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Une certaine idée du cinéma le blog de Jacques Déniel - Page 11

  • Chez nous Lucas Belvaux

    Chez nous Lucas Belvaux

    Le plus terrible dans ce monde c'est que chacun à ses raisons

     

    Je considère Lucas Belvaux comme l'un des grands cinéastes contemporains. Pas son genre, 38 Témoins, Rapt, "La Raison du plus faible, Un couple épatant, Cavale, Après la vie, Pour rire, Parfois trop d'amour sont tous de beaux films servis par une mise en scène sèche et subtile.

    Dans son nouveau long métrage Chez nous dont il a écrit le scénario en collaboration avec Jérôme Leroy, Lucas Belvaux tombe malheureusement dans le piège de la fiction politique manichéenne et caricaturale. (C'est entendu le Front National est un parti d'extrême droite, de nombreux propos tenus dans le film sont justes et certainement en dessous de la réalité.) (1), (2).

     

    Mais quand il s'agit de faire une œuvre cinématographique où les questions politiques et sociales sont le cœur du projet, il faut savoir être dialectique et exposer les faits et idées avec un sens aigu de la crédibilité frictionnelle. Or le scénario de Chez nous n'est pas crédible. Comment cette jeune femme Pauline Duhez (Émilie Dequenne), une infirmière ne faisant jamais de politique, ne votant pas, n'y connaissant rien, peut-elle se voir proposer d'être tête de liste! (Steeve Briois, Maire de Henin- Beaumont, région où se déroule le film est élu bien plus doué et rusé politiquement que cette gentille infirmière!). Les idées politiques du parti le Rassemblement National Populaire (R.N.P.) ne sont pas analysés avec clarté. Ils sont ici slogans affirmés! La misère social et la pauvreté de la région ne sont que brièvement évoqués. Les exclus dont parle Christophe Guilluy dans ses ouvrages Fractures françaises et La France périphérique ne sont pas réellement présents à l'écran. Agnès Dorgelle, leader du Rassemblement National Populaire, interprétée par Catherine Jacob est une représentation faible et ratée de Marine Le Pen, bien plus convaincante et engagée. Le peuple dont Agnès Dorgelle se revendique dans ses discours est le grand oublié de ce film. Les personnes âgées et les malades que visitent l'infirmière semblent tous être de potentiels électeurs du R.N.P. Jamais leurs motivations mêmes minimes ne sont données. Ils ne tiennent que quelques propos de comptoirs existant dans le réel mais ici extrait de toutes autres considérations sociales, politiques et humaines. Tous ces petits blancs sont caricaturaux! La scène où des gamins insultent et chassent violemment une jeune femme (fille d'immigrés européens des années soixante) qui déchire les affiches de campagne électorales du RNP, déçue du choix politique de son amie Pauline Duhez, est un incroyable renversement sociologique et politique. Les maghrébins ne sont pas mieux lotis. Ils ne sont présents que comme faire valoir de leurs souffrances et de la stigmatisation qu'ils subiraient. Jamais, ils ne sont des personnages à part entière. Même la jeune fille Djamila Oumaouche n'est que le porte voix d'un discours criant à la stigmatisation des musulmans. Comme dans la majorité des articles de la presse où des discours politiques de gauche les maghrébins sont réduits à leur statut de musulmans et de stigmatisés. En voulant convaincre que le RNP est un parti fascisant, le film se disperse en insistant lourdement sur la nébuleuse crypto-nazi et/ou nationaliste flamande. Aucune de ces petites frappes totalement détestables n'ont une seule chance de se réhabiliter. Ainsi Stéphane Stankowiak (Guillaume Gouix) est jugé comme une ordure définitivement irrécupérable. Rien ne peut le sauver de son statut de salaud! Seul André Dussollier incarne avec un talent certain un médecin sympathique au passé sulfureux qui s'avère être un cadre roué et particulièrement pervers du R.N.P.

