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Une certaine idée du cinéma le blog de Jacques Déniel - Page 7

  • Le Cas Richard Jewell de Clint Eastwood

    Le Cas Richard Jewell de Clint Eastwood

    Un héros ordinaire



    Atalanta, pendant les Jeux Olympiques la fête bat son plein au concert de Jack Mack and the Heart Attack ce vendredi 26 juillet 1996 dans le Parc du Centenaire de la ville. Un agent de sécurité, Richard Jewell – interprété par l'exceptionnel Paul Walter Hauser –, obèse, réservé, patriote extrêmement consciencieux dans l'exécution de son travail, trouve un sac à dos abandonné au pied d'un banc près de la foule qui danse. Il prévient aussitôt la police et prend l’initiative des mesures élémentaires de sécurité qui permettent d’éviter un carnage lorsque la bombe explose. CNN, suivi par l'ensemble des médias américains en font un héros national.

    Trois jours plus tard, le vent tourne. Le FBI porte ses soupçons sur lui, découvre que cet homme méticuleux a un sens obsessionnel de la sécurité et que son "zèle", l'a forcé à quitter la police puis obligé à démissionner de son travail de vigile à l’université. Seul, desservi par un physique ingrat, il vit chez sa mère. Pour le Fédéral Bureau, il possède le profil psychologique du terroriste. Très vite, la presse change de ton et le condamne. Cet américain moyen et courageux voit sa vie et celle de sa mère Bobi Jewell (Kathy Bates, très émouvante) détruites.

    Depuis American Sniper (2014), Clint Eastwood s'intéresse aux histoires vrais et particulièrement à la vie de citoyens représentant l'Amérique profonde, des nowhere ayant intéressés les médias par leur destin de héros ordinaire. Sully (2016), le 15h17 pour Paris (2018) et Richard Jewell (2019), films splendides et exemplaires nous content l'histoire de ces hommes qui croient encore aux valeurs et aux institutions de leur pays. Des gens simples et honnêtes qui font leur travail et sauvent des vies au nom des idéaux de liberté, d'honneur et de bravoure qui appartiennent aux valeurs fondamentales des États-Unis.

    Grand défenseur de ces valeurs constitutives de la Nation américaine, Clint Eastwood confirme par ses films qu'il est un fervent défenseur des plus pauvres et des marginaux de la société. Comme John Ford, il s’avère un grand humaniste épris de liberté individuelle et d'admiration pour les héros populaires. Croyant profondément aux valeurs politiques et morales de son pays, il sait aussi en dénoncer les travers et les injustices.

    Le parcours édifiant de Richard Jewell, naïf et trop respectueux envers les autorités, héros médiatique jugé coupable par le FBI, en particulier par l'agent Tom Shaw (Jon Hamm), un homme méprisant et falot qui utilise sans vergogne des méthodes illégales pour obtenir des aveux, et, la presse de son pays, ne pouvait que le passionner Clint Eastwood. Il signe un film qui rend honneur et justice à ce garçon amoureux des institutions de son pays dont la vie a été ravagée par trois mois de calvaire malgré la défense efficace de son avocat Waston Bryant (le formidable Sam Rockwell) face aux manœuvres malhonnêtes du FBI et aux infamies des médias. Le cinéaste montre la bassesse de la presse qui se comporte comme une meute – semblable à la pègre qui juge l'assassin dans M le Maudit de Fritz Lang – en particulier contre le quotidien local, The Atlanta Journal-Constitution qui révèle le premier des informations sur l'affaire. Le 30 juillet 1996, la journaliste Kathy Scruggs (Olivia Wilde), arrogante, suffisante, en recherche de notoriété se croyant investit d'une mission de justicière (dérive malheureusement présente dans nos médias publics et privés et sur les résaux sociaux) écrit: «Richard Jewell, 33 ans, ancien membre des forces de l'ordre, correspond au profil du poseur de bombe solitaire. Ce profil inclut généralement un homme blanc frustré qui est un ancien policier, membre de l'armée ou personne souhaitant devenir policier qui cherche à devenir un héros. Jewell est devenu une célébrité à la suite de l'attentat (...).

