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Une certaine idée du cinéma le blog de Jacques Déniel - Page 8

  • La Mule un film de Clint Eastwood

    La Mule un film de Clint Eastwood

    Rédemption de l'homme failli

     

    Il est consternant et agaçant de constater que lorsque un nouveau film de Clint Eastwood sort sur les écrans les qualitatifs droitier et réactionnaire fleurissent dans les critiques, positives ou négatives, de ses œuvres, et cela depuis de très nombreuses années. Très souvent les critiques de cinéma parlent au nom de positions idéologiques ou intellectuelles actuelles, surplombantes, et attribuant au film ou à son metteur en scène des jugements arbitraires et bien-pensants se jugeant plus malins que l'œuvre en question.

    "Un an après ce navet indigne de son talent(1), Eastwood, 88 ans, est de retour dans La Mule, un film où, fidèle au meilleur de son inspiration (celle où il oublie d'entonner ses refrains ultraréacs" nous affirme-t'on dans l'hebdomadaire Marianne. Il serait grand temps de voir et comprendre que les films de cet immense cinéaste sont complexes, exigeants et dialectiques. Du grand cinéma humaniste où l'aventure, le mélodrame, la guerre, les sentiments, l'action côtoient le politique et le social.

    Clint Eastwood a depuis son premier film Play Misty for Me construit une œuvre dense et cohérente où se suivent grands films et chefs d’œuvres. Il est certes de bon ton de ne pas aimer L'Inspecteur ne renonce jamais, L’épreuve de force, Firefox, Million Dollar Baby, Américan Sniper, Le 15h17 pour Paris... pourtant tous des films magnifiques et passionnants.

    Après avoir réalisé une série de films dans lesquels il ne jouait pas: J.Egdar, Au-Delà, American Sniper (L'histoire de Chris Kyle, tireur d’élite très efficace de l'armée américaine. Ce dernier est une légende pour l'armée, un héros pour les conservateurs, une victime pour les libéraux. De fait, un film de guerre politique et complexe), Sully, Le 15h117 pour Paris (Un très grand film, l'un des plus beaux de 2018 narrant la fascinante histoire de patriotisme et d’héroïsme de trois amis qui sauvent des centaines de passagers d'un TGV en neutralisant un terroriste islamiste), Clint Eastwood signe un nouveau chef-d'œuvre où il interprète le rôle principal. Nous ne l'avions plus vu comme acteur dans un de ses films depuis le formidable Gran Torino (2009).

    Pour la vingt-troisième fois, Clint Eastwood interprète le premier rôle dans l'une de ses réalisations. Dans La Mule inspiré d'un fait divers, l'histoire de Leo Sharp un vétéran de guerre qui a travaillé pour le Cartel de Sinaloa, il joue Earl Stone, horticulteur prospère et reconnu, ruiné par internet, un homme seul ayant délaissé sa famille et qui accepte de devenir chauffeur pour transporter des cargaisons mystérieuses dont, dans un premier temps, il feint d’ignorer le contenu. Affrontant avec un calme et une assurance incroyable son nouveau travail de mule, il transporte des kilos de drogues pour un cartel de mexicains rudes, butés et cruels – dirigé par le parrain Laton (Andy Garcia) – qui jamais ne le lui font peur.

    Mais la grande force du film – son véritable sujet –, est de nous conter le rapport de cet homme, à la fois irascible et charmant qui cultive les plus belles fleurs du comté, avec les membres de sa famille, un gynécée sur trois générations: Mary, l'épouse (Diane Wiest) dont il est séparé, Iris, sa fille (Alison Eastwood) qui le méprise en raison de sa conduite et Ginny, sa petite fille (Taissa Farmiga) qui aime son grand-père et espère qu'il va enfin changer. Clint Eastwood campe avec un grand sens de l'épure et de la retenue cet homme failli qui a toujours préféré son travail aux relations et devoirs familiales. Il ne vient pas au mariage de sa fille comme il a manqué plein d'autres moments importants de la vie de la cellule familiale (repas de famille, communion et confirmation, fiançailles...). Mais, c'est aussi malgré son caractère dur, un homme aimé de certains de ses concitoyens, les latinos avec lesquels il cultive les fleurs, les vétérans de la seconde guerre mondiale qu'il fréquente dans son club. Avec un beau sens de l'humour et de l'ironie, il campe ce personnage élégant et faible, noble et aigre, plaisantant en tenant des propos racistes – ce qui n'en fait pas pour autant un raciste ni un réactionaire – mais sachant aussi se montrer généreux pour sauver le club des vétérans, la patinoire de sa ville...

