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Une certaine idée du cinéma le blog de Jacques Déniel - Page 6

  • Joker un film de Todd Phillips

    Joker un film de Todd Phillips

    un clown diabolique à Sodome et Gomorrhe

    Par Jacques Déniel - 22 octobre 2019

     

    Le film Joker divise, encensé par une partie de la critique, détesté par d’autres, pour des raisons souvent politiques et socialisantes. Dans ce film important, le rire glaçant du personnage principal résonne singulièrement avec notre époque.

    Il s’avère que par l’ampleur et l’inventivité de sa mise en scène, le brio de son exécution, la rigueur de son cadre, Todd Phillips signe une véritable fiction d’auteur. Joker est un très grand film sur la violence sociale. Celle qui plait tant aux professionnels du gauchisme, ces bourgeois qui se trompent en pensant que le film est un appel au soulèvement, comme se trompent aussi ceux qui croient que le film est un appel à la violence gratuite et complaisante, aux meurtres politiques, ceux qui croient que c’est un film suprématiste blanc, une ode à la masculinité défaillante et déchu..

    Un blockbuster non aseptisé, ça nous change

    Connu pour ses comédies graveleuses sur les frasques d’hommes à la recherche de leur masculinité défaillante ou menacée Road To Trip, Retour à la fac, et la série des trois Very bad Trip, Todd Phillips peut sembler n’être qu’un pur produit du cinéma des studios américains. Bien au contraire il signe avec Joker un véritable long-métrage de cinéma que les majors américaines n’étaient plus capables de produire depuis de nombreuses années préférant se vendre corps et âme aux principes des films blockbuster dédiés à la gloire des super-héros. Des films aseptisés et fédérateurs pour un public familial et adulescent.

    Joker une œuvre d’une noirceur infinie qui nous donne avec une rare maestria grâce aux talents conjugués du metteur en scène et de son interprète principal Joaquin Phoenix une vision de la violence qui mine nos sociétés occidentales. Gotham City, Sodome et Gomorrhe des temps modernes est en proie à la misère, au chômage, au ravage du capitalisme, au mépris des anywhere, les ordures s’accumulent dans les rues, les violences physiques et verbales sont quotidiennes. Les rues sombres de la cité, tous les individus rencontrés respirent la grisaille, la laideur et la noirceur. Le danger permanent règne. Pas de place pour les nowhere qui souffrent de leur situation sociale et dans le cas précis du Joker de leur handicap mental dû à des mauvais traitements.

    Violence psychique

    Ce n’est pas le Joker qui crée les conditions de la révolte mais bien la morgue de Thomas Wayne candidat à l’investiture de Maire de la ville lorsqu’il traite les habitants de sa cité de clowns. Le Joker, Arthur Fleck, certes déguisé en clown parce qu’il rêve de sortir de sa condition humaine – physique ingrat, tics, rictus effrayants, et crises de rire démentiels dénotant d’une folie aggravée, appartement miteux dans Gotham City, mère malade et dépressive…) a choisi pour vivre et se nourrir de se grimer en clown afin de colporter sur des panneaux des messages publicitaires dans les rues. Arthur se pense comique et rêve d’avoir son heure de célébrité et de gloire dans le plus grand show télé de stand-up animé par la star Murray Franklin (joué par Robert De Niro). Arthur Fleck est un malade psychiatrique. Conséquence de son enfance malheureuse où enfant adopté, il a subi pléthore de mauvais traitements. C’est un enfant sans parents, il n’a ni père, ni mère, un vrai déraciné – la lèpre de nos temps modernes – La violence qui l’habite est d’ordre psychique, psychiatrique, sociale mais aussi d’ordre diabolique. En ce sens, il est le vrai représentant du démon qui parachève la folie meurtrière et destructrice présente dans cette cité du Mal.

