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  • Saint Omer d'Alice Diop

    Saint Omer d'Alice Diop

     

    Saint Omer d'Alice Diop est une fiction qui nous parle de l'affaire Fabienne Kabou, cette jeune femme noire, intelligente qui avait commis un infanticide en abandonnant son bébé de nuit sur la plage de Berck-sur mer en 2013.

    Pour tourner son premier film de fiction, Alice Diop, - cinéaste reconnue, elle a tourné plusieurs films La Mort de Danton (2011), Vers la tendresse (2016), Nous (2021)... -, fascinée par la personne de Fabienne Kabou, décide de mettre en scène le procès et de le faire suivre par son double fictionnel : Rama, une jeune romancière noire de peau, enceinte, interprétée de manière appuyée par Kayije Kagamé. Un personnage qui se pose des questions ambivalentes sur sa maternité et s'interroge la place qu'elle occupe dans la société française.



    Rama se rend à Saint Omer et assiste au procès de l’accusée. Cette dernière (renommée Laurence Coly), est accusée d’avoir tué sa fille de quinze mois en l’abandonnant à la marée montante sur une plage du nord de la France. L'écrivain sent ses repères vaciller et éprouve une empathie énigmatique pour cette jeune étudiante de philosophie brillante qui s’exprime dans une langue châtiée et qui n'arrive pas à expliquer son geste criminel sauf par les égarements d'une dépression et par les influences mystérieuse de la sorcellerie et du maraboutage.



    Le film débute par un cours de littérature que Rama donne à ses étudiants, confrontant le récit de la femme tondue, inventé par Marguerite Duras dans le film Hiroshima, mon amour d'Alain Resnais, à des images d’archives de la Libération, et explicitant sa problématique: "comment l’auteure met sa puissance de narration au service d’une sublimation du réel."



    En quelques plans, les enjeux de Saint Omer sont posés: la défense de cette femme noire coupable d'infanticide et à travers elle, la défense de toutes les femmes. Alice Diop convoquera plus tard dans sa fiction, le film, Médée de Pier Paolo Pasolini (adaptation de la version du mythe Grec par Euripide) pour appuyer sa thèse sur les femmes invisibles chimères. Toutes les scènes consacrées à Rama, écrivain(e) très actuelle et l'intellectualisation artificielle de cette histoire véridique, sont ratées, ridicules et superfétatoires.



    En revanche dés que nous pénétrons dans le le cadre du procès, le film prend de la distance et de la hauteur, une vraie dimension d'une beauté cinématographique indéniable. Les scènes de procès possèdent une justesse incroyable due à la force et la fragilité de prise de parole de chaque personnage. La sobriété de la mise en scène, la rigueur des cadres, la durée des plans, et le jeu des comédiens (Valérie Dréville, Aurélia Petit, Xavier Maly, Robert Cantarella...), tous excellents y concourent. Guslagie Malanda formidable, donne au personnage de Laurence Coly, la mère, présente et absente de son procès, profondeur et complexité par sa parole simple et son attitude digne et perdue. Elle n'a aucune explication rationnelle à donner à son geste meurtrier.



    Malheureusement, la cinéaste nous donne ses explications: Les hommes sont dépeints - ceux qui procèdent aux tontes-, les proches de l’accusée et surtout l’avocat général - bras armé de la justice punitive - comme participant à un système toxique. Puis lorsque vient le moment de la plaidoirie de l’avocate de la défense, Alice Diop, film avec empathie l'avocate qui ne reprend nullement les arguments de Maître Fabienne Roy-Nansion, l'avocate de Fabienne Kabou - à part sur la folie de sa cliente - mais développe un discours emphatique sur la condition des femmes, des filles et des mères toutes des invisibles, des chimères monstrueuses mais très humaines. Des plans sur le public, les jurés, la cour... émus achèvent cette symphonie dont le but est de gagner le cœur et la raison du public. De nous rendre cette femme sublime, forcément sublime (1). Sainte mère comme nous le dit sans état d'âme Fernando Ganzo dans les Cahiers du Cinéma du mois de novembre 2022. Dommage, nous aurions pu voir un immense film de procès qui sonde les mystères de l'âme humaine au lieu d'un film édifiant qui enchante dans le consensus général toute la presse de France et de Navarre.

    Jacques Déniel



    (1) Sublime, forcément sublime Christine V. » est un texte de Marguerite Duras publié le 17 juillet 1985 dans le journal Libération à propos de l'affaire Grégory.



    Saint Omer d'Alice Diop

    France – 2022 – 2h02

    Interprétation: Guslagie Malanda, Kayije Kagamé, Valérie Dréville, Aurélia Petit, Xavier Maly, Robert Cantarella...

    Sortie sur les écrans: 23 novembre 2022

  • Dieu est mort (The Fugitive) un film de John Ford

    Dieu est mort (The Fugitive) un film de John Ford

     

    L’amour est plus fort que la mort

     

    Continuant, dans mon confinement, mon exploration de la figure du prêtre au cinéma, je viens de revoir Dieu est mort un film qui compte très peu de défenseurs et beaucoup de contempteurs. John Ford, l'aimait beaucoup. Il déclare, dans un entretien: « J’ai eu exactement le résultat que je voulais. Voilà pourquoi c’est l’un de mes films ­préférés. Pour moi, il est parfait. Malheureusement, il n’a pas eu de succès. Les critiques se sont jetés dessus et le public n’a pas suivi. Malgré cela, j’étais très fier de mon travail. » (1)

    Le film, adapté du roman de Graham Greene, La Puissance et la gloire (1940) par John Ford et son scénariste Dudley Nichols est une œuvre passionnante, d’une grande richesse artistique et intellectuelle, un grand film moral, spirituel et humaniste, une fable politique et et une parabole spirituelle, empreint d’un sens aigu de la mise en scène et d’une beauté formelle et picturale qui fait réfléchir sur la politique, la foi, l’idée de Nation et de Peuple. Il est en accord parfait avec la pensée philosophique, politique et spirituelle et républicaine de Ford. Une philosophie humaniste – hantée par la lutte du bien et du mal – qui pense que la lente et dure édification de la Nation et de la communauté humaine doit se bâtir sur la connaissance et la culture, la foi, le sens des valeurs de la famille et la défense des pauvres et des opprimés, du peuple.

    Les évènements se déroulent dans un pays imaginaire vivant sous le joug d’un régime totalitaire qui veut éradiquer la religion catholique pour le bonheur du peuple. Cette situation politique rappelle à la fois le nazisme et son côté néo-païen – John Ford, patriote convaincu sort de ses années d’engagement comme cinéaste des armées et a connu de près l’horreur de la guerre contre le fascisme (2) – et les dictatures communistes anticléricales. Tourné en 1946-1947, le film rappelle aussi les persécutions terribles que subirent les catholiques au Mexique de 1858 à 1861, et à partir de 1926. (3)

    La parabole christique est inscrite dans le récit dès le début. Le prêtre (Henry Fonda, excellent), gravit à dos d’âne une colline où se découpe une église rayonnante de lumière. Il se dirige vers les portes. Puis, nous sommes à l’intérieur de l’édifice sombre, les portes s’ouvrent, et la silhouette du prêtre, les bras en croix, poussant les battants, se découpe dans la lumière vive venant de l’extérieur. La figure christique est clairement annoncée. Nous allons assister au calvaire d’un homme. Le curé s’agenouille avec humilité – à la fois humble serviteur du Christ et prêtre orgueilleux investi d’une mission – puis pénètre dans le chœur de l’édifice, s’approchant d’une fenêtre ovale au vitrail brisé d’où jaillit la lumière de la puissance divine qui le désigne comme envoyé de Dieu. Alors apparaît une femme, debout dans un halo de lumière violente. Elle porte un enfant dans ses bras, sorte de Vierge Marie. Le dialogue entre les deux personnages confirme que les catholiques sont persécutés, qu’il n’y a plus ni prêtres ni églises dans le pays, que les nouveau-nés n’ont pas été baptisés. La jeune femme, Maria Dolores (sublime Dolores del Rio), endosse leurs souffrances, comme Marie. Mais très vite, par son comportement (elle s’agenouille et baise la main du prêtre), et par les propos échangés, nous comprenons qu’elle représente aussi la figure biblique de Marie-Madeleine, pécheresse et Sainte.