    Conscient qu'il a raté sa vie de famille, Earl Stone devenu le passeur le plus prolifique du cartel, lors de son ultime voyage, donne des conseils sur l'importance capitale de la famille – dans une magnifique et émouvante scène de petit-déjeuner – à Colin Bates (Bradley Cooper), inspecteur de la D.EA. (Drug Enforcement Administration) qui cherche à arrêter la mule principale du cartel.

    C'est alors que le film prend un tournant mélodramatique – au plus beau sens du terme – Giny appel son grand-père pour lui annoncer que Mary est au plus mal et qu'il doit venir à son chevet. A ce moment commence la voie du retour vers la famille. L'homme failli, défait, incapable d'aimer, rejoint la communauté des femmes. Un rachat et une rédemption d'une force émotionnelle d'une beauté comparable à celle de Un monde parfait ou de Sur la route de Madison. C'est ce rachat, cette rédemption, ce choix de la famille qui vont précipiter Earl Stone vers son destin de perdant solitaire et magnifique, de coupable. Guilty! Sans aucun doute et quelle force, quelle droiture et dignité pour le reconnaitre.

    La musique joue un rôle capital dans le film. Earl à bord de son pick-up noir écoute lors de ses trajets des chansons, un impeccable florilège de musique country et de soul qui nous rappelle les ciels immenses et les vastes espaces des westerns. Cette musique belle et nostalgique renforce l'humanité chaleureuse du personnage.

    Servi par des acteurs tous excellents, Clint Eastwood signe avec La Mule une œuvre d'une grande maîtrise formelle, d'un classicisme majestueux digne de celles des maîtres du cinéma tels John Ford ou Howard Hawks. Il associe avec brio les ressources immenses de son talent d’acteur à la rigueur et la précision de sa mise en scène au cordeau.

     

    Jacques Déniel

     

    La Mule – États-Unis – 2019 – 1h56

    Un film de Clint Esatwood Interprétation: : Clint Eastwood, Bradley Cooper, Michael Peña, Diane Wiest, Alison Eastwood, Taissa Farmiga, Andy Garcia...

     

    (1) Le 15h117 pour Paris critique du film La Mule dans Marianne n°1141 23 janvier 2019.

     

  • La Piscine de Jacques Deray

    La Piscine de Jacques Deray

     

    Un petit bijou de cinéma

     

    J'ai découvert lundi soir sur ARTE le superbe film de Jacques Deray La Piscine (1969). Je ne l'avais jamais vu. En 1969 dans ma bonne ville de Brest, très jeune amateur éclectique de cinéma, je l'avais manqué. Ensuite, considérant Jacques Deray comme un réalisateur de polars à la française après avoir vu Borsalino (un bon film pourtant) et quelques autres de ses films plus académiques, je n'avais pas jugé intéressant de le voir. Erreur de jugement et mauvaises raisons, ce film est un petit bijou de cinéma, une perle rare.

    Le film est surtout connu et admiré pour son impeccable casting. Alain Delon, Romy Schneider, Maurice Ronet et Jane Birkin pour les quatre rôles principaux. En cette fin des années soixante, Alain Delon est une star adulée, bien loin du débutant des années cinquante. La décennie des années-soixante entamée avec Plein soleil de René Clément le révèlera aux yeux du monde entier (avec Maurice Ronet, où les deux hommes partagent des rôles similaires à celui de La Piscine). Il va dès lors jouer dans plus de trente films dans cette décennie. Il tourne avec Luchino Visconti, Michelangelo Antonioni, Jean Duvivier, Henri Verneuil, Alain Cavalier, Robert Enrico, Jean-Pierre Melville, Guy Gilles ...

