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  • Une femme de notre temps de Jean-Paul Civeyrac.

    Une femme de notre temps de Jean-Paul Civeyrac.

     

    C'est un film d'une beauté à couper le souffle, l'un des plus beaux et le plus risqué de son auteur. Jean-Paul Civeyrac quitte sa ligne intimiste avec ce polar noir et rugueux, servi par une mise en scène élégante, les lumières noires et glaçantes de son chef-opérateur Pierre-Hubert matin et le talent et la beauté de sa comédienne principale Sophie Marceau, impériale dans ce rôle de commissaire de police partant à la dérive (son plus beau rôle à l'écran).

    L'univers de l'auteur est contaminé par l'imaginaire des films de genre, polar à la française, héroïque fantasy (on pense aux héroïnes des ces films où une combattante doit effectuer une mission héroïque – ici, une vengeance) mais aussi par la légende antique de Diane chasseresse.

    L'ambition de Jean-Paul Civeyrac est grande et forte, travailler le film de genre, faire une élégie à la sublime Sophie Marceau, continuer d'exposer ses obsessions en particulier sur les aspects fantomatique lunaires et romantique du monde et de son cinéma (très présent dans les rêves de Juliane), sculpter une figure de femme moderne au centre d’enjeux idéologiques contemporains concernant les rapports changeants entre les sexes.

    Juliane (Sophie Marceau), commissaire de police, intègre, sèche et et rude est aussi auteur de romans. Elle à entrepris l'écriture d’un livre sur sa sœur Lydia, morte dans des conditions dramatiques cinq ans auparavant. Pendant une enquête sur l'assassinat d'un flic corrompu - elle affirme qu'il a mérité sa mort en tant que coupable -, Juliane nourrit des soupçons quant aux absences répétées de son mari Hugo (Johan Heldenbergh), agent immobilier. Elle va le filer et le surprendre en compagnie d’une maîtresse dans leur propre appartement parisien.

    Sa douleur est aiguë bien que son mari semble toujours attentionné et aimant. Sachant qu'il est parti en week-end avec une amie dans une villa normande, Juliane décide de lui régler son compte. En route, elle tombe sur une mère et sa fille poursuivies par un père violent. Juliane perd alors le contrôle de son jugement et décide d'agir en justicière s’affranchissant des procédures policières et judiciaires pour les aider. Cet écart de conduite qui tourne au drame la renforce dans ses convictions. Les agents du mal doivent payer - en l’occurrence les mâles blancs coupables - Une tragédie moderne et cruelle, teintée de romantisme noir et menée de main de maître, une réflexion perspicace sur l'état des relations amoureuses entre les femmes et les hommes. Un chef d’œuvre de cinéma.

     

    Jacques Déniel

     

    Une femme de notre temps de Jean-Paul Civeyrac

    France – 2022 – 1h36

    Interprétation: Sophie Marceau, Johan Heldenbergh, Cristina Flutur, Héloïse Bousquet ...

    Sortie en salle de cinéma le 5 octobre 2022.

  • KINUYO TANAKA (1909-1977)

    KINUYO TANAKA (1909-1977)

    Une cinéaste de grand talent

     

    Lorsque Kinuyo Tanaka décide de passer à la réalisation, elle est une actrice célèbre et reconnue au Japon, elle a joué dans plus de 200 films, depuis le début du muet et jouera jusque dans les années 1970. Elle a accompagné les premiers pas du cinéma japonais muet – à l’âge de quatorze ans – et parlant et tourné avec les plus grands cinéastes: Yasujirō Ozu, Mikio Naruse, Kenji Mizoguchi, Hiroshi Shimizu, Keisuke Kinoshita … Elle a rencontré le succès international, grâce à ses rôles dans les films de Mizoguchi, Miss Oyu (Oyū-sama, 1951), La Vie d’O’Haru femme galante (Saikaku ichidai onna, 1952), Les Contes de la lune vague après la pluie (Ugetsu monogatari, 1953) et L’Intendant Sansho (Sanshō dayū, 1954). Ces trois derniers films récompensés dès leur présentation à la Mostra de Venise.

