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Une certaine idée du cinéma le blog de Jacques Déniel - Page 10

  • Gens de Dublin un film de John Huston

    Gens de Dublin un film de John Huston

    Un sommet de l'art cinématographique mondial.

     

    Son âme se pâmait lentement tandis qu'il entendait la neige tomber, évanescente, à travers tout l'univers, et, telle la descente de leur fin dernière, évanescente, tomber sur tous les vivants et les morts. James Joyce (Les Morts 1914).

    Gens de Dublin de John Huston est adapté d'une nouvelle présente dans le recueil de textes The Dubliners (Gens de Dublin), The Dead (Les Morts), écrite en 1914 par l'immense écrivain Irlandais James Joyce. C'est le dernier film de John Huston, il le tourne en 1987 quelques mois avant de mourir d'une pneumonie consécutive à son emphysème le 28 août 1987.

    John Huston, grand cinéaste souvent mal compris et parfois considéré comme surfait, est pourtant l'un des plus grands metteurs en scène américains, auteur entre 1941 et 1987 de quarante deux longs-métrages. Il a adapté avec beaucoup de talent et de modestie plusieurs chefs-d’œuvres de la littérature de langue anglaise: Moby Dick de Herman Melville, L'Homme qui voulut être roi de Rudyard Kipling, Le Faucon Maltais de Dashiell Hammett, La Nuit de l'iguane de Tennessee Williams, Reflets dans un œil d'or de Carson McCullers, Les Racines du ciel de Romain Gary, Le Malin de Flannery O'Connor, Au-dessous du volcan de Malcom Lowry, La Bible et Gens de Dublin...

    En portant à l'écran avec une grande fidélité cette nouvelle de James Joyce, John Huston nous conte une histoire minimaliste dont l'action se déroule sur une seule soirée. Une œuvre dépouillée mais intense et juste, servie par la force de la mise en scène sobre et poignante du cinéaste, condensée en trois actes en quasi huis-clos: la soirée et le diner dans la maison des des demoiselles Morkan, un trajet dans un fiacre et une discussion entre Gretta et Gabriel Conroy - interprétés par Angelica Huston et Donal McCann -, le couple principal du film, dans leur chambre d'hôtel à Dublin.

    La majeure partie du film se déroule dans la maison des deux sœurs Morkan, Miss Kate et Miss Julia et de leur nièce, Mary Jane, qui organisent en ce mois de janvier 1904, leur banquet annuel de l’Épiphanie. Dehors le sol est recouvert d'un épais manteau blanc, la neige tombe et il fait froid. Elles reçoivent leur cercle d'amis: leur neveu Gabriel Conroy et son épouse Gretta, trois élèves de Mary Jane, le chanteur ténor Bartell D'Arcy, la vieille Mrs Malins et son fils Freddy, alcoolisé comme bien souvent.

    La soirée s'écoule dans la douceur et la sérénité, tous dansent, et dégustent des plats succulents dont l'excellente oie rôtie et le traditionnel pudding, certains jouent du piano, d'autres récitent des poèmes en langue gaéliques ou chante. Les convives parlent de théâtre de politique, de l'avenir de l'Irlande et évoquent les chers disparus de l'année, célèbres ou inconnus. Les passions semblent retenues, feutrées et vont affleurer au moment où les invités commencent à partir.

    Soudainement, alors qu'elle commence à descendre l'escalier menant à la sortie, Gretta entend le ténor Bartell d'Arcy (Frank Patterson) chanter la ballade La Fille d'Aughrim. Elle se fige, envahit par une immense mélancolie. Le chemin du retour vers l'hôtel avec son époux Gabriel et leur discussion dans la chambre d'hôtel nous révèle une blessure d'amour secrète.

    Le film comme la nouvelle sont une épiphanie de la condition humaine. Marqué par le déroulement de la soirée, la musique, les chants, les poèmes lus, les propos échangés et surtout très troublé par la récit du premier amour de jeunesse que lui révèle son épouse Gretta, Gabriel Conroy acquiert une conscience soudaine et lumineuse de la nature profonde de l'âme humaine, de l'indicible passage des êtres humains sur la terre. Hommage vibrant aux vivants et aux morts qui peuplent cette terre, The Dead (Gens de Dublin) est le chef-d’œuvre testamentaire de John Huston, un film modeste, subtil et d'une folle élégance. Servi par une pléiade de comédiens talentueux et justes, par la lumière chaude du chef-opérateur Fred Murphy, la musique mélancolique d'Alex North et la beauté du chant du ténor irlandais de renommée internationale, Frank Patterson, Gens de Dublin est assurément un sommet de l'art cinématographique mondial.