     

    Quand on fait du cinéma, il faut toujours penser à cette phrase d'Octave dans La Règle du Jeu de Jean Renoir: "Le plus terrible dans ce monde c'est que chacun à ses raisons". Il faut savoir aimer tous ces personnages même les plus détestables afin de pouvoir amener le spectateur à comprendre leurs motivations, leurs raisons d'agir qu'elles soient bonnes ou mauvaises voire détestables et scandaleuses. Malheureusement, très décevant cinématographiquement et politiquement, rappelant les mauvaises fictions politiques de Yves Boisset ou d'André Cayatte, le film confirme que le cinéma français ne sait décidément pas s'attaquer aux questions politiques ou historiques françaises. Seuls L'Exercice de l’État, le film de Pierre Schoeller (2011) ou Avoir vingt-ans dans les Aurès de René Vautier (1972) sont des réussites exemplaires dans ce domaine.

    Jacques Déniel

    (1) Depuis l'écriture de ce texte en 2016, le Front national est devenu le Rassemblement National un parti de droite

    (2) Le R.N. n'est plus le parti d'extrême droite qu'il était au moment de l'écriture de ce texte.

    Chez nous un film de Lucas Belvaux – 2016 – 1H58

    Scénario: Lucas Belvaux, Jérôme Leroy

    Interprétation: Émilie Dequenne · André Dussollier · Guillaume Gouix · Catherine Jacob · Anne Marivin

  • Bruno Reidal, confession d'un meurtrier

    Bruno Reidal, confession d'un meurtrier de Vincent Le Port

     

    Sous le soleil de Satan

     

    Il y a longtemps que je n'avais pas vu un film français aussi impressionnant, beau et terrible, calme et convulsif. Une œuvre hantée par le péché et la folie, la haine et l'amour, la foi dans l'amour et la miséricorde du Christ et l'abandon aux tentations du Diable.

    Auteur de plusieurs films forts et inventifs tels Finis Terrae et Le Gouffre moyens métrages très réussis inspirés par des légendes bretonnes, Vincent Le Port réalise avec Bruno Reidal, confession d'un meurtrier son premier long-métrage ambitieux et radical.

    Il nous conte une véritable histoire tragique survenue le 1er septembre 1905 à Raulhac dans le Cantal. Bruno Reidal, un jeune paysan séminariste de 17 ans se constitue prisonnier après avoir sauvagement assassiné et décapité un enfant de 12 ans. Afin de comprendre son geste et ses motivations, des médecins l'interrogent et lui demandent de relater sa vie depuis son enfance jusqu’au jour du crime. Son auteur est un jeune paysan chétif et malingre, doux et brutal, aimant et sauvage. Il est un excellent élève à l'école primaire ainsi qu'au petit séminaire de Saint-Flour où il veut être le meilleur.

    Ce meurtre terrifiant se déroule au moment où la France est en pleine séparation de l'Église et de l’État. Il marque fortement les journalistes et la population au début du XX siècle. La presse publie de nombreux articles dont ceux très anticléricaux du quotidien La Lanterne dirigé par Victor Flachon qui n'hésite aucunement à formuler que le meurtre est le résultat de l'éducation dispensée par les religieux du petit séminaire de Saint-Flour. En 2020, l'historien progressiste Philippe Artières écrit un ouvrage consacré à ce crime, Un séminariste assassin où il conclut avec une certaine désinvolture et peu d'arguments que les motivations du meurtrier seraient dues au fait que Dieu se meurt.

    La force du film Vincent Le Port est justement que le cinéaste ne donne aucune explication rationnelle. Il laisse les spectateurs libre de penser face à ce drame.