    La lumière du chef-opérateur Gabriel Figueroa (4), jouant sur la confrontation de noirs et blancs très contrastés et la musique de Richard Hageman, composée comme un véritable oratorio d’une grande force opératique amplifient le sentiment de puissance et de gloire qui se dégage de toute la scène.

    La fable politique s’inscrit lors de la première apparition du lieutenant de police (l’impressionnant Pedro Armendariz), dans la caserne de Puerto Grande, où de pauvres paysans et ouvriers, arrêtés, tremblent de peur devant le représentant du pouvoir. Jamais, au cours du film, John Ford n’indique s'il s'agit d'une dictature fasciste ou communiste .Le sigle du régime figurant sur la casquette ou les brassards des policiers représente un poing tenant une flèche (signe ostentatoire de nombreux partis fascisants, mais aussi communistes durant le Front populaire) qui n’est pas sans rappeler le poing tenant le fléau qui soufflette le Christ dans les peintures et fresques religieuses comme celles de Fra Angelico au couvent San Marco de Florence. Le cinéaste laisse planer le doute, renforçant ainsi sa critique de tout régime totalitaire, à l’inverse du roman de Graham Greene, où la présence de chemises rouges servant le régime est très significative. La séquence de l’arrivée de la police à la recherche du dernier curé, dans le village de Maria Dolores, est d’une violence inouïe, les cavaliers arrivent au galop en hurlant, piétinent les champs, renversent et détruisent les étals des paysans et artisans sur le marché. Le peuple violenté et dominé, la civilisation et la Nation sont niées, bafouées par la barbarie.

    La dernière séquence de The Fugitive conclut cette parabole biblique et politique. Le prêtre, ayant reçu un crucifix en bois des mains de Marie-Madeleine/Maria Dolores, gravit des escaliers, entouré par ses gardes, pour atteindre le sommet de la ville où il sera fusillé. Alternant ces plans avec ceux d’une foule en prière dans une église et ceux du lieutenant rongé par la culpabilité lorsqu’il entend les coups de feu de la mise à mort, le cinéaste donne à voir la grandeur humaine de la mort du prêtre et la force spirituelle de rachat, de rédemption de ce sacrifice. La condamnation totalitaire a frappé, mais le courage de la résistance et la foi en Dieu peuvent vaincre. Dans le dernier plan, le peuple priant, réuni dans l’église, voit les portes s’ouvrir et un nouveau prêtre entrer. L’amour est plus fort que la mort.

    Jacques Déniel

     

    Dieu est mort (The Fugitive) un film de John Ford

    États-Unis – 1947 – 1h44 – noir et blanc – V.O.S.T.F.

    Interprétation: Henry Fonda, Pedro Armendariz, Dolorès del Rio

    DVD éditions Montparnasse

     

    Notes

     

    1. Peter Bogdanovich, John Ford, Edilig, Paris, 1968.

    2. Il y tournera December 7th et The Battle of Midway.

    3. En 1926, le gouvernement du président Plutarco Elías Calles prend la décision de supprimer le catholicisme au Mexique. La France avait déjà eu cette prétention lors de la Révolution. L’Espagne l’aura quelques années plus tard. Le Président dit vouloir ouvrir son pays à la modernité. Il entreprend une féroce persécution contre l’église catholique. Une des premières mesures est la suppression du culte catholique. Cette mesure est insupportable pour des millions de Mexicains et Mexicaines. Pour défendre leur religion et la liberté de culte, des milliers de paysans et rancheros se révoltent et en viennent aux armes pour entamer là ce qu’ils appelleront la última cruzada (dernière croisade). Cette haine envers les chrétiens causa plus de trente mille morts au Mexique entre 1857 et 1937. Trente mille qui préférèrent mourir plutôt qu’être privés de la liberté de croire en Dieu.

    4. Élève de Gregg Toland, directeur de la photographie de John Ford sur Les Raisins de la colère, The Long Voyage Home et December 7th, maître exceptionnel des éclairages en clair-obscur, collaborateur de nombreux cinéastes, tout particulièrement Luis Buñuel, John Huston et Emilio Fernàndez

  • I Confess - La Loi du silence d'Alfred Hitchcock

    I Confess - La Loi du silence d'Alfred Hitchcock

    La force du pardon divin



    Je tenais à revenir sur l'un des chefs-d'œuvres de Sir Alfred Hitchcock, I Confess (La Loi du silence 1953) adapté d'une pièce de théâtre de Paul Anthelme Nos deux consciences parue en 1902.

    Québec, une nuit le père Logan (Montgomery Clift), prêtre catholique surprend son sacristain Otto Keller (réfugié allemand, interprété par Otto Eduard Hasse) en détresse dans l'église. Entendu en confession par le prêtre, il lui avoue qu'il vient de tuer l'avocat Villette. L’enquête est menée par l’inspecteur Larrue (Karl Malden) qui, suite à ses observations et des témoignages, soupçonne Logan qui partage avec Ruth Grandfort (Anne Baxter) un secret pouvant s'avérer compromettant.

    Issu d’une famille catholique fervente, Alfred Hitchcock croyant et pratiquant, revient dans ce long-métrage sur des thèmes prégnants dans son œuvre: la faute, la culpabilité, la figure de l'innocent accusé présente dans (Le Faux coupable (1957) mais aussi dans The Lodger (1926), Les 39 marches (1935) , Jeune et Innocent (1937), Frenzy (1972)... Mais, une fois n'est pas coutume, il associe à la défaillance et la dureté de la justice humaine, la force et le pardon de la justice divine. C'est sans aucun doute, le seul film où le cinéaste traite de manière aussi directe de la question de la grandeur de la foi .

     

    Dans La Loi du silence, il aborde la question de la Foi, d'une manière radicale, frontale avec un grand sens de l'ascèse et de l'efficacité dans sa mise en scène. L'intrigue policière du film – connue des spectateurs – repose sur un postulat appartenant aux règles de l'église Catholique, le secret de la confession (1) et sur la droiture morale du père Logan. Le cinéaste a le génie de centrer son film sur la confession. Le meurtrier se confesse au prêtre. Ruth Grandfort confesse à son mari Pierre puis à l'inspecteur et au procureur son secret d'amour pour le père Logan. Le prêtre doit rendre des comptes à la police et à la justice...