    Joaquin Phoenix (dont le talent ne se mesure pas au poids perdu par le rôle, n’en déplaise à la critique bien-pensante de Télérama et du Masque et la plume) est absolument sublime dans son interprétation du Joker, se déplaçant avec un mélange de grâce et de maladresse difforme, dansant avec brio tel un nouveau Mickael Jackson lorsque dans une scène d’anthologie, il descend les marches d’un long escalier de pierre sur les notes de la chanson Hey Song de Gary Glitter ou lors de sa flamboyante entrée en scène sur le plateau de l’émission télévisée de Murray Franklin. Très admiratif et influencé par le meilleur du cinéma de Martin Scorsese, Todd Phillips fait de Arthur un personnage inspiré de Travis Bickle (Taxi Driver) et de Rupert Pupkin (La Valse des pantins), deux individus psychologiquement instables et animés par un désir et une volonté féroce de reconnaissance sociale. La bande musicale du film est impeccable et toujours juste. La musique originale du film confiée à la violoncelliste et compositrice islandaise Hildur Guðnadóttir, à la fois précise, d’une inquiétante étrangeté et dissonante dans les moments de fêlures renforce parfaitement la tension et accompagne la chute dans la folie du personnage. Les chansons du film ont la cruauté, dans de telles circonstances, de That’s Life de Franck Sinatra ou de Put On A Happy Face de Tony Bennett où la force sauvage du morceau psychédélique White Room du groupe Cream pendant les scènes d’émeute.

    Un diable contemporain

    Joker est une œuvre de la démesure, un grand film de déchaînement. Déchaînement de la folie et de la violence dans une ville Gotham City où règnent la misère, la déchéance sociale, la solitude, la lâcheté et le mépris politique. Une violence sauvage, terrible, cruelle, électrique et folle qui est filmée sans aucune complaisance. Todd Philipps film avec maestria une variation habile et intelligente sur le personnage du Joker l’éternel ennemi de Batman (totalement absent du film par choix de se concentrer sur le personnage maléfique, c’est sans doute le constat qu’il n’y a vraisemblablement plus d’existence possible pour un héros au service du bien). Servi par Joaquin Phoenix, éblouissant interprète du Joker en malade pathétique et tueur psychopathe qui devient malgré lui le héraut ambigu et implacable de la révolte et de la violence sociale de notre monde contemporain, Joker montre avec justesse et une certaine ambiguïté politique le malaise social et la violence actuelle de nos sociétés. Du grand cinéma qui nous montre que le Diable probablement est parmi nous et que souvent les humains peuvent devenir faibles, lâches ou violents.

    Jacques Déniel

     

    Joker un film de Todd Phillips - États-Unis - 2019 - Durée : 2h02 -VOSTF

    Interprétation : Arthur Fleck / Joker (Joaquin Phoenix), Robert de Niro (Murray Franklin), Zazie Beetz (Sophie Dumond), Frances Conroy (Penny Fleck), Brett Cullen (Thomas Wayne)...

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  • Godland un film de Hlynur Pálmason

    Godland un film de Hlynur Pálmason

     

    Tellurique, âpre et prodigieux

     

    Godland est le troisième long-métrage d'un jeune cinéaste Islandais de 38 ans, Hlynur Pálmason (réalisateur des beaux Winter Brothers (2017) et Un jour si blanc (2019).

    Inspiré par des archives photographiques du XIXe siècle, sept photographies, quelques daguerréotypes pris par un pasteur Danois pour témoigner d'une époque et de la vie des ancêtres du cinéaste, Hlynur Pálmason réinvente dans une fiction cinématographique une histoire de leur création.

    Hlynur Pálmason nous conte le voyage saisissant d'un pasteur protestant Danois, Lucas (sec, inquiétant et impeccable Elliott Crosset Hove), envoyé en mission en Islande – sous domination du Royaume du Danemark – à la fin du dix-neuvième siècle. Son projet construire une église et photographier la population. Son voyage dans cette contrée aux paysages sublimes et sauvages est dur, implacable, harassant. Au terme d'un long périple, il finit par rejoindre une petite communauté paysanne pour y faire édifier l'édifice sacré.

    Lucas est un jeune pasteur, plein de courage et d’espoir. Il part accompagné d’un assistant traducteur et de convoyeurs dirigés par Ragnar, homme rude au physique imposant (interprété par l'impressionnant Ingvar Sigurdsson). Durant la première partie du film, consacrée au voyage, les deux hommes se toisent, aucun ne faisant d'effort pour comprendre la langue et les motivations de l'autre. Ce long cheminement au travers de paysages somptueux et hostiles, où fatigue et dureté des éléments naturels se conjuguent – pluie, vent, neige, froid, chemins escarpés et boueux, rivières à traverser, volcan en éruption... – , amènent les hommes à se soutenir afin d'arriver à bon port.