    Par sa mise en scène ascétique, rigoureuse, minérale et lumineuse, Vincent Le Port ne cherche pas à expliquer sociologiquement ou psychologiquement le caractère violent et brutal de cet acte monstrueux perpétré sans raisons apparentes ni compréhensibles. Jamais il ne juge ni excuse le crime odieux du jeune homme. Bruno Reidal semble s’estimer « ni fou, ni criminel». Lorsque le meurtrier conteste le premier rapport de médecins légistes, l’affaire est confiée à l’expertise d’un professeur de médecine légale et spécialiste de l'anthropologie criminelle, le célèbre professeur Alexandre Lacassagne, qui interroge avec deux autres médecins aliénistes le jeune homme puis lui demande d'écrire le récit de sa vie.

    Le film est servi par la force du dépouillement formel et clinique de la mise en scène, par le choix de la voix-off pour dire les paroles exactes de l'assassin recueillies dans les archives du professeur Lacassagne et transcrites à l'écran, par la musique discrète d'Olivier Messiaen et l'interprétation magistrale de Dimitri Doré, jeune comédien de théâtre pétri de talent qui donne au personnage de Bruno Reidal cet incroyable mélange de douceur et de fureur, d'amour et de haine, de clairvoyance et de trouble absolu.

     

    Une œuvre austère sur les affres de la souffrance psychiatrique d'un être et sur les manigances et ruses du Démon qui pervertissent l'âme du jeune garçon dont ni les membres de sa famille, ni les prêtres, médecins, gendarmes et juges n'ont pu comprendre les désastres opérés par la conjonction d'un passé de misères et de violences - rudesse paysanne, égorgement annuel du cochon, le viol à dix ans par un berger qui le masturbe contre son gré - et son appétence obsessionnelle pour la pulsion criminelle associée à une jouissance sexuelle onaniste frénétique contre laquelle il tente de lutter en vain durant toute son enfance et son adolescence.

     

    Ce jeune homme solitaire et taiseux, intelligent et lucide confesse dans son texte vertigineux dit par sa voix frêle mais assurée et juste, ses rêves secrets de faire souffrir les élèves les plus beaux physiquement et les mieux dotés socialement que lui, ses souffrances face au péché, son incommensurable amour pour Dieu qu'il confond soudain avec le Malin. Les pulsions de mort et les puissances du Mal conduisent irrémédiablement Bruno Reidal à servir Satan.

     

    Jacques Déniel

     

    Bruno Reidal, confession d'un meurtrier

    Un film de Vincent Le Port – France – 2019 – 1h 41

    Interprétation: Dimitri Doré, Jean-Luc Vincent, Roman Villedieu, Alex Fanguin, Tino Vigier, Nelly Bruel, Ivan Chiodetti, Rémy Leboucq, René Loyon...

     

    Sortie Combo Blu-ray + DVD aux Éditions Capricci le 23 Août 2022



  • Avec amour et acharnement un film de Claire Denis

    Avec amour et acharnement un film de Claire Denis

     

    Acharnement destructeur

     

     

    Avec amour et acharnement, adapté du roman de Christine Angot, Le Tournant de la vie est une œuvre d'une très grande force cinématographique, un film tellurique et bouleversant. L'art crépusculaire de Claire Denis, très grande cinéaste auteur des superbes: J'ai pas sommeil (1994), Us Go Home (1994), Nénette et Boni (1996), Beau Travail (1999), Trouble Every Day (2001), Vendredi soir (2002), Les Salauds (2013), High Life (2018)... s'y déploie une fois de plus avec ampleur, finesse, rigueur et un sens très aigu du déroulement du temps et de l'occupation de l'espace par les corps en mouvement de ses acteurs tous excellents .

     

    C'est un film sur le désir féminin et le désastre amoureux en découlant qui met en scène une femme Sarah, journaliste à Radio France interprétée par Juliette Binoche, lumineuse et grave, acharnée et menteuse et deux hommes Jean, l'ange, impeccable Vincent Lindon, taiseux, tendre et amoureux, pas très doué pour s'insérer dans le monde du travail, en rage, à juste titre et François, implacable et immense Grégoire Colin, la bête, un dominant, dur, possessif - remarquable scène où il prend possession du balcon de Jean et Sarah. Une histoire d'emprise amoureuse et sexuelle par un homme perverse sur une femme qui préfère sombrer, portée par ses désirs, que vivre sincèrement et sereinement sa vie amoureuse.