     

    Jacques Déniel

     

    Gens de Dublin un film de John Huston,

    États-Unis – – 1987 – 1h23 – V.O.S.T.F.

    Interprétation: Anjelica Huston, Donal Mc Cann, Dan O'Herlihy, Helenan Caroll, Cathleen Delany, Ingrid Craigie, Frank Patterson Marie, Kean, Sean McClory....

  • The Intruder un film de Roger Corman

    The Intruder un film de Roger Corman

     

    Adam Cramer, est un beau gosse démagogue, rassurant pour les habitants de la ville de Caxton dans le Missouri. Mais, très vite, il va savoir exploiter l'opposition de la majorité de la population aux nouvelles lois intégrationnistes qui oblige le lycée de la cité à ouvrir ses portes aux élèves noirs. Qui fait la loi" demande-t'il? Est-ce cet État Fédéral lointain ou bien les habitants de la bourgade? Adam Cramer va enflammer la petite ville. Les gens du peuple modestes comme les riches propriétaires suivent le leader rebelle. Leur ignorance des lois et de l'histoire du pays les font adhérer sans réserve aux discours mensongers de Cramer.

    Ce film, produit et réalisé avec très peu d'argent par Roger Corman, est tourné en décors naturels dans une petite ville du Missouri, servi par une photographie en noir et blanc superbe signée par le chef-opérateur Taylor Byars. La mise en scène de Corman est efficace et moderne. C'est un film à l'os, sec et dur: cadres ciselés, travellings opératiques, montage abrupt, musique stridente, interprétation impeccable de tous les acteurs dont William Shatner qui joue le leader raciste Adam Cramer, Frank Maxwell excellent dans celui du journaliste Tom McDaniel, taraudé par le doute et sa conscience et Leo Gordon, qui se coule dans la peau de Sam Griffin, un homme du peuple, franc de caractère, humaniste et adepte de la vérité...

    The Intruder est un film d'exception dans la riche filmographie de Roger Corman. Producteur, acteur et cinéaste incontournable du cinéma indépendant américain, il tourne des adaptations très réussies des romans d’Edgar Poe (La Chute de la Maison Usher, (1960), La Chambre des tortures (1961), L'Empire de la terreur (1962) Le Corbeau (1963), Le Masque de la mort rouge (1964)…), avec les célèbres acteurs Vincent Price, Boris Karloff, Peter Lorre et le jeune Jack Nicholson, qui enchantent le public. La lecture de The Intruder roman homonyme de Charles Beaumont, un membre de son équipe de scénaristes, l’éveille à la cause intégrationniste défendue durant les années de la présidence de Kennedy.

    Le film est à la fois le portrait d’un leader charismatique et ambigu, porté par sa haine des noirs et des juifs, mu par ses pulsions sexuelles insatiables, et une vision noire d’une société américaine où la haine raciale et l'antisémitisme dominent. Seuls quelques habitants, le journaliste Tom McDaniel, légaliste, le directeur du lycée Mister Paton et surtout le représentant commerciale Sam Griffin vont s'opposer à Adam Cramer afin de sauver le jeune étudiant noir, Joey Greene, du lynchage.

    The Intruder est un véritable brûlot politique, un drame annoncé dès les premiers plans du film, un travelling fulgurant à bord d'un train où nous découvrons le personnage principal, suivi par l'arrivée de ce dernier à Caxton. Adam Cramer retire alors ses lunettes noires, son regard nous apparait, vif mêlant charme et inquiétante étrangeté. Le tragédie peut alors s'installer. Un film esthétique et politique majeur de l’œuvre de Roger Corman, connue par une partie des cinéphiles, mais dont la place dans l’histoire du cinéma hollywoodien est méconnue.

    Jacques Déniel

    The Intruder un film de Roger Corman – États-Unis – 1962 – V.O.S.T.F. - 1h24
    Interpétation: William Shatner (Adam Cramer), Frank Maxwell (Tom McDaniel), Beverly Lunsford (Ella McDaniel), Robert Emhardt (Verne Shipman), Leo Gordon (Sam Griffin), Charles Barnes (Joey Greene),Charles Beaumont (M. Paton)...

