d’un homme qui avait tout pour être heureux mais qui a choisi de résister au mal, à l'antéchrist, au diable. Un scandale pour la plupart de ceux qui le côtoient. Franz Jägerstätter, homme simple, est un saint. Une vie cachée est une pure splendeur, une ode à la création, à la beauté de la nature, une œuvre d'amour et d'épiphanie, un grand film catholique, une allégorie christique. Franz, éclairé par l'Esprit Saint et la force de son amour pour le christ a pris le chemin de la sainteté.



    Jacques Déniel



    1 Ses lettres ont été publiées Être Catholique ou Nazi de Franz Jägerstätter Éditions Bayard).

    et un film documentaire Der Fall Jägerstätter réalisé par Axel Corti (auteur de la formidable Trilogie Welcome in Vienna).

    2 Parti national-socialiste des travailleurs allemands (en allemand : Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei).

     

    Une vie cachée de Terrence Malick – États-Unis – 2019 – 2h53 – scope – couleurs

    Interprétation: August Diehl, Valérie Pachner,et Maria Simon, Tobias Moretti, Bruno Ganz, Matthias Schoenaerts....

  • Violences à Détroit

    Violences à Détroit

    Detroit, un film de Kathryn Bigelow

     

    Les événements que relate la cinéaste dans son nouveau long-métrage Detroit se déroule durant l'été 1967. Les États-Unis connaissent alors une vague d’émeutes d'une violence sans précédent. La guerre du Vietnam, très contestée, ressentie comme une intervention coloniale, et les nombreux problèmes liés à la ségrégation raciale nourrissent la contestation. Détroit vit depuis quelques jours dans un climat insurrectionnel. A l’Algiers Motel des coups de feu sont entendus dans le milieu de la nuit, semblant visé, des hommes de la Garde nationale. La police de Détroit et la Garde nationale encerclent l'hôtel. Très vite un petit groupe de clients de l’hôtel, neufs noirs et deux femmes, sont soumis à un interrogatoire mené avec violence et sadisme afin de leur extorquer des aveux...

     

    Kathryn Bigelow est décidément une cinéaste courageuse qui s'attaque à des sujets politiques et sociaux difficiles. Après les excellents films Démineurs (2009) sur un groupe de soldats effectuant des déminages dans une situation périlleuse pendant la Guerre États-Unis/Irak et Zero Dark Thirty (2012) qui narre la traque de Ben Laden, elle relate les émeutes de Détroit du point de vue d'une cinéaste américaine blanche. Ce qui lui a valu de nombreuses critiques dans les médias américains: «Irresponsable », «complaisante », voire «coupable de faillite morale» aux yeux du New Yorker... «Comment Bigelow, une femme blanche qui a grandi à San-Francisco dans une famille bourgeoise et fait ses études à Columbia peut-elle comprendre et faire la lumière sur une expérience aussi viscérale?» s'interroge Variety. Ainsi c'est c’est la couleur de peau de la cinéaste qui pose problème. De nombreux textes publiés dans la presse américaine pensent que seul un ou une cinéaste noire pourrait et saurait montrer au cinéma ces émeutes raciales avec pertinence. Au rythme où vont les choses, il ne sera bientôt plus possible d'écrire un roman, de tourner un film, d'écrire un article sur un sujet si l'on n'appartient pas au sexe – au genre devrais-je certainement dire- à la couleur, à la religion des êtres humains dont on parle, bienveillance oblige. Bien sûr, face au film de Kathryn Bigelow, aucune de ces critiques bien-pensantes ne tient.

     

    Une fois de plus, Kathryn Bigelow à tourné son film après un long et patient travail d’investigation. Elle a réalisé des interviews de dizaines de témoins de l’époque et fait une enquête précise sur les émeutes. Un fait particulièrement grave à retenu son attention: celui qui s'est déroulé à L'Algiers Motel où la police de Détroit a violenté, humilié neuf hommes noirs et deux jeunes femmes blanches, abattu trois jeunes noirs avec un déchaînement physique et mental d'une cruauté terrible. Dans ce fait divers, elle se concentre sur le destin de Larry Reed, chanteur de The Dramatics, un groupe de musique soul qui venait de signer un contrat avec le célèbre label Motown. Présent à l’Algiers Motel ce soir là, le chanteur est brutalisé subissant des séquelles graves. Il renoncera alors à chanter ailleurs que dans les églises.