    La seconde partie de la fiction se déroule dans le petit village où tous les hommes de l'expédition mués en charpentiers construisent l’église. Elle s'ouvre sur un plan exposant la beauté et la grâce des deux filles de Carl, Anna et Ida. La famille à recueilli le jeune Lucas. Ce dernier étrange, froid, rêche, peu avenant ne semble pas éprouver beaucoup de compassion pour ses paroissiens. Il s'adonne à la photographie, et, flirte sans désirs avec Anna dans une belle séquence de jour, lors d'un mariage fêté au son de l’accordéon où la musique et la danse magnifient les corps, où la lutte physique, corps à corps, accentue l'opposition farouche et obstinée entre Lucas et Ragnar.

    Le jeune pasteur, dont la Foi semble vaciller, se trouve livré aux affres de la tentation et du péché qui vont le conduire sur le chemin du Mal. Perdu, buté, perturbé, il va s'affronter physiquement à Ragnar dans une séquence rageuse où sa violence surgit comme la lave d'un volcan rappelant les coulées de cendres brûlantes vues au mitan du film. Le pasteur perd son âme, le Christ ne semble plus présent dans son cœur tandis que l'immanence de Dieu est dans la grandeur de la nature agreste, dans la beauté des animaux sauvages et domestiqués et dans l’âme des villageois qui peuplent ces terres hostiles.

    Godland est un film minéral qui célèbre l'incommensurable beauté du monde. C'est une ode à la nature sauvage, crue, enivrante et aux animaux, chevaux, moutons, oiseaux, le chien de Ragnar... filmés avec amour. Le cinéaste tourne avec un sens aigu de l'espace et des déplacements et montre l’immensité des paysages islandais, qui s'inscrivent comme décor d'une perfection exemplaire pour sa tragédie morale intime et tellurique. Tourné en 35mm, servi par une photographie d'une luminosité solaire, cadré avec rigueur et précision avec une image au format carré et aux coins arrondis en hommage aux photographies d’origine et au cinéma muet, Godland est un chef-d’œuvre artistique envoûtant, du cinéma de l’éreintement, âpre et prodigieux.

     

    Jacques Déniel

     

    Godland un film de Hlynur Pálmason

    Danemark -Islande – 2022 – 2h23 – V.O.S.T.F.

    Interprétation: : Elliott Crosset Hove (Lucas), Ingvar Sigurdsson (Ragnar), Vic Carmen Sonne (Anna), Ída Mekkín Hlynsdóttir (Ida), Jacob Lohmann (Carl)...

    En salle depuis le 21 décembre.

  • Du rififi chez les hommes un film de Jules Dassin (1955)

    Du rififi chez les hommes un film de Jules Dassin (1955)

     

    Un film noir à la beauté d'un diamant brut

     

    Le très beau film noir Du rififi chez les hommes de Jules Dassin (1955) est l'histoire d'un cambriolage mené de mains de maîtres qui tourne à la tragédie pour ses auteurs, Tony le "Stéphanois" et sa bande de malfrats rudes et droits.

    De retour à la liberté après cinq ans de prison, Tony "le Stéphanois" retrouve ses amis Jo "le Suédois", Mario et César. Pour reconquérir Mado son amie et amante, maquée avec un autre caïd Pierre Grutter, il accepte le nouveau coup qu'ils lui proposent: le cambriolage d’une célèbre bijouterie et joaillerie parisienne. Le casse, préparé avec minutie et rigueur réussit à merveille. Mais une erreur du dandy séducteur César va mettre la bande rivale des frères Grutter à la poursuite du quatuor.

    Auteur d'excellents films noirs dont Nazi Agent (1942), un thriller d'espionnage avec Conrad Veidt; Les Démons de la liberté (1947), un asphyxiant huis clos,cru et brutal, contant l'évasion d'un pénitencier, avec Burt Lancaster; La Cité sans voiles (1948) superbe portrait de New York, centré sur la recherche d'un monstre criminel ou Les Bas-Fonds de Frisco (1948), un drame social tragique, Jules Dassin est un cinéaste méticuleux et précis construisant une œuvre où l'univers du thriller est fortement marqué par un réalisme social noir.

    Chassé de Hollywood par le maccarthysme, il a été dénoncé, à la fin des années quarante pour ses sympathies communistes par le cinéaste Edward Dmytryk (le réalisateur de Ouragan sur le Caine, Le Bal des maudits, L'Homme aux colts d'or), Jules Dassin est inscrit sur la liste noire des maccarthystes. Le cinéaste doit s'exiler en 1949 en Europe, où il tourne à Londres en 1950, l’un de ses chefs d’œuvre, Les Forbans de la nuit avec Richard Widmark et Gene Tierney. Traqué par les chasseurs de sorcières, le cinéaste s'exile à Paris avec quelques autres blacklistés : Ben Barzman, John Berry. Sidney Buchman... et tourne en 1955, l'une de ses plus belles œuvres Du rififi chez les hommes.

