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Une certaine idée du cinéma le blog de Jacques Déniel - Page 12

  • Le Mans 66 un film de James Mangold

    Le Mans 66 un film de James Mangold

    Une histoire d'hommes

    Le film de James Mangold est tirée d'une histoire vraie, celle de la légendaire rivalité entre Ford et Ferrari qui mena au triomphe des voitures de la marque américaine aux 24 heures du Mans en 1966.

    1963, la société Ford Motor Company dirigée par Henry Ford II (Tracy Letts) veut changer son image de marque. Produisant de confortables voitures familiales de manière industrielle, elle opère une tentative de rapprochement avec le célèbre constructeur automobile italien Enzo Ferrari, afin de lui racheter des parts de son entreprise. Ferrari brille, sa réputation est au sommet. Ils enchaînent les victoires aux 24 heures du Mans.

    Rejetant l’arrogance de Henry Ford, Enzo Ferrari refuse sa proposition, et acte le début de la concurrence avec ses adversaires américains. Henry Ford ordonne à ses collaborateurs de trouver des hommes capables de construire une voiture de course qui puisse battre les Ferrari. Ils embauchent Carroll Shelby (Matt Damon), ancien pilote vainqueur des 24 heures du Mans en 1959. Shelby impose son ami Ken Miles (Christian Bale) comme technicien et principal pilote de son écurie. Après l'échec de plusieurs de leurs prototypes, Shelby et Miles aboutissent, la Ford GT40 sera au départ des 24 heures du Mans en 1966.

    Le film de James Mangold, artisan brillant et inspiré, auteur des excellents Copland, Walk The Line et Logan raconte l'histoire d'une d'amitié indéfectible entre Carol Shelby et Ken Miles. Ces deux hommes unis par leur partage de la même passion amoureuse pour la course automobile et pour une femme formidable, d'une grande beauté plastique, Mollie (Caitriona Balfe), sont des vrais héros de l'Amérique, dignes des cowboys des westerns de Howard Hawks. L'un, Shelby est solitaire, physiquement et moralement entamé après un accident cardiaque est un ingénieur visionnaire et ambitieux, l'autre, Miles, marié à Mollie - aimante et aimée, protégeant les deux hommes d'un amour compassionnel jamais démenti est une tête brulée, caractériel, ombrageux mais aussi précis, déterminé dans la maitrise du volant comme dans celle de l'amour de sa femme et de son fils Peter.

    Il s'agit pour eux de construire la meilleure voiture possible, de faire corps avec elle lorsqu'ils la pilotent afin de la mener à la victoire. Leur relation à la mécanique des automobiles est très physique, organique voire orgasmique. Lors des essais, Ken Miles pilote les différents modèles conçus en ressentant toutes les qualités et les moindres défauts de la mécanique. Le film s'avère très juste lorsqu'il montre les oppositions sociales entre ces deux hommes fidèles, fiables et pétris de classe face aux dirigeants arrogants et perfides de la Ford dont l'intérêt majeur est l'argent. Pour Ken Miles, la plus belle récompense sera le coup de chapeau discret, élégant que lui donne Enzo Ferrari au Mans. La classe!

    Le Mans 66 est servi par des acteurs exceptionnels et une mise en image au cordeau, filmant la course automobile comme une aventure humaine, organique, mythique, une histoire de légende sur fonds de grands ciels bleus couchants., appartenant à celles qui construisent l'épopée de l'Amérique. La mise en scène de la course automobile filmée avec une maestria égale à celles filmés par Howard Hawks dans La foule hurle (1932), Ligne rouge 7000 (1965), par Lee H. Katzin dans Le Mans (1971) alterne séquences de vitesse pure et scènes révélant l'intériorité humaine – désirs, volonté, ambitions, souffrances, douleurs - montrés par des plans successifs dans l’habitacle de la machine: la carrosserie qui vibre, un visage embué par la sueur, des yeux au regard perçants, un corps entier animé par la volonté et le désir de gagner, une aiguille rouge montrant que le moteur surchauffe, que les freins peuvent lâcher sans prévenir... Puissant, passionnant et tragique Le Mans 66 est une poignante et véritable histoire d'hommes. L'un des plus beaux films de l'année, assurément!