     

    Dans la première partie du film, la cinéaste expose avec une mise en scène alliant sécheresse et amplitude les raisons et les conditions des tensions raciales et des émeutes qui s'en suivent à Détroit, -émeutes nettement moins connues en France que celles de Watts ou à celles qui surviendront dans le pays, l'année suivante à la suite de l’assassinat de Martin Luther King. Servie par un tournage caméra à l'épaule -lui permettant de nous montrer plusieurs scènes de soulèvement-, un montage alterné brillant et efficace et l'utilisation d'images d'archives, elle nous décrit l’inéluctable affrontement entre les manifestants noirs et les policiers de la ville et les soldats de la Garde nationale appelés en renfort.

    Dans la deuxième partie, en choisissant le postulat de se focaliser sur un fait divers sordide, Kathryn Bigelow nous montre avec un sens aigu du cadre et une tension dramatique constante et éprouvante comment des policiers représentants de l'ordre de leur pays se conduisent comme des êtres cruels et pervers, motivés par des pulsions sadiques d'ordre racistes et sexuelles, dans un quartier au bord de l'explosion sociale. Les acteurs sont tous excellents en particulier, Will Pouter qui incarne Krauss, le jeune policier qui mène les interrogatoires. La cinéaste filme un être à la figure d'ange, au regard noir qui soudain devient haineux, un homme d'une terrible ambivalence, ne pouvant être considérer comme fondamentalement raciste ou comme un monstre fasciste. Il représente le racisme ordinaire de toute une socité américaine qui refuse absolument de voir le ségrégationnisme de l'époque. L'intelligence de la cinéaste est de ne pas faire de son film un brûlot manichéen contre le racisme et les violences policières qui exempterait tout noir américain de critiques. Elle ne veut pas démontrer mais montrer, nous faire voir ce que l'on voit: la mécanique implacable de la montée de la violence et de la brutalité policière face aux émeutiers et aux jeunes noirs, vu de l’intérieur dans des scènes de huis-clos tendues et étouffantes. Le Diable probablement!

     

    Le film se clôt par une troisième partie plus courte où l'enquête et le procès des policiers accusés de meurtres est relaté avec un sens aigu de l'économie du récit et se conclut après la relaxe des policiers sur le destin tragique de Larry Reed, meurtri à jamais par ce drame, qui décide de ne chanter que des gospels avec une voix d'une splendeur émotionnelle sans pareille dans les églises.

     

    Detroit est chef d’œuvre, un grand film politique et artistique qui confirme le grand talent de la cinéaste. Un film au regard juste et fort sur une Amérique blanche dont le raisonnement omnipotent à cette époque crée du déni et du délire raciste.

    Jacques Déniel

     

    Détroit – États-Unis – 2017 – 2h23 – Un film de Kathryn Bigelow

    Interprétation : John Boeyga (Dismukes), Will Poulter (Krauss), Algee Smith (Larry), Jacob Latimore (Fred), Jason Mitchell (Carl), Hannah Murray (Julie), Jack Reynor (Demens), Kaitlyn Dever (Karen

     

  • Le Rapace un film de José Giovanni

     Le Rapace un film de José Giovanni

    Une belle et ambitieuse réussite cinématographique

     

    Le Rapace passait le 9 janvier sur la chaine ARTE. C'est le premier film de José Giovanni que je vois. Sans doute la critique cinématographique des années soixante dix et suivantes et les idéologies à la mode à cette époque ne conduisaient pas à découvrir les films de ce cinéaste français. La fougue de la jeunesse, le foisonnement musical des sixties, la découverte des grands films et des grands textes littéraires était plus importante pour moi.