    Dans ce drame psychologique tendu et abrupt, adapté par le scénariste Jean-Claude Carrière du roman éponyme d'Alain Page sorti cette même année 69 dans les librairies, Jacques Deray par la force de sa mise en scène âpre et sensuelle signe son plus beau film. Il organise, en huis-clos, avec une vraie maestria, un ballet d'une perversion et d'une grande cruauté mentale, entre le couple d’amants diaboliquement désirable et désirant Jean-Paul et Marianne (Alain Delon, Romy Schneider) et leurs invités, un ami hautain et flagorneur et sa jolie et séduisante fille, Harry et Pénélope (Maurice Ronet et Jane Birkin). La belle villa sur les hauteurs de Saint-Tropez et sa piscine qui sont les lieux et cadres où se déroulent le film nous renseignent sur l'aisance matérielle de ces personnages.

    Aisés et oisifs, nonchalants et blasés, ils ont des occupations plus que du travail (Jean-Paul dans la publicité après une carrière d’écrivain avortée, Harry gagne énormément d’argent dans l’industrie du disque de variétés). Ils se baignent dans la piscine, font l'amour mais semblent s'ennuyer et avoir un certain mépris de la vie. Au fil de leur séjour, leurs relations amicales et la grande banalité de leurs conversations laissent transpirer une rivalité masculine et féminine malsaine. La perversion de leurs rapports et une jalousie contenue mais bien réelle se développent amenant la tension puis une violence brute qui éclate, une nuit où ils ont beaucoup bu, entre les deux hommes.

    Réussite sociale et possession de la très désirable Marianne et de la sensuelle Pénélope sont les ingrédients de cet affrontement entre les deux hommes. Le cinéaste, joue avec une grande finesse sur la banalité des dialogues et la perversion des échanges de regards des protagonistes de sa fiction. Chef-d’œuvre d'érotisme, le film baigne dans une atmosphère de sensualité trouble et moite, servi par la perfection de la musique de Michel Legrand et la photographie solaire de Jean-Jacques Tarbès.

    La Piscine est une œuvre très synchrone avec la France de l'après-mai 1968 et et les élans libertaires et révolutionnaires des bourgeois et intellectuels des classes aisées. Cependant névrosés, égocentriques et égoïstes, les quatre personnages du film de Jacques Deray ne s’intéressent ni à la révolution ni à la lutte des classes, se contentant de s'approprier l'un de ses slogans majeurs il est interdit d’interdire et de vivre selon leur bon plaisir. Liberté sexuelle, sadomasochisme, trouble de l’inceste, perversions et meurtre, tout semble possible dans ce monde de l'insouciance.

    Un grand film moite et sensuel qui nous montre avec une réelle subtilité les perversions morales d'hommes et de femmes qui ont franchi les limites. Pris au piège du tragique dénouement, les deux amants Jean-Paul et Marianne restent à jamais prisonniers par leur pacte de silence diabolique. Enfermés dans cette villa et sa piscine, leur mausolée.

     

    Jacques Déniel

     

    La Piscine un film de Jacques Deray, scénario de Jean-Claude Carrière

    France – 1969 – 2h02

    Interprétation: Alain Delon, Romy Schneider, Maurice Ronet, Jane Birkin, Paul Crauchet...

    disponible en DVD: SNC/M6 vidéo

     

    Post scriptum:

    Les années soixante-dix nous montreront dans le réel que beaucoup de ces bourgeois et intellectuels souvent libertaires et libéraux n'hésiteront pas à vivre de cette manière, la revendiquant même dans des livres, des essais théoriques, des articles, soutenus par des quotidiens et magazines qui aujourd'hui jouent les prudes effarouchés et indignés mais défendent d'autres dévoiements du moment tout aussi fous que ceux qu'il défendaient à l'époque. L'hypocrisie détestable des médias et des individus qui se sont institués juges sur les réseaux sociaux!