    C'est l'une des œuvres les plus sombres de Hitchcock. Logan, un prêtre habité, complexe, marqué par une douleur muette – sans doute due à ce qu'il a vécu comme soldat engagé pendant la guerre 39/45 – va accomplir un véritable parcours christique. Des crucifix présents dans de nombreux plans et une scène faisant référence à la passion du Christ – celle où le prêtre, accusé déambule dans la ville, dominé par une grande statue de la passion du Christ, nous rappellent le sacrifice de Jésus pour racheter les péchés des hommes. Le père Logan, exemplaire est prêt à donner sa vie pour demeurer fidèle à sa foi. Pour cela, il va subir les jugements du tribunal, le mépris et la haine populaire. Mais, il mène, infaillible, un combat contre les forces des ténèbres. Le meurtrier Otto Keller, machiavélique, est sous l'emprise de Satan. L'amour et la miséricorde du prêtre lui permettront de recevoir le pardon divin.

    La Loi du silence est aussi un vrai film policier de suspense hitchcockien comportant plusieurs séquences d'une grande force expressionniste. Dans la première scène lorsque le meurtrier, Otto Keller sort de la maison de l'avocat, sa silhouette se découpe, immense, diabolique, évoquant celle de M le maudit de Fritz Lang. Les scènes où L'inspecteur Larrue, teigneux, anticlérical et opiniâtre – le meilleur policier de toute l’œuvre du cinéaste – mène une enquête implacable et précise sont passionnantes. Jamais le suspense ni la tension policière ni judiciaire ne faiblit.

     

    La Loi du silence curieusement considérée comme une œuvre mineure du cinéaste, souvent mal comprise (2) s'avère être un superbe film métaphysique d'une intensité dramatique et d'une beauté plastique fascinante grâce à une thématique éminemment hitchcockienne (le faux coupable), à la photographie noir et blanc très expressive de Robert Burks (3), aux interprétations inoubliables et troublantes de Montgomery Clift et Anne Baxter, et au jeu précis et concis de Karl Malden et Otto Eduard Hasse.



    Jacques Déniel



    I Confess - La Loi du silence Un film d'Alfred Hitchcock

    États-Unis – 1953 – 1h35 – V.O.S.T.F

    Interprétation: Montgomery Clift , Anne Baxter, Karl Malden, Otto Eduard Hasse, Dolly Haas, Brian Aherne, Roger Dann...

    (1) "Nous savons, nous les catholiques, qu’un prêtre ne peut pas révéler un secret de la confession, mais les protestants, les athées, les agnostiques, pensent : « C’est ridicule de se taire ; aucun homme ne sacrifierait sa vie pour une chose pareille." Hitchcock/Truffaut, ou Le Cinéma selon Alfred Hitchcock, est un livre d'entretien de François Truffaut avec Alfred Hitchcock , paru en 1966 aux éditions Robert Laffont.

    (2) Lire la critique anticléricale plein de contre-sens dans le Alfred Hitchcock de Bruno Villien (Éditions Colona 1982).

    (3) Chef opérateur sur douze des grands chefs-d'œuvres de Hitchcock



  • The Lightship Le Bateau-phare

    The Lightship Le Bateau-phare / 1985

    Tragédie en haute mer

     

    à Alain Philippon

     

     

     

    Le Bateau-phare est un film noir, âpre, tendu, cru. Une tragédie sombre et éclatante qui allie sens du spectacle, intelligence du monde et plaisir de cinéma. C’est à la fois une œuvre d’une grande liberté formelle et de ton, et un film d’aventure et de divertissement pouvant toucher un assez large public, du cinéma métaphysique éblouissant et une mise en scène très rigoureuse et très physique.

     

    Le Bateau-phare est la première réalisation de Skolimowski pour Hollywood, et il est assez insolite de constater que la totalité du film se déroule en dehors du territoire des États-Unis, en haute mer, entre Europe (l’Angleterre) et Amérique, dans un no man’s land qui lui permet de confronter d’une fort belle manière le ­cinéma européen au cinéma américain, la liberté de ton et d’invention du ­premier aux contraintes, impératifs du spectacle et codes des genres du second. Servi par un scénario superbe (d’après Feuerschiff, un roman de Siegfried Lens adapté par William Mai et David ­Taylor) auquel il a collaboré, Skolimowski convoque à bord du bâtiment, commandé par un capitaine d’origine allemande, des personnages-types du cinéma américain, des mauvais garçons, des gangsters. Le film agit comme une double métaphore : le bateau-phare comme îlot de résistance envahi par la fiction américaine, et comme monde de la loi et du devoir agressé par le crime, le mal. De cette confrontation jaillit la beauté du ­cinématographe. La force implacable de la mise en scène de Skolimowski, rugueuse, sans concession ; la rigueur tranchante de son montage ; son sens du cadre, acéré, aigu ; la virtuosité des ­déplacements et actions mêlant rigueur des traits, célérité des gestes, sauvagerie des actes ; le lyrisme de la musique de Stanley Myers en font une ascèse flamboyante.

     

    L’action se passe entièrement sur un bateau-phare – immobile, arrimé en pleine mer, sa mission est d’alerter les autres navires du danger encouru dans les parages – commandé par le capitaine Miller. Il recueille trois étranges naufragés qui prennent l’équipage en otage et requièrent le départ du navire pour se rendre à un mystérieux rendez-vous. Unité de lieu, temps restreint (quelques heures), action minimale (l’enjeu est ­

    de prendre la direction du bateau), ­personnages aux caractères bien trempés – le capitaine Miller (Klaus-Maria Brandauer), homme de devoir et de parole, magnifique d’obstination butée ; Alex Miller (Michael Lyndon, le propre fils du cinéaste), son fils, jeune désabusé, très distant de son père à qui il reproche un comportement passé trouble ; le docteur Caspary (Robert Duvall), sublime figure de gangster dandy, maléfique et séduisant ; Eddie, malfrat psychopathe, cruel et malsain ; Eugène, son frère, un gros truand, compulsif et violent, et tous les membres de l’équipage volontaires, travailleurs, têtus – font de ce film un opus particulièrement travaillé par les obsessions du cinéaste. Oppression du huis clos, monde isolé, contamination du mal, laideur du monde et des liens sociaux, rapports père/fils, honneur et devoir, respect de la loi et sa violation, esclavage et liberté sont les thèmes développés par le ­cinéaste avec une intelligence et une finesse rares. Économie de parole et d’action rythment le film qui nous montre avec brio et détermination farouche le comportement exemplaire d’un père, et héroïque d’un capitaine, qui ne cède pas une once de terrain au mal ; altier, incorruptible, sûr de ses choix, il affronte le docteur Caspary, brillant, éloquent, moqueur, diabolique. Miller est porté par la force de sa croyance au ­devoir, à la loi. Sa foi dans la droiture humaine est aussi impressionnante et atteint la même opacité butée que celle de Jeanne d’Arc face à ses juges. Il ne cédera pas, quoi qu’il arrive. Dans cet univers restreint, fixe, étouffant, anxiogène, il représente à la fois la figure du père roide, bienveillant – entaché par une faute surgissant de son passé – et celle de la loi pour Alex et pour son équipage face à celle de père malveillant et séducteur qu’incarne Caspary, qui entraîne au crime ses fils adoptés, Eugène et Eddie. Les scènes où Miller et Caspary se regardent, se toisent, se parlent sont symptomatiques de cet affrontement entre le bien et le mal, la loi et le crime. La grande intelligence de Skolimowski est de jouer avec le capital de sympathie que nous accordons à chacun des deux personnages : le capitaine bourru, ferme, peu disert, digne et hautain peut nous sembler désagréable tandis que le docteur, ironique, enjoué, brillant, bavard, d’une intelligence retorse peut nous séduire par ses discours sur le libre arbitre, la ­liberté et l’esclavage, la volonté de ne ­satisfaire que ses désirs. Magnifique ­séquence de discussion dans la cabine entre les deux hommes où tous les enjeux et la tension sont rendus à l’écran par les plans d’un crayon roulant à terre entre eux. Une autre très belle scène ­répond à cette dernière : Caspary entre dans la cuisine, appelant Eugène qui vient d’être tué par Nate et est couché sur le sol, tandis que le pot et la coupe de glace au chocolat abandonnés par le gros truand glissent au fil du tangage du bateau.