     

    Je connais ses romans de série noire, souvent aventureux et amères. Il évoque dans trois romans noirs successifs la condition d’un homme qui fuit la police et la justice de son pays au prix de nombreux crimes et assassinats commis durant le reste de sa vie. Il a écrit une vingtaine de romans, une quinzaine de scénarios pour le cinéma (assez peu souvent pour de grands films) et réalisé une vingtaine de films.

     

    Le film nous conte l'histoire d'une révolution manquée au Mexique. Vera Cruz, en 1938, un tueur à gages taiseux, dur, cynique et sans morale interprété par un Lino Ventura, sec et ombrageux, parfait dans ce rôle. Il est engagé par un groupe de révolutionnaires pour assassiner le président du pays. Un étudiant idéaliste, persuadé de l'importance de son engagement militant et pressenti pour prendre le pouvoir, l'accompagne.

     

    Le sujet de la fiction laisse les spectateurs imaginer un film d'aventures comme les aimait José Giovanni aussi, très amateur du genre, dans ses romans comme dans bon nombre des œuvres auxquelles il collabora ou tourna. Le Rapace est un film tragique et désespéré, noir où la révolution échoue. Le pouvoir sera pris par un général sans pitié. Le cinéaste quitte la réalité française et tourne une sorte de néo-western psychologique au Mexique, une œuvre influencée par le cinéma américain, celui de John Huston tout particulièrement. José Giovanni prend aussi ses distances avec l’agitation révolutionnaire de mai 1968 en France et en Europe.

     

    Paradoxalement, Le Rapace sortira sur les écrans français quelques jours seulement avant les événements de mai. Il contient une désillusion et un désespoir politique peu en phase avec son temps. Du point de vue cinématographique, son metteur en scène ne choisit pas de montrer des séquences d'action ou de bravoures ni les grands espaces géographiques du pays. Il se concentre sur la préparation du meurtre et sur l'affrontement verbal et physique entre le tueur à gages et le jeune révolté épris de liberté et d'amour du peuple. Il installe un huis-clos tendu où règne une ambiance de noir pessimisme très rare dans un film d’aventures. Lino Ventura, jouait souvent des personnages possédant une droiture morale, le sens des valeurs et de l'honneur (comme dans L'Armée des ombres de Jean-Pierre Melville -1969). Dans Le Rapace, il interprète un personnage complexe et déroutant, affichant un détachement et un cynisme froid face aux évènements du Monde.

     

    La mise en scène sèche et crue de José Giovanni, superbement servie par les lumières chaudes et les cadres ciselés de Pierre Petit, son chef-opérateur, par l'excellente musique de François de Roubaix et par les chansons de Los Incas font du second long-métrage de José Giovanni, une belle et ambitieuse réussite cinématographique que confirmera, le cinéaste, deux ans plus tard, en tournant son plus beau film, son chef-d’œuvre: Dernier domicile connu.

    Jacques Déniel

    Le Rapace un film de José Giovanni
    France -Italie-Mexique – 1968 – 1h47 – V.F.

    Interprétation: Lino Ventura, Rosa Furman, Aurora Clavel, Augusto Benedico, Carlos Lopez Figueroa....

  • Le Deuxième souffle de Jean-Pierre Melville

    Le Deuxième souffle de Jean-Pierre Melville

     

    Destin fatal!

     

    Un dimanche soir de confinement au pays pagan, un fort vent glacé du nord souffle sur la maison. Bien calé au chaud, je revois sur la chaine ARTE, Le Deuxième souffle de Jean-Pierre Melville adapté du très bon roman policier de José Giovanni (1). Servi par le talent d'une pléiade d'acteurs formidables: Paul Meurisse, magistral dans le rôle du commissaire Blot, Lino Ventura, royal et imperturbable dans son interprétation mémorable de Gustave Minda dit Gu, gangster et homme d'honneur et Christine Fabréga, jouant Simone Melletier dite Manouche, amoureuse tendue, lasse, fatiguée, émouvante. Tous les acteurs des seconds rôles – Raymond Pellegrin, Michel Constantin, Marel Bozzuffi, Paul Frankeur, Denis Manuel - comme toujours chez Melville, sont impeccables

     

    Dernier film en noir et blanc de Melville, tourné en 1966, il annonce déjà par une synthèse parfaite des thèmes et motifs contenus dans ses précédents films policiers, les épures stylistiques qu'il va développer dans sa trilogie de polars tragiques avec Alain Delon (Le Samouraï, Le Cercle rouge, Un flic).