     

    Kinuyo Tanaka décide de faire des films en tant que cinéaste et se prépare avec sérieux et opiniâtreté. Elle est assistante du cinéaste Mikio Naruse sur le tournage du film La Mère. Avant-elle, Tazuko Sakane avait été la seule femme a passé derrière la caméra (Hatsu Nagata, 1936).

    Son propos « Maintenant qu’il y a également des femmes élues au parlement japonais, j’ai pensé que ce serait une bonne chose qu’il y ait aussi au moins une femme réalisatrice. » – reflète l’atmosphère de l'époque et sa forte volonté de passer derrière la caméra. Grâce au soutien actif des cinéastes Mikio Naruse et Keisuke Kinoshita, qui lui écrit le scénario d’après un roman populaire publié en feuilleton de Fumio Niwa, elle peut tourner son premier long-métrage Lettre d’amour. Suivront cinq très beaux films oscillants entre mélodrame film historique et drame social.

     

    Lettre d'Amour (Koibumi – 1953)

    Lettre d'amour tourné en 1953 se déroule à Tokyo dans le quartier de Shibuya. Reikichi, un marin démobilisé, vit dans un petit appartement chez son frère Hiroshi ... Hanté par son amour passé, il se rend régulièrement à la gare, en quête de Michiko, son amour perdu... Ce beau film, un mélodrame sensible et cru aborde avec finesse et intelligence la question de la réconciliation à travers une histoire d’amour troublée par les heurts de la guerre. Tanaka filme dans des décors naturels avec un sens inné de l'occupation de l'espace, de la minéralité des êtres et de la nature. Elle conduit sa tragédie intime avec beaucoup de compassion et de mélancolie. A travers ce fiction mêlant mélodrame, film noir, néoréalisme, documentaire social, elle tend un fil fragile entre le passé, le présent et futur. Un magnifique portrait du Tokyo d’après-guerre.

     

    La Lune s'est levée ( Tsuki wa noborinu – 1955)

    Kinuyo Tanaka nous conte l'histoire des trois filles de Mr Asai qui vivent à Nara auprès de leur père. Elle réalise une brillante comédie de mœurs, parfois proche du marivaudage et teinté d'accents mélodramatiques. Une œuvre tendre, douce et cruelle qui nous parle avec finesse de la société japonaise de l’après guerre, de la place qui occupent les femmes, des relations amoureuses, sociales et codées avec les hommes Un père, ses trois filles et leurs servantes, des jeunes hommes solitaires, une nature de toute beauté, la grandeur de la tradition sont au centre de ce grand film. La cinéaste utilise toujours des cadres rigoureux et d'une grande beauté formelle où elle fait évoluer ses personnages. Les plans de la maison familiale où elle travaille sur la profondeur de champ pour marquer l’intimité et l'absence sont composés avec un grand sens des déplacements, de l'espace et du temps qui passe..

     

     

    Maternité éternelle (Chibusa yo eien nare - 1955)

    Avec ce troisième film, Kinuyo Tanaka s’inspire de la vie de Fumiko Nakajo (1922-1954), grande poétesse japonaise qui a brille dans l'art poétique du Tanka dont est issu le haïku). Une femme morte très jeune d’un cancer du sein, un mois après la publication de son premier recueil. La cinéaste en tire un très beau portrait de femme fauchée en pleine jeunesse doublé d’un mélodrame magnifié par une mise en scène d’une grande inventivité formelle. Un superbe film mélancolique et dramatique sur la force d'une femme, sa beauté morale, sa grandeur de mère, sa force d'amour. Une œuvre dune grande force sociale et poétique sur le Japon de l'après guerre.

