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House of Bamboo (La Maison de bambou) de Samuel Fuller

House of Bamboo (La Maison de bambou) de Samuel Fuller

Violence de l'amour

 

Lors de la rétrospective qui a été consacrée au cinéaste américain Samuel Fuller à la Cinémathèque française du 3 janvier au 15 février 2018, j'ai revu plusieurs de ses films. Quatre nouveaux et très bons ouvrages sur son œuvre cinématographique sont sortis en librairie ainsi que le portrait du cinéaste réalisé par sa fille Samantha Fuller (édité par Carlotta films).

 

House of Bamboo (La Maison de bambou) est l'un, voire le plus beau film de Samuel Fuller. Recyclant des thèmes et des éléments cinématographiques propres au film noir, il atteint avec ce long métrage de 1955, un classicisme formel épuré. Sa mise en scène est totalement maîtrisé. C'est une œuvre d'une grande facture cinématographique et picturale tournée au Japon. Le film est servi par un usage particulièrement virtuose du CinemaScope et de la couleur et par un choix intelligent des acteurs principaux: Robert Ryan (Sandy Dawson), Robert Stack (Eddie Kenner/ Spanier), Shirley Yamaguchi [Yoshiko Otaka (Marika)], Cameron Mitchell (Griff), tous excellents, qui vont lui permettent de jouer habilement sur les troubles sentimentaux et sexuels des protagonistes. Pour la photographie, Fuller embauche comme chef opérateur Joseph MacDonald qui a déjà travaillé avec lui, ainsi qu'avec Nicholas, Ray, Edward Dmytryk, John Huston... La lumière de Joseph MacDonald magnifie les décors intérieurs et extérieurs choisis et donne au cinéaste la possibilité de saisir avec son sens aigu de la mise en scène les espaces spécifiques du Japon. Utilisant des mouvements de grue élégants qui lui permettent d'accentuer la profondeur de champ, Samuel Fuller se sert de sa remarquable et ingénieuse science du mouvement dans les scènes d'attaque: celle splendide du train au début du film sur fond du Mont Fuji qui apparaît entre les jambes du soldat mort, celles des hold-up tout particulièrement le second qui voit des hommes arrivés par bateau faire un braquage où la virtuosité et la rapidité de l’exécution sont superbement mis en scène, celle de l’exécution brute et sèche de Griff par Dawson, et, bien sûr l'extraordinaire séquence de fin spectaculaire, âpre, tendue, vertigineuse, du duel entre Kenner et Dawson sur la grande roue surplombant la ville de Tokyo.

Le film raconte l'arrivée au Japon d'un militaire américain, Eddie Kenner -qui se fait passer pour Spanier, un gangster sorti de prison-, chargé de s'introduire au sein d'un gang de malfaiteurs qui ont abattu un ancien GI, afin de les confondre. Pour arriver à ses fins Eddie approche la belle Mariko épouse de l'homme abattu. Il va faire semblant de se mettre en ménage avec elle. Eddie attaque des maisons de jeu ce qui l'amène à rencontrer la bande de Sandy Dawson, tous d'anciens militaires. Dawson propose à Eddie de rejoindre son gang pour participer à des hold-up. Mais les relations vont évoluer, se dégrader dans la bande. Dawson se prend d'amitié pour Eddie au détriment de son second, Griff qui, jaloux le prend très mal. Kenner se décide à informer Mariko dont il est amoureux, qu'il travaille pour la police américaine et japonaise. Il lui confie une mission. La bande de Dawson décide de braquer dans les rues du centre de Tokyo, un fourgon blindé transportant une énorme somme d'argent. Mis au courant que la police est sur les lieux, Dawson annule l'opération et tue son second Griff dont il pense qu'il est devenu traître par dépit. Apprenant la vérité, Dawson monte un stratagème ingénieux pour supprimer Kenner/Spanier.

Ce film tient une place particulière dans l'histoire du film de gangsters. C'est la fin de l'époque classique de ce sous-genre du film noir, typiquement américain. Samuel Fuller qui en est parfaitement conscient après avoir tourné en 1953 Pickup on South Street (Le Port de la drogue) cherche une nouvelle voie pour renouveler le genre et développer ses idées cinématographiques, esthétiques et philosophiques. Pour cela, il utilise quatre éléments essentiels: filmer de manière la plus réaliste possible le Japon et donc l'exotisme de la situation, opposer par contrastes aux films noirs tournés de nuit dans des villes claustro-phobiques des scènes de jour tournées en extérieur, choisir la couleur et le CinemaScope au lieu du noir et blanc et du format 1/33, écrire un scénario riche d'idées entremêlant le genre et les situations amoureuses. Ces choix de mise en scène capitaux lui permettent de magnifier son cinéma et de faire évoluer le genre.