     

    Les enchâssements des plans, le montage paradoxalement fluide et abrupt, la beauté de la lumière et du cadre en cinémascope signée du chef-opérateur Eric Gautier, la fièvre mélancolique de la musique de Tindersticks, le déroulement du temps, l'utilisation de l'espace tant dans les scènes d'intérieur - en particulier toutes celles filmées dans l'appartement de Sarah et Jean où Claire Denis joue à merveille du décor, le balcon du couple depuis lequel nous avons la vue sur Paris, la Butte Montmartre et le Sacré-Cœur se détachant dans le ciel, étant un élément dramatique essentiel de la fiction - que dans les scènes d’extérieur lorsque Jean se déplace en automobile, lorsque les deux hommes bougent sur le terrain de sport où François par sa mobilité agile et massive prend possession de l'espace.... Paris est magistralement filmée et éclairée, les corps et les déplacements des acteurs sont magnifiés, les visages parfois cadrés en gros plans secs et lumineux. Les dialogues écrits avec Christine Angot sont justes, ciselés, cruels, durs... .


    Un film qui s'inscrit subtilement dans son époque où les discours essentialistes (ainsi cet incroyable entretien de Sarah avec un Lilian Thuram confusionniste s'appuyant sur les dires de l'inévitable Frantz Fanon) enferment les êtres -Marcus en particulier- dans des schémas simplistes et réducteurs. Le beau dialogue où Jean tente avec une ferme conviction de faire comprendre à son fils Marcus, l'importance d'être soi-même est formidable et porteur d’espérance, contrant la bêtise essentialiste de Thuram, de même les propos de l'éditrice et militante Libanaise Hind Darwish s'inquiétant de la désertion catastrophique de son pays par les classes moyennes fuyant, sans espoir de retour, à l'étranger. (En cela le film n'est en rien immigrationniste comme le croit une notule critique d'un mensuel de droite). Curieusement, le film, Ours d'Argent à Berlin a été reçu tièdement ou mal compris par la critique cinématographique mais très aimé par de nombreux spectateurs enthousiastes (140 000 entrés France au 21/09/2022).

     

    Porté par la belle mélodie de la chanson finale des Tindersticks, le film s'achève laissant Sarah croire qu'elle a effacé les hommes de sa vie, elle s’éloigne solitaire mais dès le prochain tournant de la vie, le réel ressurgira. Alors, le générique défile et apparait une image de bonheur possible ou Jean et son fils Marcus jouent un match de rugby, filmé dans des couleurs pastels passées comme si elles appartenaient à une époque révolue.

    Jacques Déniel

     

    Avec amour et acharnement un film de Claire Denis

    France – 2021 – 1h56 – Ours d’Argent au Festival International du Film de Berlin en 2022

    Scénario: Claire Denis et Christine Angot d'après son roman Le Tournant de la vie

    Musique:Tindersticks

    Interprétation: Juliette Binoche, Vincent Lindon, Grégoire Colin, Bulle Ogier, Issa Perica...

    Sortie sur les écrans le 31 août 2022

  • Titane de Julia Ducourneau

    Titane de Julia Ducourneau

     

    Sous l'emprise de Satan

     

    Julia Ducourneau, jeune cinéaste et scénariste, auteur de deux courts-métrages, d'un premier long-métrage d'horreur Grave stupide et grotesque produit entre autre par Julie Gayet vient d'obtenir la récompense suprême, le Graal, la Palme d'Or au Festival International du film de Cannes pour son deuxième film de fiction Titane.