     

    La Princesse errante (Ruten no ohi – 1960)

    En 1937, l'héroïne, Ryuko, une Princesse japonaise, passe par son mariage avec le frère de l'Empereur Mandchou du Japon au continent chinois au moment des relations très complexes et tendues entre Japon, Empire Mandchou et Chine. La seconde guerre mondiale éclate...Le film est à la fois une superbe fresque historique, un film d'aventures et un mélodrame d'une tristesse infinie. Servi par une belle mise en scène en Cinémascope couleur, la cinéaste continue de travailler sur ses obsessions thématiques. Une nouvelle fois elle parle de la souffrance des femmes, centrée sur ce mariage arrangé et toutes ces implications. Elle montre et questionne la place pour une femme dans la société japonais et ses rites. L’errance de Ryuko au cœur du film est spatiale, temporel et morale. Prisonnière de son destin, elle ne peut trouver sa place dans le monde. En Mandchourie, ce sont des militaires qui décident… La musique de Chuji Kinoshita, mélodramatique, épique et grandiose rend encore plus tragique ce périple.

     

    La Nuit des femmes (Onna bakari no yoru – 1961)

    Son cinquième film est une étude sociologique qui décrit les conséquences de la loi abolissant les maisons closes. Kinuyo Tanaka nous conte le parcours de Kuniko, une ex-prostituée. C'est un beau mélodrame social qui sonne toujours juste grâce à la force, la précision et la discrétion de la mise en scène. La cinéaste filme ses ses interprètes avec beaucoup d’attention et d'amour. Chisako Hara dans le rôle de Kuniko, Chikage Awashima en directrice du centre ou Kyôko Kagawa en propriétaire de la pépinière, actrices confirmées ou bien jeunes débutantes sont toutes remarquables.

     

    Mademoiselle Ogin (Ogin-sama – 1961)

    A la fin du XVIe siècle, alors que le Christianisme, venu d’Occident, est proscrit, Mademoiselle Ogin tombe amoureuse du samouraï Ukon Takayama, qui est chrétien...
    Pour son dernier film en tant que cinéaste, Kinuyo Tanaka décide de s’attaquer au mélodrame en kimono, comme ceux qui firent la grandeur cinématographique de Kenji Mizoguchi. La force de la direction artistique, la grande beauté formelle et le choix de comédiens prestigieux font de ce film ample, lyrique et émouvant, une véritable splendeur.
    Mademoiselle Ogin, est une œuvre flamboyante qui nous conte le tragique destin d'une héroïne qui désire vivre selon ce que lui dicte son cœur.

     

    Jacques Déniel

     

     

     

    Lettre d'Amour (Koibumi)

    Réalisation: Kinuyo Tanaka d’après un roman de Fumio Niwa

    Japon – 1953 – noir et blanc – mélodrame – 1h38 – VOSTF
    Interprétation: Masayuki Mori, Yoshiko Kuga, Jukichi Uno, Juzo Dosan ,Chieko Seki....


    La Lune s'est levée ( Tsuki wa noborinu)

    Réalisation: Kinuyo Tanaka d’après un scénario de Ryosuke Saito et Yasujiro Ozu

    Japon – 1955 – noir et blanc – mélodrame – 1h42 – VOSTF

    Interprétation: Chishu Ryu, Shuji Sano, Hisako Yamane, Yoko Sugi, Mie Kitahara...

     

    Maternité éternelle (Chibusa yo eien nare)

    Réalisation: Kinuyo Tanaka d’après un roman d’Akira Wakatsuki

    Japon – 1955 – noir et blanc – mélodrame – 1h51 – VOSTF

    Interprétation:Yumeji Tsukioka, Masayuki Mori, Ryoji Hayama,Yoko Sugi, Shiro Osaka...

     

    La Princesse errante (Ruten no ohi)

    Réalisation: Kinuyo Tanaka d’après les mémoires de Hiro Saga

    Japon – 1960 – couleurs – mélodrame historique – 1h43 – VOSTF

    Interprétation: Machiko Kyo, Eiji Funakoshi,, Atsuko Kindaichi, Chieko Higashiyama, Sadako Sawamura.

     

    La Nuit des femmes (Onna bakari no yoru)

    Réalisation: Kinuyo Tanaka d’après un roman Masako Yana.