Son scénario assez complexe mêlant trame policière classique, histoires sentimentales, amoureuses et désirs sexuels, des éléments assez peu conventionnels dans un film noir de cet époque donne au film son ton unique. Très vite, un trio, puis un quatuor amoureux se met en place entre Dawson, Kenner/Spanier, Mariko et Griff. Leurs relations sentimentales, leurs désirs cachés créent un trouble insidieux et profond dans le film, rien d'explicite au sujet de l'homosexualité -cela n'intéresse pas Fuller-, mais une tension sèche et violente mue par des pulsions inavouables traversent le film. Lorsque l'on cherche à mieux comprendre les relations entre Dawson et Spanier, Spanier et Mariko, Griff et Dawson nous constatons que le désir et par conséquent la jalousie sont les moteurs de leurs relations troubles. Clairement, Dawson n’a aucune relation féminine. Il dirige et vit avec un groupe d'hommes. Il héberge Spanier sous son toit, une façon de le faire sien, de le dominer, ce qui alimente très vite la jalousie de Griff. La relation entre Spanier et Mariko est tout d'abord d'ordre policière puis au fil de l'action naît une histoire sentimental et de désir entre eux, très prégnante dans la scène éminemment sensuelle de la douche.

Dans ce film noir à la fois classique et atypique Samuel Fuller réussit à nous parler des relations compliquées entre les États-Unis et le Japon au moment du tournage en 1955 due à la tragédie de Hiroshima à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans une atmosphère de tension et de pulsions sexuelles au sein d'une bande de gangsters virils, d'une histoire amoureuse inter-raciale entre un militaire américain et une Japonaise. Comme dans The Crimsom Kimono, ou China Gate, Samuel Fuller s’appuie sur sa fascination pour une culture très différente de la culture américaine. Tout au long du film, il ne cesse de nous montrer dans de nombreux plans les différences de culture. Ces plans simples et somptueux , détaillent les manières de se vêtir de se nourrir et les décors des appartements: objets, mobilier, structure des maisons de bambous... A travers l'histoire au parfum d'exotisme entre Spanier et Mariko, Fuller nous dit son amour de l'Orient, son rejet du racisme quel qu’il soit, sa détestation de la violence, lui qui pourtant n'hésite jamais à commencer ses films sur des scènes sèches et violentes -ici l'assassinat du GI dans la campagne dominée par le Mont Fuji. En nous contant la lutte menée par Eddie Kenner (Spanier) contre le pillage du Japon par une bande de malfrats ainsi que son histoire d'amour avec Mariko, le cinéaste nous montre comme une sorte de rachat possible des fautes des Etats-Unis d'Amérique.

Tous les interprètes du film s’avèrent justes et émouvants. Robert Stack se montre convaincant, sec, rude dans la façon de jouer le rôle de Kenner/Spanier. Robert Ryan, un habitué des films noirs est l’interprète idéal pour Dawson, ce chef de bande autoritaire, violent et cruel mais aussi souvent tendre et à l'écoute de ses hommes. Shirley Yamagushi donne au personnage de Mariko, une justesse et une profondeur émotionnelle. Quasi inconnue en Occident, elle était une actrice et chanteuse célèbre au Japon et en Chine. Quant à Cameron Mitchell, grimaçant, tendu et nerveux il compose de belle manière le rôle de Griff, l'homme délaissé par Dawson. Dans House of Bamboo comme souvent dans le cinéma de Samuel Fuller, il s'agit de parler des autres, de l'autre: l'asiatique, le malfrat, le traître, le noir, l'indien, l'ennemi. La force de film limpide où violences et amours irradient l'écran est de ne pas juger ses personnages, de les laisser vivre leurs contradictions et de les amener à affronter l'autre en l'aimant ou le tuant. La Maison de bambou nous confirme que Samuel Fuller est un cinéaste majeur.

Jacques Déniel

House of Bamboo (La Maison de bambou) de Samuel Fuller États-Unis – 1955 – CinemaScope – Couleurs – 1h42 – un film de Samuel Fuller Interprétations: Robert Stack ( Eddie Kenner / Spanier), Robert Ryan (Sandy Dawson) Shirley Yamaguchi (Mariko), Cameron Mitchell (Griff), Brad Dexter (le Capitaine Hanson), Sessue Hayakawa ( l'Inspecteur Kito)...

Dvd de La Maison de Bambou en copie restaurée (Twentieth Century Fox: collection Hollywood Legends).

Dvd A Fuller Life, un portrait atypique et passionné du grand cinéaste américain Samuel Fuller Un film de Samantha Fuller édité par Carlotta Films

Actualités littéraires sur Fuller: Fuller, un homme à fables de Jean Narboni (Éditions Capricci), Samuel Fuller, le choc et la caresse sous la direction de Jacques Déniel et Jean-François Rauger (Éditions Yellow Now) Samuel Fuller, jusqu'à l'épuisement de Frank Lafond (Éditions Rouge Profond) et Le film et le champ de bataille : Samuel Fuller, The big red one de Didier Semin (Édition Échoppe) tous sortis en décembre 2017 et janvier 2018.

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