    Eastwood dresse un réquisitoire sans appel contre les méthodes scandaleuses de la presse et les incompétences notoires du FBI dans cette affaire. Amoureux de son pays et des valeurs de l'Amérique de Lincoln, il sait être impitoyable contre les dérives contemporaines et les injustices qui blessent les américains ordinaires (comme John Ford dans Je n'ai pas tué Lincoln, lorsque le docteur Mudd, accusé à tort de complicité dans l'assassinat de Abraham Lincoln, prisonnier au bagne sur l'île de Shark Island où une épidémie de fièvre jaune fait rage, fait tirer sur le drapeau américain du bateau de l'armée refusant de livrer des vivres et médicaments au bagne). Le Cas Richard Jewell, film politique juste, sobre, âpre et cruel, servi par une mise en scène rigoureuse, aux cadres acérés et des comédiens, excellents, secs, tendus, drôles, touchants, pathétiques est une œuvre d'une grande beauté classique et d'une force émotionnelle intense.



    Jacques Déniel



    Le Cas Richard Jewell un film de Clint Eastwood

    États-Unis – 2019 – 2h10

    avec: Paul Walter Hauser, Sam Rockwell, Kathy Bates, Olivia Wilde, Jon Hamm, Nina Arienda...

  •  La Chute des hommes de Cheyenne-Marie Carron.

     La Chute des hommes de Cheyenne-Marie Carron.

    L'honneur d'une cinéaste.

    La Chute des hommes, le nouveau film de Cheyenne-Marie Carron vient de sortir en DVD et dans quelques cinémas assez courageux pour le programmer (à Paris; le Balzac).

    Cheyenne-Marie Carron, réalisatrice autodidacte et exigeante est décidément une cinéaste d'un courage et d'une lucidité sans égale dans le cinéma français contemporain. Avec une constance, une limpidité, une sincérité et une lucidité rare, portée par son catholicisme fervent et humaniste, elle traite films après films des thèmes et des sujets controversés et à risque: sexualité, problèmes d'intégrations, foi, conversion, islamisme... qui ne peut que forcer l'admiration.

    La Chute des hommes, est à la fois un film tragique, sobre, intense, juste qui raconte l'histoire terrifiante de Lucie, une jeune fille libre et insouciante, quelque peu naïve, bohème et inconsciente, passionnée de parfum et de culture orientale. Elle est issue d'une famille aisée où la mère est ukrainienne, catholique orthodoxe et le père païen. Elle part en voyages d'études dans un pays du Moyen Orient où son destin croise ceux de Younes, un chauffeur de taxi pauvre et désemparé qui la livre à des islamistes et d'Abou Abdel Rachid, l'un des djihadistes venu de France… Livrée par Younés aux mains d'un groupe islamiste, elle va affronter un univers de fureur et de violence .

    Tourné en banlieue parisienne avec peu de moyens que la cinéaste transforme en atouts de mise en scène pleins d'audaces et de libertés formelles et intellectuelles rares, le film s'avère d'une force inouïe et salutaire. Très vite nous comprenons que nous ne sommes pas au Moyen Orient mais en France (banlieue parisienne reconnaissable, arbres et espaces sablonneux typique de la forêt de Fontainebleau, cabane de bois de type canadien ou ukrainien...) mais cela ne gène rien la crédibilité ni du film. Le Moyen Orient de Cheyenne Carron est aussi vrai que l'Inde de Marguerite Duras (India Song). Faisant abstraction de la vraisemblance des paysages nous sommes complètement bouleversés par la violence féroce et terrifiante des actes ainsi que par les propos et imprécations fanatiques des hommes.

    Avec un grand sens du récit Cheyenne-Marie Carron élabore son histoire en trois actes qui nous montrent les visions différentes des faits à travers le regard des trois personnages principaux Lucie, effarée mais résistante, Younés rongé par les ressentiments, les remords, la peur de perdre son épouse et Abou Abdel Rachid, membre djihadiste en quête de sa vérité et de sa justice. Une trame pertinente qui permet de comprendre les sentiments, les certitudes et incertitudes, les lâchetés et bassesses, les peurs de chacun des personnages.