    Japon – 1961 – noir et blanc – mélodrame social– 1h33 – VOSTF

    Interprétation: Hisako Hara, Akemi Kita, Yosuke Natsuki, Sadako Sawamura, Chieko Seki, Akihiko Hirata

     

    Mademoiselle Ogin (Ogin-sama)

    Réalisation: Kinuyo Tanaka d’après une histoire de Toko Kon

    Japon – 1962 – couleurs – mélodrame historique– 1h42– VOSTF

    Inerprétation: Ineko Arima, Tatsuya Nakadai, Ganjiro Nakumara, Mieko Takamine, Osamu Takizawa , Keiko Kishi...

     

    Rétrospective dans les salles de cinéma art et essai, sortie en coffret DVD chez Carlotta Films

  • Le Mans 66 un film de James Mangold

    Le Mans 66 un film de James Mangold

    Une histoire d'hommes

    Le film de James Mangold est tirée d'une histoire vraie, celle de la légendaire rivalité entre Ford et Ferrari qui mena au triomphe des voitures de la marque américaine aux 24 heures du Mans en 1966.

    1963, la société Ford Motor Company dirigée par Henry Ford II (Tracy Letts) veut changer son image de marque. Produisant de confortables voitures familiales de manière industrielle, elle opère une tentative de rapprochement avec le célèbre constructeur automobile italien Enzo Ferrari, afin de lui racheter des parts de son entreprise. Ferrari brille, sa réputation est au sommet. Ils enchaînent les victoires aux 24 heures du Mans.

    Rejetant l’arrogance de Henry Ford, Enzo Ferrari refuse sa proposition, et acte le début de la concurrence avec ses adversaires américains. Henry Ford ordonne à ses collaborateurs de trouver des hommes capables de construire une voiture de course qui puisse battre les Ferrari. Ils embauchent Carroll Shelby (Matt Damon), ancien pilote vainqueur des 24 heures du Mans en 1959. Shelby impose son ami Ken Miles (Christian Bale) comme technicien et principal pilote de son écurie. Après l'échec de plusieurs de leurs prototypes, Shelby et Miles aboutissent, la Ford GT40 sera au départ des 24 heures du Mans en 1966.

    Le film de James Mangold, artisan brillant et inspiré, auteur des excellents Copland, Walk The Line et Logan raconte l'histoire d'une d'amitié indéfectible entre Carol Shelby et Ken Miles. Ces deux hommes unis par leur partage de la même passion amoureuse pour la course automobile et pour une femme formidable, d'une grande beauté plastique, Mollie (Caitriona Balfe), sont des vrais héros de l'Amérique, dignes des cowboys des westerns de Howard Hawks. L'un, Shelby est solitaire, physiquement et moralement entamé après un accident cardiaque est un ingénieur visionnaire et ambitieux, l'autre, Miles, marié à Mollie - aimante et aimée, protégeant les deux hommes d'un amour compassionnel jamais démenti est une tête brulée, caractériel, ombrageux mais aussi précis, déterminé dans la maitrise du volant comme dans celle de l'amour de sa femme et de son fils Peter.

    Il s'agit pour eux de construire la meilleure voiture possible, de faire corps avec elle lorsqu'ils la pilotent afin de la mener à la victoire. Leur relation à la mécanique des automobiles est très physique, organique voire orgasmique. Lors des essais, Ken Miles pilote les différents modèles conçus en ressentant toutes les qualités et les moindres défauts de la mécanique. Le film s'avère très juste lorsqu'il montre les oppositions sociales entre ces deux hommes fidèles, fiables et pétris de classe face aux dirigeants arrogants et perfides de la Ford dont l'intérêt majeur est l'argent. Pour Ken Miles, la plus belle récompense sera le coup de chapeau discret, élégant que lui donne Enzo Ferrari au Mans. La classe!