  • Benedetta un film de Paul Verhoeven

    Benedetta un film de Paul Verhoeven

     

    Présenté en compétition en sélection officielle au Festival International du Film de Cannes Benedetta, le nouveau film de Paul Verhoeven, metteur en scène très talentueux, auteur des excellents La Chair et le sang, RoboCop, Total Recall, Starship Troopers et d'un chef d’œuvre Black Book qui conte le parcours d'une jeune femme juive qui devient espionne pour le compte de la résistance néerlandaise à la fin de la seconde Guerre Mondiale, sort sur les écrans de cinéma en France accompagné d'un parfum de scandale et de provocation comme Basic Instinct ou Showgirls.

    Bien à tort car le film n'a rien de choquant ni de révolutionnaire. Servi par des comédiens pour la plupart excellents: Virginie Effira, Charlotte Rampling, Olivier Rabourdin, Daphné Patakia, Louise Chevilotte, la superbe photographie éclairéé à la bougie de Jeanne Lapoirie et les beaux chants de Hildegard Von Bingen, le film est porté par une mise en scène d'une ampleur et une flamboyance certaine.

    Malheureusement, le XVIIème siècle de Paul Verhoeven à bien trop des allures médiévales et sa mise en scène frôle parfois le ridicule, particulièrement dans les scènes de visions de sœur Benedetta ou lorsque cette dernière parle avec une voix d'homme sensée être celle du Christ, admonestant les sœurs, les hommes d'églises, le peuple.

    Benedatta est l'histoire d'une mystificatrice, d'une menteuse avide de pouvoir qui se sert de la religion pour imposer son autorité et ses désirs. Adapté du livre de l’historienne Judith C. Brown, Sœur Benedetta, entre sainte et lesbienne, qui relate le procès d’une religieuse accusée d’avoir des relations sexuelles avec une novice et menacée du bûcher, le film de Paul Verhoeven dresse le portrait de Benedetta Carlini (Virginie Efira), une jeune fille de la noblesse toscane entrée au couvent des Théatines à Pescia en Toscane à l’âge de 9 ans. Elle affirme avoir reçue les stigmates et être l'épouse quasi-concrète du Christ.

    Grande manipulatrice, elle assouvit avec intelligence et audace sa soif de pouvoir et ses désirs sexuels. Seul sœur Christina (Louise Chevilotte), clairvoyante, comprend que Benedetta ment à toutes et tous et la dénonce aux autorités ecclésiastiques mais poussée dans ses retranchements par les sœurs et leur Abbesse, sœur Félicita (Charlotte Rampling) ainsi que par le Prévôt (Olivier Rabourdin) et les prêtes de Pescia désireux de bénéficier de l'aura des faux miracles, elle se suicide en se jetant du toit du couvent.

    Benedetta n'est bien entendu absolument pas un film féministe – contrairement aux propos écrite ou dits ça et là – mais bel et bien est une œuvre de cinéaste homme qui filme des fantasmes classiques - quoi de plus naturel en somme de la part d'un homme cinéaste, Paul Verhoeven - aimant et désirant les femmes, leurs esprits, leurs corps surtout, quand de surcroit, ce sont ceux de religieuses qui ont une relation saphique et qui se dénudent enlevant leur voile, tunique et scapulaire afin de vivre d'intenses étreintes.

    Désireux de choquer (on ne sait trop qui), le cinéaste rajoute un élément absent du livre et des événements réels, l'emploi d'une statue de la Vierge Marie dont le pied est sculpté par la novice Bartolomea (Daphné Patakia) pour en faire un godemichet. Il ridiculise l’Église Catholique en caricaturant ses représentants, en particulier le Nonce Apostolique, venu de la ville de Florence, ravagée par la peste, interprété par un Lambert Wilson monolithique.

    Enfiévré, emporté, lyrique, perclus dans sa chair cinématographique par des bubons grotesques, la mise en scène de Paul Verhoeven raconte une histoire de schizophrénie, d’hystérie et de pouvoir, d'affrontement entre femmes pour le posséder au détriment de l'amour véritable pour les humains et pour le Christ en éludant la question de la croyance en la détournant. La croyance en la force du cinéma est très présente dans toute l'œuvre de Paul Verhoeven. Il y a des éclats de beauté visuelle et cinématographique envoûtants dans Benedetta. Mais les questions de la vérité historique des faits racontés et de la croyance religieuse, de la foi dans le Christ sont problématiques voir absentes dans ce film.

