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Une certaine idée du cinéma le blog de Jacques Déniel - Page 11

  • Dark Waters de Todd Haynes

    Dark Waters de Todd Haynes

     

    Apocalypse Now

     

    Le mercredi 26 février 2020 est sorti sur les écrans français, un très beau film américain démontrant la belle résistance des cinéastes de grand talent comme Todd Philipps, Terrence Malick, James Gray, James Mangold, Edward Norton, Clint Eastwood, Todd Haynes face au cinéma lénifiant et niais de super-héros produit par Disney et les majors américaines.



    Dans son remarquable film, Dark Waters inspiré des faits réels, entremêlant plusieurs genres cinématographiques, le cinéma politique (à la manière de Sidney Lumet ou d'Alan J. Pakula), le thriller judiciaire, le mélodrame aux accents Sirkien (1), Todd Haynes, auteur des flamboyants mélodrames Loin du Paradis et Carol et de deux longs métrages splendides et inventifs sur la musique Velvet Goldmine sur le rock Glamour inspiré par T.Rex et David Bowie.. ) et I'm Not There belle variation sur les multiples facettes de Bob Dylan s'attaque au scandale DuPont (de Nemours) révélé à la fin des années 90.



    Robert Bilott, avocat d’un bureau spécialisé dans la défense des groupes industriels et particulièrement de sociétés des industries chimiques est interpellé lors d'une réunion professionnelle par Wilbur Tennant, un fermier de Virginie-Occidentale, voisin de sa grand-mère. L'homme, très en colère, lui expose sa situation très graves preuves à l'appui. Ses vaches ne se sentent pas bien. Elles sont agressives. Leurs dents deviennent noires. Leur foie atteint une taille monstrueuse. Le jeune avocat découvre que la campagne et les rivières de son enfance sont empoisonnées par une usine du très puissant groupe chimique DuPont(de Nemours), premier employeur de la région. Très choqué par ce qu'il constate sur les terres de ce paysan vivant près des sites d'enfouissement de la société, il comprend pas à pas, que les vils pratiques de la société DuPont affectent la vie des habitants de la ville dont il est originaire. Ses convictions libérales volent en éclats et il décide de se lancer dans un combat solitaire contre l’un des plus gros mastodontes et pollueurs américains (2). Il veut révéler aux yeux des habitants, du pays puis du Monde, la vérité sur la pollution mortelle due aux rejets toxiques de l’usine. Dès lors, Rob Bilott épaulé par son épouse Sarah Billot, aimante et exemplaire, toujours dans le soutien indéfectible de son mari et par le soutien timide mais réel de son patron Tom Terp, va travailler sans relâche avec obstination et méthode sur ce dossier prenant le risque de briser sa carrière, de perdre sa famille et de mettre en danger sa santé. Il va devoir démontrer que le grand groupe chimique joue avec les carences de la loi pour faire un énorme profit sans se soucier aucunement de la santé des hommes, des animaux et de la planète.



    Ce récit de la lutte désespérée, inégale d'un avocat loyal contre une multinationale de la chimie, s'avère à la fois un mélodrame social et familial – le talent du cinéaste pour dépeindre les relations et la vie de famille est sans égal –, un grand film politique montrant le sens civique et le courage sans faille d'un héros ordinaire de l'Amérique ainsi qu’un lamento dramatique sur l’état du monde. Servi par une mise en scène élégante, les compositions crépusculaires de son chef opérateur (Ed Lachman) dont les lumières oscillant des gris bleutés aux tons verdâtres sont angoissantes, par des cadres tirés au cordeau ainsi que par le jeu sobre et excellent de tous les comédiens: Mark Ruffalo (Robert Billot ), Anne Hataway (son épouse), Tim Robbins (Tom Terp), Bill Camp (Wilbur Tennant), Bill Pullman, Victor Garber..., Todd Haynes révèle l’ampleur et l'envergure de cette menace de santé publique sur la société américaine et le Monde. La musique, composition originale de Marcelo Zarvos, sertie par les belles chansons de Waylon Jennings, Tom Paxton, Stan Getz, John Denver, Kenny Loggins, Johnny Cash... est anxiogène. Du grand art à la manière de certains peintres de l'époque classique où le sujet du tableau, ici du film – l’affrontement de Rob Bilott contre le géant de l'industrie chimique inventeur du Téflon – se perd dans un paysage pictural et sonore d'apocalypse.

     

    Jacques Déniel

    (1) En référence au grand cinéaste américain du mélodrame Douglas Sirk

    (2) DuPont (de Nemours) figurait en 2016 au 2e rang du Top 100 des pollueurs atmosphériques aux États-Unis

     

     

    Dark Waters

    Un film de Todd Haynes

    États-Unis – 2019 – Couleurs – 2h08 - V.O.S.T.F.

    Interprétation: Mark Ruffalo, Anne Hataway, Tim Robbins, Bill Camp, Bill Pullman, Victor Garber ....