    Le Mans 66 est servi par des acteurs exceptionnels et une mise en image au cordeau, filmant la course automobile comme une aventure humaine, organique, mythique, une histoire de légende sur fonds de grands ciels bleus couchants., appartenant à celles qui construisent l'épopée de l'Amérique. La mise en scène de la course automobile filmée avec une maestria égale à celles filmés par Howard Hawks dans La foule hurle (1932), Ligne rouge 7000 (1965), par Lee H. Katzin dans Le Mans (1971) alterne séquences de vitesse pure et scènes révélant l'intériorité humaine – désirs, volonté, ambitions, souffrances, douleurs - montrés par des plans successifs dans l’habitacle de la machine: la carrosserie qui vibre, un visage embué par la sueur, des yeux au regard perçants, un corps entier animé par la volonté et le désir de gagner, une aiguille rouge montrant que le moteur surchauffe, que les freins peuvent lâcher sans prévenir... Puissant, passionnant et tragique Le Mans 66 est une poignante et véritable histoire d'hommes. L'un des plus beaux films de l'année, assurément!

    Jacques Déniel

     

    Le Mans 66 un film de James Mangold – États-Unis – 2019 – 2h32 - Scope

    sortie au cinéma le 13 novembre 2019

    Avec Matt Damon, Christian Bale, Caitriona Balfe, Tracy Letts, Josh Lucas, Noah Jupe...



  • Bowling Saturn un film de Patricia Mazuy

    Bowling Saturn un film de Patricia Mazuy

    Coupables, forcément coupables

    Bowling Saturne aurait pu être un film formidable. Une histoire familiale toxique, un affrontement moral entre demis-frères, l'un Guillaume (Arieh Worthalter), inspecteur de police reconnu et l'autre, Armand (Achille Reggiani), un tueur de femmes psychopathe. La première moitié du film, se déroulant dans les rues sombres de la ville et le Bowling Saturne, met en scène la folie meurtrière d'Armand et l'enquête policière en cours, le face à face entre deux frères. La scène du meurtre initial, filmée en détail jamais complaisante ni voyeuriste, est très réussie. Elle montre la rage indéniable qui saisit Armand garçon, buté et frustre, à travers un rapport sexuel initialement consenti par la jeune fille Gloria (Leila Muse) mais qui contient en germe une violence inouïe qui explose sans artifice ni détours, sans explication... Mazuy dépeint une cité anonyme et un lieu nocturne, habitacle des pulsions ténébreuses d’Armand (Achille Reggiani), tueur furieux de femmes, et de son frère Guillaume (Arieh Worthalter), un policier qui part à la dérive au fil de la découverte de nouveaux cadavres de jeunes femmes enterrées dans le cimetière de la ville..

     

    Malheureusement dans sa deuxième partie le film sombre et Patricia Mazuy passe à côté du potentiel formidable de son sujet. Une tragédie antique sur fond de film noir, de thriller tendu s'amorçait mais Bowling Saturne bascule indubitablement vers le film à thèse, porté par les idées actuelles sur la toxicité masculine incarnées par les hommes d'un club de chasseurs amateurs de safaris sanglants dont les agissements et réunions semblent appartenir à une sorte de sabbat masculin. La cinéaste, convaincue par l'idéologie en vogue, nous livre un exposé théorique et psychanalytique trop bien huilé sur la masculinité vue comme un poison inexorable transmis de génération en génération. Tous les hommes sont coupables, forcément coupables, les deux frères les chasseurs, les policiers - la plupart caricaturaux, occupant un invraisemblable commissariat en défection - incapables de protéger les femmes...

     

    De surcroit, elle rajoute à cette atmosphère très pesante, un personnage improbable de femme écologiste, Xuan (surjouée par l'actrice Y Lan Lucas), luttant contre le mal fait au animaux qui séduit l'inspecteur en déroute. Bowling Saturne est un film de dénonciation de la toxicité des mâles blancs et des raisons nombreuses, colonialisme, chasse, figure dévorante du père - le fameux dieu Saturne qui dévore ses enfants - mère et femmes absentes, pulsions morbides... qui conduisent les hommes à tuer. Trop simpliste et décevant, guère plus passionnant que La Nuit du 12 de Dominik Moll, le film oublie la beauté du cinématographe, la violence et les pulsions criminelles qui habitent les hommes mais aussi les femmes, liés aux affres et aux puissances du Mal (nous sommes à des années lumières de l'art de Robert Bresson). On ne fait pas du cinéma avec des idées théoriques sur la société, le monde, les êtres humains qui le peuplent mais en utilisant sa passion de la mise en scène (ce qu'avait prouvé Patricia Mazuy avec les très beaux et impeccables Peaux de vaches (1989), Travolta et moi (1994), Saint-Cyr (2000) et Sport de filles (2011), les mystères et turbulences contenus dans les tréfonds des âmes humaines.