    Cette œuvre au noir, vertigineuse par la violence hallucinante de certaines séquences – celle où Eugène tue l’oiseau de Nate le cuisinier, la vengeance sanglante de ce dernier, la séquence finale, d’une tension brute et sèche – nous livre une grande leçon de morale humaniste, une belle histoire de transmission. Un homme seul, incompris, injustement soupçonné de lâcheté – durant la ­Seconde Guerre mondiale, il commandait un destroyer de la marine américaine ; venu au secours d’un bateau en feu, touché par un sous-marin nazi, il donna l’ordre de poursuivre le sous-marin, abandonnant les naufragés dans la mer en flammes ; la cour martiale l’innocentera, lui donnant raison d’avoir accompli sa mission – maintient la loi, l’autorité, le sens du devoir contre les forces du mal. Il transmet à son fils et à son équipage ses valeurs. Son courage et sa dignité l’amènent dans la scène finale à se comporter en héros qui sacrifie sa vie pour que les valeurs humanistes et le sens de l’honneur l’emportent, pour se racheter du poids terrible que lui cause l’épisode dramatique de la guerre. Le capitaine meurt apaisé, libéré de sa culpabilité, dans les bras de son fils qui lui dit tout bas : « Papa ». Désormais, le fils peut être un homme, un père certainement.

    Les difficultés de la filiation ; l’amour­/haine entre pères et fils, la transmission des valeurs, l’horreur de la société gangrenée par le mal, l’isolement dans un monde forclos, comme dans Travail au noir, la mécanique et la contamination du mal, la perversité et la monstruosité des êtres humains sont abordés avec pertinence et subtilité dans ce film sous haute tension. Pour que le droit et la morale l’emportent, il faut que l’équipage entier soit contaminé par le mal advenu à bord par l’irruption des malfrats, des anges de la mort. Ainsi du second au mécanicien, en passant par le bosco, le cuisinier et le fils du capitaine, tous sont gagnés par les pulsions de violence et deux passent à l’acte (Nate et Alex), mus certes par la volonté de libérer le navire, par la légitime défense – celle-là même qu’invoque Caspary en tête à tête avec Miller, lorsque Eddie tue le bosco –, mais aussi par la vengeance pour Nate. Pour que le bien advienne, il faut que le mal se répande, que tous les individus, sauf le capitaine, soient souillés par lui, qu’ils le commettent. Terrible drame, où s’affrontent deux conceptions de l’humanité, celle du devoir et de la transmission des valeurs contre celle du désir absolu et de la contamination du mal. Transmettre contre contaminer, tel est l’enjeu de ce huis clos qui a la grandeur d’une tragédie racinienne.

    Jacques Déniel

     

    Le Bateau phare un film de Jerzy Skolimowsky

    États-Unis - 1985 - 1h29 - V.O.S.T.F.

    Interprétation: Klaus Maria Brandauer, Michal Skolimowski, Robert Duvall, Arliss Howard, T1m Phillips, William Forsythe....

     

     

  • House of Bamboo (La Maison de bambou) de Samuel Fuller

    House of Bamboo (La Maison de bambou) de Samuel Fuller

    Violence de l'amour

     

    Lors de la rétrospective qui a été consacrée au cinéaste américain Samuel Fuller à la Cinémathèque française du 3 janvier au 15 février 2018, j'ai revu plusieurs de ses films. Quatre nouveaux et très bons ouvrages sur son œuvre cinématographique sont sortis en librairie ainsi que le portrait du cinéaste réalisé par sa fille Samantha Fuller (édité par Carlotta films).

     

    House of Bamboo (La Maison de bambou) est l'un, voire le plus beau film de Samuel Fuller. Recyclant des thèmes et des éléments cinématographiques propres au film noir, il atteint avec ce long métrage de 1955, un classicisme formel épuré. Sa mise en scène est totalement maîtrisé. C'est une œuvre d'une grande facture cinématographique et picturale tournée au Japon. Le film est servi par un usage particulièrement virtuose du CinemaScope et de la couleur et par un choix intelligent des acteurs principaux: Robert Ryan (Sandy Dawson), Robert Stack (Eddie Kenner/ Spanier), Shirley Yamaguchi [Yoshiko Otaka (Marika)], Cameron Mitchell (Griff), tous excellents, qui vont lui permettent de jouer habilement sur les troubles sentimentaux et sexuels des protagonistes. Pour la photographie, Fuller embauche comme chef opérateur Joseph MacDonald qui a déjà travaillé avec lui, ainsi qu'avec Nicholas, Ray, Edward Dmytryk, John Huston... La lumière de Joseph MacDonald magnifie les décors intérieurs et extérieurs choisis et donne au cinéaste la possibilité de saisir avec son sens aigu de la mise en scène les espaces spécifiques du Japon. Utilisant des mouvements de grue élégants qui lui permettent d'accentuer la profondeur de champ, Samuel Fuller se sert de sa remarquable et ingénieuse science du mouvement dans les scènes d'attaque: celle splendide du train au début du film sur fond du Mont Fuji qui apparaît entre les jambes du soldat mort, celles des hold-up tout particulièrement le second qui voit des hommes arrivés par bateau faire un braquage où la virtuosité et la rapidité de l’exécution sont superbement mis en scène, celle de l’exécution brute et sèche de Griff par Dawson, et, bien sûr l'extraordinaire séquence de fin spectaculaire, âpre, tendue, vertigineuse, du duel entre Kenner et Dawson sur la grande roue surplombant la ville de Tokyo.

    Le film raconte l'arrivée au Japon d'un militaire américain, Eddie Kenner -qui se fait passer pour Spanier, un gangster sorti de prison-, chargé de s'introduire au sein d'un gang de malfaiteurs qui ont abattu un ancien GI, afin de les confondre. Pour arriver à ses fins Eddie approche la belle Mariko épouse de l'homme abattu. Il va faire semblant de se mettre en ménage avec elle. Eddie attaque des maisons de jeu ce qui l'amène à rencontrer la bande de Sandy Dawson, tous d'anciens militaires. Dawson propose à Eddie de rejoindre son gang pour participer à des hold-up. Mais les relations vont évoluer, se dégrader dans la bande. Dawson se prend d'amitié pour Eddie au détriment de son second, Griff qui, jaloux le prend très mal. Kenner se décide à informer Mariko dont il est amoureux, qu'il travaille pour la police américaine et japonaise. Il lui confie une mission. La bande de Dawson décide de braquer dans les rues du centre de Tokyo, un fourgon blindé transportant une énorme somme d'argent. Mis au courant que la police est sur les lieux, Dawson annule l'opération et tue son second Griff dont il pense qu'il est devenu traître par dépit. Apprenant la vérité, Dawson monte un stratagème ingénieux pour supprimer Kenner/Spanier.