    Jacques Déniel

     

    Le Mans 66 un film de James Mangold – États-Unis – 2019 – 2h32 - Scope

    sortie au cinéma le 13 novembre 2019

    Avec Matt Damon, Christian Bale, Caitriona Balfe, Tracy Letts, Josh Lucas, Noah Jupe...



  • Bowling Saturn un film de Patricia Mazuy

    Bowling Saturn un film de Patricia Mazuy

    Coupables, forcément coupables

    Bowling Saturne aurait pu être un film formidable. Une histoire familiale toxique, un affrontement moral entre demis-frères, l'un Guillaume (Arieh Worthalter), inspecteur de police reconnu et l'autre, Armand (Achille Reggiani), un tueur de femmes psychopathe. La première moitié du film, se déroulant dans les rues sombres de la ville et le Bowling Saturne, met en scène la folie meurtrière d'Armand et l'enquête policière en cours, le face à face entre deux frères. La scène du meurtre initial, filmée en détail jamais complaisante ni voyeuriste, est très réussie. Elle montre la rage indéniable qui saisit Armand garçon, buté et frustre, à travers un rapport sexuel initialement consenti par la jeune fille Gloria (Leila Muse) mais qui contient en germe une violence inouïe qui explose sans artifice ni détours, sans explication... Mazuy dépeint une cité anonyme et un lieu nocturne, habitacle des pulsions ténébreuses d’Armand (Achille Reggiani), tueur furieux de femmes, et de son frère Guillaume (Arieh Worthalter), un policier qui part à la dérive au fil de la découverte de nouveaux cadavres de jeunes femmes enterrées dans le cimetière de la ville..

     

    Malheureusement dans sa deuxième partie le film sombre et Patricia Mazuy passe à côté du potentiel formidable de son sujet. Une tragédie antique sur fond de film noir, de thriller tendu s'amorçait mais Bowling Saturne bascule indubitablement vers le film à thèse, porté par les idées actuelles sur la toxicité masculine incarnées par les hommes d'un club de chasseurs amateurs de safaris sanglants dont les agissements et réunions semblent appartenir à une sorte de sabbat masculin. La cinéaste, convaincue par l'idéologie en vogue, nous livre un exposé théorique et psychanalytique trop bien huilé sur la masculinité vue comme un poison inexorable transmis de génération en génération. Tous les hommes sont coupables, forcément coupables, les deux frères les chasseurs, les policiers - la plupart caricaturaux, occupant un invraisemblable commissariat en défection - incapables de protéger les femmes...

     

    De surcroit, elle rajoute à cette atmosphère très pesante, un personnage improbable de femme écologiste, Xuan (surjouée par l'actrice Y Lan Lucas), luttant contre le mal fait au animaux qui séduit l'inspecteur en déroute. Bowling Saturne est un film de dénonciation de la toxicité des mâles blancs et des raisons nombreuses, colonialisme, chasse, figure dévorante du père - le fameux dieu Saturne qui dévore ses enfants - mère et femmes absentes, pulsions morbides... qui conduisent les hommes à tuer. Trop simpliste et décevant, guère plus passionnant que La Nuit du 12 de Dominik Moll, le film oublie la beauté du cinématographe, la violence et les pulsions criminelles qui habitent les hommes mais aussi les femmes, liés aux affres et aux puissances du Mal (nous sommes à des années lumières de l'art de Robert Bresson). On ne fait pas du cinéma avec des idées théoriques sur la société, le monde, les êtres humains qui le peuplent mais en utilisant sa passion de la mise en scène (ce qu'avait prouvé Patricia Mazuy avec les très beaux et impeccables Peaux de vaches (1989), Travolta et moi (1994), Saint-Cyr (2000) et Sport de filles (2011), les mystères et turbulences contenus dans les tréfonds des âmes humaines.