     

    Le film nous conte l'histoire d'Alexia (interprétée par Agathe Rousselle), une jeune femme qui porte sur la tempe droite une plaque de titane greffée à la suite d'un accident automobile accident subi à l'âge de 12 ans par sa faute. Privée de toute compassion, elle devient une tueuse en série animée d'une rage et d'une violence d'une rare inhumanité. Elle travaille dans une discothèque située dans un loft comme danseuse sexy. Elle y mime comme plusieurs autres jeunes femmes des accouplements lascifs avec des voitures pour le plaisir d'humains en voie de dégénérescence avant de copuler effectivement avec une automobile (dans le monde progressiste tout est possible). Enceinte du rutilant véhicule, affolée, effectuant meurtres sur meurtres, brulant vifs ses parents, elle décide de masquer sa féminité et de devenir un garçon. Un commandant de pompiers (Vincent Lindon caricatural à souhait) dit reconnaître son fils disparu dans cet être ambivalent.

     

    La fiction peut dès ce moment dérouler ses sujets favoris, très en vogue dans le monde de la culture, du cinéma, universitaire et des médias: les identités troubles, la sensualité transgenre, la fluidité sexuelle totale, la détestation des mâles, la fascination de la transformation des corps, de leur enlaidissement et de la violence outrancière, l'inclusion de toutes, même des tueuses en série dans une société transfigurée par le délire hystérique.

     

    Le film sous l'emprise de Satan est une œuvre du Mal nous parlant du réel – ni un conte, ni une histoire d'anticipation – dans une société ravagée par l'horreur, la laideur, la folie furieuse. La cinéaste possède parfois un réel talent de mise en scène malheureusement au service d'une histoire sans intérêt et ridicule. Titane est surtout gangréné par sa complaisance totale pour l'horreur, la violence gratuite absolue, la laideur des corps et des âmes des personnages, le goût de la déglingue et du sadisme.

     

    La bêtise du scénario travaillant le rapport femmes/voitures - certains ont évoqué Crash mais cette histoire n'a rien à voir avec la force sexuelle, érotique et intellectuelle dégagée par l’œuvre de Cronenberg - femme/homme, des hommes entre-eux, du devenir machine des êtres humains, de leur fluidité de tous les possibles en somme, fait de ce film une ode au crime, à la cruauté absolue et dépeint une société décadente et dégénérée. Point de rédemption possible contrairement à ce que voudrait nous faire croire la cinéaste. La récompense de ce film, qui inspire le dégoût, par la Palme d'Or nous oblige à considérer que la situation du cinéma et bien-sûr de notre société occidentale est grave.

     

    Jacques Déniel

     

    Titane un film de Julia Ducourneau - France – 2020 – 1h48

    Interpétation: Agathe Rousselle, Vincent Lindon, Garance Marillier, Bertrand Bonello.... Actuellement au cinéma

  • Une femme de notre temps de Jean-Paul Civeyrac.

    Une femme de notre temps de Jean-Paul Civeyrac.

     

    C'est un film d'une beauté à couper le souffle, l'un des plus beaux et le plus risqué de son auteur. Jean-Paul Civeyrac quitte sa ligne intimiste avec ce polar noir et rugueux, servi par une mise en scène élégante, les lumières noires et glaçantes de son chef-opérateur Pierre-Hubert matin et le talent et la beauté de sa comédienne principale Sophie Marceau, impériale dans ce rôle de commissaire de police partant à la dérive (son plus beau rôle à l'écran).

    L'univers de l'auteur est contaminé par l'imaginaire des films de genre, polar à la française, héroïque fantasy (on pense aux héroïnes des ces films où une combattante doit effectuer une mission héroïque – ici, une vengeance) mais aussi par la légende antique de Diane chasseresse.