    Ce film tient une place particulière dans l'histoire du film de gangsters. C'est la fin de l'époque classique de ce sous-genre du film noir, typiquement américain. Samuel Fuller qui en est parfaitement conscient après avoir tourné en 1953 Pickup on South Street (Le Port de la drogue) cherche une nouvelle voie pour renouveler le genre et développer ses idées cinématographiques, esthétiques et philosophiques. Pour cela, il utilise quatre éléments essentiels: filmer de manière la plus réaliste possible le Japon et donc l'exotisme de la situation, opposer par contrastes aux films noirs tournés de nuit dans des villes claustro-phobiques des scènes de jour tournées en extérieur, choisir la couleur et le CinemaScope au lieu du noir et blanc et du format 1/33, écrire un scénario riche d'idées entremêlant le genre et les situations amoureuses. Ces choix de mise en scène capitaux lui permettent de magnifier son cinéma et de faire évoluer le genre.

    Son scénario assez complexe mêlant trame policière classique, histoires sentimentales, amoureuses et désirs sexuels, des éléments assez peu conventionnels dans un film noir de cet époque donne au film son ton unique. Très vite, un trio, puis un quatuor amoureux se met en place entre Dawson, Kenner/Spanier, Mariko et Griff. Leurs relations sentimentales, leurs désirs cachés créent un trouble insidieux et profond dans le film, rien d'explicite au sujet de l'homosexualité -cela n'intéresse pas Fuller-, mais une tension sèche et violente mue par des pulsions inavouables traversent le film. Lorsque l'on cherche à mieux comprendre les relations entre Dawson et Spanier, Spanier et Mariko, Griff et Dawson nous constatons que le désir et par conséquent la jalousie sont les moteurs de leurs relations troubles. Clairement, Dawson n’a aucune relation féminine. Il dirige et vit avec un groupe d'hommes. Il héberge Spanier sous son toit, une façon de le faire sien, de le dominer, ce qui alimente très vite la jalousie de Griff. La relation entre Spanier et Mariko est tout d'abord d'ordre policière puis au fil de l'action naît une histoire sentimental et de désir entre eux, très prégnante dans la scène éminemment sensuelle de la douche.

    Dans ce film noir à la fois classique et atypique Samuel Fuller réussit à nous parler des relations compliquées entre les États-Unis et le Japon au moment du tournage en 1955 due à la tragédie de Hiroshima à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans une atmosphère de tension et de pulsions sexuelles au sein d'une bande de gangsters virils, d'une histoire amoureuse inter-raciale entre un militaire américain et une Japonaise. Comme dans The Crimsom Kimono, ou China Gate, Samuel Fuller s’appuie sur sa fascination pour une culture très différente de la culture américaine. Tout au long du film, il ne cesse de nous montrer dans de nombreux plans les différences de culture. Ces plans simples et somptueux , détaillent les manières de se vêtir de se nourrir et les décors des appartements: objets, mobilier, structure des maisons de bambous... A travers l'histoire au parfum d'exotisme entre Spanier et Mariko, Fuller nous dit son amour de l'Orient, son rejet du racisme quel qu’il soit, sa détestation de la violence, lui qui pourtant n'hésite jamais à commencer ses films sur des scènes sèches et violentes -ici l'assassinat du GI dans la campagne dominée par le Mont Fuji. En nous contant la lutte menée par Eddie Kenner (Spanier) contre le pillage du Japon par une bande de malfrats ainsi que son histoire d'amour avec Mariko, le cinéaste nous montre comme une sorte de rachat possible des fautes des Etats-Unis d'Amérique.

    Tous les interprètes du film s’avèrent justes et émouvants. Robert Stack se montre convaincant, sec, rude dans la façon de jouer le rôle de Kenner/Spanier. Robert Ryan, un habitué des films noirs est l’interprète idéal pour Dawson, ce chef de bande autoritaire, violent et cruel mais aussi souvent tendre et à l'écoute de ses hommes. Shirley Yamagushi donne au personnage de Mariko, une justesse et une profondeur émotionnelle. Quasi inconnue en Occident, elle était une actrice et chanteuse célèbre au Japon et en Chine. Quant à Cameron Mitchell, grimaçant, tendu et nerveux il compose de belle manière le rôle de Griff, l'homme délaissé par Dawson. Dans House of Bamboo comme souvent dans le cinéma de Samuel Fuller, il s'agit de parler des autres, de l'autre: l'asiatique, le malfrat, le traître, le noir, l'indien, l'ennemi. La force de film limpide où violences et amours irradient l'écran est de ne pas juger ses personnages, de les laisser vivre leurs contradictions et de les amener à affronter l'autre en l'aimant ou le tuant. La Maison de bambou nous confirme que Samuel Fuller est un cinéaste majeur.

    Jacques Déniel

    House of Bamboo (La Maison de bambou) de Samuel Fuller États-Unis – 1955 – CinemaScope – Couleurs – 1h42 – un film de Samuel Fuller Interprétations: Robert Stack ( Eddie Kenner / Spanier), Robert Ryan (Sandy Dawson) Shirley Yamaguchi (Mariko), Cameron Mitchell (Griff), Brad Dexter (le Capitaine Hanson), Sessue Hayakawa ( l'Inspecteur Kito)...

    Dvd de La Maison de Bambou en copie restaurée (Twentieth Century Fox: collection Hollywood Legends).

    Dvd A Fuller Life, un portrait atypique et passionné du grand cinéaste américain Samuel Fuller Un film de Samantha Fuller édité par Carlotta Films

    Actualités littéraires sur Fuller: Fuller, un homme à fables de Jean Narboni (Éditions Capricci), Samuel Fuller, le choc et la caresse sous la direction de Jacques Déniel et Jean-François Rauger (Éditions Yellow Now) Samuel Fuller, jusqu'à l'épuisement de Frank Lafond (Éditions Rouge Profond) et Le film et le champ de bataille : Samuel Fuller, The big red one de Didier Semin (Édition Échoppe) tous sortis en décembre 2017 et janvier 2018.

  • Samuel Fuller, vision de l'impossible

    Samuel Fuller, vision de l'impossible

    Jacques Déniel

     

    Alors, pour la première fois, nous nous apercevons que notre langue manque de mots pour exprimer cette insulte la démolition d’un homme. En un instant, dans une intuition quasi prophétique, la réalité nous apparaît : nous avons touché le fond. Il est impossible d’aller plus bas il n’existe pas, il n’est pas possible de concevoir condition humaine plus misérable que la nôtre. Plus rien ne nous appartient : ils nous ont pris nos vêtements, nos chaussures, et même nos cheveux ; si nous parlons, ils ne nous écouteront pas, et même s'ils nous écoutaient, ils ne nous comprendraient pas. Ils nous enlèveront jusqu'à notre nom : et si nous voulons le conserver, nous devrons trouver en nous la force nécessaire pour que derrière ce nom, quelque chose de nous, de ce que nous étions, subsiste. Primo Levi 1

     

     

    Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale et la découverte des camps révélant la monstruosité diabolique des crimes nazis, le problème de la représentation au cinéma des camps de concentration et d'extermination s'est posé. Comment montrer l'indicible? De nombreux documentaires tournés par l'armée soviétique et polonaise ainsi que par les américains existent. John Ford, George Stevens Ray Kelloge, Samuel Fuller,... ont tourné des images de ces camps lorsqu'ils étaient engagés comme soldats dans l'armée des États-Unis d'Amérique pour lutter contre l'Allemagne nazie. Certains de ces films ont été montrés comme preuves au procès de Nuremberg. En 1956, Alain Resnais réalise un documentaire Nuit et brouillard, qui demeure un film de référence bien que l'extermination des juifs n'y soit pas clairement mentionnée. La sortie en 1985 de Shoah, film somme de Claude Lanzmann, est un événement historique politique et moral, salutaire pour lutter contre l'oubli et dire l'horreur avec précision et dignité. De même, de nombreux films de fiction ont tenté de parler des camps ou de la Shoah, de montrer les crimes commis par les Nazis. Certains mettent les spectateurs face à de vrais problèmes d'éthique cinématographique tels Kapò (Kapo de Gillo Pontecorvo - 1959), Schindler's List (La Liste de Schindler - 1993) de Steven Spielberg, La Vita e bella (La Vie est belle - 1997) de Roberto Begnini ou Saul fia (Le Fils de Saul - 2015) de László Nemes. La presse et de nombreux spectateurs ont émis des critiques souvent justes sur ces œuvres2. Ces films ont fait l'objet de vives polémiques, seul Le Fils de Saul y a échappé 3..