    Date de sortie: 26 février 2020, reprise le 22 juin 2020

     

  • Saint Omer d'Alice Diop

    Saint Omer d'Alice Diop

     

    Saint Omer d'Alice Diop est une fiction qui nous parle de l'affaire Fabienne Kabou, cette jeune femme noire, intelligente qui avait commis un infanticide en abandonnant son bébé de nuit sur la plage de Berck-sur mer en 2013.

    Pour tourner son premier film de fiction, Alice Diop, - cinéaste reconnue, elle a tourné plusieurs films La Mort de Danton (2011), Vers la tendresse (2016), Nous (2021)... -, fascinée par la personne de Fabienne Kabou, décide de mettre en scène le procès et de le faire suivre par son double fictionnel : Rama, une jeune romancière noire de peau, enceinte, interprétée de manière appuyée par Kayije Kagamé. Un personnage qui se pose des questions ambivalentes sur sa maternité et s'interroge la place qu'elle occupe dans la société française.



    Rama se rend à Saint Omer et assiste au procès de l’accusée. Cette dernière (renommée Laurence Coly), est accusée d’avoir tué sa fille de quinze mois en l’abandonnant à la marée montante sur une plage du nord de la France. L'écrivain sent ses repères vaciller et éprouve une empathie énigmatique pour cette jeune étudiante de philosophie brillante qui s’exprime dans une langue châtiée et qui n'arrive pas à expliquer son geste criminel sauf par les égarements d'une dépression et par les influences mystérieuse de la sorcellerie et du maraboutage.



    Le film débute par un cours de littérature que Rama donne à ses étudiants, confrontant le récit de la femme tondue, inventé par Marguerite Duras dans le film Hiroshima, mon amour d'Alain Resnais, à des images d’archives de la Libération, et explicitant sa problématique: "comment l’auteure met sa puissance de narration au service d’une sublimation du réel."



    En quelques plans, les enjeux de Saint Omer sont posés: la défense de cette femme noire coupable d'infanticide et à travers elle, la défense de toutes les femmes. Alice Diop convoquera plus tard dans sa fiction, le film, Médée de Pier Paolo Pasolini (adaptation de la version du mythe Grec par Euripide) pour appuyer sa thèse sur les femmes invisibles chimères. Toutes les scènes consacrées à Rama, écrivain(e) très actuelle et l'intellectualisation artificielle de cette histoire véridique, sont ratées, ridicules et superfétatoires.



    En revanche dés que nous pénétrons dans le le cadre du procès, le film prend de la distance et de la hauteur, une vraie dimension d'une beauté cinématographique indéniable. Les scènes de procès possèdent une justesse incroyable due à la force et la fragilité de prise de parole de chaque personnage. La sobriété de la mise en scène, la rigueur des cadres, la durée des plans, et le jeu des comédiens (Valérie Dréville, Aurélia Petit, Xavier Maly, Robert Cantarella...), tous excellents y concourent. Guslagie Malanda formidable, donne au personnage de Laurence Coly, la mère, présente et absente de son procès, profondeur et complexité par sa parole simple et son attitude digne et perdue. Elle n'a aucune explication rationnelle à donner à son geste meurtrier.



    Malheureusement, la cinéaste nous donne ses explications: Les hommes sont dépeints - ceux qui procèdent aux tontes-, les proches de l’accusée et surtout l’avocat général - bras armé de la justice punitive - comme participant à un système toxique. Puis lorsque vient le moment de la plaidoirie de l’avocate de la défense, Alice Diop, film avec empathie l'avocate qui ne reprend nullement les arguments de Maître Fabienne Roy-Nansion, l'avocate de Fabienne Kabou - à part sur la folie de sa cliente - mais développe un discours emphatique sur la condition des femmes, des filles et des mères toutes des invisibles, des chimères monstrueuses mais très humaines. Des plans sur le public, les jurés, la cour... émus achèvent cette symphonie dont le but est de gagner le cœur et la raison du public. De nous rendre cette femme sublime, forcément sublime (1). Sainte mère comme nous le dit sans état d'âme Fernando Ganzo dans les Cahiers du Cinéma du mois de novembre 2022. Dommage, nous aurions pu voir un immense film de procès qui sonde les mystères de l'âme humaine au lieu d'un film édifiant qui enchante dans le consensus général toute la presse de France et de Navarre.

    Jacques Déniel



    (1) Sublime, forcément sublime Christine V. » est un texte de Marguerite Duras publié le 17 juillet 1985 dans le journal Libération à propos de l'affaire Grégory.



    Saint Omer d'Alice Diop

    France – 2022 – 2h02

    Interprétation: Guslagie Malanda, Kayije Kagamé, Valérie Dréville, Aurélia Petit, Xavier Maly, Robert Cantarella...