    L'ambition de Jean-Paul Civeyrac est grande et forte, travailler le film de genre, faire une élégie à la sublime Sophie Marceau, continuer d'exposer ses obsessions en particulier sur les aspects fantomatique lunaires et romantique du monde et de son cinéma (très présent dans les rêves de Juliane), sculpter une figure de femme moderne au centre d’enjeux idéologiques contemporains concernant les rapports changeants entre les sexes.

    Juliane (Sophie Marceau), commissaire de police, intègre, sèche et et rude est aussi auteur de romans. Elle à entrepris l'écriture d’un livre sur sa sœur Lydia, morte dans des conditions dramatiques cinq ans auparavant. Pendant une enquête sur l'assassinat d'un flic corrompu - elle affirme qu'il a mérité sa mort en tant que coupable -, Juliane nourrit des soupçons quant aux absences répétées de son mari Hugo (Johan Heldenbergh), agent immobilier. Elle va le filer et le surprendre en compagnie d’une maîtresse dans leur propre appartement parisien.

    Sa douleur est aiguë bien que son mari semble toujours attentionné et aimant. Sachant qu'il est parti en week-end avec une amie dans une villa normande, Juliane décide de lui régler son compte. En route, elle tombe sur une mère et sa fille poursuivies par un père violent. Juliane perd alors le contrôle de son jugement et décide d'agir en justicière s’affranchissant des procédures policières et judiciaires pour les aider. Cet écart de conduite qui tourne au drame la renforce dans ses convictions. Les agents du mal doivent payer - en l’occurrence les mâles blancs coupables - Une tragédie moderne et cruelle, teintée de romantisme noir et menée de main de maître, une réflexion perspicace sur l'état des relations amoureuses entre les femmes et les hommes. Un chef d’œuvre de cinéma.

     

    Jacques Déniel

     

    Une femme de notre temps de Jean-Paul Civeyrac

    France – 2022 – 1h36

    Interprétation: Sophie Marceau, Johan Heldenbergh, Cristina Flutur, Héloïse Bousquet ...

    Sortie en salle de cinéma le 5 octobre 2022.

  • KINUYO TANAKA (1909-1977)

    KINUYO TANAKA (1909-1977)

    Une cinéaste de grand talent

     

    Lorsque Kinuyo Tanaka décide de passer à la réalisation, elle est une actrice célèbre et reconnue au Japon, elle a joué dans plus de 200 films, depuis le début du muet et jouera jusque dans les années 1970. Elle a accompagné les premiers pas du cinéma japonais muet – à l’âge de quatorze ans – et parlant et tourné avec les plus grands cinéastes: Yasujirō Ozu, Mikio Naruse, Kenji Mizoguchi, Hiroshi Shimizu, Keisuke Kinoshita … Elle a rencontré le succès international, grâce à ses rôles dans les films de Mizoguchi, Miss Oyu (Oyū-sama, 1951), La Vie d’O’Haru femme galante (Saikaku ichidai onna, 1952), Les Contes de la lune vague après la pluie (Ugetsu monogatari, 1953) et L’Intendant Sansho (Sanshō dayū, 1954). Ces trois derniers films récompensés dès leur présentation à la Mostra de Venise.

     

    Kinuyo Tanaka décide de faire des films en tant que cinéaste et se prépare avec sérieux et opiniâtreté. Elle est assistante du cinéaste Mikio Naruse sur le tournage du film La Mère. Avant-elle, Tazuko Sakane avait été la seule femme a passé derrière la caméra (Hatsu Nagata, 1936).

    Son propos « Maintenant qu’il y a également des femmes élues au parlement japonais, j’ai pensé que ce serait une bonne chose qu’il y ait aussi au moins une femme réalisatrice. » – reflète l’atmosphère de l'époque et sa forte volonté de passer derrière la caméra. Grâce au soutien actif des cinéastes Mikio Naruse et Keisuke Kinoshita, qui lui écrit le scénario d’après un roman populaire publié en feuilleton de Fumio Niwa, elle peut tourner son premier long-métrage Lettre d’amour. Suivront cinq très beaux films oscillants entre mélodrame film historique et drame social.