    Comment Samuel Fuller, soldat pendant la seconde guerre mondiale a montré et parlé des camps dans ses films, est une question essentielle de son œuvre. Fuller qui a souvent représenté la guerre et la violence de manière sobre, brutale et tranchante dans ses films – en particulier dans The Steel Helmet (J'ai vécu l'enfer de Corée - 1951), Fixed Bayonets (Baïonnette au canon - 1951) sur la guerre de Corée, China Gate (porte de Chine – 1957) sur la guerre d'Indochine ou Merrill's Marauders (Les Maraudeurs attaquent - 1961) se déroulant pendant le seconde guerre mondiale durant la reconquête de la Birmanie – met en scène la représentation d'un camp et la barbarie dans trois de ces films4: Falkenau (1945), Verboten (Ordres secrets aux espions nazis -1959) et The Big Red One (Au-delà de la gloire - 1980). Le cinéaste, par sa participation active comme militaire à la deuxième guerre mondiale, a toute légitimité pour montrer des images. Il a vécu, vu, affronté et filmé pendant la guerre, la folie meurtrière des hommes, l'inimaginable.

    Filmer l'Impossible s'impose d'emblée à Samuel Fuller. En 1945, il combat dans la première division américaine d'infanterie, la Big Red One, reconnue pour sa bravoure et célèbre par son insigne, un 1 rouge vif cousu sur la manche de l'uniforme de ses soldats. En 1943, Fuller, alors au front, reçoit des États-Unis une caméra envoyée par sa mère. Il réalise son premier film, un documentaire tourné en 16mm, noir et blanc et muet dans le camp de concentration de Falkenau. Ce premier film, se trouve dans Falkenau vision de l'impossible d'Émil Weiss, un documentaire réalisé en 1988 consacré à Samuel Fuller, à son vécu lors de la découverte du camp. Emil Weiss le fait s'interroger sur la vérité des images, sur la possibilité de représenter l’univers concentrationnaire. Fuller y affirme sa foi dans le cinéma comme moyen de transmettre les faits historiques aux spectateurs, en particulier aux jeunes générations.

    Lorsque Emil Weiss lui propose de faire ce film, Samuel Fuller accepte de revoir ses images qu'il n'a jamais utilisées dans aucun de ses propres films. Sur ses réticences à se confronter à ses plans, il explique : « Je ne pouvais pas voir mon film car il est cette nuit en Tchécoslovaquie, la fin de toute cette guerre, c’est l’impossible. Pas l’incroyable, ni l’horrifiant, mais un mot simple, que tout le monde peut comprendre, un seul mot. La chose importante, c’est que l’Impossible nous choquait, mais pas au sens où l’on utilise le mot “choc”. C’est plus fort que de rendre malade ou d’horrifier. C’est hypnotiser. Et le silence parmi nos soldats était très lourd, quatre ou cinq jours durant, on a gardé le silence».

    A la fin du film, quand Emil Weiss lui demande s'il est possible de filmer l'horreur des camps dans une fiction, il répond: « Rien n'est impossible avec une caméra mon garçon! Ah, ah! Rien, mais le montrer ça c'est toute la difficulté ». Ces deux citations résument parfaitement la morale de cinéaste de Samuel Fuller, celle qu'il va toujours appliquer à son cinéma. Une morale qu'il s'est forgée en tournant son premier film Falkenau. Ce documentaire, nous fait découvrir la vérité: des hommes, des Nazis ont torturé, laissé mourir de faim et de maladie, exterminé d'autres hommes et femmes internés dans des camps. En particulier, les Juifs5 qu'ils considéraient comme des sous-hommes. Après une brève introduction où il nous explique les conditions du tournage ainsi que celles de la libération du camp, Samuel Fuller nous situe la place des baraquements aujourd'hui disparus à part quelques vestiges des fondations qui demeurent recouverts par les herbes et les ronces. Puis, visionnant Falkenau avec Emil Weiss, il commente en direct les images de ce document saisissant. Il est précis, concis et rigoureux, nous explique l'importance de ces images pour éduquer, enseigner et lutter contre l'oubli. Ce film est l'œuvre d'un amateur mais les tueries sont l'œuvre de professionnels nous dit-il!6 Il nous rappelle les faits, nous parle de l'odeur et de la puanteur des lieux, de la fumée âcre qui s'en dégageait au moment de la libération du camp, revient sur la volonté des notables du village ne pas vouloir voir, de nier l'existence de cette horreur, et précise que certains aujourd'hui continuent de nier l'existence des camps7.

    Sous la direction et le commandement de son chef, le capitaine Richmond, il filme et montre comment les notables du bourg de Falkenau qui prétendent ignorer ce qui se passe dans le camp sont obligés de donner une sépulture décente aux victimes de la barbarie nazie. Suivant les ordres du capitaine Richmond, Ils sortent les morts des baraquements, les allongent sur des draps blancs, les habillent et les transportent sur des charrettes à travers la ville pour aller les enterrer au cimetière

    dans la dignité. La mise en scène imaginée par le capitaine de Samuel Fuller est implacable. Fuller a déjà une maîtrise de cinéaste. Le film est cadré avec pudeur et distance, aucun plan large ni surplombant. Il tourne une suite de plans courts, montés avec un grand sens de la pédagogie.

    Un plan-séquence de quarante quatre secondes montre la proximité du camp de concentration au bourg de Falkenau: un panoramique part du village de Falkenau et se termine sur les corps des morts du camp de concentration situé comme nous pouvons le voir à quelques centaines de mètres. Tous savaient et mentaient! Le cinéma preuve des mensonges et des crimes commis par les Nazis.