    La Chute des hommes est un grand film politique sur l'islamisme radical et la terreur qu'il fait régner sur le monde, les femmes. Un manifeste courageux contre le totalitarisme en marche, sa folie, sa cruauté, ... un film où les femmes résistent face à la violence inouïe des hommes (leur insignifiance pathétique et dérisoire!). Formidable scène où l'épouse de Younés se rebelle et lui tient tête, refusant de se voiler et finissant par se mettre complètement nue après lui avoir dit « Je ne veux plus me couvrir, si tu m'aimais, tu me donnerais de la liberté, tu m'emmènerais dans une démocratie ». Magnifique résistance de Lucie, sachant que sa mort approche, criant au visage d'Abou Abdel Rachid qui veut lui faire abjurer sa religion que lui et ses semblables ne pourront jamais la changer, et qu'en fait ils ne sont rien.

    Les actes cruels et violents ainsi que les discussions sur l'Islam sont d'une justesse saisissante, tétanisante: mains coupées, exécutions sommaires, égorgements rythmés par les cris durs et rauques Allahou akbar, inchallah, propos terrifiants du chef du groupe sur l'universalité du djihad et de la domination islamique à venir dans le monde.

    Un film qui affirme la force de sa foi et de son amour contre la haine et l'horreur. Dans la scène finale l'amour de Marie, mère de Jésus conduit à la rédemption Abou Abdel Rachid le jeune français converti à l'islam radical. Un film de lutte contre le mal et le diable. Mais comme le dit Jean dans son évangile le vent souffle où il veut. Cheyenne Carron nomme bien les choses, dit ce qu'elle voit et voit ce qu'elle voit, une qualité essentielle et absolument nécessaire pour tout cinéaste qui se respecte. Par la force de son propos, le courage de ces convictions, l'humanisme de sa foi, l'intelligence et la beauté de sa mise en scène, elle fait honneur au cinéma français.

    Jacques Déniel - 12 décembre 2016

    La Chute des hommes, un film de Cheyenne-Marie Carron – France – 2016 – 2h20. Interprétation: Laure Lochet, Nouamen Maamar, François Pouron, Sofia Manousha, Diane Boucai...

    Le DVD est en vente sur le site de Cheyenne-Marie Carron www.cheyennecarron.com

  • Patries, Le cinéma de Cheyenne-Marie Carron

    Le cinéma de Cheyenne-Marie Carron

    Une œuvre dérangeante et occultée

    Au moment où sort un coffret regroupant six films de Cheyenne-Marie Carron, il est important de revenir sur le parcours ce cette jeune cinéaste talentueuse et sur son nouveau film Patries qui n’est malheureusement sorti que dans une seule salle à Paris, le Balzac 1. Depuis plus de dix ans, Cheyenne-Marie Carron tourne des films inventifs et très personnels, à des années-lumière de la médiocrité de la plupart des productions françaises contemporaines. Lorsque j’ai vu son beau film La Fille publique (2013) qui raconte sa propre histoire, j’ai pensé qu’une cinéaste qui osait afficher au mur de la chambre de son personnage principal, Yasmine, une fille de l’assistance publique, un drapeau français et une affiche de La 317éme section était une jeune femme qui n’avait pas froid aux yeux.