    Jacques Déniel

     

    Bowling Saturne un film de Patricia Mazuy - France - 2022 – 1h54

    Interprétation: Achille Reggiani, Arieh Worthalter, Y Lan Lucas, Leila Muse (Gloria)... Sortie en salles de cinéma le 26 octobre

     

     

     

  • A cause des filles...? Un film de Pascal Thomas

     

    A cause des filles...? Un film de Pascal Thomas

    Une comédie enchantée

    Entre le jour de sa sortie le mercredi 30 janvier 2019 où je m'étais rendu à la ville pour aller voir le nouveau film de Pascal Thomas, au titre fort alléchant, A cause des filles...? et ce jour, j'ai revu le film plusieurs fois avec toujours autant de plaisir. Ce film dont les Cahiers du cinéma ne parlent pas et que Le Monde et quelques officines gauchisantes n'aiment pas est une œuvre essentielle, drôle, impertinente et de toute beauté. Les Césars auraient du le consacrer car c'est l'un des rares beaux films français de l'année 2019 avec Roubaix, une lumière d'Arnaud Desplechin et J'Accuse de Roman Polanski.

     

    Quel régal! Une fois de plus ce cinéaste bien trop sous estimé, auteur de perles rares telles Les Zozos, Pleure pas la bouche pleine, La Dilettante, Celles qu'on n'a pas eues, Les Maris, les femmes, les amants, Confidences pour confidences, Mon petit doigt m'a dit... nous régale par son sens aigu de l'observation, son ironie et son humour mélancolique, sa mise en scène noble, légère et sérieuse.

     

    Servi par une troupe de comédiens différents et tous excellents, le cinéaste nous enchante avec cette comédie d'une élégance folle sur le doux amour des hommes pour les filles. Lors d'un mariage, la cérémonie à peine terminée, le mari s'enfuit avec une belle inconnue qui l'attend dans un coupé-sport. Chacun des invités va tenter de lui remonter le moral. Tous ont leur avis sur les surprises de l'amour, l'inconstance conjugale, les histoires légères ou malheureuses. Lors du repas de noces – où l'on mange des huîtres et de succulents mets, où l'on boit un vin blanc à la belle robe jaune –, chacun à leur tour, les convives racontent une histoire, très librement, avec une certaine nostalgie et une noblesse de cœur dignes des plus belles comédies du cinéma italien ou un peu à la manière des derniers Buñuel (Le Fantôme de la liberté ou Le Charme discret de la bourgeoisie).

     

    Formidable artisan de cinéma, rebelle et iconoclaste – son côté anarchiste de droite –, Pascal Thomas, nous livre une œuvre d'une juste et belle ambition cinématographique. Finesse et intelligence du scénario, dialogues ciselés et enlevés, amour des livres et des écrivains, citations littéraires – Baudelaire, le Prince de Ligne, Molière... –, mise en scène lumineuse et d'une grande simplicité classique en font un grand film littéraire d'une liberté et d'une audace très rare dans le cinéma français contemporain plutôt morose et nombriliste ou bête et vulgaire. Filmé sous les ciels changeants du bassin d'Arcachon, il nous conte avec poésie, bonheur et une formidable générosité une série d'histoires fantaisistes, drôles, bouillonnantes dans un monde où se côtoient artistes, zozos en tous genres issus des classes moyennes de la société française. Cinéaste éminemment populaire, il filme avec bienveillance la vraie France, celle des provinces et des campagnes. Il nous montre les hommes et femmes tels qu'ils sont ayant, chacun leur raison.