    Jacques Déniel

     

    Bowling Saturne un film de Patricia Mazuy - France - 2022 – 1h54

    Interprétation: Achille Reggiani, Arieh Worthalter, Y Lan Lucas, Leila Muse (Gloria)... Sortie en salles de cinéma le 26 octobre

     

     

     

  • A cause des filles...? Un film de Pascal Thomas

     

    A cause des filles...? Un film de Pascal Thomas

    Une comédie enchantée

    Entre le jour de sa sortie le mercredi 30 janvier 2019 où je m'étais rendu à la ville pour aller voir le nouveau film de Pascal Thomas, au titre fort alléchant, A cause des filles...? et ce jour, j'ai revu le film plusieurs fois avec toujours autant de plaisir. Ce film dont les Cahiers du cinéma ne parlent pas et que Le Monde et quelques officines gauchisantes n'aiment pas est une œuvre essentielle, drôle, impertinente et de toute beauté. Les Césars auraient du le consacrer car c'est l'un des rares beaux films français de l'année 2019 avec Roubaix, une lumière d'Arnaud Desplechin et J'Accuse de Roman Polanski.

     

    Quel régal! Une fois de plus ce cinéaste bien trop sous estimé, auteur de perles rares telles Les Zozos, Pleure pas la bouche pleine, La Dilettante, Celles qu'on n'a pas eues, Les Maris, les femmes, les amants, Confidences pour confidences, Mon petit doigt m'a dit... nous régale par son sens aigu de l'observation, son ironie et son humour mélancolique, sa mise en scène noble, légère et sérieuse.

     

    Servi par une troupe de comédiens différents et tous excellents, le cinéaste nous enchante avec cette comédie d'une élégance folle sur le doux amour des hommes pour les filles. Lors d'un mariage, la cérémonie à peine terminée, le mari s'enfuit avec une belle inconnue qui l'attend dans un coupé-sport. Chacun des invités va tenter de lui remonter le moral. Tous ont leur avis sur les surprises de l'amour, l'inconstance conjugale, les histoires légères ou malheureuses. Lors du repas de noces – où l'on mange des huîtres et de succulents mets, où l'on boit un vin blanc à la belle robe jaune –, chacun à leur tour, les convives racontent une histoire, très librement, avec une certaine nostalgie et une noblesse de cœur dignes des plus belles comédies du cinéma italien ou un peu à la manière des derniers Buñuel (Le Fantôme de la liberté ou Le Charme discret de la bourgeoisie).

     

    Formidable artisan de cinéma, rebelle et iconoclaste – son côté anarchiste de droite –, Pascal Thomas, nous livre une œuvre d'une juste et belle ambition cinématographique. Finesse et intelligence du scénario, dialogues ciselés et enlevés, amour des livres et des écrivains, citations littéraires – Baudelaire, le Prince de Ligne, Molière... –, mise en scène lumineuse et d'une grande simplicité classique en font un grand film littéraire d'une liberté et d'une audace très rare dans le cinéma français contemporain plutôt morose et nombriliste ou bête et vulgaire. Filmé sous les ciels changeants du bassin d'Arcachon, il nous conte avec poésie, bonheur et une formidable générosité une série d'histoires fantaisistes, drôles, bouillonnantes dans un monde où se côtoient artistes, zozos en tous genres issus des classes moyennes de la société française. Cinéaste éminemment populaire, il filme avec bienveillance la vraie France, celle des provinces et des campagnes. Il nous montre les hommes et femmes tels qu'ils sont ayant, chacun leur raison.

     

    Il faudrait pouvoir dire un mot des prestations remarquables de chacun des acteurs et actrices qui peuplent ce film réjouissant. Célébrons les réparties vivaces et libres de Barbara Schultz, les folles et surréalistes envolées de Rossy de Palma, la voix chaude et attirante d’Audrey Fleurot, les comportements langoureux et timides de Louis-Do de Lencquesaing, la tendresse sensible de José Garcia, le jeu burlesque et irrésistible de Bernard Menez, la mélancolie poétique de Pierre Richard .. Quel plaisir de voir dans un rôle jubilatoire Marie-Josée Croze en professeur de français très sexy, utilisant des méthodes d'enseignement peu conventionnelles devenir tout à coup autoritaire, impitoyable et ridicule. Cette séquence de lecture du Tartuffe de Molière est une admirable fable sur le retour hypocrite d'un certain puritanisme féministe. Pascal Thomas filme tous ses comédiens, ses amoureux du jeu, avec amour, sensibilité et délicatesse. La musique et les chansons du film, interprétées en direct pendant la noce sont, ciselées, drôles et impertinentes. Elles ponctuent avec grâce les différentes séquences et nous emportent dans la danse de ce film enchanteur, cette belle déclaration d'amour à la vie et au cinéma.