     

    Jacques Déniel

     

    Benedetta un film de Paul Verhoeven

    France-Pays-Bas – 2021 – 2h06

    Interprétation: Virginie Effira, Charlotte Rampling, Olivier Rabourdin, Daphné Patakia, Louise Chevilotte, Lambert Wilson, Hervé Pierre...

  • Gens de Dublin un film de John Huston

    Gens de Dublin un film de John Huston

    Un sommet de l'art cinématographique mondial.

     

    Son âme se pâmait lentement tandis qu'il entendait la neige tomber, évanescente, à travers tout l'univers, et, telle la descente de leur fin dernière, évanescente, tomber sur tous les vivants et les morts. James Joyce (Les Morts 1914).

    Gens de Dublin de John Huston est adapté d'une nouvelle présente dans le recueil de textes The Dubliners (Gens de Dublin), The Dead (Les Morts), écrite en 1914 par l'immense écrivain Irlandais James Joyce. C'est le dernier film de John Huston, il le tourne en 1987 quelques mois avant de mourir d'une pneumonie consécutive à son emphysème le 28 août 1987.

    John Huston, grand cinéaste souvent mal compris et parfois considéré comme surfait, est pourtant l'un des plus grands metteurs en scène américains, auteur entre 1941 et 1987 de quarante deux longs-métrages. Il a adapté avec beaucoup de talent et de modestie plusieurs chefs-d’œuvres de la littérature de langue anglaise: Moby Dick de Herman Melville, L'Homme qui voulut être roi de Rudyard Kipling, Le Faucon Maltais de Dashiell Hammett, La Nuit de l'iguane de Tennessee Williams, Reflets dans un œil d'or de Carson McCullers, Les Racines du ciel de Romain Gary, Le Malin de Flannery O'Connor, Au-dessous du volcan de Malcom Lowry, La Bible et Gens de Dublin...

    En portant à l'écran avec une grande fidélité cette nouvelle de James Joyce, John Huston nous conte une histoire minimaliste dont l'action se déroule sur une seule soirée. Une œuvre dépouillée mais intense et juste, servie par la force de la mise en scène sobre et poignante du cinéaste, condensée en trois actes en quasi huis-clos: la soirée et le diner dans la maison des des demoiselles Morkan, un trajet dans un fiacre et une discussion entre Gretta et Gabriel Conroy - interprétés par Angelica Huston et Donal McCann -, le couple principal du film, dans leur chambre d'hôtel à Dublin.

    La majeure partie du film se déroule dans la maison des deux sœurs Morkan, Miss Kate et Miss Julia et de leur nièce, Mary Jane, qui organisent en ce mois de janvier 1904, leur banquet annuel de l’Épiphanie. Dehors le sol est recouvert d'un épais manteau blanc, la neige tombe et il fait froid. Elles reçoivent leur cercle d'amis: leur neveu Gabriel Conroy et son épouse Gretta, trois élèves de Mary Jane, le chanteur ténor Bartell D'Arcy, la vieille Mrs Malins et son fils Freddy, alcoolisé comme bien souvent.

    La soirée s'écoule dans la douceur et la sérénité, tous dansent, et dégustent des plats succulents dont l'excellente oie rôtie et le traditionnel pudding, certains jouent du piano, d'autres récitent des poèmes en langue gaéliques ou chante. Les convives parlent de théâtre de politique, de l'avenir de l'Irlande et évoquent les chers disparus de l'année, célèbres ou inconnus. Les passions semblent retenues, feutrées et vont affleurer au moment où les invités commencent à partir.

    Soudainement, alors qu'elle commence à descendre l'escalier menant à la sortie, Gretta entend le ténor Bartell d'Arcy (Frank Patterson) chanter la ballade La Fille d'Aughrim. Elle se fige, envahit par une immense mélancolie. Le chemin du retour vers l'hôtel avec son époux Gabriel et leur discussion dans la chambre d'hôtel nous révèle une blessure d'amour secrète.