    Après avoir réalisé L’Apôtre (2013), film sidérant, rempli d’audace tant du point de vue scénaristique que du point de vue formel, qui raconte l’histoire de la conversion d’un jeune homme musulman au catholicisme, Cheyenne-Marie Carron affronte avec Patries la  question du racisme et de l’appartenance. Patries est l’histoire de Sébastien, un jeune garçon blanc qui emménage avec ses parents dans une banlieue parisienne composée de petits pavillons et de barres d’immeubles, majoritairement habitée par une population issue de l’immigration africaine. Sébastien, ouvert, vif et curieux mais aussi fier et têtu se comporte sans aucun préjugé. Il veut se faire de nouveaux amis comme il en avait en province. Il rencontre Pierre, un jeune garçon noir, un peu perdu, avec qui il sympathise très vite. Tous deux arpentent le quartier en plaisantant, en discutant, en se charriant , à pied ou en skate board, ce qui donne l’occasion de splendides travelling. Mais très vite l’idylle se gâte lorsque Pierre présente Sébastien à ses potes africains. Mamadou, un colosse fier et arrogant, refuse de le saluer parce qu’il est blanc, entrainant dans son sillage certains des autres jeunes gens. Mais Sébastien est déterminé à se faire adopter par le groupe des jeunes noirs. La scène où il va jouer au football avec eux est l’une des plus belles du film : tout en tirant au but, un à un les jeunes hommes noirs se mettent torse nu, révélant la beauté de leur corps, comme des sculptures d’ébène. Sébastien, à son tour, enlève son chandail et malgré son allure sportive, semble gringalet tant sa peau d’albâtre – dévoilant des tatouages, croix pour l’appartenance au christianisme et chiffres rappelant étrangement ceux des juifs dans les camps nazis – le désigne comme un intrus.

    Mais le pire est à venir. Sébastien est témoin d’un accident : Mamadou et son ami renversent avec leur moto un homme blanc et s’enfuient. Quand l’affaire s’ébruite, Mamadou et sa bande, croyant que c’est Sébastien qui a parlé – en fait c’était Pierre – rouent de coups le jeune Blanc. Au terme de son chemin de croix, dans une séquence doloriste portée par la beauté des chants et de la musique de l’Anima Christi, Sébastien rentre chez lui, portant sur son corps les stigmates de la violence raciste.

    Alors s’ouvre un deuxième chapitre du film où l’on suit les rapports de Pierre avec sa mère et ses deux sœurs. Cheyenne-Marie Carron filme avec amour et tendresse cette famille originaire du Cameroun que fait vivre avec une volonté exemplaire la mère, Victoria, parfaitement intégrée dans la société française comme le sont les deux sœurs, dont l’une attend un enfant d’un jeune homme blanc. Les scènes de repas et de discussions entre eux ou avec leur voisine, abordant les questions de double appartenance, de sexisme, d’amour de son pays, de sa patrie, ou de celui qui les accueille, de la possibilité ou non du vivre ensemble, de voyages et de différences culturelles, sont traitées avec intelligence, finesse et un profond respect des convictions de chaque personnage, donnant à ce film audacieux et courageux un contenu politique sans ambigüité.

    Il n’y a que deux solutions possibles : l’intégration réussie dans la nouvelle patrie ou le retour volontaire dans le pays d’origine 2. Ce choix, personnel et profond, dépend des personnes concernées et non pas de telle ou telle politique. C’est ainsi que Pierre décide de regagner son pays d’origine pour y vivre, travailler et y bâtir sa vie. Avant de partir pour le Cameroun, soutenu par tous, il vient demander pardon à Sébastien qui sort de son isolement et retrouve la bande de Mamadou en s’imposant, sur le terrain de football.

    Cheyenne-Marie Carron, elle, s’impose comme une cinéaste à la fois implacable – elle ne laisse rien passer des comportements racistes ou machistes du groupe ou de Pierre, ni du ressentiment de Sébastien – et charitable à travers l’amour et la tendresse de son regard sur Pierre et sa famille, ainsi que sur la petite bande, dans ces belles scènes justes et drôles où ils parlent de football.

    Jacques Déniel

    Patries de Cheyenne-Marie Carron, avec Jackee Toto, Augustin Raguenet, Sylvia Homawoo, Sandrine Salyeres.

  • Une femme dont on parle (Uwasa no onna) de Kenji Mizoguchi

    Une femme dont on parle (Uwasa no onna) de Kenji Mizoguchi

     

    Souffrance des femmes, vacuité des hommes, désastre des âmes.