    Merci monsieur Pascal Thomas. Les films de Pascal Thomas ont marqué de leur empreinte la Comédie à la française et la plupart d’entre eux ont fait l’objet d’une sortie en DVD. Il est pourtant devenu très difficile de mettre la main sur ces films chez les distributeurs et vendeurs habituels. Heureusement, sous l’impulsion de Pierre Olivier, grand admirateur de l’œuvre du cinéaste, TF1 Studio a eu la bonne idée de réunir en 2017,  pour la première fois dans un coffret DVD, 7 comédies de Pascal Thomas datant des décennies 1970 et 1980*. Chers amoureux du cinéma, si vous avez omis d'aller voir ces films au cinéma, courrez acheter, toutes affaires cessantes, le coffret DVD. Espérons qu'un distributeur aura l'audace de sortir prochainement A Cause des filles...? en édition DVD et Blu-ray.

    Jacques Déniel

    A cause des filles...? Un film de Pascal Thomas France – 2019 – 1h40 Interprétation Irène Jacob,  Rossy de Palma, Barabar Schulz, Marie-Josée Croze, José Garcia, Laurent Lucas Caroline Ducey, François Morel, Bernard Menez, Alexandra Stewart, Pierre Richard, Louis-Do de Lencquesaing, Audrey Fleurot, Frédéric Beigbeder..

     

    (1)  Au programme de ce coffret en partenariat avec Ciné-Comédies, vous retrouverez 7 longs-métrages:  Les Zozos (1973), Pleure pas la bouche pleine! (1973), Le Chaud lapin (1974), La Surprise du chef (1976), Confidences pour confidences (1979), Celles qu'on a pas eues (1981), et Les Maris, Les Femmes et les amants (1989). Éditeur : Tf1 2017



  • R.M.N. un film de Cristian Mungiu

    R.M.N. un film de Cristian Mungiu

    Une œuvre au noir d'une densité et d'une tension impitoyable.

     

    R.M.N. est le sigle en roumain d’IRM (l’imagerie par résonance magnétique), un scanner. Le projet ambitieux et réussi de Cristian Mungiu est donc de faire un scanner rigoureux et précis d'un village de Transylvanie, à la population mélangée. Une radiographie politique et sociale des maux – du Mal? – qui rongent les sociétés modernes à l'échelle d'un modeste village Roumain..

    Après ses très beaux premiers longs-métrages 4 mois, 3 semaines, 2 jours (4 luni, 3 săptămâni și 2 zile - 2007 ) Palme d'or au Festival International du Film de Cannes, Au-delà des collines (După dealuri -2012) et Baccalauréat (Bacalaureat - 2016), Cristian Mungiu signe un nouveau film de toute beauté servi par une mise en scène ample et tragique, des cadres acérés, une lumière sépulcrale, des plans de nature d'une inquiétante étrangeté et une musique mélancolique et sombre.

    Une œuvre au noir d'une densité et d'une tension impitoyable. Roumanie, un petit bourg provincial, tout commence par la vision d'un évènement effrayant - que nous ne verrons et ne connaitrons pas - par le jeune Rudi, le fils de Matthias, alors qu'il se rend à l'école par un chemin forestier désert. Matthias, un Roumain d'origine allemande - interprété par l'impeccable, juste et convaincant Marin Gringore -, est de retour dans son village natal, multiethnique (Roumains, Hongrois, Allemands, Gitans....), après avoir quitté son emploi en Allemagne. Il vient de s'enfuir des abattoirs où il travaillait car il a très brutalement agressé son supérieur qui l'a traité de gitan. Il est inquiet pour son fils, Rudi, qui grandit sans lui, seule avec sa épouse Ana (Macrina Bârlădeanu) - qu'il a quitté -, pense à son vieux père, Otto (Andrei Finți), resté seul et souhaite ardemment revoir Csilla, son amante. Matthias est un homme, viril, très sexuel, fort, bravache et un peu brutal mais non dénué de bon sens.