    Le film comme la nouvelle sont une épiphanie de la condition humaine. Marqué par le déroulement de la soirée, la musique, les chants, les poèmes lus, les propos échangés et surtout très troublé par la récit du premier amour de jeunesse que lui révèle son épouse Gretta, Gabriel Conroy acquiert une conscience soudaine et lumineuse de la nature profonde de l'âme humaine, de l'indicible passage des êtres humains sur la terre. Hommage vibrant aux vivants et aux morts qui peuplent cette terre, The Dead (Gens de Dublin) est le chef-d’œuvre testamentaire de John Huston, un film modeste, subtil et d'une folle élégance. Servi par une pléiade de comédiens talentueux et justes, par la lumière chaude du chef-opérateur Fred Murphy, la musique mélancolique d'Alex North et la beauté du chant du ténor irlandais de renommée internationale, Frank Patterson, Gens de Dublin est assurément un sommet de l'art cinématographique mondial.

     

    Jacques Déniel

     

    Gens de Dublin un film de John Huston,

    États-Unis – – 1987 – 1h23 – V.O.S.T.F.

    Interprétation: Anjelica Huston, Donal Mc Cann, Dan O'Herlihy, Helenan Caroll, Cathleen Delany, Ingrid Craigie, Frank Patterson Marie, Kean, Sean McClory....

  • The Intruder un film de Roger Corman

    The Intruder un film de Roger Corman

     

    Adam Cramer, est un beau gosse démagogue, rassurant pour les habitants de la ville de Caxton dans le Missouri. Mais, très vite, il va savoir exploiter l'opposition de la majorité de la population aux nouvelles lois intégrationnistes qui oblige le lycée de la cité à ouvrir ses portes aux élèves noirs. Qui fait la loi" demande-t'il? Est-ce cet État Fédéral lointain ou bien les habitants de la bourgade? Adam Cramer va enflammer la petite ville. Les gens du peuple modestes comme les riches propriétaires suivent le leader rebelle. Leur ignorance des lois et de l'histoire du pays les font adhérer sans réserve aux discours mensongers de Cramer.

    Ce film, produit et réalisé avec très peu d'argent par Roger Corman, est tourné en décors naturels dans une petite ville du Missouri, servi par une photographie en noir et blanc superbe signée par le chef-opérateur Taylor Byars. La mise en scène de Corman est efficace et moderne. C'est un film à l'os, sec et dur: cadres ciselés, travellings opératiques, montage abrupt, musique stridente, interprétation impeccable de tous les acteurs dont William Shatner qui joue le leader raciste Adam Cramer, Frank Maxwell excellent dans celui du journaliste Tom McDaniel, taraudé par le doute et sa conscience et Leo Gordon, qui se coule dans la peau de Sam Griffin, un homme du peuple, franc de caractère, humaniste et adepte de la vérité...

    The Intruder est un film d'exception dans la riche filmographie de Roger Corman. Producteur, acteur et cinéaste incontournable du cinéma indépendant américain, il tourne des adaptations très réussies des romans d’Edgar Poe (La Chute de la Maison Usher, (1960), La Chambre des tortures (1961), L'Empire de la terreur (1962) Le Corbeau (1963), Le Masque de la mort rouge (1964)…), avec les célèbres acteurs Vincent Price, Boris Karloff, Peter Lorre et le jeune Jack Nicholson, qui enchantent le public. La lecture de The Intruder roman homonyme de Charles Beaumont, un membre de son équipe de scénaristes, l’éveille à la cause intégrationniste défendue durant les années de la présidence de Kennedy.

    Le film est à la fois le portrait d’un leader charismatique et ambigu, porté par sa haine des noirs et des juifs, mu par ses pulsions sexuelles insatiables, et une vision noire d’une société américaine où la haine raciale et l'antisémitisme dominent. Seuls quelques habitants, le journaliste Tom McDaniel, légaliste, le directeur du lycée Mister Paton et surtout le représentant commerciale Sam Griffin vont s'opposer à Adam Cramer afin de sauver le jeune étudiant noir, Joey Greene, du lynchage.