    Le film bénéficie d'un scénario plein de tensions et de noirceur signé Jules Dassin, René Wheeler et Auguste Le Breton adapté du roman éponyme de ce dernier publié aux éditions Gallimard. Servi par le superbe noir et blanc contrasté et scintillant du chef-opérateur Philippe Agostini et des interprètes tous excellents (Jean Servais : Tony le Stéphanois, ex-caïd, sorti de prison, Carl Möhner : Jo le Suédois et Robert Manuel : Mario Ferrati, des complices de Tony, Jules Dassin : Cesar le Milanais (crédité sous le pseudonyme de Perlo Vita), Marie Sabouret : Mado l'ex amie de Tony, Janine Darcey : Louise, la femme de Jo, Magali Noël : Viviane, la chanteuse, Marcel Lupovici : Pierre Grutter, Robert Hossein : Rémy Grutter, le frère de Pierre...), le film est une pure tragédie noire. Jean Servais est impeccable dans le rôle de Tony le Stéphanois, gangster froid, dur et sans pitié mais respectueux des codes des truands. Atteint de tuberculose et désabusé, il mène ce nouveau cambriolage avec brio et reste fidèle jusqu'à l'issue fatale à ses amis.

    La mise en scène virtuose de Jules Dassin, son sens du cadre acéré et du montage sec sont au service d'une tragédie marquée par les codes du film noir américain. Tendue, haletante, pleine de suspense et de tensions, elle culmine dans les deux séquences d’anthologie: le cambriolage (trente-cinq minutes de tension sans une seule parole) et la scène finale, une fulgurante course automobile contre le temps et le destin qui se termine tragiquement.

    Du Rififi chez les hommes est un bijou ciselé, un véritable diamant noir, brut et et poignant, une pierre précieuse filmique qu'offre le cinéaste américain à son nouveau pays d’adoption, la France. Longtemps après la vision du film, la belle complainte mélancolique Du rififi chez les hommes, chantée par Magali Noël à L'Âge d'or, le cabaret des frères Grutter, nous hante. Un film noir qui a influencé sans aucun doute l'un des plus grands cinéastes français Jean-Pierre Melville pour ses films Le Deuxième souffle , Bob le flambeur ou Le Cercle rouge.

     

    Jacques Déniel

     

    Du Rififi chez les hommes un film de Jules Dassin

    France - 1955 – 2h02

    Interprétation: Jean Servais, Carl Möhner, Robert Manuel, Janine Darcey, Pierre Grasset, Robert Hossein, Marcel Lupovici, Dominique Maurin, Magali Noël, Marie Sabouret, Claude Sylvain, Jules Dassin...

     

     DVD/BLU RAY Classiques Gaumont 2011

     

  • Un soupçon d'amour de Paul Vecchiali

    Un soupçon d'amour de Paul Vecchiali

    Un splendide mélodrame d'une insolente liberté de ton

     

    Alors que la majeure partie des réalisateurs du cinéma français contemporain (sauf exception: Philippe Garrel, Sébastien Lifschitz, Eugène Green, Emmanuel Mouret et la bien trop méconnue mais passionnante Cheyenne Carron...), s'enfoncent dans un cinéma ravagé par la surdétermination du statut d'auteur et les sujets sociétaux et sociaux politiques bien-pensants, Paul Vecchiali, jeune cinéaste de 90 ans continue de tourner et de de prendre des risques. Prendre des risques pour le cinéaste, c'est très simplement choisir que le cinéma, le théâtre, la littérature et la musique soient présents dans ses films.

    Un soupçon d'amour est le 31ème long métrage du cinéaste qui malgré des conditions de production difficiles continue de tourner. Ce film très personnel et essentiel pour lui nous conte un drame cruel, l'histoire de Geneviève Garland (Marianne Basler), une célèbre comédienne de théâtre. Elle répète Andromaque de Racine avec son mari André (Jean-Philippe Puymartin) comme partenaire. Elle ressent un malaise profond à interpréter ce personnage et cède son rôle à son amie Isabelle (Fabienne Babe) maîtresse de son époux. Geneviève part avec son fils malade dans son village natal. Elle semble fuir des réalités difficiles à admettre.