     

    1954 est une année riche et faste de la fin de carrière de Kenji Mizoguchi. Il tourne trois longs-métrages, trois chefs d’œuvres. Deux sublimes films en costumes L’intendant Sansho (Sanshô dayû) Lion d’argent au festival de cinéma de Venise en 1954) et Les Amants crucifiés (Chikamatsu monogatari) Lion d’argent en 1955 à Venise) puis un film dont l'action se déroule dans les années cinquante, Une femme dont on parle (Uwasa no onna – 1954), un mélodrame sec et tendu qui se situe dans les quartiers de la prostitution - comme Les Sœurs de Gion (Gion no shimai - 1936),- Les Femmes de la nuit (Yoru no onnatachi - 1948), - La Fête de Gion (Gion bayashi -1953) ou La Rue de la honte (Akasen chitai - 1956), où alcools, mets et gourmandises de bouche, plaisirs et débauches sexuels sont consommés par des hommes argentés veules, vulgaires et grotesques.

     

    Le film décrit cet univers de la nuit avec une grande acuité documentaire et une force fictionnelle sans pareille. Sexe, argent, relation de pouvoir et de domination sont montrés sans aucune complaisance. Mizoguchi filme avec grande tendresse et justesse la vie de ces femmes dans la société japonaise de l’après-guerre. La maison de plaisir est dirigée par une patronne fière et rigoureuse, Hatsuko Mabuchi très exigeante avec ses geishas. Sa fille Yukiko Mabuchi, élevée loin de ce monde grâce à l'argent gagné par l'exploitation des prostituées est une jeune femme moderne vêtue à l’occidentale. Port altier, beau visage et cheveux courts, elle exècre cette profession. Impressionnante et décidée, elle est révoltée par les souffrances des filles et écœurée par la stupidité et la pleutrerie des clients.

     

    Un même homme, Kenji Matoba, le médecin qui soigne les geishas, élégant et séduisant mais failli et sans grande force de caractère va être l'objet du désir amoureux de la mère et de la fille. Dès lors, s’installe un mélodrame amoureux cruel et implacable, doublé d'un mélodrame social centré sur les conditions de vie des filles de joie. Prenant conscience de la misère sociale des filles de la maison en constatant la maladie et le décès par cancer d'une geisha, la fille de la patronne s'occupe avec beaucoup de tendresse et d'humanité de ses femmes perdues. Elle va les écouter, les soigner et finalement reprendre avec un réel appétit la direction de la maison de plaisir après les malaises sentimentaux de sa mère. Le film se clôt, le temps passe, sexe et amour, argent et misère vont continuer d’alimenter et perturber la vie des femmes et des hommes.

     

    L’immense Kinuyo Tanaka dont c'était la quatorzième collaboration avec Mizoguchi est une fois de plus superbe et majestueuse dans le rôle de Hatsuko, mère et femme d’affaires prospère qui n'a guère d'états d’âmes mais que son amour passionné et intéressé pour le jeune médecin – un homme qu'elle aimerait façonner à son idée - va plonger dans une crise de jalousie et de désespoir amoureux. De même, Yoshiko Kuga, actrice venue du cinéma de Mikio Naruse l’éveil du printemps (Haru no mezame - 1947) ou d’Akira Kurosawa l’idiot (Hakuchi - 1951), donne avec une grande pertinence vie à Yukiko, la jeune femme moderne qui va renoncer à vivre différemment.

     

    Comme toujours chez Kenji Mizoguchi, les figures féminines font l’objet d’une attention affectueuse, toutes les geishas sont filmées avec précision, soin et amour. Le grand maître du classicisme atteint des sommets de virtuosité dans sa mise en scène discrète entièrement au service du récit inscrit dans le temps et l'espace avec une rigueur absolue.

     

    En témoigne la splendide scène, où la mère, Hatsuko, surprend le médecin qu'elle aime avec sa fille après être sortie de la salle pendant une représentation de Nô où elle souffrait devant le spectacle d’une femme âgée moquée parce qu’éprise d’un homme plus jeune. Organisée autour d’une cloison séparant en deux l’espace du logis, la mise en scène laisse apparaitre Hatsuko même quand elle n'est pas au centre de l’image. Cachée derrière la cloison, elle observe le couple et le regard des spectateurs converge inévitablement vers elle. Une femme dont on parle est un mélodrame bouleversant, un grand film humaniste, résolument du côté des femmes mais ne condamnant jamais ni les bassesses morales et veuleries des clients ni les faiblesses et les failles du jeune médecin. L’art de Mizoguchi est de montrer par l’évidence de sa mise en scène, la souffrance des femmes, la vacuité des hommes, le désastre des âmes. Du grand art cinématographique.