    En DVD et Blu-Ray aux Éditions Carlotta Films.

  • Tár un film de Todd Field

    Tár un film de Todd Field

     

    Depuis quelques jours, Tár est le film dont on parle, celui devant lequel de nombreux critiques cinématographiques ébahies se prosternent.

     

    Cate Blanchett est Lydia Tár, une des plus célèbres et grandissimes chef d’orchestre au monde, détentrice de tous les grands prix prestigieux. Le film débute par une discussion d’un haut niveau intellectuel où la maestro démontre ses connaissances, son génie musical et intellectuel ainsi que sa pertinence d'analyse.

     

    Cette habile introduction du personnage donne le ton du film. Nous sommes devant une fiction où tous les éléments sont des postulats. Un chef d'orchestre brillant, une femme intelligente, belle, impérieuse, lesbienne et père d'une petite fille avec une violoniste, une femme qui dirige tous les êtres qu'elle rencontre et qui très vite apparait comme une pure création du cinéaste Todd Field. Un être conceptuel et fictif, dénué de sentiments humains réels.

     

    La mise en scène au cordeau, froide, lisse et acérée est particulièrement rude dans une belle séquence drôle et crue se déroulant dans l’amphithéâtre d'une grande école de musique new-yorkaise, The Julliard School, où professeur invitée, Lydia Tár remet en place de fort belle manière un étudiant. Avec une intelligence redoutable et un sens inné de la répartie, elle cloue le bec au jeune élève insolent qui affirme haut et fort la grandeur de sa bêtise identitaire, genrée et totalitaire. Critiquant la musique de Jean Sébastien Bach, qu'il méprise pour sa supposée misogynie il fustige les compositeurs blancs, cisgenres, hétérosexuels. L’élève, perclus de certitudes, reçoit de la part de sa professeur une leçon de vie conclue par une réplique assassine - les architectes de vôtre âme semblent être les réseaux sociaux -, avant de quitter la salle de cours en balançant Vous êtes une vraie salope à sa professeur certes dure mais vive, supérieure et passionnée.

     

    Malheureusement, cette scène succulente de quelques minutes est aussi un postulat idéologique qui va permettre à l'auteur du film de passer de l'hagiographie à un récit critique bien-pensant de son héroïne trop intellectuelle, dominatrice et créative. Elle va très vite se retrouvée accusée – peut-être à juste titre – d'être une manipulatrice, de favoriser des élèves filles en échange de faveurs sexuelles. Elle paie ainsi l'intransigeance de son caractère, son intelligence et son génie..

     

    La virtuosité roide et la prétention de la mise en scène de Todd Field sont gratuites, vides et servent à imposer son univers scénaristique régi par des règles sociales, culturelles et politiques. Seuls, les acteurs et actrices sont excellents, et, surtout le jeu implacable, brillant, démesuré peut-être de Cate Blanchett, est d’une ampleur conséquente. Malgré ce talent, le personnage va se perdre, noyée par la dérive fantastique, absconse et ridicule de la dernière demi-heure et le final incroyablement sot et absurde qui clôt le film.

     

    Jacques Déniel

     

    Tár un film de Todd Field – Etats-Unis – 2022 – 2h38 - V.O.S.T.F.

    Interprétation: Cate Blanchett, Noémie Merlant, Nina Hoss, Sophie Kauer, Julian Glover, Mark Strong... sortie en salles de cinéma le 25 janvier.

  • Le Soldatesse un film de Valerio Zurlini

    Le Soldatesse un film de Valerio Zurlini

     

    Un chant d'amour et de liberté, désespéré

     

    Cinéaste délicat et aimant, partagé entre l’exaltation et le désespoir, Valerio Zurlini (1926-1982) est trop méconnu comme Mauro Bolognini ou Ermano Olmi. Caché par la richesse des œuvres du cinéma italien des années cinquante, soixante et soixante-dix (Michelangelo Antonioni, Luchino Visconti, Pier Paolo Pasolini, Marco Bellocchio, Marco Ferreri, Federico Fellini, Bernardo Bertolucci, Sergio Leone, Dino Risi, Luigi Comencini, Ettore Scola, Francesco Rosi, Mario Monicelli, Vittorio de Sica...) et l'ombre du maître Roberto Rossellini, il reste le grand oublié.