     

    Melville, cinéaste très exigeant et éternel insatisfait, modèle sans cesse la structure temporelle de ses films. Ne s'encombrant pas de la vraisemblance des actions qu'il met en scène, il préfère en travailler la durée. Dès le début du film, après l'attaque du bar de Jacques le notaire à Paris – situé à proximité de la place de L'Étoile –, filmée de manière sèche et brève, suit une admirable scène tournée en un seul plan séquence où le commissaire Blot, campé par Paul Meurisse – très certainement, l'un des plus beaux personnages de flic de toute l’œuvre du cinéaste – analyse de manière exemplaire et métticuleuse comme si il y avait assisté – le pouvoir, ici celui de la police, possède toujours des yeux pour voir chez Melville – le meurtre de Jacques le notaire. Melville donne du temps aux acteurs, et, leur permet ainsi d'Être plutôt que d'interpréter par leurs déplacements précis et leurs répliques cinglantes et sarcastiques, très écrites.

     

    Une autre scène, celle de l'attaque du fourgon transportant les caisses de platine, nous montre le génie dramaturgique du cinéaste. Dans un film noir classique – univers qui a beaucoup imprégné Melville – la séquence se déroulerait de nuit, au crépuscule ou à l'aube en milieu urbain. Le cinéaste choisit de la tourner en plein jour dans un petit col méditerranéen aride et sec et d'en étirer la durée. Chaque action des truands est filmée dans le temps de l'action réelle: la préparation méthodique du casse, la lente attente du fourgon, l'attaque rapide et cruelle, le camouflage du forfait où les quatre gangsters prennent le temps qu'il faut pour effacer au mieux les traces de leur forfait, leur retour à la ville, tous revêtus de leur éternel costume de malfrat (pardessus sombre, complet-veston, cravate et Borsalino). Cette scène qui atteint une minutie d'une précision documentaire et temporelle rare enrichit la fiction. Le déroulement du temps, l'occupation de l'espace, le déplacement et les propos des protagonistes sont essentiels dans ce film pour comprendre le destin tragique de Gu, homme solitaire et incompris, gangster implacable qui tue des hommes avec froideur, sans jamais sourciller et place l'honneur, la fidélité et l'amour comme règles de vie.

     

    Ces deux superbes moments d’anthologie nous indiquent la force et l'intelligence de la maîtrise technique et narrative du cinéaste. Jean-Pierre Melville s’identifie à ces hommes qui vivent hors du monde et de toute contingence sociale comme lui – il a révélé sa misanthropie dans des entretiens (2) –, comme les résistants dont il fera un portrait saisissant et terrible dans son chef d’œuvre L'Armée des ombres. Filmé dans des décors sobres et austères dans un style très épuré, magnifié par la force de son scénario et de ses dialogues souvent elliptiques, la rigueur des cadres et le somptueux noir et blanc de son chef opérateur Marcel Combes, Le Deuxième souffle s'avère une œuvre de toute beauté, une tragédie fatale. Du très grand art!

    Jacques Déniel

     

    Le Deuxième souffle de Jean-Pierre Melville

    France – 1966 – noir et blanc – 2h25

    Interprétation: Lino Ventura (Gustave Minda, dit «Gu», Paul Meurisse (commissaire Blot), Christine Fabréga (Simone Melletier dite Manouche), Raymond Pellegrin (Paul Ricci), Michel Constantin (Alban), Marel Bozzuffi (Jo Ricci), Paul Frankeur (commissaire Fardiano), Denis Manuel (Antoine Ripat)....

     

    (1) Le Deuxième souffle de José Giovanni ( Éditions Gallimard 1958).

    (2) Jean-Pierre Melville tourne Le Deuxième souffle par François Chalais( ORTF 1966 doc INA).