    Dès la première séquence du film, le ton est donné: au théâtre Geneviève et André répètent des scènes d'Andromaque. Les comédiens jouent avec beaucoup de sobriété et disent leur dialogues en faisant entendre le sublime texte de Racine. Très vite nous comprenons que dans la vie comme au théâtre, ils parlent dans une langue française de toute beauté que ce soit lorsqu'ils s'expriment dans la langue de Racine ou dans celle de Paul Vecchiali auteur du scénario et des dialogues. Le cinéma sera théâtre ou ne sera pas disait Jacques Rivette. Vechhiali à sa manière travaille cette question de la représentation qui taraudait tant le cinéaste de la nouvelle vague.

    Ferme opposant au cinéma naturaliste, très en vogue dans le cinéma français contemporain, le cinéaste multiplie avec plaisir et générosité les références à des genres cinématographiques aussi différents que le théâtre, la comédie musicale – superbe scène de danse et de chant, rappelant Les Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy, exécutée par Geneviève (Marianne Basler) et Isabelle (Fabienne Babe) sur une terrasse illuminée par le soleil et la grâce des comédiens - le drame, la comédie ou le mélodrame – un hommage humble et subtil au maître du mélo, Douglas Sirk à qui le film est dédié. Pour chaque scène, quel qu’en soit le ton ou le genre, Vecchiali se confronte à la question cruciale de la représentation cinématographique et y répond par un sens aigu le l'occupation de l'espace par ses comédiens, de la durée des scènes et du déroulement du temps.

    Servi par une mise en scène austère et épurée, une insolente liberté d'esprit lui permettant des changements de ton abruptes, un montage sec, une écriture ténue et précise, et le jeu au phrasé théâtral classique, teinté d'une légère apprêté de ces comédiens, tous excellents, le film est d'une grande ambition artistique. Paul Vecchiali ne s'autorise guère de mouvements de caméra, ce qui rend encore plus beau le discret travelling avant, qui partant du salon de la maison, vient cadrer Geneviève et André sur la terrasse ensoleillée, lorsque cette dernière lui annonce son désir d’abandonner son rôle dans Andromaque et de retourner dans son village natal.

    Un soupçon d'amour est un mélodrame acéré, sec et flamboyant grâce à la luminosité et la beauté de la photographie de Philippe Bottiglione, à la musique sombre et éclatante de Roland Vincent, aux couleurs vives des tenues vestimentaires élégantes des comédiens, au talent de ces derniers. Celui de Marianne Basler - muse du cinéaste présente dans six de ces films dont le superbe Rosa la rose, fille publique - , lumineuse et fragile qui porte la charge tragique du film, celui de Jean-Philippe Puymartin, royal en tendre et éternel amoureux de sa compagne, celui de Fabienne Babe, drôle, vive et impertinente ainsi que celui de tous les acteurs comme Ferdinand Leclère jouant le fils des Garland, Pierre Sénélas, le metteur en scène, Frédéric Pieretti, le curé du village natal de l'héroïne...

    Lorsque Un soupçon d'amour se termine, bouleversé par la tension dramatique de l’œuvre et la douloureuse révélation finale, le désir de revoir au plus vite ce film vif, profond, cruel, et tendre, drôle et tragique vous emporte irrésistiblement.

    Jacques Déniel



    Un soupçon d'amour

    Réalisation, Scénario et production : Paul Vecchiali, Image : Philippe Bottiglione, Son : Antoine Bonfanti, Montage : Vincent Commaret Musique : Roland Vincent.

    Interprétation : Marianne Basler (Geneviève Garland), Fabienne Babe (Isabelle Barflot), Jean-Philippe Puymartin (André Garland), Ferdinand Leclère (Jérôme Garland), Pierre Sénélas (Pierre Nélasse), Frédéric Pieretti, (le curé) ...



  • Tony Arzenta (Big Guns ) un film de Duccio Tessari

    Tony Arzenta (Big Guns - Les Grands fusils - 1973) un film de Duccio Tessari

     

     

    L'Italie de la fin des années soixante et du début des années soixante-dix étouffe sous le poids du plomb. C'est la fin des bienfaits de la croissance économique d'après guerre. L'extrême-gauche fait régner un climat de terreur politique. Attentats, enlèvements, assassinats politiques... la couleur est au rouge sang.