    Sortie sur les écrans: 23 novembre 2022

  • Dieu est mort (The Fugitive) un film de John Ford

    Dieu est mort (The Fugitive) un film de John Ford

     

    L’amour est plus fort que la mort

     

    Continuant, dans mon confinement, mon exploration de la figure du prêtre au cinéma, je viens de revoir Dieu est mort un film qui compte très peu de défenseurs et beaucoup de contempteurs. John Ford, l'aimait beaucoup. Il déclare, dans un entretien: « J’ai eu exactement le résultat que je voulais. Voilà pourquoi c’est l’un de mes films ­préférés. Pour moi, il est parfait. Malheureusement, il n’a pas eu de succès. Les critiques se sont jetés dessus et le public n’a pas suivi. Malgré cela, j’étais très fier de mon travail. » (1)

    Le film, adapté du roman de Graham Greene, La Puissance et la gloire (1940) par John Ford et son scénariste Dudley Nichols est une œuvre passionnante, d’une grande richesse artistique et intellectuelle, un grand film moral, spirituel et humaniste, une fable politique et et une parabole spirituelle, empreint d’un sens aigu de la mise en scène et d’une beauté formelle et picturale qui fait réfléchir sur la politique, la foi, l’idée de Nation et de Peuple. Il est en accord parfait avec la pensée philosophique, politique et spirituelle et républicaine de Ford. Une philosophie humaniste – hantée par la lutte du bien et du mal – qui pense que la lente et dure édification de la Nation et de la communauté humaine doit se bâtir sur la connaissance et la culture, la foi, le sens des valeurs de la famille et la défense des pauvres et des opprimés, du peuple.

    Les évènements se déroulent dans un pays imaginaire vivant sous le joug d’un régime totalitaire qui veut éradiquer la religion catholique pour le bonheur du peuple. Cette situation politique rappelle à la fois le nazisme et son côté néo-païen – John Ford, patriote convaincu sort de ses années d’engagement comme cinéaste des armées et a connu de près l’horreur de la guerre contre le fascisme (2) – et les dictatures communistes anticléricales. Tourné en 1946-1947, le film rappelle aussi les persécutions terribles que subirent les catholiques au Mexique de 1858 à 1861, et à partir de 1926. (3)

    La parabole christique est inscrite dans le récit dès le début. Le prêtre (Henry Fonda, excellent), gravit à dos d’âne une colline où se découpe une église rayonnante de lumière. Il se dirige vers les portes. Puis, nous sommes à l’intérieur de l’édifice sombre, les portes s’ouvrent, et la silhouette du prêtre, les bras en croix, poussant les battants, se découpe dans la lumière vive venant de l’extérieur. La figure christique est clairement annoncée. Nous allons assister au calvaire d’un homme. Le curé s’agenouille avec humilité – à la fois humble serviteur du Christ et prêtre orgueilleux investi d’une mission – puis pénètre dans le chœur de l’édifice, s’approchant d’une fenêtre ovale au vitrail brisé d’où jaillit la lumière de la puissance divine qui le désigne comme envoyé de Dieu. Alors apparaît une femme, debout dans un halo de lumière violente. Elle porte un enfant dans ses bras, sorte de Vierge Marie. Le dialogue entre les deux personnages confirme que les catholiques sont persécutés, qu’il n’y a plus ni prêtres ni églises dans le pays, que les nouveau-nés n’ont pas été baptisés. La jeune femme, Maria Dolores (sublime Dolores del Rio), endosse leurs souffrances, comme Marie. Mais très vite, par son comportement (elle s’agenouille et baise la main du prêtre), et par les propos échangés, nous comprenons qu’elle représente aussi la figure biblique de Marie-Madeleine, pécheresse et Sainte.

    La lumière du chef-opérateur Gabriel Figueroa (4), jouant sur la confrontation de noirs et blancs très contrastés et la musique de Richard Hageman, composée comme un véritable oratorio d’une grande force opératique amplifient le sentiment de puissance et de gloire qui se dégage de toute la scène.

    La fable politique s’inscrit lors de la première apparition du lieutenant de police (l’impressionnant Pedro Armendariz), dans la caserne de Puerto Grande, où de pauvres paysans et ouvriers, arrêtés, tremblent de peur devant le représentant du pouvoir. Jamais, au cours du film, John Ford n’indique s'il s'agit d'une dictature fasciste ou communiste .Le sigle du régime figurant sur la casquette ou les brassards des policiers représente un poing tenant une flèche (signe ostentatoire de nombreux partis fascisants, mais aussi communistes durant le Front populaire) qui n’est pas sans rappeler le poing tenant le fléau qui soufflette le Christ dans les peintures et fresques religieuses comme celles de Fra Angelico au couvent San Marco de Florence. Le cinéaste laisse planer le doute, renforçant ainsi sa critique de tout régime totalitaire, à l’inverse du roman de Graham Greene, où la présence de chemises rouges servant le régime est très significative. La séquence de l’arrivée de la police à la recherche du dernier curé, dans le village de Maria Dolores, est d’une violence inouïe, les cavaliers arrivent au galop en hurlant, piétinent les champs, renversent et détruisent les étals des paysans et artisans sur le marché. Le peuple violenté et dominé, la civilisation et la Nation sont niées, bafouées par la barbarie.