     

    Jacques Déniel

     

    Une femme dont on parle (Uwasa no onna)

    Un film de Kenji Mizoguchi – Japon – 1954 – 1h24 – V.O.S.T.F.

    Interprétation : Kinuyo Tanaka, Tomoemon Ôtani, Yoshiko Kuga, Eitaro Shindo, Haruo Tanaka…

     

    Sortie seul en Blu-ray et DVD restauré distribué par les Editions Capricci ainsi que dans un coffret de 8 films du cinéaste (Miss Oyu , Les Contes de la lune vague après la pluie, Les Musiciens de Gio, L'ntendant Sansho, Une femme dont on parle, Les Amants crucifiés, L'Impératrice Yang Kwei-Fei, La Rue de la honte).



  • Vaincre ou Mourir de Vincent Mottez et Paul Mignot

    Vaincre ou Mourir de Vincent Mottez et Paul Mignot

    Pour Dieu et le Roi


    Contrairement à ce que de nombreux internautes et organes de presse papier ou virtuel - n'ayant pour une part conséquente d'entre-eux pas été voir le film - ont voulu faire croire au public par un dénigrement idéologique et esthétique systématique du film, affirmant que l’œuvre était ratée, nulle, mensongère... n'hésitant pas à nier la réalité des faits historiques, évoqués,
    Vaincre ou mourir de Vincent Mottez et Paul Mignot est une réussite, un beau film. Ce film a le mérite de rappeler les principales composantes de la contre révolution vendéenne, sujet qu'il ne faut surtout pas aborder de nos jours.

     

    Produit par le Puy du Fou avec des moyens modestes, soutenu par Canal Plus et sorti sur les écrans de cinéma de France avec courage par le distributeur Sage Films, le film bénéficie d'un vrai succès populaire. En Quinze jours, 205 848 spectateurs sont allés le voir et l'ont pour la plupart beaucoup aimé.

     

    Retiré dans son domaine en Vendée, oisif et amer, le jeune Charette, appelé par les paysans et ouvriers luttant contre les injustices mises en place par la Convention, devient un chef charismatique et un fin stratège sur les champs de bataille. Il dirige avec ardeur, un grand sens de l'honneur et de la gloire, sa troupe de femmes, de jeunes et de vieux hommes, d'adolescents et d'enfants, une armée qu'il a rendu combative, redoutable et insaisissable. Ils mènent un combat pour la liberté, rude, violent, âpre qui finira dans le sang. Des milliers de Vendéens sont tués sur les champs de bataille ou dans les multiples échauffourées mais aussi massacrés par les troupes de la République, de la Terreur. Hommes, femmes et enfants sont éventrés, guillotinés ou jetés dans la Loire à Nantes.

     

    Toutes les scènes de batailles et de confrontations politiques sont efficaces et très bien mises en scène, interprétées par des acteurs et actrices convaincus et convaincants, en particulier Hugo Becker qui joue le rôle de François-Athanase Charette de La Contrie. Il sait donner de l'allant et de la ferveur à ce personnage vrai héros de la contre-révolution digne gradé de la Marine Royale, il avait participé au soutien de la France à La Fayette lors de la création des États-Unis. Sa bravoure et son sens tactique lui permet de gagner des batailles et de mener la vie dure aux troupes de l'armée républicaine. Mais le combat est inégal, les Chouans devront se rendre.

     

    Vaincre ou mourir nous permet de voir sur grand écran un épisode de l''Histoire de France peu glorieux où l'idéal révolutionnaire permit des crimes impardonnables en massacrant des hommes et des femmes d'honneur qui se battaient pour Dieu et le Roi.