    Au cinéma, c'est l'apogée du poliziottesco sous genre du film noir et/ou mafieux italien en vogue durant les années de plomb. Tony Arzenta (Big Guns – Les Grands fusils) de Duccio Tessari, film oublié et méprisé est une sacrée redécouverte qui appartient à ce genre exacerbé qui exploite les peurs collectives.

    Le film est coproduit par Alain Delon qui souhaite surfer sur son succès en Italie (Rocco et ses frères, Le Guépard (Luchino Visconti), Le Professeur (Valerio Zurlini)... Il espère ainsi pouvoir investir de l'argent dans les combats de boxe en particulier dans celui opposant Jean-Claude Bouttier à Carlos Monzon.

    Le film très mal reçu en France, où les journalistes préféraient les moindres nanards français dans lequels jouait notre star nationale, va subir les foudres de la critique et un échec public relatif (800 000 entrées).

    Le scénario signé par Roberto Gandus, Ugo Liberatore et Franco Verrucci fait de Tony Arzenta un sorte de double inversé de Jeff Costello, le tueur à gages froid, héros du film Le Samouraï de Jean-Pierre Melville, interprété par Alain Delon.

    Alain Delon interprète Tony Arzenta, beauté, ténébreuse, charme fou et charisme magnétique dès sa première apparition à l'écran au milieu de sa famille dans une superbe scène où l'on fête l'anniversaire de son fils. A la tombèe de la nuit, il embrasse son enfant et sa femme pour aller accomplir un dernier contrat pour un consortium mafieux.

    Tony, calme et déterminé, prend sa voiture et roule tranquillement dans les rues de Milan plongées dans la grisaille brumeuse de l'Italie du Nord, accompagné par la tristesse et la beauté mélancolique de la chanson d'Ornella Vanoni. Tony Arzenta est un tueur à gages. Il exécute sa mission avec une maitrise glacée. Il souhaite se retirer des affaires. Mais l’organisation mafieuse ne l'accepte pas et veut l’éliminer. Le hasard et le destin maléfique font que sa femme et son enfant qu'il adore sont tués par erreur. Fou de douleur, il décide de se venger.

     

    Tony Arzenta se retrouve seul contre tous. Courses poursuites en automobiles, scènes de fusillades abruptes, mafieux glauques, sauvages et inhumains raviront les amateurs du genre. Mais le film est surtout porté par le talent d'Alain Delon qui joue le rôle de cet homme rongé par le mal et la souffrance intérieure avec une authenticité et une présence phénoménales. A ses côtès, Richard Conte, Umberto Orsini et Roger Hanin jouent avec classe des chefs mafieux, des salauds présomptueux et ignobles.

     

    Portée par la musique de Gianni Ferrio et les couleurs automnales de la lumière du chef-opérateur, Silvano Ippoliti, la mise en scène clinique et les élégants mouvements de caméra de Duccio Tessari se révèlent efficaces, implacables. Big Guns est un film dense et tendu. Une rage inouïe s'y déchaine. Passage à tabac, morts violentes, trahisons... Les mafieux utilisent tous les moyens pour en finir avec Tony Arzenta. Mais l'homme est réfléchi, intelligent et va tout faire pour arriver à ses fins, éliminer ses ennemis... Un climat de paranoïa et de violences crues font de ce film une tragédie, un diamant noir marqué par la mélancolie et la sombre luminescence d'Alain Delon. A voir absolument!

     

    Jacques Déniel

     

    Tony Arzenta" (Big Guns - Les Grands fusils - 1973) un film de Duccio Tessari

    Italie – France – 1973 – V.O.S.T.F. – 1h53

    Interprétation: Alain Delon, Richard Conte, Carla Gravina, Marc Porel, Roger Hanin, Umberto Orsini, Corrado Gaipa, Lino Troisi.…

    Sortie en salle le 15 février 2023

     

  • Le 15h17 pour Paris de Clint Eastwood

    «Le 15h17 pour Paris »: Clint Eastwood, l’Occident qui se défend

     

    Autant le dire tout de suite le nouveau film de Clint Eastwood, Le 15H17 pour Paris est magnifique. N’en déplaise à tous les critiques des différents médias et des spécialistes en cinéma gênés par le sujet de fond et la forme du film.