    La dernière séquence de The Fugitive conclut cette parabole biblique et politique. Le prêtre, ayant reçu un crucifix en bois des mains de Marie-Madeleine/Maria Dolores, gravit des escaliers, entouré par ses gardes, pour atteindre le sommet de la ville où il sera fusillé. Alternant ces plans avec ceux d’une foule en prière dans une église et ceux du lieutenant rongé par la culpabilité lorsqu’il entend les coups de feu de la mise à mort, le cinéaste donne à voir la grandeur humaine de la mort du prêtre et la force spirituelle de rachat, de rédemption de ce sacrifice. La condamnation totalitaire a frappé, mais le courage de la résistance et la foi en Dieu peuvent vaincre. Dans le dernier plan, le peuple priant, réuni dans l’église, voit les portes s’ouvrir et un nouveau prêtre entrer. L’amour est plus fort que la mort.

    Jacques Déniel

     

    Dieu est mort (The Fugitive) un film de John Ford

    États-Unis – 1947 – 1h44 – noir et blanc – V.O.S.T.F.

    Interprétation: Henry Fonda, Pedro Armendariz, Dolorès del Rio

    DVD éditions Montparnasse

     

    Notes

     

    1. Peter Bogdanovich, John Ford, Edilig, Paris, 1968.

    2. Il y tournera December 7th et The Battle of Midway.

    3. En 1926, le gouvernement du président Plutarco Elías Calles prend la décision de supprimer le catholicisme au Mexique. La France avait déjà eu cette prétention lors de la Révolution. L’Espagne l’aura quelques années plus tard. Le Président dit vouloir ouvrir son pays à la modernité. Il entreprend une féroce persécution contre l’église catholique. Une des premières mesures est la suppression du culte catholique. Cette mesure est insupportable pour des millions de Mexicains et Mexicaines. Pour défendre leur religion et la liberté de culte, des milliers de paysans et rancheros se révoltent et en viennent aux armes pour entamer là ce qu’ils appelleront la última cruzada (dernière croisade). Cette haine envers les chrétiens causa plus de trente mille morts au Mexique entre 1857 et 1937. Trente mille qui préférèrent mourir plutôt qu’être privés de la liberté de croire en Dieu.

    4. Élève de Gregg Toland, directeur de la photographie de John Ford sur Les Raisins de la colère, The Long Voyage Home et December 7th, maître exceptionnel des éclairages en clair-obscur, collaborateur de nombreux cinéastes, tout particulièrement Luis Buñuel, John Huston et Emilio Fernàndez

  • I Confess - La Loi du silence d'Alfred Hitchcock

    I Confess - La Loi du silence d'Alfred Hitchcock

    La force du pardon divin



    Je tenais à revenir sur l'un des chefs-d'œuvres de Sir Alfred Hitchcock, I Confess (La Loi du silence 1953) adapté d'une pièce de théâtre de Paul Anthelme Nos deux consciences parue en 1902.

    Québec, une nuit le père Logan (Montgomery Clift), prêtre catholique surprend son sacristain Otto Keller (réfugié allemand, interprété par Otto Eduard Hasse) en détresse dans l'église. Entendu en confession par le prêtre, il lui avoue qu'il vient de tuer l'avocat Villette. L’enquête est menée par l’inspecteur Larrue (Karl Malden) qui, suite à ses observations et des témoignages, soupçonne Logan qui partage avec Ruth Grandfort (Anne Baxter) un secret pouvant s'avérer compromettant.

    Issu d’une famille catholique fervente, Alfred Hitchcock croyant et pratiquant, revient dans ce long-métrage sur des thèmes prégnants dans son œuvre: la faute, la culpabilité, la figure de l'innocent accusé présente dans (Le Faux coupable (1957) mais aussi dans The Lodger (1926), Les 39 marches (1935) , Jeune et Innocent (1937), Frenzy (1972)... Mais, une fois n'est pas coutume, il associe à la défaillance et la dureté de la justice humaine, la force et le pardon de la justice divine. C'est sans aucun doute, le seul film où le cinéaste traite de manière aussi directe de la question de la grandeur de la foi .

     

    Dans La Loi du silence, il aborde la question de la Foi, d'une manière radicale, frontale avec un grand sens de l'ascèse et de l'efficacité dans sa mise en scène. L'intrigue policière du film – connue des spectateurs – repose sur un postulat appartenant aux règles de l'église Catholique, le secret de la confession (1) et sur la droiture morale du père Logan. Le cinéaste a le génie de centrer son film sur la confession. Le meurtrier se confesse au prêtre. Ruth Grandfort confesse à son mari Pierre puis à l'inspecteur et au procureur son secret d'amour pour le père Logan. Le prêtre doit rendre des comptes à la police et à la justice...

    C'est l'une des œuvres les plus sombres de Hitchcock. Logan, un prêtre habité, complexe, marqué par une douleur muette – sans doute due à ce qu'il a vécu comme soldat engagé pendant la guerre 39/45 – va accomplir un véritable parcours christique. Des crucifix présents dans de nombreux plans et une scène faisant référence à la passion du Christ – celle où le prêtre, accusé déambule dans la ville, dominé par une grande statue de la passion du Christ, nous rappellent le sacrifice de Jésus pour racheter les péchés des hommes. Le père Logan, exemplaire est prêt à donner sa vie pour demeurer fidèle à sa foi. Pour cela, il va subir les jugements du tribunal, le mépris et la haine populaire. Mais, il mène, infaillible, un combat contre les forces des ténèbres. Le meurtrier Otto Keller, machiavélique, est sous l'emprise de Satan. L'amour et la miséricorde du prêtre lui permettront de recevoir le pardon divin.