     

    Lettre d'Amour (Koibumi – 1953)

    Lettre d'amour tourné en 1953 se déroule à Tokyo dans le quartier de Shibuya. Reikichi, un marin démobilisé, vit dans un petit appartement chez son frère Hiroshi ... Hanté par son amour passé, il se rend régulièrement à la gare, en quête de Michiko, son amour perdu... Ce beau film, un mélodrame sensible et cru aborde avec finesse et intelligence la question de la réconciliation à travers une histoire d’amour troublée par les heurts de la guerre. Tanaka filme dans des décors naturels avec un sens inné de l'occupation de l'espace, de la minéralité des êtres et de la nature. Elle conduit sa tragédie intime avec beaucoup de compassion et de mélancolie. A travers ce fiction mêlant mélodrame, film noir, néoréalisme, documentaire social, elle tend un fil fragile entre le passé, le présent et futur. Un magnifique portrait du Tokyo d’après-guerre.

     

    La Lune s'est levée ( Tsuki wa noborinu – 1955)

    Kinuyo Tanaka nous conte l'histoire des trois filles de Mr Asai qui vivent à Nara auprès de leur père. Elle réalise une brillante comédie de mœurs, parfois proche du marivaudage et teinté d'accents mélodramatiques. Une œuvre tendre, douce et cruelle qui nous parle avec finesse de la société japonaise de l’après guerre, de la place qui occupent les femmes, des relations amoureuses, sociales et codées avec les hommes Un père, ses trois filles et leurs servantes, des jeunes hommes solitaires, une nature de toute beauté, la grandeur de la tradition sont au centre de ce grand film. La cinéaste utilise toujours des cadres rigoureux et d'une grande beauté formelle où elle fait évoluer ses personnages. Les plans de la maison familiale où elle travaille sur la profondeur de champ pour marquer l’intimité et l'absence sont composés avec un grand sens des déplacements, de l'espace et du temps qui passe..

     

     

    Maternité éternelle (Chibusa yo eien nare - 1955)

    Avec ce troisième film, Kinuyo Tanaka s’inspire de la vie de Fumiko Nakajo (1922-1954), grande poétesse japonaise qui a brille dans l'art poétique du Tanka dont est issu le haïku). Une femme morte très jeune d’un cancer du sein, un mois après la publication de son premier recueil. La cinéaste en tire un très beau portrait de femme fauchée en pleine jeunesse doublé d’un mélodrame magnifié par une mise en scène d’une grande inventivité formelle. Un superbe film mélancolique et dramatique sur la force d'une femme, sa beauté morale, sa grandeur de mère, sa force d'amour. Une œuvre dune grande force sociale et poétique sur le Japon de l'après guerre.

     

    La Princesse errante (Ruten no ohi – 1960)

    En 1937, l'héroïne, Ryuko, une Princesse japonaise, passe par son mariage avec le frère de l'Empereur Mandchou du Japon au continent chinois au moment des relations très complexes et tendues entre Japon, Empire Mandchou et Chine. La seconde guerre mondiale éclate...Le film est à la fois une superbe fresque historique, un film d'aventures et un mélodrame d'une tristesse infinie. Servi par une belle mise en scène en Cinémascope couleur, la cinéaste continue de travailler sur ses obsessions thématiques. Une nouvelle fois elle parle de la souffrance des femmes, centrée sur ce mariage arrangé et toutes ces implications. Elle montre et questionne la place pour une femme dans la société japonais et ses rites. L’errance de Ryuko au cœur du film est spatiale, temporel et morale. Prisonnière de son destin, elle ne peut trouver sa place dans le monde. En Mandchourie, ce sont des militaires qui décident… La musique de Chuji Kinoshita, mélodramatique, épique et grandiose rend encore plus tragique ce périple.