    Csilla - formidable Judith State qui s'impose dans ce rôle de femme, cultivée, battante, envoutante et décidée, travaille comme gérante de la boulangerie industrielle du village auprès de la propriétaire Mme Denes (Orsolya Moldován). Ils font appel à de la main d’œuvre étrangère (des Sri-lankais) car les locaux préfèrent travailler à l'étranger, trouvant les salaires de cette entreprise trop peu élevés Csilla soutient cette idée qui permettra à l'entreprise de toucher des aides européennes et veut aider les nouveaux venus à s'intégrer. Elle aime et joue de la musique traditionnelle et classique, boit du bon vin et aime les hommes et l'amour physique.

    Soudain, le pseudo équilibre du village se fissure. Des hommes et des femmes tiennent sur les réseaux sociaux des diatribes contre les ouvriers boulangers Sri-lankais. La tension monte inexorablement en cette période de Noël et de nouvel an où manifestation traditionnelle, et fêtes populaires occupent la population.

    Lors d'une longue scène de réunion dans une salle municipale, filmée avec une frontalité et une vérité sans filtre en un plan fixe de dix-sept minutes, le cinéaste décrit un débat citoyen houleux, où les habitants sont en profond désaccord sur le sort à réserver aux migrants Sri-lankais, majoritairement rejetés par la population. Tous les habitants, les femmes comme les hommes, les simples citoyens (ouvriers, commerçants, femmes au foyer...) comme les notables (le Maire, le curé, le médecin...) prennent la parole et donne leur avis sans aucun ambage sur cette situation. Racisme et bon sens populaire se côtoient. Une scène d'une dureté et d'une justesse politique rare au cinéma – très caustique aussi quand les habitants répliquent vertement aux leçons d'un jeune français, membre d'une ONG, présent dans la région pour compter le nombre d'ours y vivant. Les vérités de chacun sont énoncées sur les questions du travail, des migrants, de la politique de l'Europe, de la civilisation occidentale menacée.... .

    Avec
    R.M.N. Cristian Mungiu ausculte la société pour révéler les nombreux problèmes qui la mine: solidarité et individualisme, tolérance et égoïsme, la sincérité et le mensonge politique. Un conte moderne et cruel sur le monde global, l'inexorable disparition des temps du passé et des traditions dignes de confiance face aux temps actuels marchands, déstructurants et violents ainsi que sur la fausseté de valeurs européennes imposées. Il nous montre une Roumanie en proie aux malheurs contemporains avec une intelligence et un respect des raisons de chaque personnage absolument remarquable.

    Jacques Déniel

     

    R.M.N. un film de Cristian Mungiu

    Roumanie – 2021 – 2h05 – V.O.S.T.F.

    Interprétation: Marin Grigore, Judith State, Macrina Bârlădeanu, Orsolya Moldován, Andrei Finți ...

    Dans les salles de cinéma depuis le 19 octobre 2022.

     

     

  • Alan Wilson, l'âme de Canned Heat un roman de Gilles Cornec

    Alan Wilson, l'âme de Canned Heat un roman de Gilles Cornec

     

    Un roman solaire sur un chouette chanteur de blues lunaire

     

    Au mois de mai 2022, les Éditions, Le Mot et le reste ont publié Alan Wilson, l'âme de Canned Heat un roman biographique de Gilles Cornec sur un chouette chanteur de blues lunaire.

    Auteur de deux essais pertinents, l'Affaire Claudel (1993), Gilles ou le Spectateur français (1999), et d'un récit passionnant, mêlant son amour profond pour le cyclisme et le Tour de France à des souffrances humaines personnelles, Le Miroir du Tour (2003), Gilles Cornec nous conte avec ce nouvel ouvrage l'histoire d'Alan Wilson et de Canned Heat, un groupe de rock célèbre, de la fin des sixties et du début des seventies, au même titre que les Doors, Jefferson Airplane, Grateful Dead ou Quicksilver Messenger Service. Mais ce qui caractérise vraiment ce groupe considéré à juste titre comme l'un des meilleurs du monde par l'auteur Philippe Paringaux, le plus grand critique et écrivain de rock français, ce sont les racines de sa musique le blues du Delta et le boogie.