    Le cinéma américain a une force qu’aucun autre cinéma ne possède dans sa façon de s’approprier des évènements historiques et sociaux (guerres, émeutes, terrorisme, grèves…). Tout comme Coppola, De Palma, Kubrick et Cimino pour le Vietnam, De Palma et Bigelow pour l’Irak, Bigelow pour le terrorisme et les émeutes de Détroit, Clint Eastwood traite avec une intelligence, une rare acuité et un grand sens du récit de l’affaire de l’attentat déjoué dans le Thalys du 21 août 2015 en provenance d’Amsterdam et à destination de Paris, comportant un arrêt à Bruxelles (départ 15h17) où monte le terroriste.

    De l’or pour les braves

    Il met en scène six des principaux citoyens ayant eu le courage d’intervenir pour contrecarrer les projets criminels de l’islamiste Ayoub El-Khazzani. L’enseignant universitaire américain Mark Moogalian, blessé par balles au cou après qu’il s’est précipité sur le terroriste pour lui arracher sa Kalachnikov, sa femme Isabelle Risacher, un passager britannique Chris Norman qui aida à la maitrise de l’assaillant et surtout les trois citoyens américains Spencer Stone, appartenant à l’U.S. Air Force, Alek Skarlatos, membre d’une unité de la Garde nationale américaine, et leur ami d’enfance Anthony Sadler, un jeune étudiant en kinésithérapie, qui, au péril de leur vie, ont neutralisé le terroriste. L’idée de génie de Clint Eastwood est d’avoir confié les rôles de cette histoire aux principaux protagonistes eux-mêmes. Tous sont extrêmement convaincants pour des acteurs débutants.

    L’Amérique d’en bas qui gêne la France d’en haut

    Clint Eastwood, par la force de son scénario, nous raconte l’histoire de trois gamins américains totalement banals, des enfants de l’Amérique moyenne appartenant à des familles désunies, pour Spencer et Alek, et à une famille modeste pour Anthony Sadler. Ces enfants, qui n’arrivent pas à se concentrer à l’école, aiment faire les clowns, se montrer impertinents, ne travaillent guère, répondent aux enseignants et se font bien souvent réprimander par les professeurs et le principal de leur collège. Mais l’on perçoit, malgré leur manque de concentration, qu’une amitié sincère, un goût pour la vie et une force intérieure les animent. C’est Spencer, grand dadais parfois simpliste mais toujours déterminé, persuadé d’être mu par une force qui le mènerait vers un destin plus grand que lui qui personnalise le plus sûrement la détermination et la force de l’âme dans ce film juste et nécessaire. Spencer, conscient de la peine profonde que ressent sa mère face à ses agissements, prie et cette prière est un élément essentiel du film, celui qui fait se rencontrer la détermination absolue et la contingence la plus incroyable au monde.

    « Sur la terre de la Liberté et la patrie des courageux »

    Ces trois gamins devenus adultes se retrouvent en voyage en Europe comme le font de nombreux américains. Eastwood nous montre comment ces trois types communs ne perçoivent la réalité de l’Europe qu’à travers les différents selfies qu’ils en prennent. Le cinéaste filme l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas comme des clichés touristiques, tout en insistant sur la beauté des paysages et de l’architecture, la sensualité des lieux, des mets et du vin, la beauté et la liberté des êtres humains face à la vie, au plaisir de vivre, au sexe. Tout ce que l’on risque de perdre quand le terrorisme islamiste frappe.

     

    L’action dans le Thalys est brève mais nous montre avec une précision sèche la volonté criminelle du tueur et la foi sans faille des sauveteurs. Leur contingence et leur détermination ont conduit à un destin de légende ces trois garçons ordinaires. Grand film politique, servi par une mise en scène efficace, Le 15H17 pour Paris est la fascinante histoire de patriotisme et d’héroïsme de trois amis que rien ne sépare. La belle prière que Spencer prononçait au début du film est reprise à la fin, le Bien l’a emporté sur les ténèbres. Le vent souffle où il veut.

    Jacques Déniel

    Le 15h17 pour Paris (The 15:17 to Paris)

    Réalisation Clint Eastwood

    d'après : le livre The 15:17 to Paris: The True Story of a Terrorist, a Train, and Three American Heroes de Jeffrey E. Stern, Anthony Sadler, Alek Skarlatos, Spencer Stone.

    Interprétation: Anthony Sadler (lui-même), Alek Skarlatos (lui-même), Spencer Stone (lui-même), Judy Greer (Joyce Eskel), Jenna Fischer (Heidi Skarlatos), Mark Moogalian (lui-même)