    Jacques Déniel

    Vaincre ou Mourir de Vincent Mottez et Paul Mignot

    France – 2022 – 1h40

    Interprétation: Hugo Becker, Rod Paradot, Gilles Cohen, Jean-Hugues Anglade, Grégory Fitoussi, Constance Gay, Francis Renaud, Anne Serra…

  • Léon Morin prêtre de Jean-Pierre Melville

    Figures de prêtres au cinéma

    Léon Morin prêtre de Jean-Pierre Melville

     

    Deux âmes à l’épreuve

     

    Longtemps hanté par les événements et le poids de la Seconde Guerre mondiale, Melville est un cinéaste du conflit entre raison et foi, ou entre volonté et obligation.

     

    Une petite ville de province pendant la guerre, occupée par l’armée italienne, puis allemande. La vie continue de s’y dérouler, avec ses difficultés et ses angoisses. Une jeune femme, Barny, qu’interprète la formidable Emmanuelle Riva, travaille dans un service d’enseignement par correspondance. Elle est correctrice et aime lire. Sympathisante communiste et athée, elle se donne pour défi de provoquer un prêtre par son rejet profond de la religion. Elle entre dans le confessionnal, mais décontenancée par l’attitude calme et très ouverte du prêtre – joué par un Jean-Paul Belmondo excellent et très séduisant –, elle consent à se rendre chez lui pour parler de la foi, et elle accepte les ouvrages qu’il lui conseille de lire.

     

    On pourrait penser qu’avec ce film on est très éloigné du style de Melville, de ses idées sur le cinéma, de l’univers du film noir. Mais plusieurs éléments prouvent que Léon Morin, prêtre s’inscrit pleinement dans la filmographie de l’homme au Stetson. Ainsi la présence de la Seconde Guerre mondiale : le premier film de Jean-Pierre Melville, le Silence de la mer, ainsi que deux autres, Léon Morin, prêtre et l’Armée des ombres, se déroulent durant la guerre, période dramatique de l’histoire mondiale ; et l’on peut considérer sans craindre de se tromper que l’Armée des ombres, son chef-d’œuvre, est le centre brûlant de toute sa production. Dans ces trois films, la guerre est présente surtout par les sons et les paysages qui en définissent le fond temporel et le fond politique. Le silence des couvre-feux et le bruit des bottes de l’occupant sont les signifiants sonores du conflit. Le choix de mettre en scène la campagne comme lieu prégnant des combats renforce ce parti pris. Si elle est moins au centre de l’action dans Léon Morin, prêtre, la guerre y sévit durant tout le déroulement du récit ; même si elle semble souvent réduite à une toile de fond peu visible, elle occupe néanmoins une place importante du point de vue philosophique et spirituel. La forte personnalité du prêtre, ferme dans ses positions face aux attaques incisives de Barny, nous fait penser à la fois aux codes moraux et de conduite des résistants de l’Armée des ombres, et aux codes d’honneur des truands des films noirs du cinéaste.

     

    Comme dans Quand tu liras cette lettre et le Silence de la mer, Melville se montre sobre, voire ascétique dans sa mise en scène. Les scènes sont brèves, tranchées et d’une rigueur qui laisse place à toute la force spirituelle et politique des échanges philosophiques entre Barny et Léon Morin. Le cinéaste focalise son attention sur les échanges verbaux de ses deux personnages ; il se préoccupe de la fluctuation de leur conscience, de leurs pulsions internes. Léon Morin et Barny développent, au fil de leurs conversations, une haute idée de la foi, bien sûr, mais bien plus encore de l’être humain. Comment, dans une période de guerre monstrueuse, de collaboration – patente ou larvée – d’hommes et de femmes, de stigmatisation des Juifs – ainsi le vieux professeur qui doit quitter la société où travaille Barny, étant donné les menaces qui pèsent sur les Juifs en territoire occupé –, un homme et une femme, par la force et la droiture de leur pensée et de leur comportement, résistent-ils à la déchéance du monde ? Que perdraient-ils tous deux, si Léon Morin aimait (physiquement) Barny ? Vraisemblablement, ils ne seraient plus que deux êtres qui s’aiment égoïstement, insensibles à la douleur du monde. Morin ne serait plus prêtre, il redeviendrait un homme ordinaire et Barny, une femme comme les autres. Leur amour perdrait de sa force spirituelle et ne s’afficherait plus comme l’insolente réponse catholique et humaniste face à la barbarie. Si la guerre permet la rencontre de cet homme et cette femme, elle leur donne surtout la possibilité de se définir comme résistants face à l’horreur et à la banalité triviale de la société française pendant la Seconde Guerre mondiale.