     

    Il faudrait pouvoir dire un mot des prestations remarquables de chacun des acteurs et actrices qui peuplent ce film réjouissant. Célébrons les réparties vivaces et libres de Barbara Schultz, les folles et surréalistes envolées de Rossy de Palma, la voix chaude et attirante d’Audrey Fleurot, les comportements langoureux et timides de Louis-Do de Lencquesaing, la tendresse sensible de José Garcia, le jeu burlesque et irrésistible de Bernard Menez, la mélancolie poétique de Pierre Richard .. Quel plaisir de voir dans un rôle jubilatoire Marie-Josée Croze en professeur de français très sexy, utilisant des méthodes d'enseignement peu conventionnelles devenir tout à coup autoritaire, impitoyable et ridicule. Cette séquence de lecture du Tartuffe de Molière est une admirable fable sur le retour hypocrite d'un certain puritanisme féministe. Pascal Thomas filme tous ses comédiens, ses amoureux du jeu, avec amour, sensibilité et délicatesse. La musique et les chansons du film, interprétées en direct pendant la noce sont, ciselées, drôles et impertinentes. Elles ponctuent avec grâce les différentes séquences et nous emportent dans la danse de ce film enchanteur, cette belle déclaration d'amour à la vie et au cinéma.

    Merci monsieur Pascal Thomas. Les films de Pascal Thomas ont marqué de leur empreinte la Comédie à la française et la plupart d’entre eux ont fait l’objet d’une sortie en DVD. Il est pourtant devenu très difficile de mettre la main sur ces films chez les distributeurs et vendeurs habituels. Heureusement, sous l’impulsion de Pierre Olivier, grand admirateur de l’œuvre du cinéaste, TF1 Studio a eu la bonne idée de réunir en 2017,  pour la première fois dans un coffret DVD, 7 comédies de Pascal Thomas datant des décennies 1970 et 1980*. Chers amoureux du cinéma, si vous avez omis d'aller voir ces films au cinéma, courrez acheter, toutes affaires cessantes, le coffret DVD. Espérons qu'un distributeur aura l'audace de sortir prochainement A Cause des filles...? en édition DVD et Blu-ray.

    Jacques Déniel

    A cause des filles...? Un film de Pascal Thomas France – 2019 – 1h40 Interprétation Irène Jacob,  Rossy de Palma, Barabar Schulz, Marie-Josée Croze, José Garcia, Laurent Lucas Caroline Ducey, François Morel, Bernard Menez, Alexandra Stewart, Pierre Richard, Louis-Do de Lencquesaing, Audrey Fleurot, Frédéric Beigbeder..

     

    (1)  Au programme de ce coffret en partenariat avec Ciné-Comédies, vous retrouverez 7 longs-métrages:  Les Zozos (1973), Pleure pas la bouche pleine! (1973), Le Chaud lapin (1974), La Surprise du chef (1976), Confidences pour confidences (1979), Celles qu'on a pas eues (1981), et Les Maris, Les Femmes et les amants (1989). Éditeur : Tf1 2017



  • R.M.N. un film de Cristian Mungiu

    R.M.N. un film de Cristian Mungiu

    Une œuvre au noir d'une densité et d'une tension impitoyable.

     

    R.M.N. est le sigle en roumain d’IRM (l’imagerie par résonance magnétique), un scanner. Le projet ambitieux et réussi de Cristian Mungiu est donc de faire un scanner rigoureux et précis d'un village de Transylvanie, à la population mélangée. Une radiographie politique et sociale des maux – du Mal? – qui rongent les sociétés modernes à l'échelle d'un modeste village Roumain..

    Après ses très beaux premiers longs-métrages 4 mois, 3 semaines, 2 jours (4 luni, 3 săptămâni și 2 zile - 2007 ) Palme d'or au Festival International du Film de Cannes, Au-delà des collines (După dealuri -2012) et Baccalauréat (Bacalaureat - 2016), Cristian Mungiu signe un nouveau film de toute beauté servi par une mise en scène ample et tragique, des cadres acérés, une lumière sépulcrale, des plans de nature d'une inquiétante étrangeté et une musique mélancolique et sombre.