     

    Le Delta blues, l'un des tous premiers styles de musique blues tient son nom de la région en forme de delta située au nord-ouest de l'État du Mississippi entre le fleuve Mississippi et la rivière Yazoo et les villes de Vicksburg et Memphis, et s'étendant sur 300 kilomètres (1). La guitare le plus souvent jouée avec l'aide d'un bottleneck et l'harmonica sont les instruments les plus utilisés, tandis que les voix peuvent être à la fois très mélancoliques et fiévreuses.

    Récit passionné et documenté de la vie d'Alan Wilson et du groupe Canned Heat, ce livre nous plonge dans la langueur et la fièvre, la joie et les délires, l'incandescence et le goût amer de la cendre dans la bouche de cette époque hippie où la musique, la frénésie sexuelle, la paix, l'amour de la nature mais aussi les ravages des drogues et de l'alcool ont fait vibrer toute une génération de jeunes Américains et Européens.

    Nous suivons les pérégrinations d'Alan Wilson (Blind Owl) - guitariste, harmoniciste et chanteur du groupe, qui possédait un sens et une ferveur innés pour le blues – et de ses compères: Bob Hite (The Bear) leur deuxième et fameux chanteur, immense plantigrade dansant, Henry Vestine (The Sunflower), l'excellent lead guitariste survitaminé et illuminé, Larry Taylor (The Mole), le plus grand bassiste du rock et Adolfo (Fito) de la Parra, le batteur aux rythmes secs et endiablés.

    Mais le récit se focalise surtout sur la chouette aveugle, le lunaire Alan Wilson, cofondateur (avec Bob Hite) et véritable âme du groupe, amoureux fou de la nature, des oiseaux, des nuages, des arbres – il vénère les gigantesques séquoias –, passionné et connaisseur pointilleux du blues noir américain du delta (Sun House, Skip James, Robert Johnson, John Lee Hoocker, Mississippi John Hurt, Muddy Waters...) mais aussi amateur de musique atonale et contemporaine, lecteur fervent de Walden où la vie dans les bois de Henry-David Thoreau, de Les Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau, de Jean de La Fontaine – savoureux passage où Wilson lit la fable, L'Ours et l'Amateur des jardins -, capable de donner des explications pointues sur les plantes, la météo, la forme des nuages, les arbres ou de tenir des discours tactiques sur le football américain dont il se fiche éperdument. Il est le compositeur des deux plus grands succès du groupe: On The Road Again et Going Up The Country, hymnes de l'ère hippie connus de tous les amateurs de rock. On y croise les bluesmen Sun House, Skip James et John Lee Hooker, John Fahey, l'excentrique guitariste classique et de folk contemporain, Patricia Krenwinkel, Susan Atkins et Charles Manson les assassins de Sharon Tate et de ses amis, les flower people joyeux et délurés se rendant à Woodstock...

    Ce récit, assurément est une œuvre littéraire puissante écrite dans une superbe langue française riche et intelligente, structurée par une mise en scène formelle très inventive, cadencée par les mesures du blues et les riffs du rock. Jamais, un roman français n'avait aussi bien décrit la force de la musique blues rock, la beauté, la douceur mais aussi la folie, la joie et la tristesse de ces années d'amour et de paix. Un parfum d'humus des forêts, les chansons mélancoliques du blues du delta, les tensions électriques du blues psychédélique, un vent d'amours et de folles libertés et un spleen d'espérances vives mais déçues nous accompagnent pendant la lecture de ce juste et enthousiasmant ouvrage. Lisez cette belle déclaration d'amour à Alan Wilson, laissez vous porter par ce roman solaire, le plaisir de conter de l'auteur, c'est du grand art!