     

    Si dans ses films noirs l’univers de Jean-Pierre Melville est un univers d’hommes, les trois films sur fond de guerre déjà cités, ainsi que les Enfants terribles, donnent aux femmes une place et une présence forte et déterminante pour le déroulement de l’action, et bien plus encore pour l’affirmation d’une ligne de conduite morale. Barny est, tout autant que Léon Morin, un personnage central du film. Emmanuelle Riva, naïve et rebelle, maladroitement manipulatrice, pleine de désir pour l’insolente beauté de l’ecclésiastique, est exceptionnelle de naturel et de grâce face à Jean-Paul Belmondo, prêtre aux réactions souvent non conformistes. Un prêtre cependant ancré dans la fermeté et la grandeur de sa foi qui lui permet d’être le confesseur, le psychologue, l’enseignant et le confident troublant, mais tout autant troublé, de cette femme qui s’oppose et résiste à ses certitudes intellectuelles.

     

    Il est donc évident que ce qui intéresse ici Melville n’est pas en premier lieu la guerre, ni la position des personnages principaux face au conflit. La guerre est présente et agit sur les conduites (Barny : « Nos actions sont dominées par les circonstances »), mais elle n’a pas vraiment prise sur l’action. On aperçoit des troupes et des commandos d’officiers, on entend surtout des bruits de bottes, de chars… et plusieurs dialogues font référence à la situation. Mais Melville s’intéresse plus à l’âme humaine et au comportement des hommes qu’aux actes engendrés par la guerre.

     

    La grande force de Léon Morin, prêtre est la rencontre absolue – sans la perte qu’entraînent nécessairement tout amour physique et les exacerbations du désir – entre deux êtres à la magnificence physique et spirituelle forte. C’est à la fois l’histoire d’un cheminement spirituel, la découverte progressive, par une âme simple, habitant le corps d’une jolie femme fière et insoumise, de l’un des sentiers qui conduisent vers la découverte du Dieu intérieur, et celle du maintien dans la certitude de sa foi d’un prêtre, porté par ses croyances et, paradoxalement, par ses doutes face à l’incarnation possible d’un amour humain fort et digne. Ce n’est pas entre sa foi et l’amour qu’il porte à Barny que le prêtre doit choisir, mais entre son vœu de chasteté et le désir qu’il ressent pour cette femme, entre un devoir et un appel.

     

    La maîtrise du film réside dans la mise en scène implacable du cheminement de ces deux personnages. Une rigueur sobre, âpre, mêlée à une sensualité couvant sous la glace, mais brûlante, entoure les déplacements, les gestes et les dialogues. Rigueur et sensualité, on pense à Bresson. Léon Morin, prêtre, Quand tu liras cette lettre, le Silence de la mer, Un flic, voilà des films qui rapprochent fortement les deux cinéastes. Beauté de l’âme et des corps alliée à une mise en scène de l’épure sont les composants du « cinématographe ». En filmant le destin de ces deux êtres avec une haute idée morale du cinéma, Jean-Pierre Melville livre une œuvre d’une grande portée philosophique et spirituelle. Résister, nous dit-il, c’est justement faire que nos actes soient en accord avec nos pensées et non dictés ou dominés par les circonstances. En somme, Léon Morin, prêtre est une ode austère et flamboyante à un humanisme religieux.

    Jacques Déniel

    Léon Morin prêtre de Jean-Pierre Melville

    France – 1961 – 1h57 d'après le roman de Béatrice Beckx

    Interprétation: Emmanuelle Riva, Jean-Paul Belmondo, Irène Tunc, Nicole Mirel, Gisèle Grimm...