    La Loi du silence est aussi un vrai film policier de suspense hitchcockien comportant plusieurs séquences d'une grande force expressionniste. Dans la première scène lorsque le meurtrier, Otto Keller sort de la maison de l'avocat, sa silhouette se découpe, immense, diabolique, évoquant celle de M le maudit de Fritz Lang. Les scènes où L'inspecteur Larrue, teigneux, anticlérical et opiniâtre – le meilleur policier de toute l’œuvre du cinéaste – mène une enquête implacable et précise sont passionnantes. Jamais le suspense ni la tension policière ni judiciaire ne faiblit.

     

    La Loi du silence curieusement considérée comme une œuvre mineure du cinéaste, souvent mal comprise (2) s'avère être un superbe film métaphysique d'une intensité dramatique et d'une beauté plastique fascinante grâce à une thématique éminemment hitchcockienne (le faux coupable), à la photographie noir et blanc très expressive de Robert Burks (3), aux interprétations inoubliables et troublantes de Montgomery Clift et Anne Baxter, et au jeu précis et concis de Karl Malden et Otto Eduard Hasse.



    Jacques Déniel



    I Confess - La Loi du silence Un film d'Alfred Hitchcock

    États-Unis – 1953 – 1h35 – V.O.S.T.F

    Interprétation: Montgomery Clift , Anne Baxter, Karl Malden, Otto Eduard Hasse, Dolly Haas, Brian Aherne, Roger Dann...

    (1) "Nous savons, nous les catholiques, qu’un prêtre ne peut pas révéler un secret de la confession, mais les protestants, les athées, les agnostiques, pensent : « C’est ridicule de se taire ; aucun homme ne sacrifierait sa vie pour une chose pareille." Hitchcock/Truffaut, ou Le Cinéma selon Alfred Hitchcock, est un livre d'entretien de François Truffaut avec Alfred Hitchcock , paru en 1966 aux éditions Robert Laffont.

    (2) Lire la critique anticléricale plein de contre-sens dans le Alfred Hitchcock de Bruno Villien (Éditions Colona 1982).

    (3) Chef opérateur sur douze des grands chefs-d'œuvres de Hitchcock



  • The Lightship Le Bateau-phare

    The Lightship Le Bateau-phare / 1985

    Tragédie en haute mer

     

    à Alain Philippon

     

     

     

    Le Bateau-phare est un film noir, âpre, tendu, cru. Une tragédie sombre et éclatante qui allie sens du spectacle, intelligence du monde et plaisir de cinéma. C’est à la fois une œuvre d’une grande liberté formelle et de ton, et un film d’aventure et de divertissement pouvant toucher un assez large public, du cinéma métaphysique éblouissant et une mise en scène très rigoureuse et très physique.

     

    Le Bateau-phare est la première réalisation de Skolimowski pour Hollywood, et il est assez insolite de constater que la totalité du film se déroule en dehors du territoire des États-Unis, en haute mer, entre Europe (l’Angleterre) et Amérique, dans un no man’s land qui lui permet de confronter d’une fort belle manière le ­cinéma européen au cinéma américain, la liberté de ton et d’invention du ­premier aux contraintes, impératifs du spectacle et codes des genres du second. Servi par un scénario superbe (d’après Feuerschiff, un roman de Siegfried Lens adapté par William Mai et David ­Taylor) auquel il a collaboré, Skolimowski convoque à bord du bâtiment, commandé par un capitaine d’origine allemande, des personnages-types du cinéma américain, des mauvais garçons, des gangsters. Le film agit comme une double métaphore : le bateau-phare comme îlot de résistance envahi par la fiction américaine, et comme monde de la loi et du devoir agressé par le crime, le mal. De cette confrontation jaillit la beauté du ­cinématographe. La force implacable de la mise en scène de Skolimowski, rugueuse, sans concession ; la rigueur tranchante de son montage ; son sens du cadre, acéré, aigu ; la virtuosité des ­déplacements et actions mêlant rigueur des traits, célérité des gestes, sauvagerie des actes ; le lyrisme de la musique de Stanley Myers en font une ascèse flamboyante.

     

    L’action se passe entièrement sur un bateau-phare – immobile, arrimé en pleine mer, sa mission est d’alerter les autres navires du danger encouru dans les parages – commandé par le capitaine Miller. Il recueille trois étranges naufragés qui prennent l’équipage en otage et requièrent le départ du navire pour se rendre à un mystérieux rendez-vous. Unité de lieu, temps restreint (quelques heures), action minimale (l’enjeu est ­