    Son œuvre est traversée par deux grands thèmes, la guerre et ses contextes politiques et sociaux ainsi que les tonalités intimistes, psychologiques décrivant l’âme d’individus en perte de repères dans un Monde dominé par le Mal. Il est l’auteur de huit longs-métrages bouleversants à redécouvrir d'urgence (Été violent, La Fille à la valise, Journal intime, Le Soldatesse, Le Professeur, Le Désert des Tartares..)

     

    Le Soldatesse était sorti le 31 août 1966 dans l’indifférence générale en Italie comme en France. Sa superbe restauration par la cineteca di Bologna et L'Immagine Ritrovata et sa distribution en salle (juillet 2022) grâce aux Films du Camélia nous donne une deuxième chance afin que nous puissions le reconsidérer.

    L'histoire se déroule en 1942, dans la Grèce occupée par les troupes italiennes. La guerre italo-grecque est un conflit armé entre le Royaume d'Italient (dirigé par le gouvernement Fasciste de Benito Mussolin) et le Royaume de Grèce durant la période du 28 octobre 1940 au 6 avril 1941. Elle marque le début de la campagne des Balkans lors de la Seconde Guerre mondial. Pressé de partir d'Athènes en proie à la famine et au désastre, le lieutenant d’infanterie Gaetano Martino accepte la mission d’escorter douze femmes contraintes de se prostituer dans plusieurs bordels militaires à travers le pays, jusqu’à Ocrida en Albanie.

    Cinquième long-métrage d’une courte carrière marquée par des échecs publics et commerciaux, par des détestations critiques et des projets abandonnés - comme l'adaptation du Jardin des Finzi-Contini de Giorgio Bassani dans les années-soixante (finalement tourné en 1970 par Vittorio de Sicca) -, Le Soldatesse (Des filles pour l’armée -1965) est l'un des films secrets et mal-compris de Valerio Zurlini.

    Long-métrage impressionnant, tragédie humaine cruelle et désespérée, film antifasciste, Le Soldatesse est à la fois un road-movie, un film de guerre et un mélodrame sec et tragique. C'est une œuvre ample et brulante, remplie de tristesse et de mélancolie. Le film nourri par les messages des Évangiles et du communisme est une ode vibrante aux femmes grecques obligées de se prostituer pour manger et survivre.

    Les douze femmes choisies sont montrées avec beaucoup d'attention et de compassion par le cinéaste qui leur consacre un chant d'amour et de liberté, désespéré. Par la défense de ces femmes, Zurlini construit une allégorie. Le cœur de femmes contraintes d'offrir leurs corps aux soldats ennemis représente le sort douloureux de la Grèce soumise à l’envahisseur italien. Les hommes, à part le Lieutenant Martino (remarquable Tomas Milian) qui prend conscience de l'horreur de la guerre, de la veulerie de sa mission et le sergent (Mario Adorf, une brute perdue et tendre) que l'amour d' Ebe (Valeria Moriconi, pimpante, insolente et drôle) humanise, sont tous montrés comme des lâches et des salauds. Les propos d'un colonel affichant morgue et cynisme lors de son entrée dans un bordel militaire sont nets et précis« Repos. Ici il n’y a ni supérieur ni subalterne. Rien que des porcs, messieurs les officiers. »

    Servi par le noir et blanc contrasté et somptueux du chef-opérateur Tonino Delli Colli, la mise en scène implacable et magistrale de Zurlini et par une pléiade d'actrices toutes excellentes particulièrement, Lea Massari, qui interprète Toula, jeune femme éperdument triste, Anna Karina jouant Elenitza, vive, forte et lumineuse et Marie Laforêt dans le rôle d'Eftikia, jeune femme aux yeux d'or, regard de braise et noir intense, révoltée, intelligente, consciente de la perte terrible d'humanité subie par tous lors de cette guerre barbare.

    Dans Le Soldatesse, Zurlini filme des exactions commises par la milice des chemises noires et les soldats Italiens sur les résistants et soldats grecs. Il montre sèchement les crimes de l’armée italienne dans un conflit tragique du à l'orgueil de Mussolini désireux d'épater son allié allemand et de recréer un nouvel Empire Romain incluant la Grèce.