    The Intruder est un véritable brûlot politique, un drame annoncé dès les premiers plans du film, un travelling fulgurant à bord d'un train où nous découvrons le personnage principal, suivi par l'arrivée de ce dernier à Caxton. Adam Cramer retire alors ses lunettes noires, son regard nous apparait, vif mêlant charme et inquiétante étrangeté. Le tragédie peut alors s'installer. Un film esthétique et politique majeur de l’œuvre de Roger Corman, connue par une partie des cinéphiles, mais dont la place dans l’histoire du cinéma hollywoodien est méconnue.

    Jacques Déniel

    The Intruder un film de Roger Corman – États-Unis – 1962 – V.O.S.T.F. - 1h24
    Interpétation: William Shatner (Adam Cramer), Frank Maxwell (Tom McDaniel), Beverly Lunsford (Ella McDaniel), Robert Emhardt (Verne Shipman), Leo Gordon (Sam Griffin), Charles Barnes (Joey Greene),Charles Beaumont (M. Paton)...

    En DVD et Blu-Ray aux Éditions Carlotta Films.

  • Tár un film de Todd Field

    Tár un film de Todd Field

     

    Depuis quelques jours, Tár est le film dont on parle, celui devant lequel de nombreux critiques cinématographiques ébahies se prosternent.

     

    Cate Blanchett est Lydia Tár, une des plus célèbres et grandissimes chef d’orchestre au monde, détentrice de tous les grands prix prestigieux. Le film débute par une discussion d’un haut niveau intellectuel où la maestro démontre ses connaissances, son génie musical et intellectuel ainsi que sa pertinence d'analyse.

     

    Cette habile introduction du personnage donne le ton du film. Nous sommes devant une fiction où tous les éléments sont des postulats. Un chef d'orchestre brillant, une femme intelligente, belle, impérieuse, lesbienne et père d'une petite fille avec une violoniste, une femme qui dirige tous les êtres qu'elle rencontre et qui très vite apparait comme une pure création du cinéaste Todd Field. Un être conceptuel et fictif, dénué de sentiments humains réels.

     

    La mise en scène au cordeau, froide, lisse et acérée est particulièrement rude dans une belle séquence drôle et crue se déroulant dans l’amphithéâtre d'une grande école de musique new-yorkaise, The Julliard School, où professeur invitée, Lydia Tár remet en place de fort belle manière un étudiant. Avec une intelligence redoutable et un sens inné de la répartie, elle cloue le bec au jeune élève insolent qui affirme haut et fort la grandeur de sa bêtise identitaire, genrée et totalitaire. Critiquant la musique de Jean Sébastien Bach, qu'il méprise pour sa supposée misogynie il fustige les compositeurs blancs, cisgenres, hétérosexuels. L’élève, perclus de certitudes, reçoit de la part de sa professeur une leçon de vie conclue par une réplique assassine - les architectes de vôtre âme semblent être les réseaux sociaux -, avant de quitter la salle de cours en balançant Vous êtes une vraie salope à sa professeur certes dure mais vive, supérieure et passionnée.

     

    Malheureusement, cette scène succulente de quelques minutes est aussi un postulat idéologique qui va permettre à l'auteur du film de passer de l'hagiographie à un récit critique bien-pensant de son héroïne trop intellectuelle, dominatrice et créative. Elle va très vite se retrouvée accusée – peut-être à juste titre – d'être une manipulatrice, de favoriser des élèves filles en échange de faveurs sexuelles. Elle paie ainsi l'intransigeance de son caractère, son intelligence et son génie..

     

    La virtuosité roide et la prétention de la mise en scène de Todd Field sont gratuites, vides et servent à imposer son univers scénaristique régi par des règles sociales, culturelles et politiques. Seuls, les acteurs et actrices sont excellents, et, surtout le jeu implacable, brillant, démesuré peut-être de Cate Blanchett, est d’une ampleur conséquente. Malgré ce talent, le personnage va se perdre, noyée par la dérive fantastique, absconse et ridicule de la dernière demi-heure et le final incroyablement sot et absurde qui clôt le film.

     

    Jacques Déniel

     

    Tár un film de Todd Field – Etats-Unis – 2022 – 2h38 - V.O.S.T.F.

    Interprétation: Cate Blanchett, Noémie Merlant, Nina Hoss, Sophie Kauer, Julian Glover, Mark Strong... sortie en salles de cinéma le 25 janvier.