    de prendre la direction du bateau), ­personnages aux caractères bien trempés – le capitaine Miller (Klaus-Maria Brandauer), homme de devoir et de parole, magnifique d’obstination butée ; Alex Miller (Michael Lyndon, le propre fils du cinéaste), son fils, jeune désabusé, très distant de son père à qui il reproche un comportement passé trouble ; le docteur Caspary (Robert Duvall), sublime figure de gangster dandy, maléfique et séduisant ; Eddie, malfrat psychopathe, cruel et malsain ; Eugène, son frère, un gros truand, compulsif et violent, et tous les membres de l’équipage volontaires, travailleurs, têtus – font de ce film un opus particulièrement travaillé par les obsessions du cinéaste. Oppression du huis clos, monde isolé, contamination du mal, laideur du monde et des liens sociaux, rapports père/fils, honneur et devoir, respect de la loi et sa violation, esclavage et liberté sont les thèmes développés par le ­cinéaste avec une intelligence et une finesse rares. Économie de parole et d’action rythment le film qui nous montre avec brio et détermination farouche le comportement exemplaire d’un père, et héroïque d’un capitaine, qui ne cède pas une once de terrain au mal ; altier, incorruptible, sûr de ses choix, il affronte le docteur Caspary, brillant, éloquent, moqueur, diabolique. Miller est porté par la force de sa croyance au ­devoir, à la loi. Sa foi dans la droiture humaine est aussi impressionnante et atteint la même opacité butée que celle de Jeanne d’Arc face à ses juges. Il ne cédera pas, quoi qu’il arrive. Dans cet univers restreint, fixe, étouffant, anxiogène, il représente à la fois la figure du père roide, bienveillant – entaché par une faute surgissant de son passé – et celle de la loi pour Alex et pour son équipage face à celle de père malveillant et séducteur qu’incarne Caspary, qui entraîne au crime ses fils adoptés, Eugène et Eddie. Les scènes où Miller et Caspary se regardent, se toisent, se parlent sont symptomatiques de cet affrontement entre le bien et le mal, la loi et le crime. La grande intelligence de Skolimowski est de jouer avec le capital de sympathie que nous accordons à chacun des deux personnages : le capitaine bourru, ferme, peu disert, digne et hautain peut nous sembler désagréable tandis que le docteur, ironique, enjoué, brillant, bavard, d’une intelligence retorse peut nous séduire par ses discours sur le libre arbitre, la ­liberté et l’esclavage, la volonté de ne ­satisfaire que ses désirs. Magnifique ­séquence de discussion dans la cabine entre les deux hommes où tous les enjeux et la tension sont rendus à l’écran par les plans d’un crayon roulant à terre entre eux. Une autre très belle scène ­répond à cette dernière : Caspary entre dans la cuisine, appelant Eugène qui vient d’être tué par Nate et est couché sur le sol, tandis que le pot et la coupe de glace au chocolat abandonnés par le gros truand glissent au fil du tangage du bateau.

    Cette œuvre au noir, vertigineuse par la violence hallucinante de certaines séquences – celle où Eugène tue l’oiseau de Nate le cuisinier, la vengeance sanglante de ce dernier, la séquence finale, d’une tension brute et sèche – nous livre une grande leçon de morale humaniste, une belle histoire de transmission. Un homme seul, incompris, injustement soupçonné de lâcheté – durant la ­Seconde Guerre mondiale, il commandait un destroyer de la marine américaine ; venu au secours d’un bateau en feu, touché par un sous-marin nazi, il donna l’ordre de poursuivre le sous-marin, abandonnant les naufragés dans la mer en flammes ; la cour martiale l’innocentera, lui donnant raison d’avoir accompli sa mission – maintient la loi, l’autorité, le sens du devoir contre les forces du mal. Il transmet à son fils et à son équipage ses valeurs. Son courage et sa dignité l’amènent dans la scène finale à se comporter en héros qui sacrifie sa vie pour que les valeurs humanistes et le sens de l’honneur l’emportent, pour se racheter du poids terrible que lui cause l’épisode dramatique de la guerre. Le capitaine meurt apaisé, libéré de sa culpabilité, dans les bras de son fils qui lui dit tout bas : « Papa ». Désormais, le fils peut être un homme, un père certainement.

    Les difficultés de la filiation ; l’amour­/haine entre pères et fils, la transmission des valeurs, l’horreur de la société gangrenée par le mal, l’isolement dans un monde forclos, comme dans Travail au noir, la mécanique et la contamination du mal, la perversité et la monstruosité des êtres humains sont abordés avec pertinence et subtilité dans ce film sous haute tension. Pour que le droit et la morale l’emportent, il faut que l’équipage entier soit contaminé par le mal advenu à bord par l’irruption des malfrats, des anges de la mort. Ainsi du second au mécanicien, en passant par le bosco, le cuisinier et le fils du capitaine, tous sont gagnés par les pulsions de violence et deux passent à l’acte (Nate et Alex), mus certes par la volonté de libérer le navire, par la légitime défense – celle-là même qu’invoque Caspary en tête à tête avec Miller, lorsque Eddie tue le bosco –, mais aussi par la vengeance pour Nate. Pour que le bien advienne, il faut que le mal se répande, que tous les individus, sauf le capitaine, soient souillés par lui, qu’ils le commettent. Terrible drame, où s’affrontent deux conceptions de l’humanité, celle du devoir et de la transmission des valeurs contre celle du désir absolu et de la contamination du mal. Transmettre contre contaminer, tel est l’enjeu de ce huis clos qui a la grandeur d’une tragédie racinienne.