     

    Jacques Déniel

     

    Alan Wilson, l'âme de Canned Heat un roman de Gilles Cornec

    Éditions Le Mot et le reste 19 mai 2022

    (1) Le terme « delta » induit souvent une confusion avec la région du delta du fleuve Mississippi en Louisiane. Cette région plate et fertile de population à forte majorité noire est dominée par la culture du coton. Elle est le véritable berceau du blues. C'est en effet là qu'est né le blues. La plupart des pionniers du blues y sont nés.

  • La Grâce de Thibault de Montaigu

    La Grâce de Thibault de Montaigu

     

    Le Vent souffle où il veut

     

    Écrivain mondain et dandy, plus enclin aux plaisirs de la nuit qu'à réciter des psaumes ou prier, Thibault de Montaigu, jeune hussard brillant, auteur des romans Les Anges brulent, Un jeune homme triste, Zanzibar, Voyage autour de mon sexe, possédant un véritable talent et style littéraire et un certain sens de l'outrance, de la provocation diraient les bonnes âmes, ne semblait jusqu'à la publication de ce nouveau roman La Grâce, récompensé par le Prix de Flore 2020, ni posséder le sens du sacré ni celui de la Révélation Divine.

    Vivant avec son épouse et ses enfants à Buenos-Aires, entré dans une phase de dépression, il décide sur les conseils de Margarita, la psychothérapeute qu'il consulte, de s'attaquer à l'écriture d'un nouveau livre sur un sujet qui l'obsède, la disparition de Xavier Dupont de Ligonnès meurtrier diabolique de toute sa famille. Il décide pour cela de suivre les traces du criminel, de son possible passage voir de sa présence dans un monastère, celui de l'abbaye Sainte-Madeleine du Barroux dans le Vaucluse.

    Seul, perdu, complétement étranger à la présence de Dieu en ce lieu, il écrit, noirci des feuilles comme il dit, lorsque la cloche annonçant les complies, dernière office du soir, sonne, une seule fois. Il sort et se rend dans la chapelle et tout à coup sans prévenir, au milieu des prières et psaumes, la grâce surgit lumineuse.

    A ceux qui penseraient qu'il s'agit d'un artifice ou d'une mystification, d'un beau sujet de livre insincère, j'affirme sans hésitation que La Grâce est un roman d'une vérité abrupte, à l'écriture limpide et cristalline, crue parfois mais toujours pleine d'attention et de douceur même dans les moments où pudeur et impudeur se côtoient.

    Thibault de Montaigu nous conduit avec son récit passionnant comme une enquête policière, fort comme un roman mystique, sur un chemin de foi, déconcertant, austère, ardu et lumineux. La grâce de l'auteur passe par sa conversion dans ce monastère mais bien plus par la force de son enquête sur l'itinéraire de vie et le tortueux et beau chemin parcouru par son oncle, Christian, pour devenir un moine franciscain.

    La Grâce est roman magnifique et fascinant par le double miracle de la foi qu'il révèle, celle de l'auteur et de son son oncle Christian qui soudainement au même âge à 37 ans sont touchés par la grâce de notre Seigneur Jésus Christ, par son immense amour pour nous pauvres frères humains. Imprégné par la charité que le poverollo Saint François d'Assise enseignait avec simplicité et par l'amour glorieux de Sainte Marie-Madeleine pour le Christ, ce récit d'une conversion réelle, matière littéraire, comme chez Saint Augustin, Huysmans, Bourget, Claudel..., nous parle de l’Incarnation dont Péguy dit dans Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, que c'est (La plus grande histoire du monde./ La plus grande histoire de jamais./ La seule grande histoire de jamais) nous donne à entendre et comprendre la force spirituelle d’un parcours religieux – malgré le doute et les souffrances - entièrement tourné vers l’Espérance et l'Amour profond du Christ pour les pauvres ères. Le vent souffle où il veut.

    Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d'où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l'Esprit. (Évangile selon Saint-Jean 3-8)

    Jacques Déniel

     

    La Grâce de Thibault de Montaigu

    Roman - Éditions Plon – paru le 27 août 2020 – Prix de Flore 2020

    « J’ai essayé d’approcher au plus près ce miracle qui fait surgir la lumière au plus profond de la noirceur. »