    Le récit de Le Soldatesse, film de guerre cru et sombre, road-movie macabre procède par stations, comme un chemin de croix où chacune des filles endosse sa part du martyre de Jésus-Christ. La seule issue possible au-delà de la mort serait la rédemption et pour les survivants une infinie solitude dans un Monde défait. Le film rappelle aussi la proximité du cinéaste avec le néo-réalisme, dont il fut l’un des continuateurs. Comme Roberto Rossellini, Zurlini montre les conséquences dévastatrices de la Seconde Guerre mondiale sur les populations civiles, et sur la civilisation européenne.

     

    Jacques Déniel

     

    Le Soldatesse un film de Valerio Zurlini

    Italie/France/Allemagne – 1965 – noir et blanc – 2h – VOSTF

    Interprétation: Anna Karina (Elenitza), Marie Laforêt (Eftikia), Lea Massari (Toula), Tomas Milian (Gaetano Martino), Valeria Moriconi (Ebe), Mario Adorf (Castagnoli), Aleksandar Gavric (Alessi)...

    Scénario : Leonardo Benvenuti, Pietro De Bernardi, Valerio Zurlini d'après le roman de Ugo Pirro

    Musique: Mario Nascimbene





     

  • Licorice Pizza un film de Paul-Thomas Anderson

    Licorice Pizza un film de Paul-Thomas Anderson

     

    Licorice Pizza commence par une séquence de drague romantique très drôle et émouvante, Gary Valentine (Cooper Hoffman, un jeune garçon dynamique et vif, âgé de 15 ans élève au lycée courtise Alana Kane (Alana Haim), une belle jeune femme, assistante-photographe âgée de dix ans de plus que lui. Magnifiquement interprétés par ces deux jeunes acteurs, le duo amoureux nous entraine dans un film jubilatoire, un chef-d’œuvre de cinéma mêlant teen-age movie et comédie romantique.

    Nous sommes en 1973 aux États-Unis, un pays où l'utopie hippie et libertaire est déjà retombée après les meurtres sordides de Sharon Tate et de Altamont en 1969, une Nation traumatisée en proie au doute et à l’inquiétude sociale qui s'aggrave avec la crise pétrolière de 1973 mais dont les problématiques ne vont cesser de se décupler au fil du temps.

    Paul Thomas Anderson film avec une mélancolie pleine d'amour un monde en train de disparaitre qui se précipite vers une impasse politique et philosophique aujourd'hui devenue dramatique dans un pays ravagé par le wokisme et la cancel culture.

    Le cinéaste nous montre avec nostalgie le crépuscule du modèle de société de la fin des années soixante et du tout début des années soixante-dix. Il nous expose avec une grande tendresse et un humour plein de malice, la félicité perdue de cette époque de grande liberté tant pour les hommes que pour les femmes. Il filme avec beaucoup de plaisir la rage et la volonté de vivre de ces jeunes gens inventifs qui ont cru à un idéal de liberté et de bonheur.

    Superbement éclairé et cadré par son chef-opérateur Michael Bauman, servi par une pléiade de comédiens tous excellents: Alana Haim (Alana Kane), Cooper Hoffman (Gary Valentine), Sean Penn (Jack Holden), Tom Waits (Rex Blau), Bradley Cooper (Jon Peters) Benny Safdie (Joel Wachs), et une bande musicale réjouissante (Nina Simone, David Bowie, The Doors, Sonny & Cher, Chuck Berry, Donovan, Paul McCartney, Gordon Lightfoot, Taj Mahal, Mason Williams, Blood Sweat and Tears, Steve Miller Band...) la mise en scène du cinéaste nous enchante et nous emporte vers un malström d'émotions mélangeant, rire, joie, bonheur, tristesse et amertume. La justesse du film tient beaucoup à la grâce et l'élégance de Gary Valentine et Alana Kane jeune couple au rythme trépidant.

     

    Jacques Déniel

     

    Licorice Pizza un film de Paul-Thomas Anderson

    États-Unis – 2021 – 2h13 – V.O.S.T.F.

    Interprétation : Alana Haim (Alana Kane), Cooper Hoffman (Gary Valentine), Bradley Cooper (Jon Peters), Sean Penn (Jack Holden), Benny Safdie (Joel Wachs), Tom Waits (Rex Blau)...

    Sortie DVD et Blu-ray: Universal Pictures France

  • La Flèche brisée un film de Delmer Daves

    La Flèche brisée un film de Delmer Daves (1950).