     

    La Nuit des femmes (Onna bakari no yoru – 1961)

    Son cinquième film est une étude sociologique qui décrit les conséquences de la loi abolissant les maisons closes. Kinuyo Tanaka nous conte le parcours de Kuniko, une ex-prostituée. C'est un beau mélodrame social qui sonne toujours juste grâce à la force, la précision et la discrétion de la mise en scène. La cinéaste filme ses ses interprètes avec beaucoup d’attention et d'amour. Chisako Hara dans le rôle de Kuniko, Chikage Awashima en directrice du centre ou Kyôko Kagawa en propriétaire de la pépinière, actrices confirmées ou bien jeunes débutantes sont toutes remarquables.

     

    Mademoiselle Ogin (Ogin-sama – 1961)

    A la fin du XVIe siècle, alors que le Christianisme, venu d’Occident, est proscrit, Mademoiselle Ogin tombe amoureuse du samouraï Ukon Takayama, qui est chrétien...
    Pour son dernier film en tant que cinéaste, Kinuyo Tanaka décide de s’attaquer au mélodrame en kimono, comme ceux qui firent la grandeur cinématographique de Kenji Mizoguchi. La force de la direction artistique, la grande beauté formelle et le choix de comédiens prestigieux font de ce film ample, lyrique et émouvant, une véritable splendeur.
    Mademoiselle Ogin, est une œuvre flamboyante qui nous conte le tragique destin d'une héroïne qui désire vivre selon ce que lui dicte son cœur.

     

    Jacques Déniel

     

     

     

    Lettre d'Amour (Koibumi)

    Réalisation: Kinuyo Tanaka d’après un roman de Fumio Niwa

    Japon – 1953 – noir et blanc – mélodrame – 1h38 – VOSTF
    Interprétation: Masayuki Mori, Yoshiko Kuga, Jukichi Uno, Juzo Dosan ,Chieko Seki....


    La Lune s'est levée ( Tsuki wa noborinu)

    Réalisation: Kinuyo Tanaka d’après un scénario de Ryosuke Saito et Yasujiro Ozu

    Japon – 1955 – noir et blanc – mélodrame – 1h42 – VOSTF

    Interprétation: Chishu Ryu, Shuji Sano, Hisako Yamane, Yoko Sugi, Mie Kitahara...

     

    Maternité éternelle (Chibusa yo eien nare)

    Réalisation: Kinuyo Tanaka d’après un roman d’Akira Wakatsuki

    Japon – 1955 – noir et blanc – mélodrame – 1h51 – VOSTF

    Interprétation:Yumeji Tsukioka, Masayuki Mori, Ryoji Hayama,Yoko Sugi, Shiro Osaka...

     

    La Princesse errante (Ruten no ohi)

    Réalisation: Kinuyo Tanaka d’après les mémoires de Hiro Saga

    Japon – 1960 – couleurs – mélodrame historique – 1h43 – VOSTF

    Interprétation: Machiko Kyo, Eiji Funakoshi,, Atsuko Kindaichi, Chieko Higashiyama, Sadako Sawamura.

     

    La Nuit des femmes (Onna bakari no yoru)

    Réalisation: Kinuyo Tanaka d’après un roman Masako Yana.

    Japon – 1961 – noir et blanc – mélodrame social– 1h33 – VOSTF

    Interprétation: Hisako Hara, Akemi Kita, Yosuke Natsuki, Sadako Sawamura, Chieko Seki, Akihiko Hirata

     

    Mademoiselle Ogin (Ogin-sama)

    Réalisation: Kinuyo Tanaka d’après une histoire de Toko Kon

    Japon – 1962 – couleurs – mélodrame historique– 1h42– VOSTF

    Inerprétation: Ineko Arima, Tatsuya Nakadai, Ganjiro Nakumara, Mieko Takamine, Osamu Takizawa , Keiko Kishi...

     

    Rétrospective dans les salles de cinéma art et essai, sortie en coffret DVD chez Carlotta Films