    Lorsque Samuel Fuller revient sur la guerre 1939/1945 dans ses films, il utilise cette expérience première. Dans Verboten, l'action se situe en Allemagne à la fin de la guerre et juste après la capitulation de l'Allemagne nazie. David Brent, sergent de l'armée américaine, est blessé. Il est recueilli par Helga Schiller, une allemande habitante de la ville. Amoureux de la jeune femme, David Brent, redevenu civil, retourne après l'armistice dans la petite ville d'Helga. Il travaille au Bureau de l'approvisionnement du Gouvernement militaire américain auprès de militaires et de civils allemands chargés de dénazifier l'Allemagne. Ils luttent contre les Loups garous, un groupe de fanatiques auquel adhère Franz, le jeune frère d'Helga, qui continue de prêcher la haine. Dans une séquence exemplaire Helga conduit son frère assister au procès de Nuremberg. Samuel Fuller construit avec une grande science du montage cette séquence par une série de champs, contre-champs. Il utilise face à ses propres images de fiction, des images documentaires du procès ainsi que d'autres issues de films allemands de propagande ou de films tournés par l'armée américaine projetés au procès. Par cette confrontation aux images du réel, il amène le jeune Franz, mais aussi les spectateurs, à prendre conscience de la gravité des crimes commis contre l'humanité par ces dignitaires nazis... Franz, choqué par ces preuves tangibles des crimes contre l'humanité perpétrés par ses compatriotes se remémore les propos tenus par Bruno Eckart, le chef des Loups garous – de courts flash back s'insérèrent entre les plans documentaires et ceux du visage du jeune garçon, ébranlé – propos similaires à ceux tenus par Hitler, Goering, Goebels, Himmler... Helga oblige son frère à faire face aux images8. Le documentaire est venu au secours de la fiction pour montrer des situations impossibles à reconstituer avec des acteurs. Verboten est une œuvre d'une grande force historique, une leçon de morale cinématographique et humaine.

    En 1979, Samuel Fuller tourne son plus ample et ambitieux long métrage The Big Red One, sur la deuxième guerre mondiale. Il conte l'histoire de la première division d'infanterie américaine, ses campagnes lors des débarquements alliés: opération Torch en Afrique Française du Nord le 8 novembre 1942, Husky en Sicile le 10 juillet 1943 et Overlord en Normandie le 6 juin 1944. Il suit la Big Red One qui progresse à travers la France, la Belgique, L'Allemagne et la Tchécoslovaquie où ses soldats libèrent et découvrent le camp de concentration de Falkenau. Samuel Fuller avait conçu ce projet dès le retour de la paix. Il pensait écrire un livre où l'absence d'émotion aurait son importance dans la façon de raconter les événements vécus par la division à laquelle il avait appartenu comme soldat. L'idée d'un film est né dès la fin des années cinquante9. Il le réalisera trente ans plus tard. Trente années qui lui permettent d'avoir le recul nécessaire sur ce conflit et surtout de trouver comment filmer la découverte du camp.

    Claude Lanzmann pense qu'il est impossible de réaliser un film de fiction sur les camps et la Shoah. Cependant, dans la dernière séquence de The Big Red One, la représentation cinématographique de la découverte du camp de Falkenau est juste et ne met pas les spectateurs en situation de chantage émotionnel. Une suite de plans courts, secs et abrupts nous montre la fureur des combats. Samuel Fuller se place à hauteur d’homme. Nous suivons la progression de la section conduite par le sergent Possum, interprété par Lee Marvin. Un jeune soldat, Zab (Robert Carradine), cigare à la bouche, représente Samuel Fuller.

    Les hommes courent, se plaquent au sol, tirent, lancent des grenades mais aussi tombent fauchés par des tirs de mitrailleuse, de fusils ou l'explosion de grenades. Les corps mêlés de soldats américains et allemands jonchent la terre et s'effondrent parfois dans un parterre de fleurs.

    Le cinéaste nous explique dans Un travelling est une affaire de morale d'Emil Weiss et Yann Lardeau, les raisons pédagogiques de son choix de montrer à plusieurs reprises ces fleurs dans un camp de la mort. Il y avait des fleurs! Les gardes et chefs du camp pouvaient mener là une vie ordinaire et prendre soin des fleurs!10.

     

    Puis, les flammes et la fumée masquent l'action, soudain trois des soldats que nous suivons dans cette campagne se trouvent devant des portes. Brusquement, ils les ouvrent. Le contrechamp est saisissant. Face à eux et à notre regard, apparaissent dans la pénombre, les yeux exorbités de déportés pâles, exsangues. Une suite de champs et contre-champs nous montre sur les visages figés des soldats, la stupeur, l'effarement, et, sur ceux malingres des prisonniers du camp, l'absence, des regards de mort-vivants. Pas de lyrisme, ni de sentimentalité dans ces plans, juste l'effroi de l'indicible11. Les tirs continuent, les américains progressent dans leur prise du camp. Le soldat Griff (Mark Hamill) poursuit un allemand, il arrive au pied d'un bâtiment contre un mur, une fumée noirâtre sort d'une cheminée haute. Il s'approche lentement de la porte entrebâillée du baraquement où s'est réfugié l'ennemi. Il s'arrête figé par la fumée âcre. Prudent, il entre, et nous découvrons avec lui une enfilade de fours aux portes métalliques fumantes. Il tente d'ouvrir l'une d'entre elles. Elle est brûlante. Il se sert de la pointe de son fusil. A ce moment précis, Fuller utilise un contre-champ pris de l'intérieur du four. Griff est sidéré face à ce qu'il voit: des restes de corps humains en train de se consumer. Dans un mélange de folie et de rage froide, le soldat ouvre ensuite un deuxième four dans lequel il trouve le S.S caché . Celui-ci tente de tirer, son arme est enrayée. Alors, Griff tire, tire et tire encore sur l'allemand vidant plusieurs chargeurs de balles. Surpris par les coups de feu répétés, le sergent Possum entre dans le bâtiment et tend un nouveau chargeur à Griff. Il lui tapote doucement le bras et lui dit: « Tu l'as eu, je crois ». Tout la souffrance de ces hommes en guerre face à leur découverte passe par ce geste de solidarité. Aucune émotion, pas de sentimentalité, la guerre et l'horreur sont filmés avec une sécheresse et un ascétisme renforçant leur caractère de folie criminelle. Cette scène est emblématique de ce que Fuller appelle l'Impossible. Griff, hypnotisé ressent une fureur glacée. Sa seule réaction possible est de tirer à plusieurs reprises. Entre les plans de Griff tirant, Samuel Fuller a monté un gros plan de la cheminée des fours crématoires, un très gros plan d'un soldat mort avec en amorce l'épaulette noire de son uniforme S.S. comportant une tête de mort, et, des plans du sergent et de ses trois camarades qui entendent la série de tirs répétés. Fuller nous signifie que l'acte de tuer le soldat allemand est une métaphore de la liquidation de la monstruosité nazie et nous fait comprendre que les camarades de Griff ressentent la même rage de les anéantir.12

     

     

     

     

     

    L’une des séquences les plus fortes du film est celle où le sergent Possum, froid, émacié, un professionnel aguerri par la première et la seconde guerre mondiale13, découvre un jeune enfant décharné. Le visage impassible et le jeu subtile de Lee Marvin renforce la sécheresse de la situation14 et donne à la scène une force morale. Derrière le masque du soldat apparaît un regard de compassion. Il donne à boire à l'enfant, le questionne « Juif ?», « Polonais ?», « Tchèque ?», tente de lui faire manger du fromage. Il sort du baraquement, l'enfant le suit. Ils se retrouvent près d'un cours d'eau... l'enfant met sur sa tête le casque du sergent qui le lui retire. Il ne supporte pas cette image d'un enfant casqué. Le gamin est fatigué. Possum le prend sur ses épaules. Il marche, les yeux au loin, sans se résoudre à admettre immédiatement que le corps sur ses épaules s'alourdit. Il continue de marcher portant l'enfant que la mort a emporté. Tous les scènes de cette séquence de la découverte du camp sont précieuses. Elles font assurément de The Big Red One, un grand film politique et historique entre violence physique et grandeur d’âme.