     

    De bruit et de fureur

     

    C'est une œuvre admirable, l'un des plus beaux westerns du cinéma américain réalisé par un cinéaste bien trop méconnu qui mériterait une rétrospective au Festival du Film de la Rochelle et à la Cinémathèque Française lorsque la situation de mort culturelle due aux conséquences liées à la pandémie prendra fin.

    Arizona, 1870. La guerre fait rage entre les Blancs et les Apaches. Ancien éclaireur, Tom Jeffords apprend leur langue le chiricahua, puis se rend dans la montagne pour rencontrer leur chef Cochise et lui faire des propositions de paix. Accepté comme hôte du camp Apache car auparavant, il avait soigné un de leur jeune guerrier, il s'éprend d'une Indienne d'une merveilleuse beauté, Sonseeahray (étoile du matin)...

    Adapté d’un roman historique très documenté, La Flèche brisée d'Elliott Arnold, par le scénariste Albert Maltz (crédité du nom de Michael Blankfort au générique du film car son nom était inscrit sur la liste noire du maccarthysme), le film est l'une des plus belles œuvres de son auteur Delmer Daves, dont la filmographie contient plusieurs perles rares dans les genres du film noir (Les Passagers de la nuit...), du western (particulièrement les splendides La Dernière caravane, La Colline des potences et 3h10 pour Yuma...) et du mélodrame (La Soif de la jeunesse, Susan Slade...).

    Le film à la fois âpre, tendre et cru nous conte des faits réels romancés. Il s'agit de la rencontre entre Cochise, célèbre et valeureux chef Apache et l’Américain Tom Jeffords, un homme intelligent, ferme et mesuré, très soucieux d’établir la paix avec les tribus Amérindiennes. Les efforts commun de Jeffords et de Cochise pour la paix sont contestés et entravés par des actions d'une grande violence commises par leurs adversaires contre le camp adverse (militaires jusqu’au boutisses, propriétaires terriens rapaces, chefs indiens ambitieux tel l'implacable Geronimo, farouche mais certainement lucide).

    Tom Jeffords, magistralement interprété par un James Stewart tout en nuance, est accusé de trahir les siens et de collaborer avec les Apaches. Il devient très vite pour ses compatriotes un adversaire à détester et éliminer. La haine de nombreux blancs envers les Amérindiens est à son comble et ils feront payer très cher à Jeffords son entreprise pacifiste et humaniste. La Flèche brisée est l’un des premiers westerns qui montre que les Amérindiens furent victimes d'un grand remplacement civilisationnel. Au nom du progrès, mais surtout de leurs intérêts économiques et personnels, les hommes blancs vouaient une haine raciale farouche aux tribus indiennes qu'ils dépossédaient de leurs territoires ancestraux et de leurs moyens de subsistance. Delmer Daves par son souci des faits et des modes de vie des Apaches s'emploie à décrire leur mœurs avec une grande précision et une véracité ethnologique.

    Cinéaste humaniste et bienveillant, il n'en décrit pas moins les pulsions de violence et de mort qui peuvent s'emparer des êtres humains belliqueux ou les douleurs inconsolables des pacifistes lorsque l'on touche à leurs proches, amis, femmes, concitoyens, peuple... .

     

    Dans ce Western fulgurant, Delmer Daves nous narre aussi une bouleversante histoire d’amour tragique qui par la finesse et l’intelligence de sa mise en scène nous émeut, tout particulièrement, les belles séquences de séduction entre les deux amoureux, du mariage résultant de la force de l'amour qui anime Tom Jeffords et la belle princesse Apache, interprétée par la très émouvante et étincelante Debra Paget. Il en fait des moments de beauté idyllique et de pure poésie accordés brièvement aux personnages dans un monde où règnent la violence, le bruit et la fureur. Bien que la pureté et la poésie soient brutalement interrompues par la sauvagerie des hommes, une paix fragile sera signée.

     

    Jacques Déniel

     

    La Flèche brisée de Delmer Daves.

    États-Unis – 1950 – 1h33

     

    Interprétation: James Stewart (Tom Jeffords), Jeff Chandler (Cochise), Debra Paget (Sonseeahray ('Étoile du Matin')), Arthur Hunnicutt (Milt Duffield, le directeur du service postal), Will Geer (Ben Slade, l'éleveur)...

     

    La Flèche brisée Collector [Édition Collection Silver Blu-Ray + DVD]