    Jacques Déniel

     

    Le Bateau phare un film de Jerzy Skolimowsky

    États-Unis - 1985 - 1h29 - V.O.S.T.F.

    Interprétation: Klaus Maria Brandauer, Michal Skolimowski, Robert Duvall, Arliss Howard, T1m Phillips, William Forsythe....

     

     

  • House of Bamboo (La Maison de bambou) de Samuel Fuller

    House of Bamboo (La Maison de bambou) de Samuel Fuller

    Violence de l'amour

     

    Lors de la rétrospective qui a été consacrée au cinéaste américain Samuel Fuller à la Cinémathèque française du 3 janvier au 15 février 2018, j'ai revu plusieurs de ses films. Quatre nouveaux et très bons ouvrages sur son œuvre cinématographique sont sortis en librairie ainsi que le portrait du cinéaste réalisé par sa fille Samantha Fuller (édité par Carlotta films).

     

    House of Bamboo (La Maison de bambou) est l'un, voire le plus beau film de Samuel Fuller. Recyclant des thèmes et des éléments cinématographiques propres au film noir, il atteint avec ce long métrage de 1955, un classicisme formel épuré. Sa mise en scène est totalement maîtrisé. C'est une œuvre d'une grande facture cinématographique et picturale tournée au Japon. Le film est servi par un usage particulièrement virtuose du CinemaScope et de la couleur et par un choix intelligent des acteurs principaux: Robert Ryan (Sandy Dawson), Robert Stack (Eddie Kenner/ Spanier), Shirley Yamaguchi [Yoshiko Otaka (Marika)], Cameron Mitchell (Griff), tous excellents, qui vont lui permettent de jouer habilement sur les troubles sentimentaux et sexuels des protagonistes. Pour la photographie, Fuller embauche comme chef opérateur Joseph MacDonald qui a déjà travaillé avec lui, ainsi qu'avec Nicholas, Ray, Edward Dmytryk, John Huston... La lumière de Joseph MacDonald magnifie les décors intérieurs et extérieurs choisis et donne au cinéaste la possibilité de saisir avec son sens aigu de la mise en scène les espaces spécifiques du Japon. Utilisant des mouvements de grue élégants qui lui permettent d'accentuer la profondeur de champ, Samuel Fuller se sert de sa remarquable et ingénieuse science du mouvement dans les scènes d'attaque: celle splendide du train au début du film sur fond du Mont Fuji qui apparaît entre les jambes du soldat mort, celles des hold-up tout particulièrement le second qui voit des hommes arrivés par bateau faire un braquage où la virtuosité et la rapidité de l’exécution sont superbement mis en scène, celle de l’exécution brute et sèche de Griff par Dawson, et, bien sûr l'extraordinaire séquence de fin spectaculaire, âpre, tendue, vertigineuse, du duel entre Kenner et Dawson sur la grande roue surplombant la ville de Tokyo.

    Le film raconte l'arrivée au Japon d'un militaire américain, Eddie Kenner -qui se fait passer pour Spanier, un gangster sorti de prison-, chargé de s'introduire au sein d'un gang de malfaiteurs qui ont abattu un ancien GI, afin de les confondre. Pour arriver à ses fins Eddie approche la belle Mariko épouse de l'homme abattu. Il va faire semblant de se mettre en ménage avec elle. Eddie attaque des maisons de jeu ce qui l'amène à rencontrer la bande de Sandy Dawson, tous d'anciens militaires. Dawson propose à Eddie de rejoindre son gang pour participer à des hold-up. Mais les relations vont évoluer, se dégrader dans la bande. Dawson se prend d'amitié pour Eddie au détriment de son second, Griff qui, jaloux le prend très mal. Kenner se décide à informer Mariko dont il est amoureux, qu'il travaille pour la police américaine et japonaise. Il lui confie une mission. La bande de Dawson décide de braquer dans les rues du centre de Tokyo, un fourgon blindé transportant une énorme somme d'argent. Mis au courant que la police est sur les lieux, Dawson annule l'opération et tue son second Griff dont il pense qu'il est devenu traître par dépit. Apprenant la vérité, Dawson monte un stratagème ingénieux pour supprimer Kenner/Spanier.

    Ce film tient une place particulière dans l'histoire du film de gangsters. C'est la fin de l'époque classique de ce sous-genre du film noir, typiquement américain. Samuel Fuller qui en est parfaitement conscient après avoir tourné en 1953 Pickup on South Street (Le Port de la drogue) cherche une nouvelle voie pour renouveler le genre et développer ses idées cinématographiques, esthétiques et philosophiques. Pour cela, il utilise quatre éléments essentiels: filmer de manière la plus réaliste possible le Japon et donc l'exotisme de la situation, opposer par contrastes aux films noirs tournés de nuit dans des villes claustro-phobiques des scènes de jour tournées en extérieur, choisir la couleur et le CinemaScope au lieu du noir et blanc et du format 1/33, écrire un scénario riche d'idées entremêlant le genre et les situations amoureuses. Ces choix de mise en scène capitaux lui permettent de magnifier son cinéma et de faire évoluer le genre.