    Une œuvre au noir d'une densité et d'une tension impitoyable. Roumanie, un petit bourg provincial, tout commence par la vision d'un évènement effrayant - que nous ne verrons et ne connaitrons pas - par le jeune Rudi, le fils de Matthias, alors qu'il se rend à l'école par un chemin forestier désert. Matthias, un Roumain d'origine allemande - interprété par l'impeccable, juste et convaincant Marin Gringore -, est de retour dans son village natal, multiethnique (Roumains, Hongrois, Allemands, Gitans....), après avoir quitté son emploi en Allemagne. Il vient de s'enfuir des abattoirs où il travaillait car il a très brutalement agressé son supérieur qui l'a traité de gitan. Il est inquiet pour son fils, Rudi, qui grandit sans lui, seule avec sa épouse Ana (Macrina Bârlădeanu) - qu'il a quitté -, pense à son vieux père, Otto (Andrei Finți), resté seul et souhaite ardemment revoir Csilla, son amante. Matthias est un homme, viril, très sexuel, fort, bravache et un peu brutal mais non dénué de bon sens.

    Csilla - formidable Judith State qui s'impose dans ce rôle de femme, cultivée, battante, envoutante et décidée, travaille comme gérante de la boulangerie industrielle du village auprès de la propriétaire Mme Denes (Orsolya Moldován). Ils font appel à de la main d’œuvre étrangère (des Sri-lankais) car les locaux préfèrent travailler à l'étranger, trouvant les salaires de cette entreprise trop peu élevés Csilla soutient cette idée qui permettra à l'entreprise de toucher des aides européennes et veut aider les nouveaux venus à s'intégrer. Elle aime et joue de la musique traditionnelle et classique, boit du bon vin et aime les hommes et l'amour physique.

    Soudain, le pseudo équilibre du village se fissure. Des hommes et des femmes tiennent sur les réseaux sociaux des diatribes contre les ouvriers boulangers Sri-lankais. La tension monte inexorablement en cette période de Noël et de nouvel an où manifestation traditionnelle, et fêtes populaires occupent la population.

    Lors d'une longue scène de réunion dans une salle municipale, filmée avec une frontalité et une vérité sans filtre en un plan fixe de dix-sept minutes, le cinéaste décrit un débat citoyen houleux, où les habitants sont en profond désaccord sur le sort à réserver aux migrants Sri-lankais, majoritairement rejetés par la population. Tous les habitants, les femmes comme les hommes, les simples citoyens (ouvriers, commerçants, femmes au foyer...) comme les notables (le Maire, le curé, le médecin...) prennent la parole et donne leur avis sans aucun ambage sur cette situation. Racisme et bon sens populaire se côtoient. Une scène d'une dureté et d'une justesse politique rare au cinéma – très caustique aussi quand les habitants répliquent vertement aux leçons d'un jeune français, membre d'une ONG, présent dans la région pour compter le nombre d'ours y vivant. Les vérités de chacun sont énoncées sur les questions du travail, des migrants, de la politique de l'Europe, de la civilisation occidentale menacée.... .

    Avec
    R.M.N. Cristian Mungiu ausculte la société pour révéler les nombreux problèmes qui la mine: solidarité et individualisme, tolérance et égoïsme, la sincérité et le mensonge politique. Un conte moderne et cruel sur le monde global, l'inexorable disparition des temps du passé et des traditions dignes de confiance face aux temps actuels marchands, déstructurants et violents ainsi que sur la fausseté de valeurs européennes imposées. Il nous montre une Roumanie en proie aux malheurs contemporains avec une intelligence et un respect des raisons de chaque personnage absolument remarquable.

    Jacques Déniel

     

    R.M.N. un film de Cristian Mungiu

    Roumanie – 2021 – 2h05 – V.O.S.T.F.

    Interprétation: Marin Grigore, Judith State, Macrina Bârlădeanu, Orsolya Moldován, Andrei Finți ...

    Dans les salles de cinéma depuis le 19 octobre 2022.