     

    Dans son entretien avec Emil Weiss, Samuel Fuller a dit ses difficultés à représenter l'impensable, sans avouer sa propre impuissance. Il est important de dire qu'il n’a pas été confronté à l'épreuve de la solution finale, de l’extermination par les gaz. Le camp de Falkenau est un camp de concentration où les hommes, femmes et enfants meurent à cause de l'épuisement par le travail, sous les coups, de dénutrition et de maladies et sont ensuite brûlés dans les crématoires. Il ne s’agit pas d’une mort de masse organisée dans les chambres à gaz. Jamais Fuller n’a reconstitué, dans un film, l’extermination des juifs. Il n'a pas repris ses images documentaires dans ses films de fiction. À Jean Narboni et Noël Simsolo qui lui demandaient « Comment reconstituer l'horreur des camps dans un film ?», Il a affirmé : « Je ne pourrais pas faire ça. Comment pouvez-vous faire « mieux » que les Allemands ? Même dans The Big Red One, je ne pouvais pas montrer ce que j'avais filmé sur place»15 Ainsi du camp de Falkenau, il ne représente dans The Big Red One que des moments clés de sa confrontation à l’Impossible: ceux de la rencontre avec les regards des survivants, les restes humains dans un four crématoire, et la mort inéluctable d'un enfant juif. Rien d’autre! Ces trois films sont pour le cinéaste un devoir de mémoire et d'éducation: A travers des films sur plusieurs générations, on apprend aux enfants à ne pas haïr, à ne pas être violents. (...). A travers les films, on ne fait pas qu'éduquer, on peut faire avancer l'histoire de l'humanité afin que nul ne puisse mentir sur tout ce que vous venez de voir.16 Son film Falkenau l'empêche d'aller au-delà de ces limites dans la fiction. Son sens de la mise en scène et sa probité ont permis à Samuel Fuller de faire un film ample et sec sur la guerre et sur les forces du Mal mais pas de représenter la Shoah, l'Impossible.

    Il a reconstitué des lieux, un camp, des fours crématoires. Il s'est servi de figurants pour jouer les concentrationnaires ou d'un acteur pour l'enfant juif. Il a réussi à éviter le piège du sentimentalisme, même lorsqu'il utilise la musique diégétique (la boîte à musique) et extra-diégétique (une mélodie légère composée par Dana Kaproff) qui accompagne la mort du jeune garçon. De même, la place de la caméra à l'intérieur du four au moment de leur découverte par Griff n'est pas interdite puisque c'est la seule place possible pour signifier l'effroi d'un homme face à l'Impossible. Ces séquences considérées impossibles à filmer par Lanzmann ou Alain Fleischer s'avèrent nécessaires dans The Big Red One. Samuel Fuller a su filmer sans aucune complaisance. Mais aucun film de fiction ne nous fera sortir du noir.

    Jacques Déniel (Samuel Fuller, Le choc et la caresse (2018) Collectif dir. Jacques Déniel et Jean-François Rauger Editeur : Yellow Now)

    1 Primo Levi Si c'est un homme (1947), traduction de Martine Schruoffeneger, Paris Julliard.

    2 Rappelons-nous l'accueil très dur du film Kapo par Jacques Rivette dans son texte De l'abjection Cahiers du cinéma

    n° 120, juin 1961, pp. 54-55. De même, les deux autres films avaient reçu un accueil critique sévère.

    3 Hormis Jean Philippe Tessé dans Les Cahiers du cinéma (numéro 716 - novembre 2015),  Didier Péron , Clément Ghys et Julien Gester dans Libération (3 novembre 2015), Jacques Déniel dans Causeur.fr (novembre 2015), et l'excellent livre Retour au noir d'Alain Fleischer, consacré au film de László Nemes, une réponse au livre admiratif du film Sortir du noir de Georges Didi-Huberman.

    4 Shock Corridor s'il traite de la folie, de la violence, du racisme peut aussi être vu comme une métaphore d'un camp de concentration.

    5 Mais aussi des tziganes, des homosexuels, des allemands résistants , des témoins de Jéhovah, des protestants, des catholiques... des asociaux, des handicapés, des criminels de droits communs...

    6 Dans Falkenau vision de l'impossible d'Emil Weiss.

    7 « Et, il y a encore des gens aujourd'hui qui appellent ça un détail de l'histoire comme Le Pen en France... Certains aux États-Unis disent que personne n'a été torturé, personne n'a été tué, personne n'est mort de faim, personne n'a été gazé ni jeté dans un four mort ou vivant » Samuel Fuller dans Falkenau vision de l'impossible d'Emil Weiss (1988).

    8 « Franz , regarde, Franz, il faut que tu vois ça. On va regarder ensemble. C'est quelque chose qu'on devrait tous voir, que le monde entier devrait voir » propos d'Helga à son frère Franz dans Verboten de Samuel Fuller.

    9 Entretien avec Samuel Fuller par Bill Krohn et Barbara Frank, Cahiers du cinéma n° 311 mai 1980 et n° 314 juillet/août 1980.

    10 « Samantha, ma petite fille a vu le film. Elle ne comprenait strictement rien à ce qu'elle voyait, à tout cet enfer.(...) Les gens qui travaillent dans les camps y vivaient. Les gardes. Ils avaient de petits pots de fleurs devant leur maison.. Je m'étais dit que parce que ma petite fille ne comprenait pas, je tournerai un plan où un des soldats tombe dans les fleurs (...) Elle ne comprenait pas pourquoi ces méchants chez eux avaient de superbes fleurs parce qu'elle adore les fleurs. » dans Un travelling est une affaire de morale d'Emil Weiss et Yann Lardeau, filmé le 14 juillet 1986.

    11 « Ce qu’on voyait, c’étaient des visages avec des yeux noirs comme ceux des rats. Des corps qui ne pèsent rien. Des corps, des corps tout autour ; certains entassés,d’autres jetés épars. (…)Les prisonniers n’arrivaient pas à croire qu’ils étaient libres. Ils ne savaient pas ce qui se passait. Ils savaient une chose : leurs gardiens sont morts.» Il était une fois Samuel Fuller, Histoires d'Amérique racontées à Jean Narboni et Noël Simsolo – Éditions Cahiers du cinéma 1986.

    12 « Rien n'a autant de puissance que quand un jeune de 18 à 21 ans arrive sur place et voit la chose de ses propres yeux. C'est ça l'image que je voulais. Celle où l'on voit pour la première fois, où il comprend pourquoi il se bat » Samuel Fuller dans Un travelling est une affaire de morale, un film d'Emil Weiss et Yann Lardeau, 14 juillet 1986.

    13 Le sergent est un survivant de la première guerre mondiale et il n'est pas mort durant les combats de la Big Red One, comme le dit le colonel sur la plage lors débarquement à Colleville-sur-Mer: « Il y deux sortes d'hommes sur cette plage, ceux qui sont morts et ceux qui vont mourir. Alors, quittons cette maudite plage et avançons vers l'intérieur des terres ».

    14« j'ai tout ce que je veux; c'est absolument aucune expression! Si il y avait la moindre expression, on est bon pour les violons »Samuel Fuller dans Un travelling est une affaire de morale, un film d'Emil Weiss et Yann Lardeau, 14 juillet 1986.

    15 Il était une fois Samuel Fuller, Histoires d'Amérique racontées à Jean Narboni et Noël Simsolo – Éditions Cahiers du cinéma 1986.

    16 Entretien avec Samuel Fuller dans Falkenau vision de l'impossible d'Emil Weiss.