    Son scénario assez complexe mêlant trame policière classique, histoires sentimentales, amoureuses et désirs sexuels, des éléments assez peu conventionnels dans un film noir de cet époque donne au film son ton unique. Très vite, un trio, puis un quatuor amoureux se met en place entre Dawson, Kenner/Spanier, Mariko et Griff. Leurs relations sentimentales, leurs désirs cachés créent un trouble insidieux et profond dans le film, rien d'explicite au sujet de l'homosexualité -cela n'intéresse pas Fuller-, mais une tension sèche et violente mue par des pulsions inavouables traversent le film. Lorsque l'on cherche à mieux comprendre les relations entre Dawson et Spanier, Spanier et Mariko, Griff et Dawson nous constatons que le désir et par conséquent la jalousie sont les moteurs de leurs relations troubles. Clairement, Dawson n’a aucune relation féminine. Il dirige et vit avec un groupe d'hommes. Il héberge Spanier sous son toit, une façon de le faire sien, de le dominer, ce qui alimente très vite la jalousie de Griff. La relation entre Spanier et Mariko est tout d'abord d'ordre policière puis au fil de l'action naît une histoire sentimental et de désir entre eux, très prégnante dans la scène éminemment sensuelle de la douche.

    Dans ce film noir à la fois classique et atypique Samuel Fuller réussit à nous parler des relations compliquées entre les États-Unis et le Japon au moment du tournage en 1955 due à la tragédie de Hiroshima à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans une atmosphère de tension et de pulsions sexuelles au sein d'une bande de gangsters virils, d'une histoire amoureuse inter-raciale entre un militaire américain et une Japonaise. Comme dans The Crimsom Kimono, ou China Gate, Samuel Fuller s’appuie sur sa fascination pour une culture très différente de la culture américaine. Tout au long du film, il ne cesse de nous montrer dans de nombreux plans les différences de culture. Ces plans simples et somptueux , détaillent les manières de se vêtir de se nourrir et les décors des appartements: objets, mobilier, structure des maisons de bambous... A travers l'histoire au parfum d'exotisme entre Spanier et Mariko, Fuller nous dit son amour de l'Orient, son rejet du racisme quel qu’il soit, sa détestation de la violence, lui qui pourtant n'hésite jamais à commencer ses films sur des scènes sèches et violentes -ici l'assassinat du GI dans la campagne dominée par le Mont Fuji. En nous contant la lutte menée par Eddie Kenner (Spanier) contre le pillage du Japon par une bande de malfrats ainsi que son histoire d'amour avec Mariko, le cinéaste nous montre comme une sorte de rachat possible des fautes des Etats-Unis d'Amérique.

    Tous les interprètes du film s’avèrent justes et émouvants. Robert Stack se montre convaincant, sec, rude dans la façon de jouer le rôle de Kenner/Spanier. Robert Ryan, un habitué des films noirs est l’interprète idéal pour Dawson, ce chef de bande autoritaire, violent et cruel mais aussi souvent tendre et à l'écoute de ses hommes. Shirley Yamagushi donne au personnage de Mariko, une justesse et une profondeur émotionnelle. Quasi inconnue en Occident, elle était une actrice et chanteuse célèbre au Japon et en Chine. Quant à Cameron Mitchell, grimaçant, tendu et nerveux il compose de belle manière le rôle de Griff, l'homme délaissé par Dawson. Dans House of Bamboo comme souvent dans le cinéma de Samuel Fuller, il s'agit de parler des autres, de l'autre: l'asiatique, le malfrat, le traître, le noir, l'indien, l'ennemi. La force de film limpide où violences et amours irradient l'écran est de ne pas juger ses personnages, de les laisser vivre leurs contradictions et de les amener à affronter l'autre en l'aimant ou le tuant. La Maison de bambou nous confirme que Samuel Fuller est un cinéaste majeur.

    Jacques Déniel

    House of Bamboo (La Maison de bambou) de Samuel Fuller États-Unis – 1955 – CinemaScope – Couleurs – 1h42 – un film de Samuel Fuller Interprétations: Robert Stack ( Eddie Kenner / Spanier), Robert Ryan (Sandy Dawson) Shirley Yamaguchi (Mariko), Cameron Mitchell (Griff), Brad Dexter (le Capitaine Hanson), Sessue Hayakawa ( l'Inspecteur Kito)...

    Dvd de La Maison de Bambou en copie restaurée (Twentieth Century Fox: collection Hollywood Legends).

    Dvd A Fuller Life, un portrait atypique et passionné du grand cinéaste américain Samuel Fuller Un film de Samantha Fuller édité par Carlotta Films

    Actualités littéraires sur Fuller: Fuller, un homme à fables de Jean Narboni (Éditions Capricci), Samuel Fuller, le choc et la caresse sous la direction de Jacques Déniel et Jean-François Rauger (Éditions Yellow Now) Samuel Fuller, jusqu'à l'épuisement de Frank Lafond (Éditions Rouge Profond) et Le film et le champ de bataille : Samuel Fuller, The big red one de Didier Semin (Édition Échoppe) tous sortis en décembre 2017 et janvier 2018.